Almanach olympique pour 1918/Texte entier

Imprimeries Réunies. S. A. (p. 1-24).
Calendrier olympique.



En 1894, le 23 juin, fut proclamé dans le palais de la Sorbonne à Paris le Rétablissement des Jeux olympiques. Un congrès international assemblé à cet effet acclama la proposition de Pierre de Coubertin, initiateur de cette restauration. Les universités et les principales fédérations et société sportives de l’univers avaient été invitées à envoyer des délégués. Quatorze nationalités se trouvaient représentées. Conformément aux décisions du Congrès, la ire Olympiade fut célébrée à Athènes en 1896 et la iime Olympiade quatre ans plus tard en 1900 à Paris. Dans l’intervalle, en 1897, le Comité International Olympique institué en 1894 pour présider aux destins du Néo-olympisme avait convoqué le Congrès du Havre que présida le président de la République française, Félix Faure, et qui étudia les rapports des exercices physiques avec l’hygiène, la morale et la pédagogie. En 1904 la iiime Olympiade fut célébrée à Saint-Louis, et l’année suivante, se tint sous la présidence de S. M. le roi Léopold ii, le Congrès de Bruxelles, consacré à l’étude des problèmes de technique sportive. Cette même année fut créé le diplôme olympique dont les premiers titulaires furent Th. Roosevelt, Nansen et Santos-Dumont. L’année 1906 vit se tenir à Athènes des Jeux olympiques hors série que l’on pensait renouveler tous les quatre ans dans l’intervalle des olympiades internationales, mais le projet ne devait pas avoir de suites. En même temps s’ouvrait à Paris une conférence dite des Lettres, des Arts et des Sports qui tint ses séances au célèbre foyer de la Comédie française et s’appliqua à rétablir l’antique union des muscles et du cerveau ; à partir de 1904, les réunions annuelles du Comité International Olympique eurent lieu régulièrement dans les diverses capitales de l’Europe, sous le patronage du souverain ou chef d’État et avec une pompe croissante. L’éclat des olympiades s’accrut également. Les Jeux de la ivme Olympiade furent célébrés à Londres en 1908, ceux de la vme Olympiade à Stockholm en 1912. Il y eut à Londres jusqu’à 80 000 spectateurs, à Stockholm près de 4000 participants… Le Congrès de Lausanne en 1913 consacra ses travaux à l’étude de la psychologie sportive, inaugurant ainsi une branche nouvelle de la science pédagogique. Le vingtième anniversaire du rétablissement des Jeux olympiques qui tombait en 1914 fut l’occasion, du 13 au 28 juin, à Paris, de fêtes magnifiques auxquelles présida le chef de l’État, et d’un congrès des délégués de tous les Comités olympiques nationaux (un par pays) se proposant d’établir un code de règles fixes pour les concours olympiques à venir. C’est à l’Allemagne qu’avait été confié le soin d’assurer la célébration de la vime Olympiade (1916) et Berlin faisait dans ce but des préparatifs considérables que la guerre a rendus inutiles. La vime Olympiade aura passé sans avoir été célébrée, ainsi qu’il est advenu déjà dans l’antiquité. Le mouvement ne s’en est pas trouvé compromis. Outre que des candidatures nouvelles ont surgi pour la viime Olympiade (1920) et la viiime (1924), l’année 1915 a vu fixer définitivement à Lausanne le siège du Comité International qu’un règlement voté à Athènes en 1896 et devenu caduque, avait déclaré ambulant comme les Jeux eux-mêmes. Enfin en 1917 a été inauguré — pour le plus grand bien des internés français et belges qui ont été les premiers à en bénéficier — l’Institut olympique de Lausanne, dont la fondation de principe remontait à une date antérieure. Bien qu’indépendant du Comité International, l’Institut n’en apporte pas moins à l’idée olympique un précieux renfort.

