Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 61-71).


CHAPITRE IV


Titre II


RETOUR DE ROGERS AU COLLÈGE


Les vacances de Rogers touchaient à leur fin ; sa mère lui écrivit que le jour de l’entrée des élèves du collège de l’Assomption, elle l’attendrait chez une parente, à Joliette ; trois semaines encore, et il devait reprendre ses cours pour y terminer sa philosophie ; il devait aussi cette année là, se fixer sur le genre de vie qu’il embrasserait ; mais comme il n’était pas encore tout-à-fait décidé de se vouer à l’état ecclésiastique, et que ses parents croyaient que c’était une affaire réglée et qu’ils annonçaient déjà le bonheur de voir leur fils, se préparer à devenir prêtre, Rogers sentait sa liberté, de plus en plus restreinte !

Le vieil oncle le Curé, sans y mettre de l’autorité, car cela n’aurait pas eu son effet, redoublait de ferveur dans ses prières qu’il faisait en commun avec Rogers, pour demander la grâce que son neveu ait une vocation ecclésiastique ! Il cherchait à infuser de plus en plus, dans l’âme de son neveu, tous les principes de la pénitence et de la prière, de l’abnégation et des sacrifices ; sa vieille mère dans les lettres qu’elle lui adressait, ne pouvait lui dissimuler toute la joie qu’elle aurait, si Dieu lui faisait la faveur de voir avant de mourir, son cher Rogers, prêtre !

Naturellement, le bon cœur de Rogers ne se montrait pas indifférent à toutes les marques d’estime et de considération dont il était l’objet ! mais, plus il touchait à la fin des vacances, plus il lui répugnait de se voir obligé de retourner au collège, où il devait choisir sa vocation sans avoir pu jamais revoir celle dont le souvenir seul, causait tant de ravages dans son cœur ! Il aurait aimé à recevoir de sa bouche même, les raisons qui l’avaient fait le délaisser et l’abandonner ; il aurait aimé à recevoir de son regard, une flamme sinon d’amour, au moins d’estime ; il aurait aimé à recueillir sur ses lèvres, un dernier baiser, baiser chaste de paix, serment d’oubli et de discrétion, foi jurée de toujours s’estimer !

Si je pouvais, se disait-il, seulement la voir, il me semble que les combats qui se livrent dans mon cœur, cesseraient, et que le calme étant rétabli dans mon âme, je pourrais plus facilement me vouer au Seigneur ! Il avait essayé plus d’une fois, timidement, à parler à son oncle, de sa vocation, pour finir par lui révéler toute la source de ses peines et de ses profondes misères. Mais le vieillard, lui avait répondu de ne pas s’arrêter à ces considérations, que ce n’étaient que des tentations que le démon lui tendaient !

Dès lors, Rogers adressa à son amie Ninie, qu’il croyait encore à Guigues, mais qui était rendue à Montréal où elle occupait une position de confiance, une petite poésie de Paul Déroulède au bas de laquelle, il signa son nom, en y ajoutant les mots : si tu daignes me répondre, adresse ta missive à poste restante, ici où je passe mes vacances ! cette petite poésie se lisait ainsi :

Si tu veux de ma vie, un jour et puis un jour,
Hôtesse passagère, entre dans ma demeure,
Et des pesants soucis qui font mon front si lourd,
J’aurai garde qu’aucun te touche ni t’effleure.
Mais, comme ces vieux vins que l’on verse au retour
Je verserai pour toi, ma gaieté la meilleure.
Si tu veux de ma vie, un jour et puis un jour,

Si tu veux de ma vie un mois et puis un mois,
Ce pacte de plaisir peut se signer encore.
Nous choisirons avril et la senteur des bois,
Juin et ses douces nuits avec sa douce aurore.
Puis, nous nous quitterons, sans ces sombres émois,
Fleurs de regret qu’un trop long bonheur fait éclore.
Si tu veux de ma vie un mois et puis un mois.

Si tu veux de ma vie, un an et puis un an.
Ô vanité ! tout est vanité ! dit l’Apôtre !
Tous nos beaux feux de joie, à l’éclat rayonnant,
Pourraient bien être éteints d’une saison à l’autre,
Mais tant qu’ils flamberont, comme ils font maintenant,
Quel sort sera le tien ! quel délice le nôtre !
Si tu veux de ma vie un an et puis un an.

