Américains et Japonais/V
CHAPITRE V
L’agitation antiasiatique, surtout antijaponaise, au Canada a les mêmes causes qu’en Californie. Entre les États américains, Californie, Oregon, Washington, et la Colombie britannique, il n’y a pas de frontière naturelle : sauf la différence de climat, mêmes rivages ciselés de criques, même pays océanique, riche en mines, en forêts, en pêcheries, même pays neuf que les Blancs commencent seulement de mettre en valeur. Pour les Japonais, côte américaine et côte canadienne, c’est toujours la côte en face et, derrière, une terre aux espaces énormes, à peine peuplée, où les émigrants peuvent venir prendre des leçons de civilisation occidentale, gagner de hauts salaires, installer des entreprises qui rapportent gros et, groupés en communautés et syndicats spéciaux, attendre patiemment le retour dans les îles natales. Écoutons l’appel lancé à ses compatriotes par un Japonais au courant des choses canadiennes[1] :
Le Canada est trente fois plus vaste que la Grande-Bretagne, dix-huit fois plus que l’Allemagne et vingt-cinq fois plus que le Japon… Les terres cultivées ne représentent que le centième de sa superficie… Il a des plaines de 1 million de milles carrés encore en herbe. La population est de 6 millions, — soit un habitant et demi par mille carré : au Japon, 325 habitants par mille carré. Chaque année, d’Europe ou des États-Unis, viennent s’établir au Canada 170 ou 180 000 émigrants. Le gouvernement ne s’effraie pas de ce nombre, car le pays est vaste. Les émigrants japonais sont peu nombreux ; il y en a 4 ou 5000 en Colombie[2]… Le gouvernement canadien encourage la colonisation dans les États occidentaux, Manitoba, Saskatchewan et Alberta. Aux hommes âgés de plus de dix-huit ans et par chaque maîtresse de maison il accorde gratuitement un lot de terre d’environ 60 chobus[3], à condition que les colons y résident pendant trois ans, avec séjour effectif de 6 mois par an, et qu’ils cultivent 15 acres. Aussi les colons sont-ils très heureux. La terre est très fertile ; point n’y est besoin d’engrais. On récolte le blé, l’orge, le chanvre, la pomme de terre, etc. Le climat est excellent ; il ressemble à celui de l’Hokkaïdo ; il est sec et très supportable.
Les mesures prises par le Canada contre les Chinois garantissent les Japonais de la seule concurrence dont ils ne puissent triompher : depuis le 1er janvier 1904, tout immigrant chinois doit payer 500 dollars[4]. Les Chinois qui ont acquis antérieurement des droits de résidence peuvent retourner en Chine pour moins d’un an, mais lorsqu’ils rentrent ils ont à payer 100 dollars. Et l’on multiplie les interdic tions : une loi récente défendait l’emploi de Chinois au fond des mines ; les compagnies minières, qui protestèrent, n’eurent gain de cause qu’en dernier ressort devant le conseil privé à Londres. Dans chaque famille, presque tous les serviteurs sont Chinois : pendant la saison de la pêche du saumon, de la mi-juin à la mi-septembre, beaucoup de ces domestiques quittent leurs places pour gagner de plus hauts salaires dans les fabriques de conserves, mais on leur refuse des licences de pêcheurs et de marins.
Les Japonais, rarement domestiques, sont maîtres d’hôtels ou employés dans les hôtels, manœuvres dans les camps de bûcherons, dans les scieries de bois, sur les chantiers de chemins de fer et des travaux entrepris par les municipalités. Naturalisés sujets britanniques, s’ils le veulent, après trois années de résidence, ils peuvent obtenir des licences de pêcheurs et de marins : un tiers des pêcheurs sont des Japonais[5]. L’entrée étant fermée aux Chinois, ce sont les Japonais qui, dans ce pays neuf et peu peuplé, où les syndiqués blancs ont de grosses exigences, profitent du besoin qu’on a d’une main-d’œuvre jaune. Les capitalistes, qui ont des intérêts dans les mines, dans les bois ou ailleurs, pensent qu’il serait à l’avantage de la Colombie britannique que plus de travailleurs chinois et japonais fussent admis. C’est aussi l’avis des maîtres d’hôtels et des tenanciers qui se plaignent que leur personnel d’Asiatiques diminue. La construction des deux nouveaux transcontinentaux, le Grand Trunk Pacific et le Northern Canada, crée un gros appel de main-d’œuvre dans l’ouest canadien[6]. Le 13 juillet 1907, le Times annonçait que 3000 Japonais allaient être amenés au Canada pour travailler au Grand Trunk Pacific.
Dès que le gouvernement américain arrêta le passage en Californie des Japonais venant des Hawaï, c’est sur le Canada que ces îles déversèrent leur trop plein de main-d’œuvre. Les agents de l’émigration[7] tournèrent vers la Colombie britannique les Japonais qui étaient partis aux Hawaï avec l’idée de passer à la première occasion en Californie.
Lorsque les lois interdisant l’accès des États-Unis aux travailleurs japonais seront promulguées, les travailleurs résidant aux Hawaï partiront en grand nombre au Canada. Déjà 200 d’entre eux ont voulu s’embarquer par le paquebot qui a quitté Honoloulou le 15 mars 1907. Mais les cabines manquant, 20 seulement purent prendre passage[8]… Le 26 juillet, une certaine émotion était provoquée dans la Colombie britannique par le débarquement de 1200 Japonais : l’agent japonais qui avait fait venir ces immigrants déclara que, parmi ses 75 000 compatriotes fixés aux Hawaï, très peu étaient contents de leur sort : comme ils ne pouvaient plus entrer aux États-Unis, ils songeaient à émigrer au Canada[9]. Cette émigration est organisée par l’union japonaise des hôteliers d’Honoloulou. Chaque émigrant doit, avant de partir d’Honoloulou, payer 25 dollars, soit 125 francs, pour assurer les frais de son rapatriement au cas où son entrée au Canada serait refusée. Mais la loi sur l’immigration est appliquée avec modération, puisque sur les 1 800 immigrants débarqués le 26 juillet, 8 seulement ont été refusés ; les autres, admis au Canada, sont rentrés en possession de leur dépôt de 25 dollars. L’entrepreneur de cette émigration a déclaré qu’il amènerait autant de ces travailleurs japonais qu’on le voudrait[10].
Depuis un an, à mesure que les rapports entre les " États-Unis et le Japon se refroidissaient, la tradition de bonnes relations entre le Canada et le Japon, allié de la Grande-Bretagne, se renforçait. Peu de jours après les incidents de San Francisco, le 3 novembre 1906, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du Mikado et en commémoration de la conclusion du traité d’amitié, de commerce et de navigation entre le Japon et le Canada, M. Nossé, consul général du Japon à Ottawa, offrait un banquet aux autorités et notabilités canadiennes :
M. Nossé, en proposant la santé du roi Édouard, exprime l’espoir que la nouvelle convention commerciale amènera un grand développement du trafic entre les deux pays. Sir W. Laurier, proposant la santé de l’empereur du Japon en termes élogieux, rappelle que le progrès accompli par le Japon au cours de ces dernières années est dû en grande partie au sage gouvernement de l’empereur. Il exprime sa conviction que le nouveau traité sera profitable au commerce des deux pays : sir William van Horne, président du conseil d’administration du Canadian Pacific, lui disait, il y a déjà deux ans, que, dans peu d’années, le commerce entre le Canada et l’Extrême-Orient serait aussi important que le commerce entre le Canada et la Grande-Bretagne ; à cette époque-là, il avait trouvé l’assertion de sir William quelque peu optimiste, mais aujourd’hui il incline à croire que la prophétie pourrait bien se vérifier[11].
Dès 1887, en effet, sir William van Horne vit clairement quel était l’avenir du trafic entre le Canada et l’Asie. Il fit construire des bateaux rapides du type Empress, pour prolonger son chemin de fer transcanadien et assurer le service entre Vancouver et l’Extrême-Orient, puis il se préoccupa de leur trouver du fret. Au Japon, dès maintenant, les bois et les farines du Canada font concurrence aux bois et farines des États-Unis ; mais le Canada est plus gros acheteur que vendeur : une grande partie du thé, des soies grèges et pongées qui sont importés en Amérique passe par le Dominion. Aussi les Japonais opposèrent longtemps l’hospitalité et la générosité canadiennes aux mesures et sentiments antijaponais des États-Unis.
Le Canada accorde aux Japonais le droit de naturalisation et le droit de propriété. Les impôts y sont peu nombreux. Les sentiments des habitants diffèrent de ceux des Américains et ressemblent à ceux des Anglais. Je pense que, pour des Japonais, il vaut mieux émigrer au Canada que de se rendre aux États-Unis. Toutefois il faut faire attention à ce que les travailleurs d’une classe trop inférieure n’y viennent pas en grand nombre : on pourrait le regretter plus tard. Que des capitalistes japonais y développent des entreprises, c’est ce que nous désirons[12].
Pour bouder San Francisco, le prince Fushimi, l’amiral Yamamoto et les Japonais de marque qui vinrent dans l’est des États-Unis en 1907 repartirent au Japon par le Canada. Ils furent unanimes à louer ses richesses, l’attrait qu’il offre aux émigrants, l’importance pour le Japon, allié de l’Angleterre, de développer les relations…
Tout à coup, au Canada comme aux États-Unis, l’antijaponisme vient bousculer ces traditions et ces désirs de bons rapports.
Depuis plusieurs années, le sentiment local en Colombie britannique était aussi opposé à la venue des Japonais qu’à la venue des Chinois. La législature provinciale avait passé trois fois un acte qui élevait à 500 dollars la taxe sur chaque immigrant japonais. Mais chaque fois le gouvernement du Dominion s’y était opposé. Un journal de Vancouver tirait de ces échecs la morale suivante : « Il faut essayer d’une autre tactique et convertir le reste du Canada à l’opinion de la Colombie[13] ». Pour convertir l’est du Canada, la Colombie britannique n’a pas hésité à entraver la venue des Japonais en leur rendant la vie intenable. Un des membres de la législature provinciale, M. Macpherson, résumait ainsi l’opinion de ses électeurs :
Peu importe qui ils soient, les Asiatiques doivent être arrêtés lorsqu’ils cherchent à entrer en nombre dans ce pays. Les autorités d’Ottawa seules peuvent mettre fin à cette immigration. Le gouvernement doit reconnaître que cette moitié occidentale du Canada ne doit pas être abandonnée aux Asiatiques. Les coolies japonais doivent être placés exactement sur le même plan que les coolies chinois. Je n’hésiterai certainement pas à forcer la main au gouvernement autant qu’il me sera possible de le faire. Si nous étions en mesure d’assimiler un grand nombre d’Asiatiques, je n’aurais pas tant d’objections à leur établissement dans le pays, mais notre population blanche est encore trop peu nombreuse pour neutraliser les Asiatiques. Le Canada doit rester un pays de Blancs[14]…
En Colombie britannique, sur une population totale de 200 000 habitants, les Japonais sont peut-être 40 000 et ils ne cessent d’arriver. Aussi, parmi les Blancs, la peur que leur pays ne devienne une « annexe de l’Asie » est telle que l’antijaponisme à Vancouver est encore plus violent qu’à San Francisco[15]. Les Chinois sont au moins aussi nombreux, et les Hindous forment un autre élément important de la population. Les Asiatiques, dans ce pays plus d’une fois et demie grand comme la France, représentent déjà un dixième de la population et leur immigration n’en est qu’à son début. On comprend que naisse la crainte que la Colombie britannique ne reste pas une terre de Blancs. La construction du Grand Trunk Pacific Railway va ouvrir le nord du pays à la colonisation ; les Japonais vont s’offrir par milliers comme travailleurs pour la construction de la section montagneuse. Et l’on craint qu’ils ne s’installent définitivement et qu’ils ne colonisent la région à l’exclusion des colons blancs.
