Almanach du Père Ubu illustré (1899)

ALMANACH
du
Père Ubu
illustré
(Janvier-Février-Mars 1899)

Articles principaux de l’Annuaire

pour l’année 1899
Année de la période Julienne 
 6611
Depuis la première Olympiade d’Iphitus (juillet) 
 2674
De la fondation de Rome selon Varron (mars) 
 2651
De l’époque de Nabonassar depuis février 
 2645
De la naissance de Jésus-Christ 
 1899
Du règne du Père Ubu 
 8374
COMPUT ECCLÉSIASTIQUE ET SÉCULIER
Nombre d’or en 1899 
 19
Épacte 
 VIII
Cycle solaire 
 4
Indiction romaine 
 12
Lettre dominicale 
 A
FÊTES MOBILES ET IMMOBILES DE CET HIVER
Septuagésime 
 29 janvier
Les Cendres 
 15 février
Quatre-Temps.

Les 22, 24 et 25 février.

Saisons.

Fin de l’hiver, 20 mars à 7 heures 54 minutes 59 secondes du soir.

Éclipses du Soleil et de la Lune.

Il y aura en 1899 trois éclipses de soleil et deux éclipses de lune.

Éclipse partielle du soleil, le 11 janvier 1899, invisible à Paris.

Commencement de l’éclipse à 4 heures 50 min. du matin ; milieu à 6 heures 43 min. du matin ; fin de l’éclipse à 8 heures 36 min. du matin.

Éclipses du Père Ubu.

Éclipses partielle du Père Ubu les 29, 30 et 31 février.

Tableau des grandes marées en 1899.
Mois. Jours et heures de la syzygie. Haut.
janvier
N. L. le 2611, à 10 h. 50 m. soir.
N. L.P. L. le 26, à 107 h. 44 m. soir.
1,03
0,81
février
N. L. le 2510, à 109 h. 2541 m. soir.
N. L.P. L. le 25, à 102 h. 25 m. soir.
1,11
0,89
mars
N. L. le 2711, à 108 h. 282 m. soir.
N. L.P. L. le 27, à 106 h. 28 m. soir.
1,11
0,93

On a remarqué que, dans nos ports, les plus grandes marées suivent d’un jour et demi la nouvelle et la pleine lune. Ainsi, on aura l’époque où elles arrivent, en ajoutant un jour et demi à la date des syzygies. On voit, par ce tableau, que pendant l’année 1899 (janv.-fév.-mars), les plus fortes marées seront celles des 13 janvier, 11 février et 13 mars. Ces marées, surtout celles des 11 février et 13 mars, pourraient occasionner quelques désastres, si elles étaient favorisées par les vents.

Pour avoir la hauteur d’une grande marée dans un port, il faut multiplier la hauteur de la marée prise dans le tableau précédent par l’unité de hauteur qui convient à ce port.


Janvier.
1 Dimanche Circoncision.
2 Lundi S. Macaire.
3 Mardi Ste Geneviève.
4 Mercredi S. Rigobert.
5 Jeudi Ste Amélie.
6 Vendredi Épiphanie
7 Samedi S. Lucien.
8 Dimanche Ste Gudule.
9 Lundi S. Julien.
10 Mardi S. Guillaume.
11 Mercredi Ste Hortense.
12 Jeudi Ste Césarine.
13 Vendredi Bapt. N.-S.
14 Samedi S. Hilaire.
15 Dimanche S. Paul, er.
16 Lundi S. Marcel.
17 Mardi S. Antoine.
18 Mercredi C. s. Pierre.
19 Jeudi S. Sulpice.
20 Vendredi S. Sébastien
21 Samedi Ste Agnès.
22 Dimanche S. Vincent.
23 Lundi S. Raymond.
24 Mardi S. Timothée.
25 Mercredi C. s. Paul.
26 Jeudi S. Polycarpe.
27 Vendredi S. Jean Chrysostôme.
28 Samedi S. Cyrille.
29 Dimanche Septuagésime.
30 Lundi Ste Martine.
31 Mardi S. Pierre N.

D. Q. le 265, à 103 h. 31 m. du matin.
D. Q.N. L. le 11, à 10 h. 59 m. du soir.
D. Q.P. Q. le 18, à 104 h. 45 m. du soir.
D. Q.P. L. le 26, à 107 h. 44 m. du soir.
1er Janvier, 12 Nivôse an 106 ; le 20, 1re Pluviôse.