Mais si tu veux ma vie entière et pour toujours,
Oh ! alors laisse-moi redevenir moi-même.
Et triste sans contrainte et morne sans détours,
Je t’ouvrirai le fond de ma douleur suprême !
Et ta douleur sera mon suprême secours,
Car c’est ainsi qu’on souffre et c’est ainsi qu’on aime,
Quand on veut une vie entière et pour toujours

Rogers n’aurait pas aimé que cette lettre ne tombât entre les mains de personnes étrangères ; aussi, avait-il eu le soin de la faire recommander, mais les parents de la jeune fille, à Guigues, en apprenant du maître des postes que Ninie avait à son adresse, une lettre recommandée, obtinrent cette lettre qu’ils promirent remettre, à leur fille, doutant de l’importance de cette lettre recommandée, ils l’ouvrirent.

Une lettre de Rogers, dit la mère de Ninie, à ma fille ! Comment se fait-il ? ils se sont donc écrit pendant tout ce temps ! Et encore assez amoureuse cette poésie ? Bah ! lui répondit le père, des enfantillages ! Des amourettes de jeunes gens ! Rogers n’a pas fini son cours ! Ninie qui n’a pas encore ses vingt ans ! Voyons, jette-moi cela au feu.

Non, oh ! Non ! par exemple, je ne jetterai pas cette lettre, au feu ! Que la mère de Rogers ne me dise pas que c’est ma fille qui court après son garçon ! J’ai la preuve dans les mains ! On ne sait pas ce qui peut arriver ! Amis aujourd’hui, ennemis demain, et alors la mère de Rogers sera tentée de prendre fait et cause pour son fils !

Quelques jours écoulés ; la mère de Rogers qui avait pris le train à Haileybury, pour se rendre à Lachtford, vint saluer la mère de Ninie, se dirigeant à North Bay, et les deux femmes causèrent ; c’est là que la mère de Rogers apprit à la mère de Ninie que son fils avait eu bien des prix, des félicitations de ses professeurs, en un mot qu’il était à terminer cette année-là, son cours d’étude et se destinait à se faire prêtre !

La mère de Ninie, comme blessée par cette déclaration aussi prématurée qu’orgueilleuse, comment, Madame, vous dites que votre fils se destine à se faire prêtre ! Je ne saurais le croire ! — toute étonnée, la mère de Rogers lui demanda des explications !

Il est vrai, Madame, que votre fils a une bonne éducation ; je l’ai toujours trouvé bien gentil ; il est venu rendre visite à ma fille et s’est toujours montré d’une amabilité rare : seulement, je ne veux pas le désapprécier à vos yeux, mais je ne saurais croire qu’il pense à la prêtrise, puisqu’il pense encore aux filles ! Il vient encore, cette semaine même d’écrire à ma fille ; c’est moi qui ai ouvert cette lettre recommandée qui venait de votre fils, en vacances, et tenez madame : la voici.

La mère de Rogers, reconnaissant l’écriture de son fils, faillit perdre connaissance, mais reprenant ses sens, elle trouva quelques paroles assez heureuses pour se tirer d’embarras, et expliquer que la décision de Rogers n’était pas faite, mais qu’il lui avait seulement laissé entrevoir ses penchants du côté ecclésiastique !

À peine était-elle de retour à son foyer, qu’elle écrivit à son fils, pour lui reprocher ce qu’elle appelait de l’inconstance et de la légèreté, et lui expliquer toute l’étendue des sacrifices que la famille avait faits pour lui, et en même temps cherchait à lui faire comprendre toute la grandeur de l’affront dont elle avait été l’objet, à son sujet, par son étourderie.

Pendant ce temps, Rogers, avait-il un moment libre, qu’il courait à chaque jour, et quelques fois, matin et soir, au bureau des postes, anxieux de savoir si Ninie répondrait à sa lettre ! Il osait espérer, car l’un de ses amis lui avait appris quelques jours passées qu’il avait rencontré Delle Ninie, à Haileybury.

