Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 17-19).

Titre III


AU FOYER

Qu’il est doux de rêver ! Combien plus douce est la satisfaction de voir nos rêves accomplis !

Se nourrir de rêves seulement, indique un manque d’énergie et un jugement subordonné à l’imagination ; mais le rêve stimule l’activité et par les beaux buts qu’il propose à l’intelligence, d’atteindre, il emporte dans le champ de l’action.

Bien des fois, Ninie, les coudes appuyés sur la fenêtre qui donnait sur le jardin de son père, la tête enfoncée dans ses petites mains potelées, demeurait ensevelie dans ses méditations et ses rêves, des heures durant. Elle se plaisait à voir voltiger les papillons, de fleur en fleur ; la vue de ce jardin entouré de cerisiers, de pruniers, rempli de plantes potagères et séparé d’une longue plate-bande parsemée de bouquets et de fleurs les plus diverses, la transportait bien loin !

Ninie, était aussi pratique, énergique qu’imaginative ; elle était laborieuse, elle avait acquis alors quelques connaissances, au couvent de l’Épiphanie, où elle avait été aimée de certaines de ses institutrices, et où elle avait été, sinon détestée, au moins incomprise par quelques autres de ses maîtresses à qui, elle n’a jamais tenu rancune.

Revenue à Guigues, au foyer, Ninie employait ses heures de vacances à aider à sa mère, à tous les travaux du ménage et à lui faire toutes sortes de questions concernant son avenir.

Ses seize ans inondaient sa figure intelligente de joie et de sourires. C’était l’âge de l’amour.

Son cœur affectueux, ses grands yeux bruns sa figure arrondie, son regard vif et intelligent, ses manières délicates, ses beaux cheveux touffus retombant sur ses épaules, ses saillies spirituelles en faisaient une jeune fille aimable ; son cœur était ouvert à l’espérance.

Aussi, les prétendants ne manquèrent pas l’occasion de rivaliser pour conquérir et ses premiers baisers et son premier amour ; des jeunes gens, il y en avait cinq, dans la paroisse, qui se piquaient d’orgueil, et qui de fait, étaient mieux doués et qui avaient un avenir des plus enviables, tant du côté de l’honneur, de la position sociale de leurs parents que du côté de leur savoir-vivre, s’étaient présentés chez Ninie.

Elle aima ; elle aima, comme toute jeune fille, plus d’un, et quelquefois plus d’un, à la fois ; mais ses grands yeux ouverts sur son avenir, son intelligence pratique et son cœur affectueux, et l’amour du foyer de son père, lui apportaient à l’esprit, des réflexions qu’elle a méditées souvent et qui ont fait que sans dédaigner ceux qui lui ont offert et bouquets et estime, et roses et amour, et courage et volonté, et leur cœur et leur vie, elle préféra de nouveau encore quitter les lieux chers, par les souvenirs d’amour filial et d’amitié de jeunesse, pour satisfaire l’ambition de son âme, désireuse de marcher dans la voie du progrès, vers l’inconnu, vers la fortune, vers l’instruction !