Amours, Délices et Orgues/Fâcheuse Confusion

Amours, Délices et OrguesPaul Ollendorff. (p. 163-166).

FÂCHEUSE CONFUSION

— Votre ami Othon ? m’interloqua la duchesse, votre ami Othon est un pur goujat !

— Othon ? Un pur goujat ? Othon ?

— Et puis, si vous voulez, mon ami, parlons d’autre chose !… Le seul souvenir de cet être abject me soulève le cœur.

… Je regrette bien, messieurs et dames, que vous ne connaissiez pas mon ami Othon (plus répandu à Paris sous l’étrange dénomination de Noyau de Poissy). Votre stupeur, à l’entendre ainsi traiter, égalerait la mienne.

Othon est un homme qui n’allumerait pas une cigarette devant une station de fiacres sans demander aux cochers si la fumée ne les incommode pas.

Othon est l’homme pour lequel une femme est toujours une femme.

Othon… D’ailleurs, je vous l’amènerai un de ces jours, vous pourrez juger par vous-mêmes. Et c’est ce si accompli galant homme que la duchesse m’affirmait tant pignouf !

Le ton formel de la grande dame m’avait clos le bec, à l’émeri, et je n’insistai point.

La conversation roula dès lors sur d’autres tapis. Mais, tout de même, je voulus savoir.

Le lendemain, je rencontrai mon vieux camarade Othon dans le magasin d’un marchand de bibelots chaldéens chez lequel il se fournit de préférence.

En deux mots, je le mis au courant de l’atroce situation.

Il m’écoutait, l’œil en l’air, la main lissant sa copieuse barbe blonde :

— Oui, cher, je sais…

— Que s’est-il donc passé entre la grande dame et toi ?

— Rien du tout, mais si effroyable !

Je dus faire appel à ma plus sombre énergie pour lui tirer une pâle explique. Ça n’était rien, en effet, mais il n’en fallait pas davantage.

… Cet été, Othon avait reçu une invitation à déjeuner chez la duchesse, en sa villa.

Avant de se mettre à table, on causait du pays, des sites, des excursions.

Othon, qui connaît la région comme pas un, donnait des tuyaux.

Superbe, le pays ! Mais pas drôles, les habitants ! Et hostiles aux étrangers ? Et taquins.

— Dans les premiers temps, contait-il, la municipalité me chercha mille noises ; je répondis au maire d’alors…

Juste au moment où Othon prononçait ces mots, la duchesse entrait dans le salon. Quand notre brave ami lui offrit son bras, elle prit celui d’un autre, d’un ton sec.

À table, la jeune et belle voisine d’Othon s’informa.

— Qu’est-ce que c’est que ce poisson ?

— Du sansonnet, madame.

— Du sansonnet ? Qu’est-ce que c’est que le sansonnet ?

Précisément, un silence se fit à ce moment, de sorte que chacun put entendre la réponse d’Othon :

— C’est une espèce de petit maquereau.

Et précisément aussi, à ce moment, la duchesse venait de parler de son neveu.

Fâcheuse confusion.