Février.
1 Mercredi S. Ignace.
2 Jeudi Purification
3 Vendredi S. Blaise.
4 Samedi Ste Jeanne de V.
5 Dimanche Sexagésime.
6 Lundi Ste Dorothée.
7 Mardi S. Romuald.
8 Mercredi S. J. de Matha
9 Jeudi Ste Apolline.
10 Vendredi Ste Scholastique.
11 Samedi S. Séverin.
12 Dimanche Quinquagésime.
13 Lundi S. Polyeucte.
14 Mardi Mardi Gras.
15 Mercredi Cendres.
16 Jeudi Ste Julienne.
17 Vendredi S. Sylvain.
18 Samedi S. Siméon.
19 Dimanche Quadragésime.
20 Lundi S. Eucher.
21 Mardi Ste Vitaline.
22 Mercredi Ch. s. P. à A.
23 Jeudi S. Damien.
24 Vendredi S. Mathias.
25 Samedi S. Césaire.
26 Dimanche Reminiscere.
27 Lundi S. Porphyre.
28 Mardi S. Romain.

D. Q. le 253, à 5 h. 34 m. du soir.
D. Q.N. L. le 10, à 9 h. 41 m. du matin.
D. Q.P. Q. le 17, à 9 h. 341 m. du matin.
D. Q.P. L. le 25, à 1 h. 25 m. du soir.
1er Février, 13 Pluviôse an 106 ; le 19, 1re Ventôse.

Mars.
1 Mercredi S. Aubin.
2 Jeudi Ste Camille.
3 Vendredi Ste Cunégonde.
4 Samedi S. Casimir.
5 Dimanche Oculi.
6 Lundi Ste Colette.
7 Mardi S. Thomas d’Aquin.
8 Mercredi S. Jean de Dieu
9 Jeudi Ste Fr. Mi-Carême.
10 Vendredi 40 Martyrs.
11 Samedi S. Constant.
12 Dimanche Lætare.
13 Lundi Ste Euphrasie.
14 Mardi Ste Mathilde.
15 Mercredi S. Zacharie.
16 Jeudi S. Abraham.
17 Vendredi S. Patrice.
18 Samedi S. Gabriel.
19 Dimanche Passion.
20 Lundi S. Guibert.
21 Mardi S. Benoît.
22 Mercredi Ste Léa.
23 Jeudi S. Victorin.
24 Vendredi S. Siméon.
25 Samedi Annonciation.
26 Dimanche Rameaux.
27 Lundi S. Robert.
28 Mardi S. Gontran.
29 Mercredi Ste Eustasie.
30 Jeudi S. Rieul.
31 Vendredi Vendredi Saint.

D. Q. le 275, à 4 h. 16 m. du matin.
D. Q.N. L. le 11, à 4 h. 332 m. du soir.
D. Q.P. Q. le 19, à 3 h. 33 m. du matin.
D. Q.P. L. le 27, à 6 h. 28 m. du matin.
1er Mars, 11 Ventôse an 106 ; le 21, 1re Germinal.

CONNAISSANCES UTILES

recueillies par le Père Ubu,
spécialement pour l’année 1899,
d’après les Secrets de son savant ami
le révérend seigneur
ALEXIS, Piémontais.
Pour teindre les cheveux en vert.

Il te faut prendre câpres vertes et les distiller, puis de cette eau lave-t’en les cheveux et les essuie au soleil.

Pour faire tomber et choir les dents.

Faites brûler vers de terre, sur une tuile bien embrasée et rouge, prenez puis après des cendres desdits vers ainsi brûlés, et en mettez dans les dents creuses et dolentes, puis les couvrez de cire, et facilement cherront sans faire douleur aucune.

À faire que vin vienne en dégoût
à quelque ivrogne.

Aye les œufs d’une chouette (bien entendu que tant plus y en aura au nid, tant mieux vaut). Fais-les très bien bouillir, et les donne à manger à l’ivrogne : le vin lui viendra en dégoût, principalement s’il est jeune, car il ne boira jamais plus de vin.

Pour affiner l’or avec les salamandres.