Lausanne n’est-il pas destiné à devenir pour l’olympisme restauré plus qu’un simple centre administratif ? Il se pourrait. En 1911, le Comité International toujours préoccupé de rapprocher l’Art et le sport, organisa à Paris un concours international d’architecture. Le sujet était : une Olympie moderne. Le jury, que présidait M. Th. Homolle, membre de l’Institut, directeur des Musées nationaux, attribua le premier prix à deux architectes lausannois, MM. Monod et Laverrière. Leur « Olympie » s’étageait resplendissante, sur les bords du Léman, près de Vidy. Une société s’est créée qui prétend édifier la cité de rêve… On comprend les avantages qu’en retirerait Lausanne.




Les Jardins de l’Effort.



Qu’est-ce donc que l’olympisme ? C’est la religion de l’énergie, le culte de la volonté intensive développée par la pratique des sports virils s’appuyant sur l’hygiène et le civisme et s’entourant d’art et de pensée… « Si vous saviez, a écrit Paul Bourget, combien le mariage des violents exercices physiques et de la haute culture intellectuelle peut être fécond en splendeurs viriles ! « Citius, altius, fortius, disait à son tour le père Didon aux élèves de son collège d’Arcueil : plus vite, plus haut, plus fort, c’est la devise de l’athlète véritable ; et l’Institut olympique de Lausanne résume son programme en ces mots : Mens fervida in corpore lacertoso, un esprit ardent en un corps entraîné.

Mais alors, direz-vous, de quels exercices s’agit-il ? Quels sont ces « sports virils » auxquels on doit faire appel ? C’est bien simple. Ce sont ceux qui concourent au sauvetage, à la défense et à la locomotion (courir, grimper, sauter, lancer, nager, boxer, lutter, tirer l’épée, ramer, monter à cheval), ceux qui font l’homme complet, calme, décidé, débrouillard, de vision et de conception rapides, d’exécution réfléchie et persévérante. Ajoutez-y le football et l’alpinisme et la liste sera complète… Le tennis n’est qu’un jeu d’adresse et la bicyclette, un transport ingénieux. Moralement, n’en attendez pas davantage que de la pêche à la ligne. Et ne permettez pas surtout que de jeunes hommes robustes s’y adonnent de façon continue ; distractions passagères, rien autre.

Autour de ces exercices fondamentaux desquels sortiront le gymnaste infatigable, l’escrimeur d’offensive, le cavalier sans peur, le rameur obstiné, le footballer courageux et vigilant, évoquez les visions de l’Esprit et de la Beauté. Que la Loyauté veille près de l’enceinte et que les dieux Lares y aient leurs autels… Ainsi se formeront les êtres solides et vibrants aptes à traverser les régions difficiles où s’engage l’humanité. La Vigueur et l’Idéal, résolument unis sont les seuls maîtres de l’heure et c’est dans les Jardins de l’effort qu’ils enseignent.




Mensurations.



Désirez-vous savoir, lecteur, si vous êtes bien proportionné ? Mesurez d’abord votre mollet. C’est le criterium de tout votre corps. Supposons que vous ayez 34 centimètres de mollet. Il en résulte, d’après le Dr  Farel, que vous devez avoir 34 de biceps, 34 + 17 = 51 de cuisse, 34 x 2 = 68 de tour de ceinture, 34 x 3 = 102 de tour de poitrine, qu’enfin vous devez 68 kilos et que votre taille doit être de 1m 68. En d’autres termes, la mesure du mollet doit être celle du biceps, la cuisse être une fois et demie le mollet, le tour de ceinture deux fois, et le tour de poitrine trois fois le mollet ; enfin le mollet multiplié par deux vous fournit votre poids en kilos et le nombre des centimètres de votre taille au delà du mètre.




Le ski.



D’un élan qui ressemble au vol des hirondelles
les skieurs silencieux glissent comme le vent
sur la pente neigeuse où le soleil levant
fait dans tous les cristaux trembler des étincelles.