Au lieu de recevoir une lettre de sa douce amie, il reçut cette lettre de sa mère !

Il n’en pouvait croire à ses yeux !

C’en était assez pour lui faire désirer son entrée au collège ! Déconcerté, découragé, démoralisé, Rogers languit à moitié mort, plutôt qu’il ne vécut, le reste des vacances ; sa santé en fut affectée et partit pour le collège avec au cœur, une plaie profonde, dans l’âme, des considérations sur sa liberté contrainte et un grand dégoût pour la vie où tout n’est qu’égoïsme, honneurs faux et mensongers et spéculations sur les bons !

Se dirigeant vers l’Assomption, vers le Collège, il s’arrêta à Joliette où tel que le lui avait écrit sa mère, il devait la ren


Collège de l’Assomption.
Collège de l’Assomption.
Collège de l’Assomption.

contrer chez une parente ; c’était une bien belle journée du commencement du mois de septembre ! Rogers, le sourire aux lèvres, s’efforça d’être bon pour sa mère et parut ne pas être affecté par la lettre qu’elle lui avait écrite ; son père accompagnait sa mère et ne lui ménagea pas sa profonde surprise de l’indignation profonde qu’il avait ressentie, à la nouvelle que son fils avait écrit à Ninie ! Et alors, le père retirant à l’écart, son fils Rogers, lui rappela comme l’avait fait la mère sur sa lettre, tous les sacrifices d’argent qu’il avait dû s’imposer pour le faire instruire. Rogers, dans un moment de colère, aussi capable de fierté que de sensibilité, s’adressant à son père et à sa mère : Pourquoi, parents, annoncez-vous partout que je me destine à devenir prêtre ? Croyez-vous, par ce moyen, enchaîner ma liberté ? Vous me parlez de sacrifices que vous avez faits pour moi, je l’avoue, cela coûte cher aux parents de faire instruire un garçon ! mais est-ce que cela coûte assez cher que, pour vous être reconnaissant, je doive sacrifier mes goûts, mon cœur et mes affections, et ma vie même ?

En faisant des sacrifices, ne faites-vous pas que votre devoir ? vous avez, vous le savez, une obligation qui découle du droit naturel et du droit divin, d’aimer vos enfants, de pourvoir à leur éducation et à leur instruction dans la mesure de vos forces ! Qu’avez-vous fait pour moi, de plus que pour les autres enfants ?

Non, mon fils, lui répondit le père tout étonné des considérations que Rogers pour la première fois de sa vie se permettait de jeter sous les yeux de ses parents.

Nous n’avons pas l’intention de te forcer à te faire prêtre ! Nous voulons que tu aies toute la liberté pour choisir ton état ! Mais regarde donc, réfléchis un peu, tu serais si bien ; vois ton oncle le Curé, comme il est heureux ; il n’a pas de troubles ni inquiétudes ; il est maître de sa maison, il conduit à sa guise, il a son cheval et sa voiture, sort et rentre quand il lui plaît, il gagne de l’argent ; il est certain que sa vie est assurée !

Et toi, mon cher enfant, je ne te crois pas appelé dans le monde ; ta nature enthousiaste et ta ténacité à ne pas vouloir reconnaître tes torts, te feront faire de mauvais coups, et tu t’en repentiras !

Tandis qu’avec l’appui de ton oncle, ton chemin est tout tracé, cher enfant ; ouvre les yeux, tu es d’âge de réfléchir ; regarde les mortalités survenues dans la famille ! La vie du monde se passe si vite ! Le bon Dieu ne nous a pas mis sur la terre, seulement pour jouir.

Prie mon enfant, et choisis à ta guise, ta vocation ; mais comme je te l’ai dit, l’an passé, pour te faire recevoir médecin tu le sais, je ne peux pas ; je ne suis pas assez riche ! Choisis le genre de vie que tu voudras !

Mes bons parents, reprit Rogers, quand je vous ai demandé de bien vouloir me faire continuer mes études, je ne me suis pas engagé à choisir l’état ecclésiastique, je veux être libre, afin de ne pas être exposé à vous faire des reproches, ni à vous mêmes ni même à ma conscience ; c’est un sujet digne de considération, je le comprends très bien, mais pour bien le décider il me faut être libre ! je n’ai aucune répugnance pour l’état ecclésiastique, mais ce n’est pas le moment pour moi, de me prononcer définitivement.