Prends deux livres d’airain limé, un pot de lait de chèvre, neuf salamandres, mets le tout en un pot large par dessous et étroit par en haut, couvre-le de sa couverture bien serrante, laquelle ait un trou au-dessus, fouissez le pot en terre humide si profond que le dessus de la couverture où sont les trous paraisse seulement, afin que les salamandres puissent avoir air et ne meurent point. Laisse-le ainsi jusqu’au septième jour après-midi. Tirez alors votre pot dehors, vous trouverez que les salamandres contraintes de faim auront mangé l’airain, et la grande force du venin contraint le cuivre se tourner en or. Fais puis après une fosse de la profondeur de deux doigts, dans laquelle mettrez votre pot avec les salamandres, puis faites à l’entour un feu de charbon qui brûle haut et bas, moins toutefois par bas que par haut, pourtant met-on le pot en terre afin que le cuivre ne se fonde. Et quand il vous semble que les salamandres seront brûlées en cendre, ôte le pot du feu et le laisse bien refroidir. Ce fait, versez le cuivre et la poudre en un vaisseau à laver et verse de l’eau dessus, nettoyant le cuivre de ladite poudre, puis le pendez en la fumée, et le laissez bien sécher, et tu auras de bon or, faites-le nettoyer à un orfèvre.


VARIÉTÉS

Exhortation au lecteur.

Grandes princesses et princes, citadins, villageois, soldats militaires, vous tous fidèles abonnés et acheteurs de cet Almanach de notre astrologie et nos bien-aimés sujets et sujettes, vous n’aurez point à lire de journaux cet hiver. Ô quelle économie d’argent. Le journal d’un sou chaque matin, cela fait bien près de quatre francs, dix, onze ou douze sous tous les trois mois. Je ne parle pas de ceux qui achètent des journaux à trois sous ; car plus on vous fait payer cher des faussetés, plus on vous vole. Et comme non seulement nous vous révélons le passé, mais prédisons l’avenir, nous vous offrons donc trois mois en pur don, et l’Almanach ne vous coûte rien. Vous êtes anxieux, pauvres gens, liseurs de feuilles à chute quotidienne, laissés sur votre faim de nouvelles : peut-être demain la fin du monde. Vous vous couchez tremblants de peur. Au cabinet ces cadrans de papier qui n’ont que l’aiguille des minutes. Notre almanach trimestriel (quarterly, disent les Anglais) est un terme payé d’avance dans le rond, solide, confortable, à l’image de notre Gidouille, immeuble terrestre ; vous êtes assurés de vivre encore trois mois, tout un an les abonnés des quatre fascicules des saisons, pour cinquante centimes. Cornegidouille ! quel élixir !

Et quand vous ouvrez votre quotidien, pioupiou d’un sou, cornet de pommes de terre frites, vous exhumez des taches de graisse deux ou trois pauvres nouvelles qui ne sont seulement pas vraies. Car vous entendez crier les vedettes d’un autre journal, dénonçant le mensonge du confrère, ou lui-même confesse ses menteries de la veille, pour avoir la gloire d’informer le premier qu’il ment. Ainsi mon savant ami le révérend seigneur Alexis, Piémontais, vendait au rabais des remèdes qui ne guérissaient point, pour les pauvres. Et quelque vraie, authentique information égarée par hasard, ça vous est égal, parce qu’elle n’est pas drôle. Nous, Père Ubu, vous ouvrons notre savoir de tous les choses passées, plus vraies que de n’importe quel journal, parce que : ou nous vous dirons ce que vous avez lu partout ailleurs, le témoignage universel vous assurera ainsi de notre véracité ; ou vous ne trouverez nulle part la confirmation de nos dires : notre parole s’élèvera donc en sa vérité absolue, sans discussion. Et au moyen de notre Tempomobile, inventée par notre science en physique afin d’explorer le temps (la locomobile parcourt bien l’espace, qui est le présent à trois dimensions), nous vous dévoilerons toutes choses futures.

Acquérez donc notre Almanach ; les journaux dont vous vous encombrâtes naïvement, contrôlez dans ce bréviaire s’ils sont conformes à notre infaillible opinion ; les journaux qui paraîtront demain, notre savoir en météorologie (nous vîmes un jour quatorze poteaux télégraphiques entièrement pulvérisés par la foudre), vous les rend inutiles par avance.

