Amours, Délices et Orgues/The Smell-Buoy

Amours, Délices et OrguesPaul Ollendorff. (p. 209-214).

THE SMELL-BUOY

L’effroyable catastrophe du Drummond-Castle met encore sur le tapis de l’actualité la question si importante des phares.

Quoi qu’en aient dit certains journaux anglais, les côtes de France sont aussi bien éclairées que celles d’Angleterre, munies relativement d’autant de phares, lesquels portent des feux aussi intenses que de l’autre côté de la Manche.

Par malheur, il est des cas où les phares, si nombreux soient-ils et si éblouissants, ne suffisent pas à avertir du danger le pauvre navigateur.

Le brouillard est parfois si intense en mer, que le matelot n’aperçoit pas la lueur de sa pipe (the light of his pipe).

C’est alors qu’on songea, puisque le sens de la vue n’était point, en ce cas, utilisable, à faire appel au sens de l’ouïe et qu’on inventa la sirène aux lugubres et avertisseurs meuglements.

Cet appareil ne donna point les résultats qu’on attendait de lui, car si puissante que soit la sirène, sa portée a des limites assez humbles.

Autre inconvénient de la sirène : même les plus exercés marins se trompent facilement sur la direction du son. À une certaine distance, ils font des erreurs d’estime qui vont jusqu’à 90°.

Alors quoi ?

Je demande la parole pour un fait personnel.

Il y a quelques années, j’eus l’occasion, dans je ne sais plus quelle gazette, de traiter cette si intéressante question des phares.

La vue et l’ouïe, disais-je, sont, dans bien des cas, au-dessous de leur mission.

D’autre part, les sens du toucher et du goût ne sauraient, dans une question de récifs, être de la moindre utilité.

Reste le sens de l’odorat.

Personne, jusqu’à présent, n’a songé à employer le nez pour flairer le roc prochain.

Et je proposai à l’administration compétente de créer des bouées à odeur pour parages dangereux.

Pourquoi donc pas ?

Voyez-vous d’ici le tableau : une nuit noire épaissie d’un brouillard compact. Pas un feu sur terre, pas une étoile au ciel !

Comme musique, le sifflement du vent dans les cordages, le fracas des vagues, les cris des femmes et des enfants.

Où sont-ils, les pauvres matelots ! Dieu seul le sait et peut-être n’en est-il pas bien sûr !

Tout à coup, le capitaine a reniflé par N.-N.-O un puissant relent de vieux roquefort et par S.-E. une fine odeur de verveine.

Il consulte sa carte (une carte qu’on dressera ad hoc), et reconnaît sa position.

Sauvés ! merci, mon Dieu !

Il manœuvre en conséquence, et une heure après, le navire est au port ; tout le monde, matelots et passagers, entonnent, les uns des hymnes de grâce, les autres, des grogs bien chauds.

Malheureusement, tout cela n’est qu’un rêve.

La routine, la hideuse routine est là, qui veille, barrière à toute idée neuve, à tout progrès, à tout salut !

Vous me croirez si vous voulez, l’administration des Phares ne m’accusa même pas réception de mon projet de smell-buoy.