Il y avait ce jour-là, à Joliette, une retraite qui se terminait après plusieurs jours d’exercices religieux !

La parente qui avait la visite de Rogers et de ses parents, les invita à assister à la clôture de cette retraite pour laquelle des cérémonies spéciales avaient été préparées.

Rendus à l’église, ils prirent place au milieu d’une foule très nombreuse ; après un éloquent sermon de circonstance prononcé par l’évêque Archambault, de regretté mémoire, le Révérend M. Dugas, dont la voix superbe avait été maintes fois, admirée dans cette église, rendit au Salut du Très Saint Sacrement, avec plus d’âme que jamais, le Cantique :

« Cœur transpercé pour nous, des crimes de la terre,
Ne vous souvenez plus, ne vous souvenez plus,
Du cri qui retentit jadis sur le calvaire,
Souvenez-vous, souvenez-vous Jésus. »



Ces paroles laissèrent une profonde impression dans l’âme de Rogers, qui aimait tant le chant et la musique ! Il fut épris soudain, d’un désir ardent de se vouer aux services des saints autels, par le spectacle grandiose et imposant de cette église, toute pavoisée de drapeaux et de lumières, aux autels décorés de bouquets et de fleurs, illuminés par des centaines de cierges dont la flamme vacillante répandait sur la figure des assistants, au chœur, des rayons de joie et de bonheur.

Rogers envia le sort de ces prêtres agenouillés au pied de Jésus-Hostie, qui semblaient comme lui, impressionnés par la beauté des cérémonies pieuses, et transportés dans les méditations où les considérations humaines et mondaines se perdent en de vaines et folles appréciations, incapables de comprendre tout le bonheur, que les âmes éprouvent dans la prière contemplative !

Rogers se rendit au collège de l’Assomption, emportant dans son cœur, un grand souvenir, de cette cérémonie qui l’avait tant impressionné, et des paroles du chant sacré qu’il avait entendues chanter avec tant de pieux recueillement par le Révd M. Dugas. Rogers se livra à ses études, avec non moins d’ardeur que par les années passées ; seulement, il paraissait plus pensif et plus rêveur ! Il n’était plus, du tout, ce jeune homme, à la figure souriante, et gaie ; il apparaissait toujours avec un air grave et réfléchi, tout comme s’il eut été continuellement préoccupé d’une idée qui devait exercer sur lui, une influence considérable.

Un jour, le Révérend M. Riopelle professeur de philosophie, qui avait remarqué cet air de tristesse peint sur la figure de Rogers, l’amena avec lui, dans le grand parterre qui se trouve en avant du collège, et là, assis sous un gros orme, le pressa de questions confidentielles : Mon enfant, lui dit M. Riopelle, avez-vous confiance en moi ? Oh ! Oui, répondit vivement Rogers ; vous avez toute ma confiance ! Je ne vous veux que du bien, Rogers, et si je me permets de vous faire certaines questions, je vous prie de croire que je vous les pose dans votre intérêt, et dans l’unique but de vous rendre la gaieté que j’ai remarqué que vous avez perdue.

Mais, mon Père, je dois vous dire que je ne sais pas ce dont vous voulez me parler. Je suis tout disposé à vous répondre.

Mes questions vous paraîtront peut-être indiscrètes, mais veuillez vous convaincre que je ne m’intéresse à vous que pour vous rendre le bonheur !

Les années que vous avez passées, la conduite exemplaire que vous avez tenue, l’amour et l’intérêt et l’attachement que vous avez toujours manifestés pour votre Alma Mater, m’ont toujours porté à vous estimer, et vraiment, j’éprouve moi-même du chagrin, de vous voir, depuis les quelques semaines que vous êtes arrivé au milieu de nous, avec une figure aussi triste et aussi continuellement préoccupé à résoudre un problème qui ne peut être autre que celui que je redoute comme étant votre cauchemar !

Mon père, je n’ai aucun chagrin !

