Amours, Délices et Orgues/Ébénoïd

Amours, Délices et OrguesPaul Ollendorff. (p. 19-22).

ÉBÉNOÏD

Or, un matin, toute rose d’émoi, elle lui murmura :

— Ça y est ! j’en suis sûre, maintenant. Ça y est !

Et lui, tout au plus réveillé, grommelant, s’étirant :

— Quoi ? qu’est-ce qu’y est ?

Mais elle, plus rose encore, si rose qu’à peine on entendit sa voix :

— Mon ami, le ciel a béni notre union.

L’homme sursauta de ravissement :

— Tu blagues ? douta-t-il encore, trivial.

— Je ne blague jamais avec ce sujet-là.

Ce fut alors une joie par toute la chambre.

Mariés depuis tantôt huit ans, les époux Duzinc n’avaient jamais pu, malgré d’incessants labeurs, obtenir l’ombre d’une progéniture.

À quoi tenait cet état de choses ? On ne sait pas. La faute à l’un ? La faute à l’autre ? La faute aux deux ?

Quien sabe ? comme disait Montaigne au toréador qui le rasait de ses questions indiscrètes.

Du coup, M. Duzinc décida qu’il n’irait pas à son bureau ce jour-là.

Père ! il allait être père !

Au déjeuner, sauta le bouchon du mousseux Léon Laurent.

Et au dîner aussi.

À la santé du petit !

Ou de la petite !

La grossesse de madame Duzinc se présenta aussi bien que les plus favorisés phénomènes de ce genre.

Comme toutes ses congénères, madame Duzinc eut des envies.

Quelques unes, étranges.

Par exemple, celle de déguster cette odieuse ratatouille : des confitures de fraises mélangées de tripes à la mode de Caen.

Ce mets n’était pas d’un très joli ton.

Et de plus étranges encore :

Renouveler tout leur mobilier, leur mobilier clair, qu’on remplacerait par un autre en ébène.

Un mobilier en ébène !

Voilà qui serait gai !

M. Duzinc, net, refusa !

La belle-mère de M. Duzinc eut beau représenter à M. Duzinc tout le danger qui peut résulter d’une non-exécutée envie, M. Duzinc tint bon.

Un mobilier en ébène !

Jamais de la vie !

La pauvre petite madame Duzinc pleura toutes les larmes de son corps.

Et puis, arriva ce qui devait arriver :

Au bout du temps requis, madame Duzinc mit au monde un enfant noir.

Un enfant d’un très beau noir.

Je dois, pour l’honneur de la vérité, finir par où j’aurais dû commencer :

Madame Duzinc, neuf mois avant la naissance du surprenant baby, avait cru devoir partager la couche d’un jeune attaché à la légation d’Haïti.

Cette histoire de mobilier d’ébène n’était qu’une frime.

Habile, d’ailleurs.