Les Japonais en effet ne redoutent pas un climat froid, qu’ils paraissent mieux supporter que le climat tropical de Formose ou des Philippines ; leurs pêcheurs fréquentent la mer de Béring, les côtes et les rivières sibériennes et l’Alaska.
L’attitude des immigrants japonais n’est point faite pour calmer les craintes : ils ont trop laissé voir de quelle force est leur patriotisme, et de quelle nature leurs espérances :
Chaque année, à la Chambre de la Colombie britannique, des projets antijaponais sont discutés, mais la Chambre des représentants du Canada ne se livre pas à de pareilles manifestations : parce que les Japonais sont les alliés des Anglais et qu’ils sont sortis vainqueurs de la guerre contre la Russie, ils sont bien vus des Canadiens. Une entente japono-canadienne ayant été conclue, des tendances japonophiles se sont manifestées : que les Japonais utilisent ce concours de circonstances favorables pour établir, dans un pays qui n’est pas éloigné du Japon, des villages du Shin Nihon[16], du Nouveau Japon.
Pendant la guerre russo-japonaise, le long du chemin de fer Canadian Pacific, les Japonais arboraient leur drapeau national ; les Anglais ou Canadiens, selon que leur humeur du moment était surtout antirusse ou surtout loyaliste, regardaient ces manifestations d’un œil indulgent ou soupçonneux. Aux fêtes qui marquèrent la visite du prince Fushimi à Vancouver, 4 ou 5000 Japonais prirent part avec un enthousiasme nationaliste.
L’antijaponisme n’a donc pas été complètement importé de Californie en Colombie britannique : il existait à Vancouver et aux alentours depuis longtemps, et il tient aux mêmes causes profondes qu’à San Francisco. Néanmoins les manifestations antijaponaises des deux villes se ressemblent trop pour que San Francisco n’ait pas servi de modèle. On savait avant les troubles que les diverses ligues antiasiatiques de la côte se concertaient avec celle de San Francisco. C’est une semaine après le mouvement antihindou de Bellingham dans l’État américain de Washington, en septembre 1907, qu’à l’issue d’une réunion tenue à Vancouver par la ligue antijaponaise et anticoréenne, les Blancs ont attaqué les boutiques japonaises et chinoises. L’émeute fut plus violente qu’à San Francisco ; les Japonais se montrèrent plus résolus à se défendre : armés de couteaux, de revolvers, de gourdins et de bouteilles, ils chargèrent la populace aux cris de Banzai[17].
Tout de suite il apparut que le Japon voulait ne pas créer de difficultés au Canada ou à l’Angleterre. Le comte Okuma, dans le Hochi Shimbun, rendit justice aux autorités canadiennes qui, d’après lui, avaient fait tous leurs efforts pour réprimer les troubles et protéger les Japonais ; il opposa cette attitude à celle des autorités de San Francisco, « centre de corruption et d’anarchie ». Le gouverneur général, earl Grey, et le Premier, sir W. Laurier se hâtèrent de télégraphier au maire de Vancouver pour l’inviter à réprimer énergiquement les désordres : le gouvernement canadien décida de payer les indemnités réclamées par les Japonais, soit 10 000 dollars environ, que la ville de Vancouver devra lui rembourser.
Mais les difficultés restent entières : à l’unanimité, le congrès des Trade and labor unions du Canada, réuni à Winnipeg le 18 septembre 1907, a invité le gouvernement canadien à demander à l’Angleterre l’abrogation du traité qui autorise les Japonais à entrer au Canada. Le préambule de la résolution fait observer que si l’immigration des Asiatiques dans la Colombie britannique continue, la main-d’œuvre blanche sera bientôt supplantée dans les mines, les pêcheries et les chantiers de bois et que la province sera définitivement perdue pour la confédération. Il est certain que les travailleurs de Colombie britannique ne désarmeront pas : ou ils seront écoutés par le gouvernement fédéral du Canada, ou les désordres reprendront.
Sir W. Laurier a répondu que le traité dont on demande la dénonciation date de treize années ; qu’il a été ratifié à l’unanimité par le parlement canadien ; que les troubles de Vancouver ont été motivés moins par la présence des seuls Japonais que par celle des Asiatiques en général, et que, avant de prendre aucune décision, le gouvernement croit devoir s’enquérir des causes de l’affluence d’Orientaux, qui depuis quelque temps grandit.
Le 26 septembre 1907, à Toronto, devant the Canadian manufacturers association, sir Wilfried parla du besoin pressant qu’a l’ouest du Dominion de travailleurs agricoles et annonça que le gouvernement d’Ottawa ne proposerait pas au parlement impérial l’abrogation du traité avec le Japon. Par contre, le 25 septembre, à Vancouver, M. R. L. Borden, leader de l’opposition, disait qu’il était conforme au sentiment de tout Canadien, de faire passer avant tout calcul de commerce et de prospérité matérielle cette considération : « La Colombie britannique doit rester une province du Canada, dominée et gouvernée par des hommes en les veines de qui coule le sang des ancêtres anglais. »
M. Lemieux, ministre des postes du Canada, arriva vers la mi-novembre 1907 à Tôkyô pour essayer de régler cette question de l’immigration japonaise. Mais il était impossible que le problème fût définitivement réglé pour le Canada, sans qu’il le fût du même coup pour les États-Unis : les situations sont parallèles.
Le Canada était même en moins bonne situation que les États-Unis pour obtenir ce qu’il souhaitait. Lorsque, sur sa demande, il participa au traité anglo-japonais de 1894, qui primitivement ne s’appliquait ni au Dominion, ni à l’Australie, ni aux autres possessions anglaises, il accepta, sous son entière responsabilité, l’article I qui assure aux deux pays la libre entrée de leurs nationaux l’un chez l’autre, article que les Américains dans leur traité avec le Japon en 1894 eurent soin de modifier par une clause qui réservait aux deux pays le droit de réglementer l’immigration sur leurs territoires.
À moins de dénoncer ce traité et de courir les risques commerciaux et politiques d’une telle rupture, les Canadiens ne pouvaient que prier le Japon de bien vouloir arrêter lui-même l’émigration de ses nationaux vers le Dominion. En janvier 1907, M. Lemieux, rendit compte à la Chambre des communes de sa mission au Japon : il lut une lettre du comte Hayashi qui déclarait que le gouvernement japonais n’insisterait pas sur la jouissance complète des droits et privilèges accordés par le traité de 1894 aux citoyens japonais au Canada, puisque les stipulations de ce traité s’y heurtent à des conditions spéciales. Le gouvernement japonais a décidé de prendre des mesures pour restreindre l’émigration au Canada, autant que cela est compatible avec l’esprit du traité et la dignité de l’État. Au cours des négociations, des règlements très sévères, accompagnés d’instructions aux gouverneurs locaux et aux consuls japonais, ont été élaborés et loyalement mis en vigueur. La compagnie d’immigration responsable de l’afflux des immigrants en Colombie britannique a été supprimée.
Que vaut pour le Canada cette promesse japonaise ? Comme il ne peut que laisser entrer et résider librement sur son territoire les Japonais qui y abordent, le succès de la mesure dépendra de la manière dont les fonctionnaires japonais appliqueront leurs règlements[18].
Or le gouvernement de Tôkyô ne peut empêcher les 60 000 Japonais des Hawaï de passer au Canada[19], et à supposer qu’il veuille vraiment arrêter l’émigration de ses nationaux dans l’Amérique du Nord, en interrompant tout départ vers les Hawaï, y réussira-t-il[20] ?
Dans le reste des Amériques, l’émigration japonaise inquiétera un jour prochain les États-Unis ; jusqu’ici la doctrine de Monroe surveillait l’Europe à travers l’Atlantique ; elle aura quelque jour à se tourner vers le Pacifique contre le Japon.
Les États-Unis entretenaient et développaient leur flotte dans l’Atlantique pour faire front aux ambitions européennes sur l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, et le président Roosevelt présentait le développement de la marine comme une conséquence des obligations nouvelles que créait aux États-Unis la nécessité du big stick pour faire, à la place de l’Europe, la besogne de police que l’anarchie latine exige par moments. Le transfert de la flotte américaine dans le Pacifique indique un changement dans l’importance attribuée aux problèmes extérieurs : l’Extrême-Orient et la question des races d’abord ; l’Amérique du Sud et l’Europe après. En l’absence de la flotte, c’est par le bon vouloir de l’Europe que la doctrine de Monroe sur tout le front de l’Atlantique sera respectée, et l’on fait crédit de sagesse aux républiques latines : il le faut bien, car l’escadre étant dans le Pacifique, comment, en cas de troubles, pourrait-on mettre à la raison Cuba, Saint-Domingue, Haïti ou le Vénézuéla ?
Deux questions nouvelles se posent aux rêveurs de panaméricanisme :
1° Les républiques latines, dont le gouvernement et l’opinion sont hostiles aux États-Unis, ne chercheront-elles pas l’appui du Japon contre l’ingérence yankee qui ne cesse de croître dans leurs affaires ? Récemment on écrivait de Bogota à un journal de New-York, The Tribune, qu’en Colombie l’opinion, antiaméricaine depuis la révolution de Panama, souhaitait qu’une influence japonaise dans l’Amérique du Sud s’opposât à l’avance des Yankees : ce n’est pas autrement qu’à Calcutta ou à la Mecque, depuis leur victoire, les Japonais sont devenus les héros symboliques du désir d’émancipation. À Caracas, le même symbole sera sans doute accueilli par tous ceux qui ont à se plaindre du joug américain.
2° Mais quelque jour, dans cette population sudaméricaine si jalouse de la richesse et de l’influence acquises chez elle par des étrangers et qui désire que chez elle ces étrangers peinent à son profit plutôt qu’au leur, lorsque les Japonais, par leur énergie, leur patriotisme, leurs exigences et leur réussite, seront devenus aussi impopulaires qu’ils le sont présentement en Californie, l’antijaponisme, tout comme au cours du XIXe siècle la crainte de l’Europe, ne réveillera-t-il pas les sentiments de solidarité panaméricaine ?