On croirait les voir fuir dans un battement d’ailes ;
sous les skis recourbés, la neige par devant
jaillit ; le souple envol de l’éventail mouvant
ourle d’un fin duvet les traces parallèles.

Oh ! planer dans l’air pur sur les champs de lumière
et, pour mieux redescendre à l’œuvre coutumière,
prendre sur les sommets son vigoureux élan.

L’idéal est en haut des pentes de ma vie.
Sans jamais chanceler sur la route suivie
je voudrais ne laisser qu’un grand sillage blanc.


(M. l’abbé Gaurier.)



L’histoire se répète…



Il est évident, — et on l’a souvent répété depuis deux ans, — que l’Angleterre doit à son magnifique soubassement d’entraînement sportif, la facilité avec laquelle elle a improvisé de redoutables armées. Ce serait oiseux d’y revenir mais ce qui est opportun, parce que grandement instructif, c’est de rappeler les précédents historiques et surtout le plus illustre, le plus remarquable de tous, celui de l’improvisation athénienne en face du péril asiatique.

Un demi-siècle durant, de l’an 500 à l’an 449 avant Jésus-Christ, l’ambition du « grand roi », comme on nommait alors le chef de l’empire perse, menaça l’Hellénisme. Cette ambition était faite d’orgueil dynastique et de convoitises ploutocrates mélangés. À l’est, au sud, au nord, les terres désirables avaient été soumises ; il n’y avait au delà que des déserts, des montagnes rébarbatives ou des flots mystérieux ; du côté de l’ouest, au contraire, le monde grec, tout voisin, s’offrait avec son opulence, ses raffinements, ses attraits multiples. Et combien cette proie s’annonçait aisée à saisir. Le parti de la guerre, à la cour de Darius, parlait de plus en plus haut et poussait ce prince à cueillir sans retard de si fructueux lauriers. Entre les cités grecs, les rivalités s’étaient exaspérées. Partout la division ; aristocrates et démocrates se disputaient le pouvoir. Les richesses, trop grandes, la vie trop douce avaient détendu le ressort de l’énergie nationale. Et quand, après de préliminaires escarmouches, l’ultimatum fut apporté par des ambassades comminatoires, il se trouva plus d’un parmi les gouvernants hellènes pour conseiller la soumission en insistant sur l’inanité de la résistance. Plusieurs cités décidèrent de se plier aux exigences d’un voisin si puissant. Athènes, — et Sparte avec elle, — placèrent le souci de l’honneur au dessus de l’amour de la paix. Athènes barra la route aux troupes qu’une flotte de 600 navires ennemis venait de jeter sur son territoire. Et grâce à Miltiade, général prudent autant que valeureux et sachant mettre le calcul au service de l’héroïsme, la plaine de Marathon vit s’effondrer ce premier effort des Perses pour établir une hégémonie occidentale. Leur puissance, récente et fruste, eût accablé l’hellénisme sous l’action de la force. Athènes venait de sauver la civilisation.

Mais dix années ne s’étaient pas écoulées que Xerxès reprenait, sur une plus vaste échelle, l’entreprise de son père Darius. Cette fois, les contingents levés par le « grand roi » atteignirent, dit-on, plus de deux millions d’hommes. « Tous les ports d’Asie, de Phénicie et d’Égypte furent mis à contribution pour fournir une flotte de 1200 navires et de 3000 transports. » Xerxès, d’ailleurs, ne manqua pas de recourir à la corruption, cherchant à provoquer, à prix d’argent, des trahisons dans les rangs de ses adversaires.

Sur les conseils d’un « intellectuel », l’orateur Thémistocle, les Athéniens s’étaient consacrés à improviser une marine comme ils avaient improvisé une armée. Ce fut cette marine qui, tandis que Léonidas se faisait bravement mais inutilement tuer avec sa poignée de soldats spartiates au défilé des Thermopyles, livra bataille aux Perses à Salamine en face d’Athènes que ceux-ci avaient prise et incendiaient. Thémistocle, amiral inattendu, remporta, grâce à la supériorité de sa tactique et à la discipline volontaire de ses équipages, un triomphe éclatant. La victoire de l’armée de terre à Platées acheva la déroute des assaillants.

