Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 145-156).

Titre I


BORDEAUX


Le verdict de culpabilité avait été rendu par la Cour contre Rogers. Tous les assistants, à l’exception de la « clique » fomentant la haine et la vengeance contre lui, laissaient échapper un soupir de sympathies. On ne pouvait croire à sa mauvaise foi ! Il était accusé d’avoir trompé son contractant.

Il fut conduit, tout comme les autres prisonniers, les menottes aux mains, de la cellule commune, au char de la prison, jusqu’à Ahuntsic, et de là, embarqué comme les vils criminels, dans une voiture traînée par deux chevaux, dans laquelle étaient entassés comme des sardines, dans les ténèbres ; voyous, cambrioleurs, ivrognes et voleurs de grand chemin.

Rogers subit tous ces tourments, sans se plaindre !

Arrivé à Bordeaux, il fut fouillé, on lui enleva tous ses articles, couteau de poche, crayons, etc., etc. ; on lui remit dans un bol de fer-blanc, un petit pain sec.

L’ex-champion, M. Horace Barré, le rival de Louis Cyr, conduisait la voiture ; de sa figure douce et sympathique, jaillirent des sourires qui portèrent de l’encouragement dans le cœur de Rogers qui le connaissait bien.

On le conduisit (il était alors, sept heures environ du soir) dans sa cellule : appartement au plancher en ciment, à la fenêtre grillée et sous clef, aux vitres peintes ; un lit de fer sur lequel était une paillasse remplie de paille, avec un oreiller sali et une couverte servant pour la moitié, de drap, et pour l’autre moitié, de couverture, un cabinet de toilette et de l’eau coulante à volonté, à droite, à l’opposé du lit, une petite table fixée au mur, sur laquelle, rien, aucun objet ne se trouvait pour apporter de la distraction au prisonnier ; il faisait froid ! très froid ! Une lourde porte mue automatiquement se referma sur ce prisonnier !

Rogers resta étendu sur son grabat et pensif :

Me voilà en prison ! C’est cela, la prison de Bordeaux ! Du matin au soir, du soir au matin, le régime veut que les prisonniers, n’ayant pas encore reçu leur sentence, attendent dans ce calme, dans cette solitude, dans le silence, le sort qui leur est réservé. Que faire ? se demandait Rogers. Même, il n’est pas permis de travailler. Seule, la pensée dont on ne peut arrêter les mouvements, vole et parcourt les plaines et les villes, visite les parents et les amis.

Mais, en ai-je, se demanda, Rogers, des parents, des amis ?

Pourtant, il me semble que j’ai été bon pour certains compagnons ? Viendront-ils m’apporter du tabac, des cigares ? Viendront-ils m’apporter de quoi me nourrir ? Car les prisonniers non sentencés, ont droit de recevoir la nourriture que leurs parents ou amis leur apportent. Qui viendra me voir ? Qui m’apportera une parole de consolation ?

Si l’on reproche, à Sir Lomer Gouin, d’avoir fait de la prison de Bordeaux, un palais luxueux, c’est à tort. En effet, la prison de Bordeaux, a des corridors en marbre ! Mais le régime est un des vestiges de la barbarie du moyen-âge. Le régime de la prison, n’est pas un régime qui punit, mais un régime qui tue ! se disait Rogers.

Il n’est pas surprenant d’apprendre que l’homme intelligent qu’on enferme à Bordeaux, en sort pour être conduit à l’asile, ou dans son tombeau !

Quel débarras pour la Société, se dit-on parfois ! S’il fallait que la justice s’applique à débarrasser la société, s’il fallait retrancher du rang de la société tous ceux qui sont censés lui nuire ou qui n’accomplissent pas leurs devoirs, peut-être la prison de Bordeaux se verrait trop restreinte pour recevoir tous ses pensionnaires ! et encore, la verrions-nous peut-être sans Gouverneur !…

Rogers passa de longues heures à souffrir du froid, de la faim, de la solitude. C’est la nuit, tout le temps ! Inutile de pleurer ! Inutile de se livrer à des actes de désespoir ! Seule, la raison doit commander en ces heures de dures épreuves. Ouvrir l’œil sur la manière dont les choses se passent, et se servir de son influence auprès des autorités pour faire casser l’esprit de routine qui n’est autre qu’un régime de barbarie.