Les Japonais commencent à peine d’émigrer dans l’Amérique centrale et méridionale : l’antijaponisme n’est pas encore de mise. Mais ils se préparent à y affluer et les républiques latines paraissent décidées à les attirer : « Nos compatriotes sont boycottés aux États-Unis : ils ne peuvent se rendre en Australie. Exception faite de la Corée et de la Mandchourie, en quels pays peuvent émigrer les Japonais ? Il est nécessaire qu’ils se portent vers l’Amérique du Sud où les richesses abondent, où les bras manquent[21]. » D’autant plus que le Japon s’est engagé à empêcher ses nationaux de partir aux États-Unis, au Canada, aux Hawaï : « Étant donné le rapport délicat qui présentement existe entre la question de l’émigration et nos affaires diplomatiques, il ne semble pas qu’il y ait de pays plus favorable à l’émigration des Japonais que l’Amérique du Sud[22]. »
C’est toujours le même besoin de prendre pied sur la côte en face, de faire valoir leurs droits sur les territoires neufs de l’hémisphère ouest, et d’y justifier leur emprise par le triomphe du plus apte, d’y chercher, avec de plus hauts salaires, les expériences nouvelles qui les instruiront en occidentalisme, d’agir en missionnaires patriotes qui gagnent des Shin Nihon au commerce et à l’influence du Daï Nihon. Les Européens se sont taillé des sphères d’influence, en Chine, en Asie orientale ; les Américains ont pris les Philippines : oubliant qu’ils ont toujours pros testé contre les appétits des Européens en Extrême-Orient et qu’ils luttent pour les en évincer, les Japonais n’ont rien de plus pressé que de rouvrir cette politique de sphères d’influence dans les deux Amériques.
Au moment où le Japon cherche à placer des émigrants, les républiques latines cherchent à s’en procurer. Moins de révolutions, une politique plus stable, l’envie chez les plus sérieuses de ces républiques, comme l’Argentine, de dépasser d’ici un siècle les États-Unis, l’émulation qui saisit le Brésil, le Chili ou le Pérou à voir l’Argentine se développer et qui de proche en proche gagne ces États latins, jaloux les uns des autres : tout contribue à éveiller présentement sur ce continent des rêves de grandeur. Les richesses naturelles y abondent ; mais les capitaux et les bras manquent pour les exploiter. Actuellement le Mexique, l’Argentine, le Brésil et le Pérou dressent le bilan de leurs ressources, prennent le monde à témoin de leur sagesse et de leur avenir pour trouver en Europe, — en France surtout, — des capitaux. Et comme la main-d’œuvre d’Europe tarde à venir vers les Eldorados du Nouveau Monde, la mode y est présentement de s’adresser à l’Extrême-Orient. Capitaux inépuisables d’Europe, travailleurs innombrables d’Extrême-Orient, que les Sud-Américains réussissent à combiner sur leurs territoires ces deux forces d’est et d’ouest, et, comme intermédiaires, qu’ils se réservent les molles besognes de contrôle : ils prélèveront sur l’argent européen et le travail jaune heureusement combinés un courtage rentable. Eux à l’entreprise commune ils apporteront ce qui coûte le moins d’effort et ce qui vaut du respect à quiconque le possède : le sol. Et ce faisant, à l’abri de l’ingérence yankee dont ils sauront ainsi se passer, d’ici cinquante années ils deviendront plus gros que les États-Unis. Tel est le plan : voyons-en l’ébauche.
Le Mexique, plus de deux fois grand comme le Japon, est riche en matières premières, en mines de houilles, en terres fertiles. Et pourtant sa population est peu nombreuse. La politique du président de la République du Mexique est d’introduire capitaux et émigrants étrangers pour développer le pays[23]… Depuis longtemps les Chinois sont venus s’y établir. Ces temps derniers, de nombreux Japonais ont songé à y émigrer. Depuis le mois de décembre 1906, la Toyo Imin Gwaisha et la Kumamoto Shokumin Gwaisha y ont envoyé 1 000 émigrants. Quoique florissante, cette émigration n’est pas suffisante. Voici de quels privilèges le gouvernement encourage les émigrants, à partir du moment où on leur permet de débarquer : pendant dix ans, exemption du service militaire ; exemption de tous les impôts, sauf ceux des villes et des villages ; exemption des droits d’importation sur les denrées alimentaires qui n’existent pas au Mexique, sur les outils agricoles, les chevaux et les bœufs employés au labour ; exemption des droits d’exportation sur les marchandises fabriquées par les émigrants ; subventions aux entreprises industrielles où agricoles ; exemption des frais pour la délivrance des certificats ; remboursement des frais de voyage ; frais d’entretien pendant cinquante jours sur le terrain choisi par l’immigrant ; matériaux de construction pour l’habitation, semences, etc. Les terres du Mexique peuvent être divisée en trois classes : 1° terres propres à la culture 562 160 kq. ; 2° forêts 14 850 kq. ; 3° terres non exploitées 4 265 500 kq[24].
La longue frontière de terre commune au Mexique et aux États-Unis est un autre attrait pour le Japonais ; déjà par cette frontière, la fraude a commencé, depuis que les Américains ont fermé leurs ports. Si les ports canadiens se ferment aussi, au Mexique, seul guichet par où se glisser désormais dans l’Amérique du Nord, l’affluence japonaise augmentera[25]. Un peu malgré lui et même si les Japonais ne lui créent aucune difficulté, le gouvernement du Mexique sera peut-être obligé, quand la fraude sera patente, de prendre à la demande des États-Unis des mesures analogues à celles que les Canadiens ont prises naguère contre le Chinois qui se servait de leur territoire pour gagner les États-Unis : un droit d’entrée de quelques centaines de dollars et la suppression de la tolérance de séjour pendant trois mois. Ainsi la question japonaise au Mexique, comme au Canada, est liée à la fortune de l’émigration japonaise aux États-Unis.
Vers l’Amérique du Sud, l’exode des Japonais commence à peine, créé par une compagnie de navigation japonaise, Toyo Kisen Kaisha, qu’aident des compagnies d’émigration, et que soutient et encourage le gouvernement du Mikado : grand mouvement d’ensemble, méthodiquement conçu en ses fins et moyens et qui, grâce à la discipline japonaise, a toutes chances de se développer et de durer.
« La Toyo Kisen Kaisha a commencé de diriger ses navires vers les ports de l’Amérique méridionale. Le dessein de cette grande compagnie est d’attirer l’attention des émigrants japonais sur ce continent qui possède lui aussi de vastes territoires, propres à être colonisés[26]. » Vu les dispositions présentes des États-Unis, « il vaut mieux, dans l’intérêt même du Japon, dire qu’il existe ailleurs de vastes terres qui attendent les émigrants et les y diriger[27] ». Sans doute, pour l’ouvrier, les États-Unis et leur civilisation industrielle conserveront leur attrait ; mais, « pour les émigrants qui ne sont pas des ouvriers, les pays de l’Amérique du Sud sont excellents. C’est un fait d’expérience que ce sont les Japonais demeurant à l’étranger, et surtout les émigrants, qui ont contribué à développer l’industrie et le commerce du Japon. L’Amérique centrale et l’Amérique méridionale n’étant pas encore entrées dans la sphère du commerce japonais, y envoyer des émigrants est chose excellente pour nous[28] ».
Mais le mouvement est à créer. On se heurte à des préventions, venant de l’ignorance :
Les personnes qui ont songé à partir pour le Chili ou la République Argentine sont très rares. Le public ignore ces pays et les gens instruits ne prennent pas la peine de l’en instruire. Lorsqu’un émigrant désire s’expatrier dans l’Amérique du Sud et qu’il demande un passeport, on le lui délivre sur-le-champ. Les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères ne s’y opposent pas, mais, comme ils ne sont pas au courant de la situation dans l’Amérique du Sud, ils ne savent que répondre ni que faire quand on leur demande des renseignements. Que le ministère des Affaires étrangères envoie des personnes enquêter sur ces pays, cela coûtera cher, mais puisque d’une telle initiative résulteront des relations meilleures entre le Japon et ces États américains, reculer devant une dépense d’argent serait regrettable[29]… En outre, il faudrait établir des consulats ou légations dans ces diverses républiques. Au Chili et en Argentine les Japonais n’en ont pas : survient une affaire, le gouvernement est obligé de s’adresser à des diplomates étrangers. En Argentine, c’était le ministre du Brésil qui défendait les intérêts japonais… Que ces intérêts n’aient pas été protégés avec toute la sollicitude qu’ils méritent, peut-on en douter[30] ?…
Pour décider les émigrants à partir il ne suffit pas d’éclairer leur ignorance, il faut rapprocher les distances :
Jusqu’aujourd’hui, de Hong-Kong, plusieurs fois l’an, des voiliers partaient pour Callao. Les Chinois avaient organisé un service de paquebots, mais, après un ou deux essais, ils abandonnèrent leur entreprise. Aussi les personnes, qui d’Extrême-Orient désiraient se rendre dans l’Amérique du Sud, avaient à gagner d’abord les États-Unis, puis de là à se diriger, non sans détours, vers le sud : on mettait quarante-six ou quarante-sept jours de Yokohama à Callao. Avec le nouveau service de la Toyo Kisen Kaisha, ce sera une affaire de trente-six ou trente-sept jours[31]… Le gouvernement impérial s’est rendu compte que cette ligne est nécessaire au développement de l’émigration et du commerce japonais. Il paraît qu’il est décidé à la subventionner. Bientôt l’Amérique du Sud sera un champ favorable à l’émigration japonaise, quand les moyens de communication seront devenus aussi bons qu’ils le sont entre le Japon et l’Amérique du Nord[32]… C’est pour développer l’influence japonaise que notre compagnie s’est décidée à organiser un service direct avec l’Amérique du Sud. Les navires qui prennent la mer, ce sont, pour user d’une comparaison militaire, les éclaireurs en avant-garde de l’armée. Les éclaireurs sont souvent tués ou faits prisonniers… Mais lorsque la guerre est commencée, les citoyens s’empressent, par des versements volontaires, d’entretenir le fonds de guerre ; de même nos compatriotes doivent nous aider en nous fournissant beaucoup d’émigrants et en développant les échanges[33]… Le commerce du Japon avec l’Amérique du Sud n’existe pas encore. Quatre voyages ont déjà été entrepris par les navires de notre compagnie, mais chaque fois, à peine étaient-ils chargés de 150 ou 200 tonnes de marchandises et, comme passagers ordinaires, d’un ou deux Japonais. Organiser ce service, c’était peut-être trop se hâter. Toutefois, si, sous prétexte que le commerce n’est pas satisfaisant, on le néglige, d’autres s’en empareront ; aussi notre compagnie a-t-elle devancé toutes les autres… Lorsque l’on commença de lancer ce service, la question avait été agitée si nous ne devions pas prendre nous-mêmes l’initiative d’établir le commerce. On y renonça, car la Toyo Kisen Kaisha eût fait concurrence aux négociants japonais. Mais s’ils hésitent encore, la compagnie s’y décidera… Que nos négociants fassent des sacrifices, qu’ils visitent l’Amérique du Sud et se rendent compte de ce que nous avançons : l’Amérique méridionale est une terre d’avenir pour notre commerce[34].
