Amour d’hiver/1
I
C’est au temps de la chrysanthème
Qui fleurit au seuil des hivers
Que l’amour cruel dont je t’aime
En moi poussa des rameaux verts.
Il naquit, doux et solitaire,
À ces fleurs d’automne pareil
Qui, pour parer encor la terre
N’ont pas eu besoin de soleil.
Sans redouter les jours moroses
Qui font mourir les autres fleurs
Il durera plus que les roses
Aux douces mais frêles couleurs.
Et si, quelque jour, par caprice
Ton pied le foule, méprisé :
En même temps que son calice,
Tu sentiras mon cœur brisé.
Sentir seulement votre haleine
Passer comme un souffle de mai ;
En boire le flot parfumé
Sur votre lèvre, coupe pleine ;
Baiser sur la toile ou la laine
L’odeur de votre corps aimé ;
Sentir mon cœur longtemps fermé
Refleurir, comme fait la plaine,
Sous le clair soleil de vos yeux.
C’est le rêve délicieux
Que vous m’avez donné, Madame.
Il m’a pris tout entier si bien,
Qu’hors vous ne désirant plus rien,
Pour le reste je n’ai plus d’âme.
Si mon cœur devient votre chose,
Ce rien frêle et prêt à souffrir
Que la femme sous son doigt rose
Aime à meurtrir ;
Si tout entier je vous le livre,
Humble et tremblant de vous l’offrir,
Laissez-moi la force de vivre
Pour vous chérir.
Soyez douce ! assez de blessures
Ont bu mon sang sans le tarir :
Il ne saurait d’autres tortures
Jamais guérir.
Et, comme la fleur sous l’orage
Qui se brise sans se flétrir,
Il ne garde plus de courage
Que pour mourir !
Je vis dans une angoisse affreuse ;
Car je sens, sous ton pied vainqueur,
À ma blessure qui se creuse
Monter tout le sang de mon cœur.
Les ivresses dont tu me sèvres
M’étouffent à faire mourir.
Ma vie est pendue à tes lèvres
Comme un fruit mûr prêt à s’ouvrir.
Et le désir qui te réclame
Ne peut désormais s’apaiser
Que si, d’un trait, tu me bois l’âme
Tout entière dans un baiser !
De votre première toilette
Sur mon cœur porter un lambeau,
Et baiser chaque violette
Qui fleurissait votre chapeau ;
Près des reliques où se leurre
L’ivresse de mes yeux ravis,
Revivre éternellement l’heure,
L’heure charmante où je vous vis ;
Sur un de ces riens que peut-être
Vous accorderiez à mes vœux
Boire le parfum de votre être,
De vos seins et de vos cheveux ;
Bien que vous me soyez rebelle,
Me sentant à jamais soumis,
Ô la plus chère, ô la plus belle,
Ce rêve-là m’est bien permis !
Quel souvenir inconsolé
T’avait faite triste et pâlie ?
L’ombre de ta mélancolie
Flotte encor sur mon cœur troublé.
Un rêve s’en est-il allé ?
Ou bien quelque douce folie ?
Mais, dans ce monde tout s’oublie ;
Un regret est vite envolé !
Ta peine, ô chère créature,
A mis mon âme à la torture.
De tes soucis je suis jaloux.
Que n’écoutes-tu ma prière ?
Ne regarde plus en arrière.
Souris ! ton sourire est si doux !
Vous voir chaque jour, vous entendre,
Et, plein de désirs insensés,
De votre pitié tout attendre ;
Est-ce assez ?
Effleurer seulement vos lèvres
De baisers furtifs et pressés ;
Vivre dans l’angoisse et les fièvres ;
Est-ce assez ?
Sentir se briser et renaître
Des espoirs que rien n’a lassés,
Avoir un caprice pour maître ;
Est-ce assez ?
Consumer, comme une cinname,
Sur les chemins où vous passez,
Tous les purs encens de son âme ;
Est-ce assez ?
Ne plus vivre que dans le rêve
Où mon amour aux vols blessés
Sous vos pieds, tout sanglant, s’élève ;
Est-ce assez ?
Hélas ! puisqu’à vous, sans partage,
Mes moindres vœux sont adressés,
Si vous ne voulez davantage,
C’est assez !