J’entends notre fidèle épouse, la Mère Ubu, qui m’incite à vous divulguer, sans modestie, quelqu’une de nos prédictions :

Ha, Messieurs, il fera bien froid cet hiver :

L’hiver est à Paris la plus froide saison,

a dit le poète observateur. Mais ne nous en voulez point. Ce n’est point notre faute Attendez le printemps. Il fera plus chaud au printemps, parce que notre deuxième Almanach sera paru ; et cet été, ha, dans le numéro de cet été sera annoncée la célébration de notre fête, le quatorze juillet. Il pleuvra certains jours, et d’autres jours il fera beau. Je vous en informe sans tarder. N’êtes-vous à présent certains, Messieurs, que l’Almanach du Père Ubu fera la pluie et le beau temps ?

Père Ubu.

L’AGRONOME CITADIN

FOIRES

— Père Ubu, vous n’indiquez pas les foires dans votre Almanach ?

— Eh, de par ma chandelle verte, mon Almanach la donne aux lecteurs à force de rire. Encore une économie de médecin.


L’AGRONOME CITADIN

Janvier

L’en-tous-canne, dans les pépinières, est remplacée par les parapluies. Les boutons de ceux-ci s’épanouissent aux premières averses ; l’arrosage artificiel donnerait les mêmes résultats ; mais les fleuristes spécialistes les abritent, pour les garder tardifs, contre la moindre rosée dans des serres de verre.

Il convient, sous le Verseau, de se munir par dedans de toutes choses chaudes et dessicatives propres à combattre l’humide radical. Les ivrognes devront s’entourer, par dessus leur barbe, de bonnes pelleteries de renards, et fourrures chez les raffinés. Une bonne fourrure, de saison, n’est vraiment smart qu’égale au vingtième du poids de l’ivrogne. Ainsi les vend-on en notre grande Chasublerie de Saint-Sulpice, Les chasseurs devront acquérir chez notre quincaillier de Saint-Hubert la trappe à truffes. La mode est passée du plomb, qui effraye et troue le gibier. Le plus commun gibier du mois est le dindon, que l’on abat aisément, si l’on peut l’approcher à courte distance, par quelques douzaines de coups du mortier à truffes, livrable à nos lecteurs en notre Arquebuserie de Saint-Georges.

On le servira rôti accompagné d’une salade.

Les plus délicates se blanchissent dans l’obscurité de caves spéciales, accessibles à la seule lueur des lampes électriques : les plus renommées sont l’Opéra, le Vaudeville et antres plants connus. De jeunes dames esclaves consentent à vouer leur jeunesse pendant les premières heures de la nuit, en ces couvents culinaires. Les racines de la plante précieuse germent emmêlées, selon des tuteurs de paille ou d’archal, à celles de leurs somptueux cheveux. Pour adoucir l’existence d’immobile renoncement des esclaves, des cuisiniers experts n’ont point dédaigné de s’instruire dans les arts ludicraux, et les salades nationales se blanchissent aux vibrations des musiques.


Février

Sous le signe des Poissons. Errant un jour (le 30 février prochain) en notre tempomobile par les rues, nous partîmes des hauteurs de Montmartre, et comme un fulgurant météore notre gidouille avançait d’un pas majestueux et lent. Semblable à une sphère roulante, nous dévalâmes la rue Lepic, la rue Blanche vers la Trinité, où les cloches conviaient les fidèles par l’ouverture des portes au moyen des grandes orgues Alexandre Guilmant, suivîmes la rue Laffitte ; la rue de Richelieu, le pont des Arts ; et là nous vîmes, non pas un rassemblement, c’étaient des passants qui passaient, sans s’arrêter, mais peut-être se seraient-ils arrêtés sans l’intervention possible d’un sergent de ville, il n’y avait pas de sergent de ville, mais il aurait pu venir un sergent de ville, même deux sergents de ville, voire une brigade centrale de sergents de ville, et nous nous sentîmes attirés vers la contemplation de l’eau. Et non sans raison, jugez-en :

Un être était immergé, un être luttait contre l’engloutissement, à la surface liquide ; sans souci d’aucune pudeur, il était entièrement nu, sans paralysie causée par le froid de saison ; sans l’aide de membres artificiels, car il n’avait ni bras ni jambes, il nageait ma foi très bien, un poisson, quoi !