La prospérité de cette ligne japonaise entre l’Extrême-Orient et l’Amérique du Sud ne sera pas seu lement alimentée par le commerce et les émigrants japonais :
Le nombre des Chinois qui, au Pérou, exploitent les mines ou cultivent la canne à sucre dépasse 60 000. À Lima, les Chinois sont employés dans de grands magasins d’épices. Les marchandises leur sont expédiées deux ou trois fois l’an par les commerçants de Hong-Kong qui nolisent alors un navire d’environ 3 000 tonnes. C’est maintenant la Toyo Kisen Kaisha qui transporte ce fret de Hong-Kong. Les marchands chinois trouvent un gros avantage à l’établissement de cette ligne vers l’Amérique méridionale[35].
Ainsi l’établissement d’un courant d’émigration et de commerce japonais vers l’Amérique du Sud se présente comme une entreprise nationale : une compagnie de navigation et des compagnies d’émigration en ayant pris l’initiative sont encouragées et subventionnées par le gouvernement du Mikado qui, pour renseigner, protéger, encadrer sujets et marchandises du Japon, doit avoir là-bas des consulats et des légations. Pour cette croisade, on mobilise la nation ; elle doit répondre à l’appel, verser ses capitaux au fonds de guerre ; que toutes les forces vives donnent, ouvriers, agriculteurs, commerçants, qu’ils s’emploient à promouvoir outre-mer l’influence du Japon.
Et soigneusement l’on prépare cette œuvre d’opticisme, d’audace, de discipline ; il faut convaincre les masses, trouver le fret en hommes et en marchandises qui alimentera la ligne. Les richesses de l’Amérique du Sud sont complémentaires de celles du Japon : là-bas d’immenses territoires, encore inexploités quoique très riches, faute de bras ; au Japon toutes les terres occupées, tant il y a de bras. Pour le plus grand avantage réciproque des deux pays, qu’ils échangent leurs richesses. C’est non pas en restant au Japon que le peuple a chance d’atteindre un jour les fortunes fabuleuses des magnats de l’hémisphère ouest, mais en envoyant là-bas les masses d’hommes disponibles. Et ce capital en hommes, sa vraie richesse, le Japon ne le place pas, comme les nations européennes, à fonds perdus : il garde sur lui la haute main, il en touche soigneusement les revenus — revenus centuples de ce qu’il rapporterait au Japon, — et, le moment venu, sait l’y faire rentrer.
Dans l’Amérique du Sud, faute de Blancs, les Jaunes sont les bienvenus. Sans doute, « le gouvernement péruvien accueille favorablement les ouvriers blancs et n’aime pas trop les travailleurs jaunes. Mais les affaires de ce pays ne sont pas assez développées pour qu’on y fasse appel à la main-d’œuvre blanche ; aussi sera-t-il obligé de recourir aux émigrants d’Extrême-Orient. Si donc le ministre des Affaires étrangères et les compagnies d’émigration faisaient tous leurs efforts, ce pays pourrait devenir un second Hawaï[36] ».
En ces terres de l’Amérique du Sud sur le Pacifique, reliées maintenant par un service direct avec le Japon et la Chine, il est clair que la main-d’œuvre extrême-orientale peut venir plus aisément, à moins de frais que la main-d’œuvre d’Europe. Distance et facilités de communications mises à part, il faut qu’un pays soit déjà très prospère, très industrialisé pour attirer des émigrants blancs, main-d’œuvre aristocratique qui, en pays tropicaux ou semi-tropicaux, ne peut se plaire ni au gros œuvre de la terre, ni au contact des races qu’elle traite en inférieures. C’est l’énergie neuve et peu gâtée des Jaunes qui convient à ces terres vierges : « Au Pérou sauf les Nègres, les Chinois et les Japonais, aucun immigrant n’a réussi… Présentement, pour avoir des immigrants, il doit recourir à l’Extrême-Orient, car aucun moyen direct de communication n’existe avec d’autres terres à émigrants. Les Péruviens n’aiment pas les Chinois : ils sont donc obligés de recourir à des travailleurs japonais[37]. »
À l’exemple des États-Unis, les Péruviens en viendront-ils à fermer leur pays aux Japonais ? Cela n’est pas à redouter : « Au Pérou, comme dans la plupart des pays de l’Amérique du Sud, les gouvernements sont faibles, ils ne pourront donc jamais refuser, avec une grande énergie, d’accepter des immigrants japonais[38]… Les habitants n’ayant pas grande activité, ces lieux sont particulièrement propices aux Japonais pour y travailler[39]. » Donc point de craintes à avoir et le moment est venu d’y émigrer :
Pendant longtemps ces pays ont été ébranlés par des guerres civiles qui en retardèrent le développement, mais le calme s’est rétabli. Pour avoir des travailleurs, ces pays accordent le passage gratuit sur les chemins de fer et les bateaux et louent gratuitement des terres[40]… Ils désirent surtout des émigrants qui viennent avec l’idée de rester longtemps ; il ne faut donc pas que les émigrants se sauvent au Japon après avoir réalisé une certaine fortune, mais qu’ils demeurent dans ces pays, afin d’y créer un Shin Nihon[41]… Au Pérou, selon la constitution, les Japonais auront le droit d’acheter des terres, des champs, des maisons, d’exploiter des propriétés et des mines. Les enfants pourront s’instruire gratuitement dans les écoles publiques et à leur majorité rester Japonais. Aux personnes résidant plus de deux ans, le droit de naturalisation sera accordé[42].
Ces pays sont riches mais déserts ; le gouvernement est faible ; il n’y a pas d’opinion publique fortement organisée : l’installation méthodique des Japonais et l’organisation d’un Shin Nihon n’a donc pas à craindre de protestations semblables à l’antijaponisme de Californie, ni de mesures antijaponaises. Et l’on rassure les émigrants sur le climat, qui, « dans ces régions, est fort agréable : la température y est chaude et non rigoureuse comme en Mandchourie[43]… Les Émigrants, qui souvent ignorent les principes de l’hygiène, sont parfois les victimes du béri-béri, de la dysenterie, des fièvres. Mais ceux qui feront attention n’auront rien à redouter… Somme toute, on peut dire que le climat du Pérou ressemble à celui du Japon et qu’il n’est pas hostile aux Japonais[44]… »
Enfin, comme derniers conseils généraux : « On parle espagnol dans l’Amérique du Sud et c’est là un inconvénient pour les Japonais. Il faut attribuer à leur ignorance de la langue les difficultés qui se sont élevées naguère entre nos émigrants et les Péruviens. En admettant que ce soit chose difficile pour les travailleurs d’apprendre l’espagnol, il faudrait au moins que les inspecteurs le sussent un peu[45]. »
Aux commerçants, on recommande de bien faire attention que les droits de douane dans l’Amérique du Sud sont fort élevés : « Les marchandises sont taxées d’après leur prix de revient. Il faut bien distinguer le poids de la boîte et le poids des marchandises. De plus, sur certaines marchandises, on prélève des droits d’après la longueur évaluée en centimètres : aussi doit-on l’indiquer en espagnol sur les caisses… Il convient d’envoyer quelqu’un de sûr en Amérique du Sud et qui sache l’espagnol. Il convient d’emballer les marchandises de telle sorte que l’humidité ne les dégrade pas. Dans les lettres, les prospectus, les listes de prix, employer, l’espagnol. Adopter, comme les Français, les Anglais, les Allemands, la méthode des paiements à longues échéances ; fabriquer des marchandises qui puissent convenir aux habitants de ces pays[46]. »
C’est au Pérou que sont allés les premiers émigrants :
Pérou est l’une des plus riches de toutes les terres voisines du Pacifique. La première fois que des émigrants japonais sont partis en Amérique du Sud, ce fut dans la trente-deuxième année de Meiji (1899). Le 28 février, 800 émigrants quittèrent Kobé et le 3 avril ils arrivèrent à Callao. La deuxième fois, plus de 1 100 Japonais quittèrent Kobé, en juin de la trente-sixième année (1903). Ils furent employés dans des plantations de sucre, pas loin de la mer. Par jour le salaire était de 1 sol. Le coût de la vie par mois s’élevait à 7 ou 10 sols, aussi pouvaient-ils mettre de côté chaque mois 15 ou 18 yen… Le 16 octobre 1906 (trente-neuvième année du Meiji), la compagnie d’émigration de la ville de Morioka a fait partir 800 émigrants qui s’embarquèrent à Yokohama : ce fut la troisième fournée. En janvier 1907, 200 autres émigrants prirent passage à bord du Kasado Maru de la Toyo Kisen Kaisha. Parle même paquebot, la compagnie Meiji Shokumin envoya 270 ou 280 émigrants, munis de contrats pour cultiver le caoutchouc[47].
Le Pérou, avec son désir de grands travaux et de rapide développement, est un bon champ d’entreprises :
Comme les bras y manquent encore plus que dans les autres républiques, les salaires sont plus élevés. Les travailleurs agricoles peuvent gagner par jour de 70 sous à 1 sol 20 sous. C’est de cette catégorie d’ouvriers qu’on a surtout besoin. Les mécaniciens, forgerons, ouvriers d’art, peuvent gagner facilement de 2 à 4 sols par jour. Sur le littoral, on récolte le sucre, le coton, le riz, le tabac, le café, le blé, le maïs, les olives, des fruits, des légumes, etc. Les produits principaux sont le café, le sucre, le coton. À l’intérieur du pays, on trouve des bois de construction, des herbes médicinales, des herbes pour la parfumerie, des fibres d’arbres, du caoutchouc, mais le sucre est la principale ressource du littoral. Sa culture plus de 200 000 acres de terrain, pour moitié seulement bien soignés. En 1903, on a exporté 125 662 tonnes de sucre. La culture du café a été entreprise par la Peruvian Corporation. Le gouvernement lui a concédé 2 750 000 acres. Toutefois, faute de travailleurs et de communications, la moitié de cette terre n’est pas cultivée. L’industrie du chanvre jaune, de l’agave se développe. Avec les fibres on tissera des étoffes, des sacs, cordes, filets, nattes. De la canne à sucre dérivera le raffinage et la distillerie. Outre les cotonnades, on peut encore fabriquer là-bas du papier, du panama, des chaussures, des bougies, du tabac, des allumettes, des savons, des selles de cavalier, des huiles, des engrais… Les marchandises japonaises et chinoises sont vendues à Lima par de nombreux Chinois. Ils gagnent gros à ce commerce. Ces marchandises sont très appréciées par les Péruviens et seront bien vite à la mode. Les Japonais qui ont des magasins à Lima sont MM. Tachibana, Tani, Morimura et Kawamura[48]… Les objets japonais n’étant pas coûteux se vendront à merveille dans l’Amérique du Sud. Nous y écoulons actuellement des porcelaines, des laques, des bambous, des crêpes de coton, des mouchoirs de soie, des nattes, des stores. Si les articles japonais ne jouissent pas encore d’une grande vogue, c’est que nous n’envoyons pas jusqu’à présent les objets de premier choix. Exportons des marchandises solides et bon marché : elles se vendront certainement[49].