Parlez-moi franchement, ouvrez-moi votre cœur ; veuillez, je vous en prie, être persuadé que le cœur de prêtre de celui qui vous parle est bon, et que vous n’aurez jamais de meilleur ami que lui. Si vous n’avez pas de chagrin, vous avez un poids lourd sur votre cœur qui vous empêche de sourire et de respirer à l’aise ; parlez-moi, dites-moi quelles sont les causes de votre tristesse !

Rogers, comme vaincu par les paroles du Révérend M. Riopelle, qui lui parlait sur un ton si intéressé à son bonheur et si amical, avec des larmes aux yeux et une voix entrecoupée de sanglots, la tête baissée vers la terre, brisant entre ses doigts tout tremblants des bouts de branches sèches qu’il avait ramassées pour se donner une contenance, lui répondit :

Puisqu’il en est ainsi, je vous avouerai mon Père, que mon âme est toute troublée ; dans quelques mois, je serai appelé à sortir de cette maison, ou à m’y enfermer pour toujours, pour la Vie !

Mon père, cette idée me bouleverse ! Je ne sais que faire !

Mais, mon enfant, avez-vous bien prié la Sainte Vierge de vous protéger ? avez-vous invoqué le Saint-Esprit de vous éclairer sur la décision que vous devez prendre ?

Oui, mon père, et plus il semblerait que je prie, plus il semblerait que mon cœur est indécis !

Quelles sont vos idées ? quelles sont vos tentations, vos désirs, mon enfant ?

Je sais, mon père, que j’ai une nature très enthousiaste, affectueuse, ardente et bonne ; à certaines heures, je me sens attiré vers l’état ecclésiastique ; je me sens épris de dégoût pour toutes les vanités du monde où alors je ne vois que calcul, intérêt et égoïsme ; je me sens appelé à faire du bien et à rendre les autres heureux ; par d’autres moments mon âme sensitive se sent remplie d’affections les plus contraires ; je me surprends à rêver, à désirer de posséder un « Home » bien propre, bien meublé, à désirer d’être médecin, qui aurait la confiance, l’amour d’une bonne épouse, et là, je me surprends à croire sérieusement que je serais heureux ; que je pourrais ainsi, tout comme dans l’état ecclésiastique, faire du bien aux autres et sauver mon âme !

Mon enfant, lui dit M. Riopelle, vos deux désirs sont bien légitimes, et vous pouvez selon vos aptitudes et vos goûts, adopter l’un ou l’autre genre de vie. Écoutez bien l’appel du Seigneur, s’il vous appelle à lui, ne résistez pas à sa voix ! priez, priez beaucoup ; mais de grâce, mon enfant, ne vous tourmentez pas l’esprit ! Vous ne sauriez trouver des perles dans de l’eau trouble !

Vous ne sauriez trouver non plus la voie que vous trace le Seigneur, si votre cœur est continuellement en ébullition de sentiments vivaces, et si votre esprit est toujours obsédé par un travail qui n’a pas de repos ! Calmez-vous, remettez-vous à vos études ! Prenez les choses de sang-froid, et priez ! Qu’est-ce qui peut vous empêcher de choisir l’un ou l’autre de ces états que vous mentionnez pour être ceux le plus conformes à votre goût, à vos aptitudes ; le fait est qu’il y a beaucoup de ressemblance, entre le Prêtre et le Médecin ; le premier est le médecin des âmes, le second est le médecin des corps et très souvent, ils sont appelés à exercer leur ministère, en même temps et dans une commune action !

Oh ! mon cher Père, reprit Rogers, si je pouvais choisir ! Mais je crains de ne pas pouvoir ! Pourquoi, Rogers ?

Je vais vous expliquer cela, mon père !

Mes parents, sans y mettre une objection des plus sérieuses, à ma décision de me faire médecin, m’apprennent maintenant qu’ils n’ont pas assez d’argent pour me pousser dans cette carrière ; j’ai repris mes cours d’études, uniquement parce que j’aimais, à la folie, une jeune fille de par chez nous ; je voulais me rendre digne d’elle ; elle retournait au couvent terminer ses études, et je voulais aussi terminer les miennes dans mon désir de me faire un avenir plus tard avec elle !

Où est-elle maintenant, cette jeune fille ?

