Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses/13

Tome 2. Chapitre XIII.



CHAPITRE XIII.

Couvent de Ste -Catherine, à Provins.


Depuis longtemps les Cordeliers de Provins dirigeaient, dans la plus parfaite union, les consciences des sœurs de Sainte-Catherine ; cependant les rivalités, la jalousie, introduisirent le désordre dans le couvent. Quelques religieuses mécontentes se réunirent pour demander, en 1648, au Parlement l’éloignement des cordeliers ; mais les cabales des pères firent avorter tous les projets des sœurs. Le Parlement rendit plusieurs arrêts ; l’archevêque de Sens interposa son autorité ; les cordeliers bravaient tout, lorsqu’enfin les religieuses, de concert avec ce prélat, publièrent un factum dont nous allons donner une idée, et où se trouvent dévoilés tous les mystères de la galanterie claustrale.

Les religieuses après avoir rétabli leurs prétentions à rentrer sous la conduite et la direction de l’archevêque de Sens, après avoir prouvé avec beaucoup d’érudition que la conduite des monastères appartient aux archevêques, et après avoir répondu aux bulles signifiées par les cordeliers, sur lesquelles ils appuyaient leur prétendue juridiction sur le monastère de Sainte-Catherine, racontent comment ces cordeliers se sont rendus indignes de les diriger, et elles rapportent fidèlement les preuves du libertinage que ces pères ont introduit dans leur cloître.

Pour avoir une idée générale de ces dérèglements, on n’a qu’à se figurer, lit-on dans le factum, tous les maux que sont capables de causer les passions humaines, lorsqu’elles sont couvertes du prétexte de la piété, et qu’elles abusent des choses les plus saintes, les plus sacrées, pour se satisfaire et pour corrompre, autant qu’il est en elle, des âmes innocentes ; on n’a qu’à se représenter les manières les plus honteuses et les plus criminelles dont on peut se servir pour renverser l’ordre et la régularité dans une maison religieuse ; enfin on n’a qu’à s’imaginer tous les abus que des gens qui ne sont retenus, ni par la crainte de Dieu, ni par celle des hommes, peuvent faire d’une autorité usurpée et qu’ils emploient pour inspirer le vice et faire régner le péché.

Voici ce que dit une religieuse dans sa déposition :

Les confesseurs s’amusaient à caresser les pensionnaires qu’on leur envoyait pour les instruire à la sainte communion, et leur faisaient toute sorte de contes ridicules. Quand, par occasion, elles sortaient et allaient au couvent de ces pères, ils usaient avec elles de toutes sortes de privautés malséantes, comme pour leur ôter de bonne heure cette pudeur naturelle à notre sexe, afin de se les rendre dans la suite plus complaisantes.

Je puis dire, comme en ayant une connaissance assurée, que trois novices, prêtes à faire profession, ayant été vers le père N…, confesseur, pour être instruites à cette sainte action, il leur fit cent cajoleries, et leur donna à chacune un gage de son amitié, les obligeant de les porter sur elles ; il leur conseilla fort de prendre de bons amis, leur disant que cela était commode pour eux, et divertissant pour elles… Il les instruisit de la manière qu’il faut se conduire dans ces amitiés. Il en demanda une des trois en particulier, pour lui déclarer l’inclination qu’il avait prise pour elle… Il dit à un autre père, qui trouvait aussi cette novice à son gré, qu’il n’eût rien à y prétendre, qu’il l’avait retenue pour lui, etc.

D’autres religieuses firent à peu près les mêmes déclarations sur le même sujet ; mais l’une ajoute que pour avoir journellement ces novices à son parloir, ce père se plaignait à la mère-abbesse de leur peu de vocation, afin de la déterminer à les lui envoyer plus souvent.

Les cordeliers ne négligeaient aucun genre de séduction pour soumettre à leurs désirs, les jeunes religieuses qui résistaient encore. « Leur passion les a portés, dit le factum, jusqu’à cet excès qu’ils leur ont donné les Maximes d’amour, l’École des filles, le Catéchisme d’amour, qui sont des écrits abominables… Ils leur ont même donné des livres de magie pleins de mille curiosités et de mille recherches infâmes et diaboliques ; l’un d’eux a été brûlé pour avoir donné à une fille un chiffre pour écrire des ordures.