Cette arrivée des Japonais et de la camelote japonaise à Callao rappelle les échanges du début du XVIIe siècle : Callao et Acapulco au Mexique furent les premiers ports de l’hémisphère ouest avec qui les Espagnols de Manille, puis les Japonais commercèrent. Les marchandises qu’ils envoyaient alors sont les mêmes qu’aujourd’hui, « des épices, des drogues, des porcelaines chinoises ou japonaises, des calicots, des soies ». Les Japonais espèrent que leurs produits auront sur la concurrence européenne, le même avantage qu’autrefois ils eurent sur la concurrence espagnole :
Les articles de l’Extrême-Orient sont non seulement mieux accommodés au climat chaud, et plus plaisants que ceux de l’Europe, mais ils peuvent être vendus à plus bas prix ; et les profits qu’on en tire sont, si considérables qu’ils enrichissent ceux qui les apportent de Manille et ceux qui les vendent en Nouvelle Espagne… Quand la flotte arrive d’Europe à Vera-Cruz, elle trouve souvent les besoins du peuple déjà pourvus par des articles meilleur marché et préférables[50].
L’exode des Japonais vers Callao depuis 1899 n’est donc que la reprise d’un mouvement esquissé il y a près de trois siècles. Ils reviennent en nombre au Mexique et au Pérou comme jadis. Et ils y viennent, maintenant que leur pays s’est haussé au rang de grande puissance, avec des ambitions d’influence : « D’après ce que j’ai appris des ministres et des capitalistes du Pérou, si les émigrants japonais s’établissent à perpétuité dans le pays, ils seront les bienvenus… Mais s’ils y viennent en grand nombre et que, pour des riens, ils provoquent des désordres, on ne peut pas dire que l’antijaponisme ne s’y développera pas. C’est un point à surveiller. Il ne faut donc pas que ces émigrants se sauvent au Japon aussitôt fortune faite ; il faut qu’ils demeurent au Pérou afin d’y créer un Shin Nihon[51] ».
Il est à penser que ces Japonais du Pérou, même naturalisés, même fixés dans le pays depuis longtemps ne rompront jamais les liens qui les rattachent à leur terre japonaise, à leur Mikado : telle est bien la pensée du journal, qui leur enseigne déjà comment envoyer au Japon leurs économies : « Il faut s’adresser à la Compagnie W. R. Grace, de Lima, qui transmet l’argent à son agence de San Francisco. Là, il est remis à l’agence de la Yokohama Specie Bank qui l’expédie au Japon[52]. »
« Au Chili, — disait, le 43 mars 1907, M. Shiraishi Motojiro[53], administrateur de la Toyo Kisen Kaiska, après un voyage dans l’Amérique du Sud, — il n’existe pas un seul émigrant japonais ; les Chiliens ignorent si nos émigrants sont bons ou mauvais. Voici ce que m’ont dit les ministres : « Nous désirons vivement des émigrants, mais s’ils étaient d’humeur aussi vive que le sont, dit-on, vos Japonais, des désagréments et
RE des troubles seraient à craindre. Si ce n’est pas le cas,
nous accueillerons avec plaisir vos compatriotes. »
En ville et à la campagne les travailleurs manquent ; les salaires sont très hauts et les salariés d’humeur très indépendante. La main-d’œuvre est si rare que quiconque veut travailler fixe son prix. « Des ouvriers ordinaires sont payés 8 ou 10 pesos par jour, soit 2,40 ou 3 dollars. Le salaire courant est 5 ou 6 pesos, et les ouvriers qualifiés sont payés en proportion. Même à ces prix il est impossible d’avoir assez d’hommes[54] ».
Pendant deux ou trois années au moins, la reconstruction de Valparaiso exigerait 40 000 hommes : on ne sait où les trouver. Pour nourrir les travailleurs des villes et des mines à des prix raisonnables, il faudrait une classe agricole beaucoup plus nombreuse. Où prendre ces émigrants ? Dans l’Argentine voisine ? Mais l’Argentine manque aussi de bras. En Europe ? L’Europe est trop éloignée, et les Européens qui viennent au Chili sont plutôt commerçants, ingénieurs, mineurs qu’agriculteurs et ouvriers. Reste à l’Extrême-Orient. Au début de 1907, un homme d’affaires chilien était au Japon pour placer des nitrates, développer les relations commerciales entre les deux pays et, comme représentant du gouvernement de Santiago, encourager l’émigration japonaise vers le Chili. Le gouvernement offre 40 acres de bonne terre à chaque colon, 20 acres de plus pour chaque fils de dix-huit ans et au-dessus, une paire de bœufs, un jeu d’instruments aratoires et 15 dollars comptant par mois la première année : « Cela doit suffire pour engager le fermier japonais à quitter sa petite ferme de moins d’un acre et à venir au Chili ; au surplus le monopole de la pêche dans un pays de 3 000 milles de côtes très poissonneuses et qui n’a pas de pêcheurs est un attrait pour un peuple de pêcheurs comme les Japonais[55]. »
Un traité de commerce fut projeté entre le Japon et le Chili dès 1897 tandis que M. Hoshi était ministre du Japon à Washington. Mais la ratification en fut différée à cause de la situation politique du Chili et n’eut lieu qu’en juin 1906 ; les signatures furent échangées en septembre 1906 à Washington. L’article III, le plus intéressant, garantit aux sujets et citoyens des deux pays la liberté de naviguer, de débarquer avec marchandises, de résider, de louer des maisons, de commercer, bref tous les privilèges et immunités qui ont déjà été accordés ou pourront être accordés par l’un et l’autre peuple à l’Europe ou aux États-Unis. Importations et exportations des deux pays ne seront pas soumises à des droits plus élevés que les marchandises d’Europe et des États-Unis. Un article additionnel réserve à chaque peuple le privilège de la nation la plus favorisée, mais une réserve est faite : « Sont exceptés de la stipulation qui précède, toutes les faveurs, privilèges ou immunités concernant le commerce ou la navigation que le Japon a déjà accordés ou peut accorder à toute nation asiatique indépendante, aussi bien que les faveurs, privilèges et immunités que le Chili a déjà accordés ou peut accorder aux Républiques de l’Amérique latine ».
L’opinion au Japon s’est félicitée de la conclusion de ce traité[56]. À plus d’un titre il est significatif. Ébauché en 1897, au lendemain de la victoire du Japon sur la Chine, il est repris dix ans plus tard, après la victoire du Japon sur la Russie. Signé à Washington — lieu de rencontre des Américains du Sud et des Japonais, en l’absence d’une représentation diplomatique du Japon dans tous les États de l’Amérique du Sud, — il est le type des traités que le Japon veut conclure avec les autres républiques latines ; il souligne la volonté du Japon de développer son commerce avec le Chili et d’y envoyer ses émigrants et plus généralement son désir de concurrencer les Européens et les Yankees dans l’Amérique du Sud. Enfin il reconnaît la situation spéciale du Japon parmi les nations indépendantes de l’Asie et la situation spéciale du Chili parmi les républiques de l’Amérique latine.
La Toyo Kisen Kaisha a résolu de prolonger sa ligne de Callao jusqu’au Chili pour y transporter des travailleurs et en rapporter du nitrate de soude. Une dépêche de Santiago du 1er septembre[57] annonçait que le vapeur japonais Kasado Maru avait débarqué à Iquique 130 immigrants, dont 50 Chinois et 80 Japonais :
L’aspect de ces Japonais est très satisfaisant ; ils sont tous bien habillés et n’ont pas l’air d’ouvriers. Ils sont descendus au meilleur hôtel de la ville. C’est donc la première entrée d’immigrants japonais au Chili ; mais on annonce que d’autres viendront plus nombreux, par les prochains voyages du vapeur. Ce mouvement d’émigration est favorisé par le Mikado lui-même. Les matelots sont tous japonais et les officiers parlent couramment l’espagnol ; le Mikado avait imposé cette dernière condition à la Compagnie maritime[58].
Au Brésil, avant la guerre contre la Russie, le Japon était déjà représenté par un chargé d’affaires, qui, en l’absence de citoyens ou de sujets japonais à protéger, avait pour mission d’étudier les provinces du sud du Brésil, en vue d’y diriger une émigration japonaise. Il avait déjà visité la province de São Paulo quand la guerre éclata. Temporairement abandonnée, l’idée vient d’être reprise.
Depuis l’enquête qu’il a entreprise en 1902 sur ses nationaux de la province de São Paulo, le gouvernement italien empêche de nouveaux départs de ses émigrants aux frais de cette province. Quelle main d’œuvre suppléera ces Italiens, au service du tyran du Brésil, King Coffee ? En hâte, il faut aviser. Des Européens ? Mais de tous les Européens, en pays semi-tropicaux, les Italiens sont les plus résistants et les moins fiers des travailleurs, et voilà qu’ils ne viennent plus. Les Chinois ? Mais depuis vingt ou trente années qu’ils sont au Brésil, ils n’y ont pas réussi comme travailleurs. Ce sont des fainéants, disent certains Brésiliens ; ce sont des commerçants, affirment les autres : fainéants ou commerçants, c’est tout comme, pour des Brésiliens désireux surtout de trouver des étrangers qui se donnent la peine de gratter leur sol. Et l’on pense alors aux Japonais : population travailleuse, de besoins modiques, c’est ce qu’il faut aux planteurs intéressés dans le café de
São Paulo ou le caoutchouc de l’Amazone. « Avec le capital français et la main-d’œuvre japonaise, le Brésil ferait merveille », me disait récemment un sénateur brésilien.
Après les négociations menées par le secrétaire Niura, chargé d’affaires du Japon au Brésil, un traité de commerce a été signé entre le Japon et le Brésil, analogue au traité signé avec le Chili, et il a été décidé que la ligne de la Toyo Kisen Kaisha, prolongée de Callao, par Valparaiso et Buenos-Ayres, jusqu’au Brésil, amènerait des coolies japonais[59].