Le personnel de la prison de Bordeaux, est de première classe ; M. David assistant gouverneur est un homme très distingué ; de hautes connaissances, le désignant comme un homme supérieur ; le sergent Major, par son affabilité et sa piété reconnue, le font estimer même des sujets les plus récalcitrants ; il commande par la douceur ; il a le secret de se faire obéir et respecter. Le sergent Beauchamp, à l’œil noir, à la figure un peu picotée, est très intelligent et sait discerner les motifs qui font agir les prisonniers ; courtois, gentil, avec ceux qui savent le respecter, il est aussi dur et sait se servir de mesures énergiques, à l’égard de ceux qui croient pouvoir résister à l’autorité ; mais le régime, encore une fois, est des plus routiniers, des plus contraires à l’hygiène ; les prisonniers attendant leurs procès, n’ont pas d’exercices ; la société, a-t-elle le droit de soumettre, à un régime, qui est regardé comme l’un des vestiges de la barbarie du moyen-âge, un homme qui est accusé, mais qui n’est pas condamné pour actes criminels ? J’espère que l’Hon. Premier Ministre de la Province de Québec, dont on dit tant de bien, étudiera cette question, ainsi que celle de la classification des prisonniers, ruminait Rogers.

Il se vit seul, délaissé ! son âme plana au-dessus de toutes les spéculations honteuses du monde. Ceux même, qui avaient le devoir de venir lui apporter douceurs et consolations, rougirent de se rendre jusqu’à la prison ; et le nombre de ceux qui s’y rendirent, fut très restreint ; la tête occupée à faire administrer ses biens, du mieux qu’il put, Rogers pleura sur l’ambition et l’égoïsme des hommes, des parents, des amis !

Un matin, vers les dix heures, on vint prévenir Rogers qu’il était demandé au parloir ! Le cœur transi ; l’âme inquiète, Rogers se demandait : qui me demande bien, au parloir ? Ah ! Peut-être mon père, ou ma mère ? Résolu de ne leur laisser croire à du malaise, il fit un effort pour apparaître souriant et joyeux ! Quelle ne fut pas sa surprise quand il apparut et vit derrière la grille, une jeune fille qui se présenta à lui : Comment, te portes-tu, Ninie, lui dit-il ? très bien, répondit-elle, contente de le voir ferme et résolu à combattre !

Quelques minutes s’écoulèrent et les deux amoureux plutôt occupés à se maîtriser qu’à se communiquer leurs pensées et leurs sentiments, restèrent silencieux.

Après de longs et significatifs regards, ils s’échangèrent quelques paroles pour témoigner l’ennui de leur séparation. Rogers ressentait tout ce que l’âme de Ninie voulait lui dire. Elle ne pouvait pas rester insensible, à tout ce que cette figure pâlie et ferme, lui causait d’impressions.

Les deux âmes s’étaient comprises.

Elle dissimula cependant, facilement, toute l’émotion qu’elle ressentait, en lui promettant de venir le voir, deux fois par semaine.

Rogers, ne put comprimer tous les sentiments de joie qu’il éprouva, à la vue de cette jeune fille qui, comme la colombe, apportant à Noé, la branche d’olivier, lui apportait avec la permission du garde, la lettre de son avocat qui lui disait que l’Appel était accordé.

Ninie sortit son mouchoir, le posa sur ses yeux, et retournant ses regards vers Rogers : Au revoir, lui dit-elle, à voix basse, à bientôt ! et lui désignant du doigt, un paquet qu’elle laissait sous la direction du garde, elle lui dit en se retirant : c’est pour toi.