Or le barbillon est un beau poisson, couvert d’écailles fines qu’à sérieux examen on reconnaît en toile métallique ; son nom lui vient de ses amples moustaches moscovites, dont il fouit. Son corps très dense supporte aisément les pressions des grands fonds d’eau où il se plaît. On le découvre dans les eaux claires comme un plat d’argent qui vire sur le sable. Il ne boit que de l’eau, mais il est souvent victime de son goût immodéré pour le fromage de gruyère.


Le Barbillon.

L’Emmenthal authentique pour la capture du barbillon s’élabore à grands frais dans des caves. L’eau coule de toutes parts, mais on n’arrose le fromage qu’une fois le jour. L’Emmenthal est jaune, sans trous, sans vers. Les trous, s’ils existent, sont pleins d’eau salée. On dirait de vastes quartiers de lard.


M. Pierre Quillard

M. Pierre Quillard est l’un de nos plus grands poètes. Il s’enorgueillit en outre, au Phalanstère halieutique de Corbeil, de collaborer au développement de la pisciculture. Il rama pendant trois jours comme forçat avec nous-même sur l’Yonne et la Seine pour suivre les poissons frayants. La population qui habite les écluses en ouvrait les deux portes à la fois sur notre passage et déclarait avec pleurs que ce n’était pas nous, mais Zola, qui eût dû ramer. Pour ne point nous laisser attendrir et taire le but de notre périple, comme la chiourme, durant le combat naval, obéissait au commandement de tap en bouche, nous étions volontairement bâillonnés de deux fioles d’eau-de-vie de mare de Bourgogne. Nous ne prîmes un peu de repos qu’à deux escales, La Cave et Vinneuf, et abordâmes heureusement à Port-Renard.

M. Pierre Quillard s’introduisit, nous-même ayant pratiqué l’effraction de la porte, dans la cave des Emmenthal, et, comme il nous était arrivé fréquemment de laisser couler dans nos verres le vin par trois jours, l’eau coula toute une semaine et s’éleva jusqu’aux voltes, ouvrant le chemin a des bancs de barbillons monstrueux venus pour dévorer l’Emmenthal. Le vendeur de fromages s’est fait débitant de patés de poissons, maisnous conseillons de ne consommer aucun barbillon, ni paté de barbillons cette année, car ils ont la maladie.

Nous fîmes malheureusement en butte aux persécutions du garde-pêche et du bon petit gendarme.

Le gendarme est un être redoutable, non par ses attributions légales, mais parce qu’il est impur. Nous ne rééditerons point les plaisanteries classiques, injustes d’ailleurs, sur son parfum, Nous connûmes un gendarme cul-de-jatte. Le relent nauséabond est, croyons-nous, sauf notre respect, celui de la Loi.

Sous le signe des Poissons, il est utilisable en halieutique, comme amorce de tous poissons de rivière.

Mars

Sont bons tout ce mois tous animaux, ustensiles et végétaux cornus, béliers (signe zodiacal du mois), taureaux, escargots, diables, lièvres, fourches, fourchettes, la lettre Y et les racines de crocus.

Sont bons tout ce mois et peuvent rendre de bons et loyaux services tous soldats, militaires, pompiers, vidangeurs, plongeurs de vaisselle, sergents de ville.

Ont fait leurs vingt-huit jours dans la période qui précéda ce mois et sont ce mois de joyeux civils nos bons amis et sujets, gens notables de Paris :

Danville.

Séruzier.

Roussel, ex-directeur du Théâtre des Pantins.

Franc-Nohain.

Abel Hermant, chevalier de la Légion d’Honneur.

Gandillot, idem.

[Capitaine Bordure. — Avez-vous gagné cela à Madagascar ? Comment vous appelez-vous ? Ah, c’est vous qui fournissez des chaussures à l’armée.

— Non, mon capitaine, je travaille sur mesure pour le Palais-Royal.]

Vuillard.

[Capitaine Bordure. — Tournez-vous vers Metz, l’ennemi ! Ou plutôt, cela a changé… Sur les Anglais ! Par le flanc droit, gauche ! Les Anglais sont toujours du côté du Manche.]

Antoine.

Allais.

Scheurer-Kestner.

La Jeunesse.

Judet.

Gohier.

Quillard.

A.-Ferdinand Hérold.

Vallette.

Freycinet, au ministère de la guerre, sans rengagement.