L’arrivée de ces émigrants déterminera d’importants changements dans l’économie et le commerce du Brésil. L’un d’eux sera sans doute la culture du riz sur de vastes territoires encore déserts. Il n’y a pas de raison pour que le Brésil ne devienne pas un des plus grands pays producteurs de riz dans le monde. Le développement d’un commerce direct entre le Japon et le Brésil accroîtra l’usage du café en Extrême-Orient et la vente au Brésil de nouveautés japonaises à bon marché, meubles, jouets, bibelots. L’examen des marchandises dans les boutiques, qui vendent des articles chinois et japonais, prouve que, ou bien le Japon ou la Chine sont en train d’exporter des articles plus légers et meilleur marché que leurs articles ordinaires, ou que des concurrents européens flattent le goût des Brésiliens pour les nouveautés en leur envoyant des imitations d’articles japonais à très bas prix : poupées, masques, boîtes de laque[60], etc.
Des rizières au Brésil ; les Japonais, humanité du, thé, au service de King Coffee ; l’usage du café se géné : ralisant peut-être chez les Extrême-Orientaux, quels changements dans l’économie du monde ces migrations de Japonais ne détermineront-elles pas un jour !
La question ouvrière dans l’État brésilien de São Paulo présente de curieuses analogies avec le problème de la main-d’œuvre aux îles Hawaï. Ici le sucre, là le café, deux cultures maîtresses du sol, qui ne tolèrent de rivale qu’autant qu’elle est strictement indispensable à la subsistance de leurs serfs ; un régime de grandes propriétés, de vastes plantations possédées par de riches indigènes, Hawaïens et Paulistes, aristocrates jaloux de leur terre, et qui empêchent que ne se forme dans leurs deux pays une classe de petits propriétaires, attachée au sol et disposée à se naturaliser. Mêmes épisodes dans l’histoire de la formation artificielle d’une main-d’œuvre : aussitôt après la suppression du travail servile, aux Hawaï les indigènes, à São Paulo les Nègres se détournent de l’agriculture, courent aux villes, et s’éteignent petit à petit ; les planteurs et l’État des deux pays subventionnent une immigration d’étrangers, et un peuple réussit à dominer le marché du travail : aux Hawaï, les Japonais, à São Paulo, les Italiens. Mêmes qualités et mêmes défauts chez ces prolétaires ruraux : d’une part, les Italiens et les Japonais sont des agriculteurs habiles, soigneux, durs au travail, disposés à accepter la situation d’ouvriers salariés, assez peu désireux de se fixer dans le pays, d’y acquérir de la terre et d’y vivre en petits propriétaires indépendants ; ils ont le goût de la vie en communautés, l’habitude du travail en famille ou en association, chaque groupe se chargeant de l’entretien de milliers de cannes à sucre ou de pieds de café, acceptant par contrat d’être rétribué selon l’étendue de la plantation à cultiver et selon le rendement de la récolte. D’autre part, les Italiens de São Paulo et les Japonais des Hawaï ont le même défaut d’instabilité, de nomadisme, — défaut qui tient à leur qualité de salariés non fixés au sol — ; ils se déplacent de plantation à plantation, jusqu’au moment où ils peuvent réaliser leur rêve qui est d’envoyer de l’argent au pays et mieux encore, les économies amassées, d’y retourner eux-mêmes. Par moments les planteurs paulistes s’inquiètent, — comme les Hawaïens au sujet des Japonais, — de voir ces milliers d’Italiens excursionnistes se dérober à l’assimilation.
La seule différence entre les problèmes de main d’œuvre aux Hawaï et à Sao Paulo tenait jusqu’ici à la différence des races : les Italiens sont plus proches des Brésiliens que les Japonais ne le sont des Blancs des Hawaï ; mais voici que cette différence va disparaître : les Italiens partent nombreux de Santos et n’y arrivent plus ; on parle de les remplacer par des Japonais… Les difficultés sociales et politiques que la main-d’œuvre japonaise au service de King Sugar a créées aux Américains des Hawaï, une fois au service de King Coffee, elle les créera aux Brésiliens de São Paulo[61].
Les journaux japonais parlent aussi de l’Argentine comme d’une bonne terre où émigrer : pays immense, peu peuplé ; sans doute, comme le Brésil, il a le désavantage d’être plus proche de l’Europe que du Japon ; il n’est pas sur la côte en face ; mais il est compris dans les escales de la ligne Japon-Brésil ; dans dix ans l’ouverture du canal de Panama rapprochera Brésil et Argentine des ports japonais, et en Argentine, déclare un journal de Tôkyô, le climat, les mœurs-du pays et le régime gouvernemental ne sont pas pour nous inquiéter[62].
Ils se leurrent, ces Sud-Américains, s’ils croient que leur élégant projet de faire travailler sous leurs yeux, pour leur plus grand avantage personnel, les capitaux européens et les bras asiatiques ne leur réserve, quoi qu’ils fassent, que des profits. En vain déjà ont-ils essayé de s’assurer l’impunité du côté des capitalistes d’Europe en faisant condamner l’emploi de la force et en imposant l’arbitrage obligatoire pour le recouvrement des dettes ; l’Europe ne paraît pas disposée à risquer là-bas ses capitaux et à s’interdire en même temps le moyen le plus sûr de les recouvrer. De même, que les Latins d’Amérique s’avisent de mésuser du capital en hommes que le Japon va leur envoyer, le gouvernement japonais interviendra et il n’hésitera pas à profiter de leur faiblesse pour leur forcer la main. La débilité de ces gouvernements sud-américains, la mollesse de ces populations hybrides, les journaux japonais les ont déjà signalées comme des garanties de réussite pour le mouvement d’émigration et de colonisation qu’ils prônent. Que pourra bien faire un de ces États contre une mise en demeure du Japon, à la suite de mesures ou de mouvements antijaponais analogues à ceux de San Francisco ou de Vancouver ? Ce que le Japon n’a pas toléré d’un pays de 85 millions d’habitants, il le tolérera encore moins du Pérou ou du Chili.
Si donc telle est la volonté du Japon, personne ne peut empêcher que ne se pose dans l’Amérique du Sud la question de sphère d’influence, de Shin Nihon, à quoi paraît devoir aboutir en tout pays l’immigration japonaise. Personne, sauf les Américains du Nord ; car, supposons que les Japonais réussissent un jour à former un Shin Nihon au Pérou : les États-Unis se sentiront presque aussi menacés et lésés que si les Japonais y avaient réussi en Californie. Plus simplement, qu’un conflit entre le Japon et quelque république sud-américaine menace de se terminer par une occupation même temporaire d’une portion de territoire américain par le Japon : l’opinion aux État-Unis, lors du différend anglo-vénézuélien sous le président Cleveland, ou plus récemment lors du blocus du Vénézuéla par l’Angleterre et l’Allemagne, les craintes que lui a toujours inspirées le Deutschtum au Brésil ne permettent point de douter que les Américains interdiront aux Japonais ce qu’ils ont toujours interdit aux Européens.
En vain fera-t-on remarquer que le cas n’est pas exactement le même : s’adressant à l’Europe, les États-Unis justifient la doctrine de Monroe par leur non-intervention en ses affaires ; à l’égard du Japon comme de la Chine, il n’y a plus la même réciprocité, car, posséder les Philippines au-devant de la côte chinoise et près de Formose, c’est un peu comme si les Américains avaient acquis de l’Espagne les Canaries. Dès lors le Japon, au contraire des Puissances européennes, n’est-il pas libéré d’une stricte observation de la doctrine de Monroe et n’a-t-il pas le droit d’installer de Nouveaux Japons en des coins de l’hémisphère ouest ?
La conclusion est logique, mais les Américains ne s’embarrassent pas de logique. Ils tiennent ferme à la doctrine de Monroe, à l’intangibilité de l’hémisphère ouest : ils ne permettront jamais au Japon de prendre ce qu’ils refusent à l’Allemagne. Leur occupation des Philippines date de dix années. Le Japon l’a acceptée alors, et il doit reconnaître ce fait accompli, tout comme les États-Unis tolèrent la possession de la Jamaïque par l’Angleterre, de la Martinique par la France.
L’émigration des Japonais vers l’hémisphère ouest prépare aux Américains d’autres conflits. À 500 milles des Kouriles japonaises, les Aléoutiennes américaines peuvent fournir la base navale la plus rapprochée à la fois du Japon et des États-Unis. Elles sont voisines de l’Alaska dont le président Roosevelt faisait dans son message du 3 décembre 1906 cette description attrayante pour des voisins en quête de terres et de richesses comme le sont les Japonais : « Depuis que nous l’avons acquis, ce pays a fourni au gouvernement américain un revenu de 11 millions de dollars et a produit près de 300 millions de dollars en or, fourrures et poissons. Bien mis en valeur, ce sera une terre de colonisation. »
Au-devant de l’Alaska et des Aléoutiennes, tantôt à terre sur les îles américaines, Pribilof ou Saint-Paul, tantôt vaguant en quête de nourriture par la mer de Béring, à l’aller et au retour de leur annuel pèlerinage vers le sud, les troupeaux de phoques forment la plus tentante des proies. Et les pêcheurs japonais, depuis quelques années, prennent en maraude leur part aux massacres barbares que le président Roosevelt a décrits :
La destruction des phoques à fourrure des îles Pribilof, tandis qu’ils sont à la mer, continue. Le troupeau, qui, selon les évaluations officielles faites en 1874, comptait 4 700 000 bêtes et qui en 1891 se montait à 1 000 000, a maintenant été réduit à 180 000… La destruction a été accélérée ces dernières années par des vaisseaux japonais. Comme ils ne sont pas même liés par les insuffisantes restrictions prescrites par le Tribunal de Paris, ils ne font pas attention à la saison de pêche ou à la limite interdite de 60 milles autour des îles Pribilof, et accomplissent leur besogne jusque sur les îles mêmes. Les 16 et 17 juillet 1906, les équipages de plusieurs bateaux japonais firent des incursions sur l’île Saint-Paul, et avant d’être repoussés, par nos gardes trop peu nombreux et trop peu armés, ils tuèrent plusieurs centaines de phoques et emportèrent les peaux. Presque tous les phoques tués étaient des femelles et cela fut accompli avec une effroyable barbarie. Beaucoup des phoques ont été dépiautés vifs ; on en trouva beaucoup à moitié écorchés et encore vivants. Les razzieurs n’ont été repoussés qu’à coups de feu : 5 furent tués, 2 blessés, 12 prisonniers y compris les 2 blessés. Ceux qui ont été pris ont été jugés et condamnés à la prison… Des représentations sur cet incident ont été faites au gouvernement du Japon et nous sommes assurés que toutes les mesures possibles seront prises pour empêcher tout retour de cet outrage.
En 1907, à plusieurs reprises, de tels incidents se sont reproduits.
À une extrémité opposée du Pacifique, les Philippines sont d’un grand intérêt stratégique pour le Japon, non seulement à cause de leur proximité de Formose et de la côte méridionale de la Chine, mais aussi parce qu’elles commandent le Pacifique oriental, sur la route que suivent les paquebots qui, partant de Kobé, vont par Shanghaï et Hong-Kong dans l’Insulinde et en Australie[63].