Les corridors retentirent de l’écho des pas des amoureux qui se séparaient en silence, et Rogers sous la conduite du garde M. Caouette, un honnête et bon garçon, sympathique et généreux, se dirigea vers sa cellule.

Quelques jours après, le jeudi après-midi, (Rogers n’avait pas encore vu quel temps il faisait) on l’appelait de nouveau, au parloir ; Ninie l’attendait, toute vêtue de noire, elle fixa ses grands yeux sur la figure de Rogers, pour s’assurer s’il avait eu de la peine. Elle constata avec joie qu’il était de bonne humeur.

Puis-je faire quelque chose pour toi ? mon ami ? Je comprends que tu n’as pas reçu de visites souvent ; car il en arrive ainsi, dans la vie ; ceux que tu as nourris du fruit de ton travail, sont et seront peut-être les premiers à te calomnier ; Alors même qu’ils sont en tort ; mais puis-je faire quelque chose pour toi ? Oui, ma chère amie ; il me répugne de te demander ce sacrifice ; mais, vois-tu, ici, en la prison de Bordeaux, nous n’avons pas la permission de téléphoner, pas même à nos avocats. Quel est donc ce sacrifice ? Ma chère Ninie, je crains que ma mère ne souffre énormément de me voir en prison ! Elle peut croire que je suis un criminel ! Veux-tu te rendre auprès d’elle, lui expliquer l’affaire, la rassurer que je triompherai ! Oui, répliqua Ninie, j’irai la voir, et elle sera heureuse d’avoir de ma bouche même, des explications sincères !

Les portes se refermèrent ! Des sanglots éclataient des deux côtés !

Ninie revint, au jour qu’elle lui avait promis ; elle revit Rogers toujours ferme, mais anxieux d’avoir des nouvelles.

Elle put converser avec lui pendant dix minutes environ, profitant du bonheur qu’elle avait de lui remettre une petite boîte de divers articles qu’elle croyait lui être utiles, elle lui signifia d’un regard que quelque chose pouvait l’intéresser.

Arrivé dans sa cellule, il ouvrit, en présence du garde, ce qu’il lui était destiné ; il découvrit après le départ de celui-ci, une petite lettre ainsi conçue :

Mon cher ami.

J’étais triste de voir, que je n’aie pu te glisser ma lettre, mardi dernier ; d’un autre côté, je m’en réjouis ; car je suis en train, ce soir, de te la rendre plus intéressante, tout en méditant un moyen ingénu de te la faire parvenir, cette fois-ci.

Si je réussis, tant mieux ! Si l’on découvre ma ruse tant mieux, répéterai-je encore ! Et alors, on me détiendra là, à tes côtés, près de toi, j’espère ! Au moins, je ne souffrirai pas tant de ton absence ! Pouvoir partager ta captivité, même tout endurer pour toi, serait ma plus grande joie ! Je souffre énormément de te voir captif. Veuille croire combien j’ai été malheureuse et combien j’ai souffert de ne pas avoir reçu de tes nouvelles depuis mon départ. Pardonne-moi, même si j’ai cru à de l’indifférence et à de l’oubli de ta part.

Quelles tristes vacances j’ai passées ! Mon cœur a soupiré après tes lettres que je n’ai pas reçues ! Je n’ai pu soupçonner un tel malheur. J’ai cru à un éloignement volontaire. Pauvre Rogers ! Prends courage ! Sois ferme ! La lutte est des plus terrible. Dans le public, s’il se trouve des gens qui parlent contre toi, il en est aussi qui te défendent. Au nombre de ceux qui travaillent pour te faire recouvrer ta liberté, veuille compter ta petite Ninie qui ne sera heureuse, que lorsqu’elle te saura libre, et constatera que ton innocence sera reconnue ! Ne te fatigue pas. Je vais voir à tout. Je prends tes intérêts. Il n’est pas de sacrifices que je ne me sens disposée, à faire pour toi.