« On les a ouï, dit une déposante, à la grille un nombre infini de fois, chanter devant les religieuses et leur apprendre des chansons déshonnêtes et on ne pouvait presque y aborder en leur présence, qu’on n’entendît une sottise.

« Une fois, en bonne compagnie, sur le refus qu’une religieuse fit de passer ses doigts à un moine qui les lui demandait, il se moqua fort d’elle, et lui dit qu’elle devait savoir que depuis la ceinture jusqu’au haut, elle appartenait tellement au bon ami qu’elle ne devait lui en refuser ni la vue ni l’attouchement. Nos mères m’ont assurée que les cordeliers leur donnaient pour leçon à bien pratiquer, que le sein, la bouche et la main devaient être à un ami. »

Mais cela ne suffisait pas à ces moines ; continuons.

« Ils avaient soin de faire qu’il n’y en eût pas une seule dans la maison qui, dès son noviciat…, n’eût quelque cordelier pour ami particulier, et avec qui elle ne contractât aussi une alliance toute particulière. Ceci se faisait avec toutes les formalités possibles, et comme, dans la suite, ils se devaient traiter de maris et de femmes, selon l’ordre établi par eux depuis longtemps dans ce monastère, on observait les mêmes formalités que l’on garde dans les mariages du monde. »

Voici de quelle manière étaient célébrés les mariages des religieuses avec les cordeliers. C’est une déposante qui parle.

« Les nouveaux amants s’adressaient aux amies de celles qu’ils désiraient, pour se les rendre favorables. On faisait des épreuves d’amitié, des demandes, des conventions. On prenait des jours pour dresser des articles, faire des fiançailles, et enfin les noces, où il se faisait des festins, où l’on disait mille impertinences. »

Nous allons rapporter l’exemple d’une sœur qui, après avoir été longtemps recherchée par un cordelier, gardien de…, consentit enfin à l’épouser.

« On fit, dit-elle les solennités de leur mariage. Un cordelier, comme père du père épouseur, fit la demande à l’abbesse, qui passait pour la mère de cette sœur. Un autre cordelier servit de notaire pour passer le contrat. On publia les bans au parloir de l’abbesse et dans la salle basse. Le père… servit de curé ; il les maria, leur faisant dire les mêmes paroles et faisant de son côté les mêmes prières et les mêmes cérémonies dont on use dans les véritables mariages. On donna la bague, qui fut mise au doigt de l’épousée ; une sœur, déguisée en cordelier, leur fit une exhortation sur les devoirs du mariage, et ils furent renvoyés ensuite seul à seul à un autre parloir pour consommer le mariage. »

Le passage suivant donnera une idée de l’abandon et de la joie qui régnaient dans ces dévotes orgies.

« On y mangeait ensemble aux grilles, on y buvait avec un chalumeau dans le même verre, on y portait des santés à genoux, et on cassait des verres après avoir bu ; on usait de petits artifices pour faire lever les guimpes. On leur reprochait qu’elles n’étaient que des oisons en comparaison des dames cordelières de…, chez qui dix ou douze cordeliers couchaient tous les jours. On leur citait ensuite les exemples des débauches qui se faisaient dans les autres maisons de leur ordre pour les obliger à les imiter. On passait de ces entretiens à des discours plus libres et plus insolents ; on dansait de part et d’autre aux chansons, on jetait bas le froc et l’habit de cordelier, on paraissait avec des habits de satin et des garnitures de rubans de couleur ; quelquefois les cordeliers passaient leurs habits aux filles, et celles-ci les leurs aux cordeliers. Quelques-unes, à la sollicitation des pères, se sont déguisées en séculières, et ont paru devant eux au parloir, la gorge nue et semée de mouches comme le visage, etc. On jouait en cet état des baisers aux cartes et à d’autres petits jeux, jusqu’à cinq heures du matin ; ou rompait les grilles pour exécuter les choses avec plus de facilité et l’on passait les jours et les nuits entières dans ces exercices. »