Restait à chasser ceux-ci de la Thrace, des îles de la mer d’Égée et des côtes grecques de l’Asie mineure. Une confédération des cités grecques, dirigées par Athènes, y pourvut. Elle eut son siège à Délos, au temple célèbre d’Apollon, comme pour mieux marquer que ce n’était point un impérialisme de race ou d’État, mais bien une forme de culture, une civilisation tout entière dont les représentants se liguaient pour la défense de la liberté et du droit. Cimon, fils de Miltiade, conduisit cette troisième et dernière période de la formidable lutte d’où Athènes allait émerger pour briller, sous Périclès, au premier rang de la gloire et de la fortune : résultats dont l’hellénisme devait profiter mais que devaient ensuite rapidement compromettre les divisions et querelles intestines survenues entre les alliés de Délos.

Telle est, résumée en quelques mots, cette histoire trop oubliée et dont l’Europe actuelle a intérêt à se remémorer les péripéties et à méditer les enseignements.

Du point de vue auquel nous nous plaçons, un de ces enseignements s’impose surtout. Le secret des improvisations magnifiques qui sauvèrent la culture grecques menacée par la demi-culture perse, c’est le sport. L’athlétisme athénien fut la cuirasse invincible dont se revêtit le patriotisme et sans laquelle son effort fut demeuré impuissant. Si, bien des siècles plus tard, un général anglais faisant allusion à la victoire des troupes britanniques à Waterloo, put déclarer que cette victoire avait été préparée sur les champs de cricket du collège d’Eton, il est bien plus exact encore de dire que la gloire de Marathon et de Salamine se forgea dans les enceintes du gymnase grec.




Pensées d’athlètes.



« L’humanité qui se trouve livre de s’adonner au luxe de l’esprit ou à celui de la chair, doit se créer des jardins de bravoure et se plonger dans des piscines de rudesse ; libre à elle d’entourer ces jardins et ces piscines de tout ce que l’art et la fortune y peuvent ajouter d’élégance et de raffinement pourvu qu’au centre se retrouvent les   éléments de vigueur, de sacrifice et de volonté que rien ne saurait remplacer. »

« Pour que cent se livrent à la culture physique, il faut que cinquante fassent du sport. Pour que cinquante fassent du sport, il faut que vingt se spécialisent. Pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes. Tout cela se tient et s’enchaîne. Voilà pourquoi les campagnes menées par des théoriciens contre l’athlète spécialisé sont puériles et sans portée. »

« La vie est simple, parce que la lutte est simple. Le bon lutteur recule, il ne s’abandonne point : il cède, il ne renonce jamais. Si l’impossible se lève devant lui, il se détourne et va plus loin. Si le souffle lui manque, il se repose et il attend. S’il est mis hors de combat, il encourage ses frères de sa parole et de sa présence. Et quand bien même tout croule autour de lui, le désespoir ne pénètre pas en lui. »

« Le vrai sportif doit avoir au plus haut degré le sentiment inné des liens qui le rattachent à l’humanité. Il est un anneau de la chaîne. La mort est pour lui un raté. Ce qu’il n’a pu atteindre ou réaliser, un camarade viendra qui l’atteindra ou le réalisera. »




Pour avoir chaud cet hiver.



Peut-être manquerez-vous de combustible, lecteur, pour vos appareils de chauffage. Vous ne manquez pas pour cela de calorique disponible. Avez-vous songé que votre corps est un appareil de chauffage, une sorte de petite usine que la nature a ravitaillée, mais dont vous négligez en général d’utiliser la puissance. Il pourrait vous chauffer… si vous l’allumiez. Mais vous oubliez de l’allumer ou, plutôt, vous ne savez plus vous servir pour cet office de la boîte d’allumettes placée à votre portée et qui n’est autre que l’exercice.