Je porte sur moi ton image
Ainsi qu’autrefois le Roi Mage
Portait les parfums précieux,
L’encens, la myrrhe, la cinname
Et je sens brûler dans mon âme
Le désir infini des cieux.
Un rêve divin m’environne :
Ta beauté sous mes yeux rayonne
Comme le seuil d’un Paradis.
Devant elle mon genou plie
Et, tremblant, en elle j’oublie
Les jours malheureux et maudits.
C’est bien toi, c’est ta noble face,
Tes yeux dont le regard efface
Tout rayon et toute clarté !
C’est toi, ma lumière et ma vie,
La splendeur qu’avait poursuivie
Mon rêve toujours indompté
Salut, ô brune chevelure,
Chères lèvres dont la brûlure
Descend jusqu’au fond de mon cœur,
Poitrine auguste dont l’haleine
Verse, comme une couple pleine,
Dans ma gorge un poison vainqueur !
Quand j’ai lu dans tes yeux trompeurs
Les mensonges de l’espérance,
Je vais le cœur plein de souffrance
Et plein de muettes peurs.
M’aimeras-tu jamais ? je doute.
Car, dans ta cruelle beauté,
Je ne sais quoi que je redoute
M’emplit de mon indignité.
Devant ta splendeur qui me brave,
Je ne sens plus en moi, vraiment,
Que la lâcheté de l’esclave
Et non la fierté de l’amant !
Je voudrais sur mon cœur qui saigne
Poser tes pieds nus et mourir
— Sans que nul le sache et me plaigne, —
Du mal que tu ne veux guérir.
Je vis sous le charme mortel
De tes yeux et de ton sourire
Et sur moi leur pouvoir est tel
Que je ne le saurais décrire…
— Je vis sous un charme mortel !
En moi ton image est entrée
Comme fait un couteau vainqueur ;
Jusqu’au plus profond de mon cœur,
Hélas ! je la sens pénétrée !
— En moi ton image est entrée !
Je souffre ! et j’aime la douleur
Qui me vient de cette blessure.
Elle s’ouvrit, sous ta main sûre,
Rouge comme une rose en fleur.
— Je souffre ! et j’aime ma douleur !
Mon sang qui coule goutte à goutte
Porte mon âme sous tes pas.
De toi ne la repousse pas,
Alors qu’elle m’aura fui toute…
— Car mon sang coule goutte à goutte !
Car elle est tienne maintenant,
Cette âme fervente et troublée
Par tes yeux divins affolée
Et du reste se détournant.
— Mon âme est tienne maintenant !
Mes vers dits par ta voix chantent à mon oreille,
Dans un rythme plus doux où tinte mon amour.
L’écho dont le refrain endort la fin du jour
Mêle à ses bruits mourants une grâce pareille.
Ce qui fut ma pensée et n’est plus qu’un regret
Se réveille et s’anime en passant sur ta bouche ;
Telle une fée apporte à tout ce qu’elle touche
Le rajeunissement et fleurit la forêt.
C’est que la source d’or de toute poésie
Réside en ta beauté comme en un lieu divin,
C’est que mon rêve obscur serait muet et vain
Si pour l’illuminer Dieu ne t’avait choisie !
Dans quelle fleur se cache-t-il
Le parfum divin de ton être,
Si capiteux et si subtil
Que jusqu’à l’âme il me pénètre ?
— Dans quelle fleur se cache-t-il ?
Quelle rose au cœur diaphane.
Ou quel lys du jardin des Cieux
Qu’aucun souffle jamais ne fane
Garde ce souffle précieux ?
— Quelle rose au cœur diaphane ?
Il m’en reste un enivrement
Même après que je t’ai quittée.
Chère odeur de ton corps charmant !
Avec moi t’ayant emportée,
Il m’en reste un enivrement !
Avec des frissons inconnus
Mes doigts ont gardé la brûlure
Qu’ils ont prise à ta chevelure,
Qu’ils ont prise à tes beaux seins nus.
Souvenir adorable et vain !
J’y pourrai longtemps reconnaître
L’odeur exquise de ton être,
Le parfum de ton corps divin.
Et, comme une fleur dont mon front
Cache l’invisible fantôme,
J’emporte avec moi cet arôme
Dont les ivresses me tueront !