L’établissement de colonies japonaises autour de l’Amérique du Sud et d’une ligne régulière de navigation entre Yokohama-Kobé et Callao-Valparaiso-Cap Horn obligera le Japon, pour la protection de ses sujets et de son commerce d’outre-mer, à chercher au milieu du Pacifique des points de relâche et des stations de charbon. Aux Hawaï, la lutte est déjà engagée. Les îles de la Polynésie ont acquis une importance stratégique depuis que l’Australie et la Nouvelle-Zélande se sont développées et que les États-Unis ont commencé leur mouvement d’expansion : autour des Samoa, placées sur la ligne transpacifique Vancouver-San Francisco-Hawaï-Nouvelle-Zélande-Australie, les ambitions anglaises, américaines, allemandes se sont heurtées et ajustées à grand’peine. À Tahiti, terre française qu’unit à San Francisco une ligne américaine, l’Oceanic Ss. Co., les États-Unis ne cessent de fortifier leur influence économique. Pour le Japon aussi, en quête de territoires peu peuplés à coloniser, ces îles de la Polynésie, où la race indigène est en régression, depuis qu’elle est entrée en contact avec les Blancs, vont prendre une grande valeur. Il est certain que, dès maintenant, les Japonais s’occupent des problèmes de navigation transpacifique et des changements qu’y apportera l’ouverture du canal de Panama : ils portent un intérêt très vif à Tahiti[64].
Au total, sur toutes les terres insulaires du Pacifique que coupent ou que côtoient les deux lignes obliques de navigation, — américaine, du nord-est au sud-ouest, japonaise du nord-ouest au sud-est, — partout où ces deux lignes se croiseront, aux Hawaï comme dans les îles polynésiennes, l’impérieux besoin où les Japonais et les Américains sont de trouver des reposoirs à leur essor transpacifique attisera leur rivalité.
- ↑ America, vol. X, n° 3. Pour bâtir les villages du Shin Nihon (Nouveau Japon), le Canada est une terre d’espérance, par Mizutani Buyemon, licencié ès agriculture du Canada.
- ↑ Le chiffre s’en est beaucoup élevé en 1907.
- ↑ Un chobu vaut un peu moins d’un hectare.
- ↑ Sur tout ce qui suit, cf. Monthly consular and trade reports. Washington. No 299. August 1905, pp. 174-175
- ↑ « Il y a dix ans, la pêche du saumon dans la rivière Fraser (Colombie britannique) était monopolisée par les Blancs et les Chinois ; aujourd’hui les Japonais s’en sont emparés. Ayant été dans la région, je me suis rendu compte que les Japonais, qui gagnaient le moins, se faisaient 300 dollars. Quelques-uns, durant la saison de pêche, gagnent 3000 dollars. » Shinjin (février 1906), art. de M. Kosaki Hirokichi reproduit dans le Shinkoron de mars 1906.
- ↑ D’après une dépêche d’Ottawa au Times, le 6 octobre 1907, le sénateur Cox, directeur du Grand Trunk Pacific, parlant à Calgary, a dit que c’était faute d’ouvrier que la construction du chemin de fer n’allait pas plus vite. Dans les banques anglaises sont déposés 90 millions de francs qui doivent être dépensés par la Compagnie, mais elle ne peut se procurer des travailleurs. Les ingénieurs qui s’occupent de construire la voie entre Winnipeg et Edmonton ne veulent pas entamer la section montagneuse, faute de bras. « Pour le bien-être du pays entier, la vraie politique est d’ouvrir les portes aux ouvriers de tous pays. C’est une erreur d’empêcher la main-d’œuvre d’entrer quand le pays souffre. À Vancouver on lui a dit que s’il vivait sur la côte, il ne parlerait pas ainsi, mais il envisage la question de manière plus large. Il fait appel aux deux partis politiques pour retirer à cette question asiatique son caractère politique. »
- ↑ Cf. p. 99-100, les annonces de ces agents que publient les journaux hawaïens.
- ↑ Asahi Shimbun, 29 mars 1907. Les Japonais des Hawaï ont l’intention de se rendre au Canada.
- ↑ À défaut de l’étape trop surveillée Hawaï-États-Unis, les Japonais ont cherché à pénétrer aux États-Unis par le Canada. Le rapport du commissaire de l’immigration déclare que du 5 janvier au 5 juin 1907, 1494 Japonais furent admis aux États-Unis par la frontière américo-canadienne, sans compter naturellement tous ceux qui, à l’insu des agents, entrent en fraude par cette immense frontière. Depuis un an, la fraude bat son plein. Un télégramme du 19 novembre 1907 envoyé de Bellingham (Washington) annonçait que 10 Japonais qui venaient de Colombie britannique avaient été faits prisonniers par l’inspecteur de l’immigration et dirigés sur Seattle pour être renvoyés dans leur pays. En outre, 14 Japonais, qui se trouvaient illégalement dans le pays avaient été capturés depuis dix jours. La frontière de Blaine à Lumas (64 kilomètres) est surveillée, et, de juin à novembre 1907, 300 Japonais avaient été empêchés d’entrer.
- ↑ Comité de l’Asie française. Bulletin. Août 1907.
- ↑ Cité par Le Temps, 7 novembre 1906.
- ↑ Mizutani Buyemon, op. laud.
- ↑ Monthly consular and trade reports, n° 299. August 1905, pp. 174-175.
- ↑ Cité dans le bulletin du Comité de l’Asie française. Août 1907.
- ↑ Du 1er janvier à novembre 1907, 7700 Japonais débarquèrent en Colombie britannique et aussi 300 Chinois et 1900 Hindous ; ces Hindous viennent du Pendjab : pour la plupart, ce sont des Sikhs que l’ouest du Canada attire par son bon climat et ses hauts salaires. Ils ne quittent pas l’Inde à l’instigation de sociétés d’émigration : ceux qui ont réussi en Colombie britannique font venir leurs parents et amis, restés au pays. Mais, à leur entrée au Canada, ils sont encore plus durement traités que les autres Asiatiques. Tandis qu’on est tenu à quelque ménagement à l’égard des Japonais, avec ces sujets de l’Empire anglais l’impunité est entière : on fait tant de difficultés à les accepter que les compagnies de navigation se lassent de les amener. Même admis, ils n’en ont pas fini avec les épreuves : rejetés de Colombie britannique dans l’État américain de Washington, repoussés de nouveau au Canada, ils errent misérablement, parfois employés aux travaux de chemin de fer, souvent sans ouvrage. À la fin de 1907, le bruit courait parmi eux que l’ambassadeur anglais à Washington, Mr. Bryce, poussait les États-Unis à passer une loi excluant les Hindous, loi qui faciliterait leur exclusion du Canada. On devine l’effet que les récits des malheurs éprouvés par leurs frères du Canada, font sur les Sikhs du Pendjab, et quelle reconnaissance ils ont à l’Empire anglais de la sollicitude qu’il témoigne à ses sujets hindous.
- ↑ Mizutani Buyemon, op. laud.
- ↑ Le 1er janvier 1908, nouvelle bagarre entre japonais et Blancs à Vancouver. Les Blancs inférieurs en nombre se sont enfuis, laissant plusieurs blessés, dont trois mortellement. Le Conseil municipal demande que les Japonais soient désarmés. Chaque nouvelle bagarre trouve les Japonais mieux organisés : après dix-huit mois d’antijaponisme, les Japonais, à Vancouver comme à San Francisco, se sentent mieux les coudes.
- ↑ De graves difficultés subsistent en Colombie britannique. Comment traiter les Japonais qui continuent d’arriver ? Le premier mouvement est de les mettre en prison et en effet on télégraphiait, le 21 février 1908, de Vancouver au Times qu’un certain nombre de Japonais débarqués à Victoria y étaient détenus pour infraction à la loi d’immigration votée par la législature provinciale. Mais le chief-justice a décidé que la loi provinciale sur l’immigration ne s’appliquait pas aux Japonais parce qu’elle va à l’encontre des traités, et deux des Japonais arrêtés ont été remis en liberté. Le gouvernement de la Colombie britannique va faire appel à la cour suprême. Le gouvernement de Dominion se trouve désarmé, entre les Japonais qui forts de leur traité ne veulent pas être inquiétés quand ils viennent directement du Japon, et la Colombie britannique qui cherche à empêcher les Japonais d’entrer soit par des lois d’exception, soit par des manifestations hostiles.
- ↑ Rapportant une interview qu’il eut à San Francisco, avec M. Aoki, ex-ambassadeur du Japon, le correspondant de The Tribune, le 5 janvier 1908, écrivait : « Plus de 300 Japonais sont arrivés, hier à Vancouver, venant de la frontière américaine et plus de 1200 autres doivent venir d’Honoloulou durant le mois de janvier. Toutes les places à bord des steamers australiens partant de ce port pendant les 6 premiers mois de l’année sont prises par des Japonais. En théorie, le gouvernement de Tôkyô n’exerce aucun contrôle sur ses sujets vivant à Honoloulou et ne peut les empêcher d’émigrer. » Le gouvernement du Canada, ainsi menacé, vient d’amender certains articles de la loi d’immigration : les émigrants entrant au Canada devront venir directement de leur pays d’origine ou de leur pays d’adoption. Cette loi, qui est générale s’applique aux Japonais venant des Hawaï ou du Mexique.
- ↑ Comme le cas est le même que pour les États-Unis, cf. ch. VI, p. 345-352. Comme les Japonais jugent qu’ils sont indispensables dans l’ouest du Canada, ils n’obéiront pas volontiers à l’interdiction d’y émigrer. « Le développement du Canada est dû en grande partie aux travailleurs japonais » observe le comte Okuma. Interview dans l’Asahi Shimbun, 15 novembre 1907, à propos de l’arrivée à Tôkyô de M. Lemieux.
- ↑ Osaka Shimpo. Les nouveaux territoires de l’Amérique méridionale. Récit de M. Shiraishi Motojiro, administrateur de la Toyo Kisen Kaisha, à son retour de l’Amérique du Sud.
- ↑ Japan Times, décembre 1907. Communiqué sur l’entrevue des représentants des Compagnies d’émigration avec le comte Hayashi.
- ↑ Toho Kyokwaiho, n° 142. La situation au Mexique, par M. Sumura Tosaichi, ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire du Japon au Mexique.
- ↑ Taiheiyo, vol. VI, n° 4. Émigrez en grand nombre au Mexique, par M. Sugimura Tosaichi.
