Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 161-Im12).

Titre I



Anita s’affaissa dans son fauteuil, et pleura amèrement ; cette fois, c’étaient des larmes d’un sincère repentir. Je suis désolée, se disait-elle, de voir tant de malheurs, fondre sur ma tête ! Il n’est pas de sacrifices que je ne serais disposée à faire pour expier tout ce passé de vengeance que j’ai voulu exercer sur ma rivale ! Que j’aurais donc dû la laisser continuer ses amours avec Harry, qui ne m’a épousée que pour céder à la tentation de satisfaire à sa haine, contre celle qu’il ne put avoir !

Elle tomba à genoux, comme pour demander au Seigneur, de lui pardonner ses fautes ! Elle ne put prier ! Trop faible, elle ne se rendit pas compte des heures écoulées, en cet état ! Le découragement s’était emparé d’elle !

Revenue à elle-même, elle entr’ouvrit sa fenêtre, et vit les promeneurs qui entraient dans leurs demeures pour leur repas ; le soleil finissait sa course ; c’était déjà sept heures du soir ; son enfant dormait d’un sommeil paisible et profond. « Que deviendra-t-il ce cher petit » ? se disait-elle. L’avenir heureux, que je lui souhaitais, sera-t-il changé en des années de malheurs, dont je serai la première, à souffrir le plus cruellement ?

Seule, délaissée, de son époux, trop fière pour dès maintenant, déclarer à ses parents, toute l’amertume qui l’abreuvait, elle songeait, triste et abattue, à l’avenir.

Quelques jours s’écoulèrent ; Anita essaya de dissimuler auprès de ses amies, toute sa peine et les difficultés qui se présentaient sur sa route.

Harry n’avait pas réapparu à son foyer, que deviendrait-il ? Anxieuse d’avoir de ses nouvelles, elle se tenait constamment toute absorbée à méditer sur les moyens à prendre pour bien administrer.

Les créanciers qui avaient soupçonné le mauvais état des finances de Harry, devinrent exigeants. Elle paya jusqu’au dernier de ses deniers ! Mais les dettes étaient trop considérables !

Anita vendit ses plus beaux meubles, ses bijoux les plus précieux, même sa bague de fiançailles, pour s’éviter la honte des saisies, et procurer à son enfant, les soins nécessaires à sa condition !

Elle fut obligée de quitter sa riche demeure, pour habiter un sombre logis dans une petite ruelle ; les ressources étaient épuisées ; la misère l’obligeait à écrire à ses parents ; ils vinrent lui porter secours ; son chagrin fut doublé quand elle vit sa mère, toute découragée à la vue de la situation douloureuse de cette petite famille dispersée : Harry enfui ! le bébé mourant, Anita amaigrie, malade, ruinée ! Le père d’Anita disposa largement de son énergie et de ses biens considérablement restreints par les années de revers qu’il avait traversées, pour apporter à ces êtres, tout le confort que leur état requérait ; mais la souffrance morale d’Anita, ne se guérissait pas ! Son être adoré faiblissait et allait vers la tombe, sous la maladie d’une pneumonie qu’il avait contractée dans ce logis humide. La mort lui ravit son ange !…

Anita, dans ses moments de loisir, se rendait au cimetière, et agenouillée sur le tertre qui recouvrait les restes de son fils, elle pleurait et méditait : Elle, autrefois, si fière, si orgueilleuse, si remplie des espérances de l’avenir, se sentait malheureuse, à la vue d’un tel état de pauvreté qu’elle ne pouvait avoir la satisfaction de voir une croix ou petit monument à la mémoire de son cher unique fils, pour désigner l’endroit où il reposait. Pauvre Vie ! pauvre Destinée !

Un jour qu’elle se dirigeait, comme d’habitude pour aller prier au cimetière, elle vit une dame qui s’éloignait, après avoir déposé sur l’endroit où reposait son fils, une couronne de fleurs toutes belles et choisies ! Un rayon de joie illumina la figure d’Anita, elle remerciait dans son cœur, cette dame charitable ! Une parente, se disait-elle, a cru devoir agir ainsi.