Les supérieurs et les provinciaux des cordeliers, loin de proscrire ces abus, lorsque dans leurs visites des religieuses jalouses ou repentantes venaient les leur dénoncer, étaient les premiers à plaisanter celles qui venaient se plaindre, à les cajoler eux-mêmes si elles étaient jolies et à les exhorter à prendre chacune un ami. « Le provincial N…, dit une religieuse dans sa déposition, donnait des amis à toutes les jeunes professes. Il prêcha à ma profession ; il m’appelait sa fille pour cette raison. Il me dit, aussitôt que j’eus fait ma profession, qu’il me voulait donner un cordelier pour ami, qui était beau garçon, galant, bien fait, et qu’il me voulait marier avec lui. Il parlait souvent de ces sortes de mariages. »

Pour maintenir cet esprit de galanterie dans le couvent de ces filles, les provinciaux avaient toujours soin de nommer des abbesses et des maîtresses qui pouvaient s’accommoder de cette joyeuse vie. Voilà comme à ce sujet s’explique une religieuse. « Il y a dix années, qu’au temps de l’élection de madame d’Assonville, première abbesse de ce nom, ils firent tous leurs efforts pour mettre en sa place madame ***, qui avait fait le dernier mal avec le père ***, cordelier.

La sœur N… montrait librement les lettres d’amour qui lui étaient écrites par les cordeliers, racontait les songes qu’ils faisaient pour elle. Elle leur donnait accès dans sa chambre nuit et jour, et pour récompense elle fut faite maîtresse des novices.

Il y a eu des cordeliers qui, après avoir entendu la confession d’une malade, ont été au lit des autres, et après leur avoir dit tout haut quelques mots de piété, se sont approchés pour les baiser, et ont voulu leur mettre la main dans le sein.

Fragments des lettres amoureuses des Cordeliers
aux religieuses.

Mon cœur est tout à vous, écrivait un cordelier à sa bonne amie religieuse ; tout en vous et pour vous, puisqu’il ne respire que pour vous. N’en doutez non plus que des serments que je vous ai faits et que je renouvelle, de vous honorer toujours et sans fin…

Comme vous m’avez amoureusement rendu vos armes et comme je les ai reçues et retenues, etc.

Un autre moine écrivait : Je pars de ce pas pour porter mes thèses de théologie chez l’imprimeur. Je les dois soutenir le 6 octobre, et je veux que ce soit sous vos auspices. Si je n’appréhendais point les langues, je mettrais votre nom et vos titres en lumière dans le titre et l’épître dédicatoire de la dite thèse ; mais je me contenterai de vous la dédier tacitement, en mettant pour figure une Madeleine, et pour titre ces paroles : Multimi diligenti, à celle qui aime beaucoup.

Dans une autre lettre, le même moine envoie sa thèse à sa bien-aimée, avec un titre plus ample et qui désigne plus particulièrement son amour et ses feux. L’affectation de l’esprit se rencontre partout dans les lettres rapportées au factum. Voici quelques fragments de celles qui indiquent une plus grande intimité entre les moines et les religieuses.

Mais ma chandelle est toute fondue ; minuit est sonné ; je m’en vais voir si le chevet me donnera des rêveries approchant des agréables délices que vous m’avez fait goûter dans votre charmant entretien.

Notre fille est toute jolie de m’envoyer ces deux petits vaisseaux ; je ne suis pas content de si peu de douceur, et qu’elle ne pense pas me persuader qu’elle ait tout petit. Notre fils a l’encre gelée, et je n’entends plus parler de lui ; qu’elle sache qu’elle aura bien le fouet à la première vue ; et ne sait si elle pourra l’échapper… dites la vérité. Elle vous ressemble ; elle est belle toute nue comme vous.

…Si la froideur vous empêche d’écrire, n’importe, pourvu qu’elle ne soit pas au cœur. Pour moi, je n’ai jamais froid aux parties cachées.

À ce factum, qui n’est pas plus avantageux aux mœurs des religieuses qu’à celles des cordeliers, on pourrait joindre plusieurs autres exemples aussi véritables et qui contribueraient à prouver que, dans l’âge de la vigueur, la nature ou l’amour, ou bien le diable, triomphe toujours des guimpes, des cordons, des grilles et des vœux. Si partout les effets de l’amour ne sont pas si violents, ce n’est que la faute des circonstances.