Mon bon Rogers ! Si j’avais pu douter davantage, de la complicité du complot de Harry contre toi, je serais accourue, plus tôt. Mais je ne recevais pas de nouvelles.

Quelles tristes vacances ! Combien j’ai souffert de ton absence ! Combien j’ai désiré recevoir de tes nouvelles ! Je te sais énergique. J’ose croire que ta captivité ne te portera pas au découragement. Compte sur les prières et les démarches de celle qui ne t’oublie pas. Je suis anxieuse de te raconter de vive voix, ce qui s’est passé et de te prouver combien je te suis attachée.

Je viendrai te voir, deux fois par semaine. J’ai vu ton avocat ; il a été pris par surprise ; il ne croyait pas d’abord, à une affaire montée. Il ira en appel ; je l’ai mis au courant du complot tramé contre toi. J’ai tout lieu d’espérer que la Cour d’Appel te rendra à la liberté. Que les jours sont longs ! Ton ennemi ne cesse de te calomnier, mais sois tranquille ! Supporte seulement, ta captivité et tout ira bien, j’espère !

J’ai vu ta mère. Je suis allée la voir. Je lui ai expliqué la nature de la cause, qui a amené devant les tribunaux dont le jugement est répudié par le public, un honnête et bon garçon.

Tout le monde sait que Harry ne faisait que te tendre un piège, quand il cherchait et réussissait à se mettre en affaires avec toi.

Cette condamnation ne t’abaisse pas, dans l’estime du public qui te connaît ; à mes yeux tu n’en sortiras que plus grand, que plus noble. Supporte courageusement, cette épreuve, et nous verrons des jours meilleurs.

Veuille compter, bon ami Rogers, sur tout l’étendue des sacrifices que je suis disposée à faire pour toi, et me croire toujours

Ta fidèle et sincère Ninie


La jeune fille quitta la prison, les yeux remplis de larmes, tout en méditant sur la destinée de certains hommes ; ceux-là sont souvent incompris et passent pour de malhonnêtes gens, tandis que ceux-ci grands criminels ayant mérité maintes fois d’être punis, jouissent de la plus grande liberté !

À peine, était-elle de retour à ses appartements, qu’elle recevait des messages téléphoniques, lui annonçant tantôt qu’elle se déshonorait à porter secours à Rogers, tantôt que celui-ci se moquait d’elle, tantôt qu’elle aurait son sort si elle continuait à le visiter.

Rogers réussit à faire remettre à Ninie, en l’enveloppant dans certains petits articles qu’il lui retourna comme ne lui étant pas utiles, lors de sa nouvelle visite, une lettre en réponse à celle qu’elle lui avait adressée :


Ma chère Ninie,

Je ne sais quelles expressions je dois employer, pour te prouver ma reconnaissance. Tes visites me font du bien. Je comprends toute l’étendue des sacrifices que tu t’imposes, mais si je ne puis pas, moi-même te les payer, j’ose croire que Dieu à qui j’adresse de ferventes prières, pour toi, te bénira et te fera trouver le fruit de tes sacrifices. Continue à venir me voir ! Ici, c’est le désert, c’est la solitude ! Le seul bruit que tu entends, c’est ou le tintement, à tes oreilles, de la pulsation de ton sang, ou le bruit d’enfer que les ouvriers font à réparer les portes des cellules de la prison. La prison est belle, belle pour les visiteurs ! Les planchers sont en marbre ! Mais le régime de la prison, est un régime qui tue ! Nous n’avons qu’une petite messe, le dimanche matin, et ceux qui veulent y aller, doivent se hâter, à leur réveil, de se tenir prêts, car les portes des cellules s’ouvrent et se referment, aussitôt ; à peine le cri du prisonnier avertisseur s’est-il fait entendre, «  Catholic church ! Catholic Church ! » que les portes s’ouvrent et se referment ! Quelle heure est-il ? on ne le sait pas ; pleut-il ? on ne le sait pas ; les prisonniers qui comme moi, attendent leurs procès, sont dans la plus grande solitude, et souvent ils sont là, des mois et des mois. Je me demande, parfois, si les juges comprennent leurs devoirs ! Ont-ils reçu la mission de tuer, ou d’appliquer la loi, ou de se faire les instruments des vengeurs ? Les consolations que tu m’apportes, sont au-delà de tout ce que je pourrais te dire ! Être renfermé du matin au soir, du soir au matin, dans un espace étroit, ou tantôt il fait trop chaud, tantôt il fait trop froid et où il faut tout endurer, tout souffrir ! la nourriture est celle que ne donne pas, en général, un citoyen, à son propre chien.