Elle prit une autre route et fit en sorte qu’elle put la rencontrer. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que ce n’était pas une dame de sa famille.

C’est ainsi que dans la vie, bien souvent, les plus grands services ne nous viennent pas des parents, ni même de ceux qui, par devoir ou reconnaissance, devraient s’empresser à secourir, et à ne pas laisser languir dans la douleur et dans la souffrance, ceux-là mêmes sur qui, ils ont dû eux-mêmes, auparavant compter !

Anita, reconnut, avec une étrange satisfaction, sa rivale d’autrefois, Ninie, qui touchée de ses malheurs, avait cru agir ainsi.

Merci, madame, lui dit-elle ! comme vous me faites du bien au cœur ! Je ne sais trop de quelles expressions me servir, pour vous témoigner ma vive reconnaissance, et vous demander pardon, des chagrins que je vous ai causés !

Elle se jeta aux genoux de Ninie, et lui prenant les mains, elle appuya sa tête sur elle, sanglotante et toute heureuse de voir tant de sympathies et de bonté chez une personne qu’elle avait dans le passé, si profondément blessée.

Relevez-vous, madame ; je vous reconnais ; j’ai été mise au courant de vos douleurs et de votre malheureuse destinée ! je vous pardonne ! Ce que vous avez fait, vous le regrettez ?

Oui, madame, je le regrette profondément ! J’ai appris votre mariage avec M. Rogers, êtes-vous heureuse ? Où demeurez-vous ?

Les deux dames s’éloignèrent : Ninie lui apprit qu’elle avait eu ses moments de malheurs ; qu’elle avait souffert l’opprobre d’un public soulevé par Harry et par elle-même ; que tout était pardonné ; qu’elle avait épousé Rogers, qu’elle vivait à New York ; elle lui raconta que son époux avait triomphé de ses propres ennemis par son énergie et par le faible appui qu’elle lui avait donné ! Nous sommes lui dit-elle, nous sommes très heureux ; nous vivons richement ; nous demeurons à New York ; mon époux Rogers, a réussi, dans toutes ses spéculations, depuis bientôt, près de trois ans que nous habitons cette ville ; Il est très riche, maintenant.

Anita, la voix entrecoupée par les sanglots, Oh ! madame, vous le méritez bien ; je souhaite maintenant que vous soyez toujours heureuse ! Je vous assure que la jalousie ne rentrera plus jamais dans mon cœur !

Moi, je suis très malheureuse ! Après avoir connu les joies et la satisfaction de l’opulence, je suis délaissée, pauvre et humiliée ! Harry m’a quittée, je ne l’ai pas revu depuis…

Anita ne put continuer sa phrase. Aussitôt Ninie, lui dit, permettez-moi de vous dire, madame, que nous étions en voyage d’excursions il y a environ un mois, à Porcupine, et que nous y avons rencontré là, (mon mari et moi), M. Mitchell. — Harry ? demanda Anita ! Oui, madame, M. Harry ; il était à spéculer, et tout le monde répétait qu’il avait bien jusqu’alors réussi ! Oh, madame, dit Anita, que vous êtes aimable de me donner de si bonnes nouvelles ! Les deux dames suivirent leur route jusqu’à la demeure de Ninie, d’où Rogers sortit et vint à la rencontre de son épouse. Les deux dames entrèrent ; Ninie présenta à son époux, timidement, mais confiante dans sa bonté, Mde Anita : Après quelques paroles, échangées, M. Rogers dit à Anita, vous pouvez retourner heureuse, maintenant à votre demeure, car je viens d’apprendre que M. Harry est justement de retour, des pays de Porcupine et de Cobalt, où sans y avoir amassé une fortune, y a acquis beaucoup d’argent. Anita affolée du bonheur de cette nouvelle, remercia et s’éloigna.

… Harry était de retour ! Il avait expié sa faute ! Il demanda pardon à Rogers !

Rogers et Ninie partirent pour un voyage en Europe…


« DÉPART DE ROGER ET DE NINIE POUR L’EUROPE »
« DÉPART DE ROGER ET DE NINIE POUR L’EUROPE »


ÉDIFICE BIRKS
ÉDIFICE BIRKS