Ta beauté m’a vaincu parce qu’elle est pareille
À celle que jadis adora l’art païen ;
Je cherche sur ton front le cep thessalien
Mariant aux bandeaux la pourpre de la treille.
À tes bras où l’éclat de tant de lys sommeille
Mon rêve attache encor le peplum ancien ;
Je voudrais, pour parer ton front patricien,
Un lourd collier que ferme une pierre vermeille.
Comme autrefois Diane ou Vénus Astarté
Je permettrais que l’air baisât la nudité
De tes cuisses de neige à la blancheur insigne
Telle tu brillerais à la face des Cieux,
Et, sous tes pieds foulant des tapis précieux,
Je mêlerais ma lèvre au blanc duvet du cygne !
Mes désirs, comme un vol de cygnes,
Montent dans l’air où vous passez
Et viennent s’abattre, lassés,
À vos pieds aux blancheurs insignes
Puis, suivant la splendeur des lignes,
Le long de vos jambes dressés,
Ils les caressent, enlacés
Comme des serpents ou des vignes.
Iront-ils jusque sous vos seins
Dormir les sommeils assassins
Où tout se confond dans l’extase ?
Ou mourront-ils plus bas, pareils
Aux fleurs que brûlent les soleils
Sur les bords d’agate d’un vase ?
Lorsque le printemps reviendra,
Sonnant l’oubli des jours moroses,
Pour toi, ce ne sont pas des roses
Qu’au jardin ma main cueillera.
Mais, pour rappeler la toilette
Du premier jour où je te vis
Et qui charma mes yeux ravis,
Je chercherai la violette.
C’est la seule fleur que je veux
Pour te revoir toute pareille ;
Et, comme la grappe à la treille,
Je la pendrai dans tes cheveux !
Si longtemps que je t’aimerai,
Tout me sera doux dans la vie.
Mon âme à tes yeux asservie
S’enivre d’un mal adoré.
Et telle est l’immense tendresse
Dont m’emplit ton être vainqueur,
Qu’en toi, tout m’est une caresse,
Tout est un charme pour mon cœur !
Un sourire, un mot de ta bouche.
Un regard, invisible aimant,
Bien moins… un rien que ta main touche
Tout est pour moi ravissement !
L’amour qui me ravit tour à tour et m’effare
De flux et de reflux trouble mon cœur amer.
Ta Beauté, devant moi, s’éclaira comme un phare
Et brille sur mes jours comme un feu sur la mer.
Dans la Nuit où je vais, cette flamme allumée
Tient sur elle fixés mes regards éperdus.
Montre-t-elle un abîme à ma route charmée ?
Est-ce une étoile au seuil des Paradis perdus ?
Qu’elle annonce pour moi le salut ou le gouffre,
J’accours à sa clarté et te livre mes jours,
Astre doux et charmant, femme par qui je souffre,
Perdu sur l’océan des dernières amours !
Je me sens oublié sans oublier moi-même :
C’est un injuste sort que subit mon amour.
Cruel est le souci non payé de retour ;
On devrait cependant être aimé quand on aime !
Loin de tes yeux charmeurs mon angoisse est extrême.
Comme un proscrit je doute et j’attends tour à tour,
Et je regrette un bien qui n’a duré qu’un jour,
Comme si, dans mon cœur, tintait l’adieu suprême.
Je ne me croyais pas si follement épris
Que de sentir mon cœur brisé par ton mépris ;
Et n’avais pas le droit de souffrir de la sorte,
N’ayant rien eu de toi qu’un semblant de pitié.
Aussi je pleure, avec ta fragile amitié,
Moins un bonheur défunt qu’une espérance morte !
Mon cœur est plein de Toi comme une coupe d’or
Pleine d’un vin qui grise.
Si jamais doit finir le Rêve qui l’endort,
Dieu veuille qu’il se brise !
— Mon cœur est plein de Toi comme une coupe d’or !
Mon cœur est sous tes pieds comme une herbe foulée
Que mai va refleurir.
Si jamais loin de lui doit fuir ta route ailée,
Puisse-t-il se flétrir !
— Mon cœur est sous tes pieds comme l’herbe foulée !
Mon cœur est dans tes mains comme un oiseau jeté
Par l’aube en ta demeure.
Ah ! ne lui rends jamais sa triste liberté
Si tu ne veux qu’il meure !
— Mon cœur est dans tes mains comme un oiseau jeté !