Ma chère amie, je te demande de ne pas me laisser ; reviens, mon courage se renouvelle à ta vue ; J’ai reçu tes fleurs ; tu as été bien gentille, bien bonne de penser à exécuter une promesse que tu m’avais faite, quand conversant avec toi, un an auparavant je te déclarais, alors que le chauffeur de notre automobile, s’était trompé de chemin, et que nous avions rebroussé chemin, à la prison de Bordeaux, je te disais : S’il fallait que jamais je ne vienne ici, tu me répondais : J’irais te jeter des fleurs, par la fenêtre ! Elles sont belles ; leur parfum remplit l’air de ma froide cellule ! Comme je suis heureux, de constater qu’au moins, une âme, une petite étrangère, pense à moi ! toi ma chère amie.

Veuille excuser le papier, car, ici, à Bordeaux, nous n’en avons pas le choix ; J’ai écrit sur le papier dont tu t’es servi pour envelopper mes effets.

Merci, Ninie pour ton estime, merci pour ton trouble, merci pour tes paroles de consolation et d’espérances.

J’inclus ici, même une poésie d’Alfred de Musset, le Mie Prigioni, qui te donnera une idée de la prison. Mais je t’assure que ce n’est qu’une faible image de la réalité !

On dit : « Triste comme la porte
xxxxxxxD’une prison. »
Et je crois, le diable m’emporte !
xxxxxxxQu’on a raison.

D’abord, pour ce qui me regarde,
xxxxxxxMon sentiment
Est qu’il vaut mieux monter sa garde,
xxxxxxxDécidément.

Je suis, depuis une semaine,
xxxxxxxDans un cachot,
Et je m’aperçois avec peine.
xxxxxxxQu’il fait très chaud.

Je vais bouder à la fenêtre,
xxxxxxxTout en fumant ;
Le soleil commence à paraître
xxxxxxxTout doucement.

C’est une belle perspective,
xxxxxxxDe grand matin
Que des gens qui font la lessive
xxxxxxxDans le lointain.
 
Pour se distraire, si l’on baille,
xxxxxxxOn aperçoit
D’abord une longue muraille,
xxxxxxxPuis un long toit,

Ceux à qui ce séjour tranquille
xxxxxxxEst inconnu
Ignorent l’effet d’une tuile
xxxxxxxSur un mur nu.

Je n’aurais jamais cru moi-même,
xxxxxxxSans l’avoir vu,
Ce que ce spectacle suprême
xxxxxxxA d’imprévu.

Pourtant les rayons de l’automne
xxxxxxxJettent encor
Sur ce toit plat et monotone
xxxxxxxUn réseau d’or.

Et ces cachots n’ont rien de triste,
xxxxxxxIl s’en faut bien ;
Peintre ou poète, chaque artiste
xxxxxxxY met du sien.

De dessins, de caricatures
xxxxxxxIls sont couverts.
Çà et là quelques écritures
xxxxxxxSemblent des vers.


Chacun tire une rêverie
xxxxxxxDe son bonnet ;
Celui-ci, la Vierge Marie,
xxxxxxxL’autre un sonnet.

Là c’est Madeleine en peinture,
xxxxxxxPieds nus, qui lit ;
Vénus rit sous la couverture
xxxxxxxAu pied du lit.