L’exercice quotidien vous réchauffera en mettant en branle des quantités d’énergie intérieures insoupçonnées de vous. Voici la meilleure recette pour y réussir. D’abord que ce soit un exercice matinal rapide, aussi violent que vous pourrez le supporter et pris en plein air pour autant que les circonstances vous le permettront. La course et la boxe auront vos préférences. Ne comptez pas, bien entendu, sur les simples mouvements gymniques auxquels vous avez peut-être l’habitude de vous livrer chaque jour en manière d’apéritif. Il faut ici quelque chose de bien autrement énergique. C’est pourquoi la course et la boxe s’inscrivent au premier rang. La boxe ne nécessite pas absolument que vous ayez devant vous un adversaire vivant. Un carré bien feutré sur le mur, un lourd sac de sable suspendu à une corde peuvent tenir lieu — assez imparfaitement il est vrai — du dit adversaire. Si vous devez avoir recours à l’équitation, que ce soit alors pour faire de la voltige, du trop sans étriers. Si vous ramez, que ce soit en style en demi-course et sans vous ménager. Si un gymnase est à votre disposition, prenez les agrès les plus durs. Bref en toutes choses, cherchez l’intensité ; mettez y toute votre vigueur, tout votre entrain. Si le rhumatisme n’y contredit pas, terminez par des ablutions froides ; sans cela frottez-vous successivement avec deux serviettes, l’une mouillée et l’autre sèche. À un moment de la journée (vers 4 heures peut-être) recommencez, si nécessaire, l’opération de façon plus brève et moins violente et soyez certain qu’ainsi la rigueur de la température extérieure glissera sur vous comme l’eau sur les plumes d’un canard.




Le chant choral.



L’Art aurait bien des adeptes parmi les gymnastes et les athlètes. Ils ne demanderaient pas mieux que d’embellir leurs réunions en servant sa cause sacrée. Mais comment s’y prendre ? Les sociétés ne sont point assez riches pour édifier des portiques et dresser des statues. Elles ne comptent pas nécessairement dans leurs rangs des poètes ou des auteurs dramatiques, voire même des acteurs de talent… Non, sans doute. Mais elles possèdent des chanteurs qui s’ignorent. Quelle est la société qui ne pourrait constituer un quatuor vocal, sinon un double quatuor ? Or le chant choral n’est autre — on nous pardonnera la trivialité de l’expression — que le concierge de l’Eurythmie. C’est lui qui détient la clef de ce parvis et en ouvrira la porte. Appelez-le. Le chant choral peut tout. Il possède des ressources proportionnées à toutes les situations et à toutes circonstances. Son répertoire est d’une richesse et d’une variété étonnantes. Il n’est point exigeant ni difficultueux. Pas d’instruments délicats ou coûteux ; des répétitions faciles à organiser n’importe où. Quant aux effets produits ils sont intenses. Toute la gamme des impressions et des sentiments trouve à s’y exprimer et la polyphonie — de la plus simple à la plus compliquée — contient en raccourcis l’humanité entière ; chants de lutte et chants de concorde, chants d’inquiétude et chants d’allégresse, chants du matin et du soir, d’amour et de prière, d’ardeur et de calme. Cela vaut-il pas mieux pour encadrer les exercices de la force et de la beauté que les sons affreux d’un Tango ou d’une « Veuve joyeuse » ? Et ne serait-il pas satisfaisant que de telles harmonies s’élevassent du sein des groupes musculaires et que la jeunesse sportive trouve en elle-même les sources d’art au lieu de demander à de mauvaises fanfares du voisinage un renfort bruyant ? Faut-il ajouter que le chant est, pour les poumons, une excellente gymnastique ?




Regards rétrospectifs.