- ↑ Le 30 juillet 1907, l’agence Havas recevait de Washington la dépêche suivante : « Le State department a engagé des négociations avec le Mexique au sujet de l’immigration de coolies japonais aux États-Unis par la frontière du Mexique. Cette immigration a pris des proportions telles que les inspecteurs ne peuvent plus l’arrêter. On croit que le Mexique va imposer une taxe élevée sur les Japonais entrant sur son territoire, comme l’avait fait le Canada pour les Chinois. » Le rapport du commissaire de l’immigration indique que du 5 janvier au 15 juin 1907, 1 548 Japonais furent admis par la frontière mexicaine. Le 12 décembre 1907, de Washington on télégraphiait à l’Evening Post : « En dépit de l’extrême vigilance des agents de l’immigration le long de la frontière mexicaine, on estime que depuis trois ou quatre mois près de 20 000 travailleurs japonais se sont introduits dans le Texas, New Mexico et Arizona. Selon les renseignements reçus ces Japonais sont pour la plupart des hommes qui ont été importés pour travailler sur les chemins de fer mexicains. À peine ont-ils pris leurs pelles et leurs pioches sur les chantiers qu’ils les abandonnent, et, quand l’employeur a le dos tourné, ils gagnent le Rio Grande. Le Bureau américain de l’immigration a sur la frontière autant d’inspecteurs que la subvention du Congrès lui en accorde, mais il est impossible de garder des rivières et des déserts sur des centaines de milles. » Le 21 janvier 1908, le comte Hayashi a dit que le ministère des Affaires étrangères se proposait de défendre l’émigration japonaise au Mexique, et estimant que toute personne qui y envoie des émigrants a l’intention de les aider à entrer aux États-Unis, de la traiter comme un délinquant.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi, 20 octobre 1906 : Les Émigrants japonais et l’Amérique du Sud.
- ↑ Osaka Shimpo, 24 mars 1907 : La Situation dans l’Amérique du Sud.
- ↑ Osaka Shimpo, 24 mars 1907 : La Situation dans l’Amérique du Sud.
- ↑ Une somme de 30 000 yen a été inscrite au budget de 1908 pour couvrir les frais des enquêtes déjà entreprises.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo, 15 novembre 1900.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi, 9 février 1907 : Les Émigrants vers l’Amérique du Sud et les marchandises japonaises, par Ito Kôjiro.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo, 25 mars 1907.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi, 20 octobre 1906 : L’Amérique du Sud et le Mouvement antijaponais de l’Amérique du Nord, par Tsukahara Shuzo, vice-président de la Toyo Kisen Kaisha.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi, 3 novembre 1906 : Le Commerce avec l’Amérique et la ligne de navigation vers l’Amérique du Sud, par Shiraishi Motojiro. Pour transformer en service régulier sa ligne de l’Amérique du Sud, la Toyo Kisen Kaisha a commandé aux chantiers Mitsubishi à Nagasaki 3 navires de 12 000 tonnes ; le premier devait être prêt en novembre 1907, les deux autres en mai 1908. Ils devaient remplacer sur la ligne de San Francisco les trois navires actuellement en service et qui auraient été alors affectés à la ligne de l’Amérique du Sud. Mais il est question d’une fusion de la Toyo Kisen Kaisha avec la Nippon Yusen Kaisha. Les frais d’établissement des deux compagnies sont énormes, et leur trafic ne se développe pas aussi rapidement que leur tonnage. Le Taiyo de novembre 1907 annonçait même que la Toyo Kisen Kaisha allait suspendre son service de l’Amérique du Sud. Suspension temporaire, sans doute, jusqu’au moment ou le mouvement d’émigration vers les républiques latines sera plus développé. Car à juger par le communiqué de l’entrevue entre les représentants des compagnies d’émigration et le comte Hayashi, (cf. p. 252) et aussi par le contrat passé entre le Japon et la compagnie des Chargeurs réunis (cf. p. 274) l’idée de pousser des émigrants vers l’Amérique du Sud n’est pas abandonnée.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo. La Prospérité de la ligne japonaise vers l’Amérique du Sud, 15 juillet 1906.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo. La Situation présente de l’émigration au Pérou, 5 novembre 1906.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo, 25 mars 1907.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi. Les Émigrants japonais et l’Amérique du Sud, 20 octobre 1906.
- ↑ L’Amérique du Sud et le Mouvement antijaponais de l’Amérique du Nord, par Tsukahara Shuzo, op. laud.
- ↑ Osaka Shimpo. Les nouveaux Territoires de l’Amérique du Sud, 15 mars 1907.
- ↑ Id., ibid.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo, 25 mars 1907.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi, 20 octobre 1906.
- ↑ Osaka Shimpo. Les nouveaux Territoires de l’Amérique du Sud, 15 mars 1907.
- ↑ Osaka Shimpo. Les nouveaux Territoires de l’Amérique du Sud, 15 mars 1907.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi, 9 février 1907. Les Émigrants pour l’Amérique du Sud et les marchandises japonaises.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo, 25 mars 1907.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo. La Situation présente de l’émigration au Pérou, 5 novembre 1906.
- ↑ Tôkyô Keizai Zasshi, 9 février 1907. Les Émigrants par l’Amérique du Sud et les marchandises japonaises.
- ↑ Cité par Murdoch et Yamagata. A history of Japan during the century of early foreign intercourse (1542-1651). Kobé, p. 601.
- ↑ Osaka Shimpo, 15 mars 1907.
- ↑ Toyo Keizai Shimpo, 5 novembre 1906. Dans un livre récent, Le Pérou contemporain, Paris, 1907, un Péruvien, M. Garcia Calderon explique que le Pérou, comme les autres républiques sudaméricaines, est menacé dans son patrimoine latin, son indépendance politique et économique par le panaméricanisme yankee et l’expansion du Japon. Le remède, selon lui, c’est un rapprochement avec « l’Angleterre, la France et l’Espagne unies en Europe ». Le commerce anglais, la culture française, la population espagnole, voilà ce qu’il faut à ces républiques latines, qui, craignant de se trouver prises entre Américains et Japonais, commencent de penser que la défiance à l’égard de l’Europe et le désir de l’exclure des affaires américaines sont des sentiments anachroniques.
- ↑ Osaka Shimpo, 15 mars 1907.
- ↑ Sur tout ceci, cf. un rapport du consul américain à Valparaiso dans Monthly consular and trade reports, n° 310. March 1907.
- ↑ Monthly consular and trade reports, n° 310, p. 174.
- ↑ Cf. Sun Trade Journal, décembre 1906.
- ↑ Publiée dans Le Figaro.
- ↑ Quelques Chiliens s’émeuvent déjà de ce débarquement de Japonais. L’American Review of reviews de novembre 1907 cite un curieux article paru dans le Mercurio de Valparaiso sous la signature de Mr. Augustin Edwards qui, comme membre du Congrès,
ministre des Affaires étrangères, ministre en Espagne et Italie, a
pris une part importante dans les affaires chiliennes. Il est le
propriétaire et le directeur des six principaux journaux chiliens.
« Le manque de main-d’œuvre entrave les principales industries du Chili, plus particulièrement l’exploitation du cuivre et du nitrate. Comme remède, un parti politique a conseillé une immigration asiatique. Les nouvelles que les journaux des États-Unis nous apportent lui donneront à penser. Les opinions du comte Okuma dans un article publié, il y a quelques semaines, dans le Tôkyô Keizai Zasshi sont une menace pour la tranquillité du Mexique, du Pérou et du Chili. Il préfère, dit-il, que l’on dirige l’émigration japonaise vers le Chili, le Mexique et le Pérou, plutôt que vers le Brésil, parce que ces pays seront plus faciles à comprendre dans la sphère d’influence du Japon. Le comte Okuma rend un grand service à l’Amérique et surtout au Chili en lui révélant de tels projets. Il estime que le Chili sera un bon asile pour l’excès de population du Japon, et il décrit le brillant avenir que nous aurions si notre côte, dans sa longueur, servait de station navale au Japon, dont les forces navales et militaires ne sont pas des forces de parade.
« … La doctrine de Monroe a longtemps excité en Europe et dans les républiques de l’Amérique du Sud une jalousie et des soupçons immérités. Bien qu’elle ne vise pas spécifiquement les tentatives d’empiétement de la part d’une puissance asiatique nul doute qu’elle ne devienne une pièce de la politique des États-Unis à l’égard de l’Asie et je prétends que, sur ce point, les États-Unis seront soutenus par l’Europe et par les républiques de ce continent. Elle servira de lien à une union panaméricaine qui s’étendra du détroit de Bering au cap Horn, limite infranchissable aux ambitions exagérées des compatriotes du comte Okuma. Les puissances européennes ont reconnu notre indépendance et cherchent seulement sur notre territoire une expansion commerciale ; nous les accueillons cordialement avec l’amitié qui unit de vieux et de jeunes membres d’une même famille. Contre les Asiatiques au contraire, la doctrine de Monroe est le programme commun et nécessaire à tous les Américains. S’il est encore un pays sur ce continent qui se défie de cette doctrine, qu’il entende l’avertissement du comte Okuma : les forces militaires et navales du Japon ne sont pas des forces de parade et la côte occidentale de l’Amérique du Sud est dans la sphère d’influence du Japon ; alors le grand peuple des États-Unis qui a défini la doctrine de Monroe sera traité comme notre meilleur ami et notre allié le plus solide. »
- ↑ La Compagnie française, Les Chargeurs Réunis, a passé, à la fin de 1907, un contrat pour transporter par milliers les émigrants japonais au Brésil.
- ↑ Monthly consular and trade reports, n° 320, May 1907, p. 101.
- ↑ D’après le Hochi Shimbun, « M. Midzuno, président de la compagnie d’émigration Kyokuku a conclu en novembre 1907 un contrat avec l’État de São Paulo : il amènera 3 000 Japonais liés pour trois ans par contrat, à partir de 1908. Par familles de 3 à 10 personnes, ils seront employés sur les plantations de café. Les frais de voyage et le prix du chemin de fer leur seront payés. D’avril à novembre, chaque année, ces Japonais seront engagés par le Gouvernement, et pendant cette période ils devront se retirer dans un établissement spécialement construit pour eux. Là, ils recevront 25 arpents de terre payables en 10 versements annuels ; ils devront s’établir au Brésil comme colons permanents. M. Midzuno a conclu un contrat analogue avec le gouvernement de Rio-de-Janeiro : 500 familles, de 4 personnes en moyenne, seront admises chaque année à partir de 1909… On est à peu près certain que le gouvernement japonais donnera son consentement à ces projets. »
- ↑ Toyo Keizai Shimpo, 15 novembre 1906. Espérances japonaises en Amérique du Sud, par Shiraishi Motojiro.
- ↑ Le Nippon Yusen Kaisha a une ligne vers l’Australie. Les journaux de Tôkyô signalent souvent la Malaisie comme une terre où les émigrants japonais devraient se hâter de prendre pied, car l’Allemagne, disent-ils, convoite Bornéo et Java. Le péril japonais est vivement redouté en Hollande.
- ↑ En Nouvelle-Calédonie, la Compagnie du nickel importa, il y a quelques années, un millier de travailleurs japonais. Ils se fâchèrent avec la Compagnie, se mirent à errer dans l’île, puis retournèrent à l’exploitation du nickel. La Compagnie qui emploie actuellement 300 ou 400 Japonais veut en importer de nouveaux. C’est la meilleure main-d’œuvre qu’elle puisse se procurer dans le Pacifique.