Plus loin, c’est la Foi, l’Espérance,
xxxxxxxLa Charité,
Grands croquis faits à toute outrance,
xxxxxxxNon sans beauté.

Une Andalouse assez gaillarde,
xxxxxxxAu cou mignon,
Est dans un coin qui vous regarde
xxxxxxxD’un air grognon.

Celui qui fit, je le présume,
xxxxxxxCe médaillon,
Avait un gentil brin de plume
xxxxxxxÀ son crayon.

Le Christ regarde Louis-Philippe
xxxxxxxD’un air surpris ;
Un bonhomme fume sa pipe
xxxxxxxSur le lambris.

Ensuite vient au passage
xxxxxxxTrès-compliqué,
Où l’on voit qu’un monsieur très-sage
xxxxxxxS’est appliqué.

Dirai-je quelles odalisques
xxxxxxxLes peintres font,
À leurs très-grands périls et risques,
xxxxxxxJusqu’au plafond ?

Toutes ces lettres effacées
xxxxxxx Parlent pourtant ;
Elles ont vécu, ces pensées,
xxxxxxxFût-ce un instant.

Que de gens, captifs pour une heure,
xxxxxxxTristes ou non,
Ont à cette pauvre demeure
xxxxxxxLaissé leur nom !
 
Sur ce lit où je rimaille
xxxxxxxCes vers perdus,
Sur ce traversin où je baille
xxxxxxxÀ bras tendus.


Combien d’autres ont mis leur tête,
xxxxxxxCombien ont mis
Un pauvre corps, un cœur honnête
xxxxxxxEt sans amis !

Qu’est-ce donc ? en rêvant à vide
xxxxxxxContre un barreau.
Je sens quelque chose d’humide
xxxxxxxSur le carreau.

Que veut donc dire cette larme
xxxxxxxQui tombe ainsi,
Et coule de mes yeux, sans charme
xxxxxxxEt sans souci ?

Est-ce que j’aime ma maîtresse ?
xxxxxxxNon, par ma foi !
Son veuvage ne l’intéresse
xxxxxxxPas plus que moi.

Est-ce que je vais faire un drame ?
xxxxxxxPar tous les dieux !
Chanson pour chanson, une femme
xxxxxxxVaut encore mieux.

Sentirais-je quelque ingénue
xxxxxxxVelléité
D’aimer cette belle inconnue :
xxxxxxxLa liberté ?

On dit, lorsque ce grand fantôme
xxxxxxxEst verrouillé,
Qu’il a l’air triste comme un tome
xxxxxxxDépareillé.

Est-ce que j’aurais quelque dette ?
xxxxxxxMais, Dieu merci !
Je suis en lieu sûr : on n’arrête
xxxxxxxPersonne ici.

Cependant, cette larme coule,
xxxxxxxEt je la vois
Qui brille en tremblant et qui roule,
xxxxxxxEntre mes doigts.

Elle a raison, elle veut dire :
xxxxxxxPauvre petit,
À ton insu, ton cœur respire
xxxxxxxEt l’avertit.

Que le peu de sang qui l’anime
xxxxxxxEst ton seul bien.
Que tout le reste est pour la rime
xxxxxxxEt ne dit rien.


Mais nul être n’est solitaire,
xxxxxxxMême en pensant,
Et Dieu n’a pas fait pour te plaire,
xxxxxxxCe peu de sang.

Lorsque tu railles ta misère
xxxxxxxD’un air moqueur,
Tes amis ta sœur et ta mère
xxxxxxxSont dans ton cœur.
 
Cette pâle et faible étincelle
xxxxxxxQui vit en toi,
Elle marche, elle est immortelle
xxxxxxxEt suit sa loi.

Pour la transmettre, il faut soi-même
xxxxxxxLa recevoir,
Et l’on songe à tout ce qu’on aime
xxxxxxxSans le savoir.