Au seuil d’une année nouvelle l’esprit se reporte volontiers vers les millésimes correspondants du passé, non qu’il y ait une corrélation quelconque à établir entre des époques que relie une simple concordance de chiffres, mais l’homme est ainsi fait que dates et anniversaires ont toujours de l’attrait pour lui. Ce sont comme les jalons de la mémoire, sa faculté de se souvenir étant limitée, il se sert de tels jalons pour évoquer ce qui fut et en tirer parfois matière à réflexions et à comparaisons, à consolation et à espérance.

Il y a cent ans, en 1818, l’Europe commençait à se remettre de vingt-deux années de guerre, mais ce repos restait agité, lourd, sans complète sécurité. Les monarques coalisés avaient abattu leur rival, ce Napoléon en qui la Révolution s’était incarnée. L’ancien régime pourtant ne revivait point. Les principes démocratiques demeuraient vivaces. Tandis qu’en France, Louis XVIII s’appliquait à réaliser un difficile équilibre entre le passé et le présent, les souverains de la « Sainte Alliance » austro-russo-prussienne s’efforçaient vainement d’extirper de leurs États les germes de la liberté future. Et ils tremblaient devant l’avenir. L’Asie sommeillait, l’Afrique s’enveloppait encore de ténèbres. Les États-Unis commençaient à s’enorgueillir de leur destin et l’Amérique du Sud dressée sur les pas de Bolivar se battait glorieusement pour l’Indépendance… cependant qu’à Abydos des chercheurs opiniâtres découvrant la fameuse table des Pharaons s’emparaient ainsi d’une des clefs par lesquelles allaient être livrés à la science les secrets de l’Égypte.

Il y a mille ans, en 918, l’héritage de Charlemagne morcelé en nations encore indécises faisait sentir aux peuples l’échec de la restauration césarienne que les Barbares avaient rêvée et qu’eux-mêmes avaient tant souhaitée. De cette tentative d’aspect puissant mais dépourvue d’assises fournies par un long travail civilisateur, que restait-il ? Charles le Simple exerçait en France un pouvoir sans consistance ; il venait de céder aux Normands les rives de la Basse-Seine. En Allemagne rien n’annonçait encore les succès d’Othon-le-Grand. Constantin vii régnait à Byzance sur un trône vieilli. Les califes abbassides dominaient à Bagdad. En Espagne, Abderamane iii fondait l’École de médecine de Cordoue ; de Bagdad à Cordoue le croissant dessiné par les conquérants arabes brillait d’un vif éclat…

Il y a deux mille ans, an 18 après J.-C., le monde méditerranéen encore incliné vers la tombe récente d’Auguste s’émerveillait devant la « Paix romaine ». Après une si longue marche parmi la nuit, le péril et la souffrance, l’humanité venait de traverser une clairière inattendue toute pleine de lumière, de calme et de sécurité. Qu’allait-il advenir de pareil trésors si longtemps et si vainement poursuivis ? Tibère en avait la garde et n’en compromettait pas encore par ses vices la précieuse durée.

Où en seront les destins dans cent ans, en 2018. Armés comme nous le sommes par les applications indéfinies d’un savoir grandissant, l’évolution humaine est devenue étrangement rapide et jamais prévisions lointaines ne furent plus imprudentes, plus inutiles même à formuler qu’en ce temps-ci. Une chose toutefois est certaine, c’est qu’une lourde responsabilité pèse sur nous. Depuis trois ans une mêlée formidable a lieu dans le plus sanglant des carrefours de l’Histoire. Or de ce carrefour, il faudra bien finir par s’échapper ; plusieurs routes en sortent. L’année 1918 décidera sans doute de l’orientation. L’état de l’héritage en l’an 2018 dépendra pour la plus large part de ce que décideront les usufruitiers de 1918. Prenons garde que nos fils n’aient point de comptes douloureux à exiger de nous et que le patrimoine de sagesse, d’énergie et d’honneur leur parvienne enrichi encore par nos vertus, notre constance, notre loyauté, notre abnégation.