Je ne sais pas, mon père, je l’ai perdue de vue ; mais son seul souvenir me trouble et le cœur et la tête ! Sa séparation m’a été si cruelle que j’avais résolu de me faire prêtre tout d’abord et j’avais confié ce secret, cette décision brusque, peut-être trop brusque, à mes parents qui, alors fous de joie, ont par la suite utilisé tous les moyens qu’ils avaient à leurs dispositions, pour me pousser dans cette carrière qui, je le comprends, les aurait honorés, et de concert avec mon oncle le Curé que vous connaissez, ils ont tant fait que je suis sous l’impression que ma liberté est contrainte, que je ne suis plus libre ! Pourtant j’aime le service des Saints Autels, j’aime la prière, j’aime la pénitence ! J’abhorre le blasphème ! J’aime ma religion et tout ce qui la touche de près ou de loin. J’ai une dévotion spéciale pour la Vierge Marie ! Mais toujours je ne suis pas plus avancé ! J’hésite et je suis triste, mon père !

Mon enfant, l’aimez-vous encore cette jeune fille dont vous me parliez ?

Oui, reprit Rogers avec un air de franchise loyale, je l’aime ; je l’aimerais si je devais aller dans le monde. Mais je ne l’ai pas revue depuis bientôt trois ans. Je ne sais ce qu’elle est devenue. Mais ce qui m’empêche d’embrasser la carrière ecclésiastique, sans beaucoup réfléchir, c’est que je crois qu’on m’a envoyé passer mes vacances chez mon oncle le Curé, pour ne pas me permettre de revoir cette jeune fille que j’adorais ; pourtant elle était de bonne famille, bien gentille. Et si vous saviez comme je me suis ennuyé, chez mon oncle qui bien qu’il fut bon pour moi. m’imposait un régime de vie, de religieux !! Quelles tristes vacances j’ai passées ! C’est à peine si j’ai eu le plaisir de pouvoir aller revoir une journée seulement la maison de papa, mon village et ce beau lac Témiscamingue !

Oh ! mon enfant, promettez-moi, voulez-vous, promettez-moi seulement d’être bien gai, comme jamais, promettez-moi de suspendre toutes vos réflexions ; jouez comme les autres écoliers laissez reposer votre cœur et votre esprit, que le calme rentre dans vos pensées !

Priez le Seigneur de vous aider ; ne faites plus d’efforts d’imagination. Je vous assure que si votre vocation est d’être médecin, le bon Dieu vous fournira les moyens et l’argent de le devenir, si vous le servez bien ! Accomplissez bien vos devoirs, obéissez à votre règlement et tout ira bien ; Oh ! allons, courage, mon enfant.

Rogers regagnant la salle de récréation, où les élèves étaient occupés, les uns à faire la promenade, les autres à jouer au billard, les autres enfin à faire de la musique, monta quelques minutes à la chapelle : et là prosterné devait le tabernacle, Rogers pria avec Pierre Corneille :

Parle, parle, Seigneur, ton serviteur écoute :
Je dis ton serviteur, car enfin je le suis ;
Je le suis, je veux l’être, et marcher dans ta route
XXXXXEt les jours et la nuit.

Remplis-moi d’un esprit qui me fasse comprendre
Ce qu’ordonnent de moi tes saintes volontés.
Et réduis mes désirs au seul désir d’entendre
XXXXXTes hautes vérités.

Mais désarme d’éclairs, ta divine éloquence,
Fais-la couler sans bruit au milieu de mon cœur,
Qu’elle ait de la rosée et la vive abondance
XXXXXEt l’aimable douceur

Quoique tu sois le seul qu’ici-bas je redoute
C’est toi seul qu’ici bas, je souhaite d’ouïr,
Parle donc, ô mon Dieu ! ton serviteur écoute
XXXXXEt te veut obéir.

Parle donc, ô mon Dieu, ton serviteur fidèle.
Pour écouter ta voix, réunit tous ses sens,
Et trouve les douceurs de la vie éternelle
XXXXXEn ces divins accents.

Parle pour consoler mon âme inquiète ;
Parle pour la conduire à quelque amendement ;
Parle afin que ta gloire ainsi plus exaltée
XXXXXCroisse éternellement.