TRAIT DE PROBITÉ

Hors du jardin du docteur. Le Fourneau, chez le Père Ubu trois oies s’égarèrent.

Père Ubu. — Eh ! capitaine Bordure, pourquoi vous promenez-vous dès l’aube avec le fusil à phynances ?

Capitaine Bordure. — Eh, père Ubu, croyez-vous que vous ne ferez pas crier les palmipèdes avec vos pièges à moineaux ?

Père Ubu. — Capitaine, vous nous jugez mal. Nous n’avions pas vu ces oiseaux. Mais ne tirez point à notre tir aux pigeons, car si des malandrins dérobent lesdits oiseaux, qui nous sont confiés en dépôt involontaire, cela ternirait votre gloire.

Le Père Ubu se rend en sa grande quincaillerie de Saint-Hubert : Compagnon, ce piège à rats n’est pas solide. Les rats dévastent nos propriétés. Ces pièges se pulvérisent entre nos mains. Donnez-nous le piège à ours en mâchoire de crocodile.

Dans le jardin s’élève l’écriteau, au-dessus du traquenard figurant une gueule et prolongé d’une queue en serge verte : Prenez garde au crocodile. Croyez-vous que Monsieur Ubu, en sa science universelle, soit tenu de tenir compte de cette petite chose, que les oies ne savent pas lire ?

Les paris s’ouvrent : — C’est la grise, dit le capitaine, c’est la noire, dit Ubu, — c’est la blanche, c’est la noire. Père Ubu et le capitaine se tiennent la gidouille et l’absence de gidouille au chavirage muet du navire de plumes.

— Je m’en vais, dit Ubu, déverser mon triomphe.

Et vers le buisson du jardin, il se tient debout avec pudeur. Soudain il s’accroupit vers la proie, le piège se détache, il le remet au cou avec mansuétude, et piège, plumes et tout engloutit la béte, et rapporte les pattes au capitaine, en reboutonnant le pont de ses braies.

Ultérieurement :

M. Le Fourneau. — Capitaine, vîtes-vous des oies ?

— Nullement, dit le capitaine.

— Ha, dit Ubu, grave comme un renard que, vous savez le reste de la fable, vous parlez d’oies, je crois. Que ne yous adressez-vous à moi ? j’en ai vu trois, et puis deux. On ne les revoit plus ces deux, c’est vraiment dommage.

— Allons, tant pis, dit le Fourneau. Vos deux voisins de droite et de gauche ont pourtant prétendu qu’elles séjournèrent en votre jardin.

— Moralité, dit Bordure après le départ du docteur : Les deux voisins de droite et de gauche, dévorant chacun une oie, jetèrent les soupçons sur votre innocence, Père Ubu. Vous n’auriez rien chapardé que ç’aurait été kif-kif. Vous voyez la profonde leçon.

Sans doute, dit le Père Ubu : Quand il s’égare vers vous une oie, mangez-en trois. Ô que nous avons encore faim ! C’est ce qui s’appelle le remords.

ÉPHÉMÉRIDES ACTUELLES

L’Île du Diable
Pièce secrète en 3 ans et plusieurs tableaux

ACTE Ire

Le Palais du Roi.

Scène première

père ubu, mère ubu (en dame voilée).

Père Ubu. — Madame France, Mère Ubu, veux-je dire, vous avez raison de vous cacher la figure, voilez votre laideur et vos larmes : notre bon ami, le capitaine Bordure, est accusé d’un crime. Notre palotin Bertillon a mesuré la trace de ses pas sur les dalles de marbre de notre cabinet de nos affaires secrètes. Il a vendu la Pologne pour boire.

Mère Ubu. — Ha, père Ubu.

Conjurés et Soldats. — Nous voulons sa mort.

Nobles et Magistrats. — Nous voulons sa mort.

Père Ubu. — Notre fils Malsain Athalie-Afrique est le vrai coupable, mais il est l’héritier de notre savoir théologique et de nos études au séminaire de Saint-Sulpice ; il s’est confessé de son crime à notre Chanoine, il en a été absous, il n’est plus coupable, il ne l’a jamais commis.

Mère Ubu. — Oui, Père Ubu ; tandis que Bordure, depuis que tu l’as fait jeter en prison, ne cesse de crier son innocence.

Père Ubu. — D’ailleurs le capitaine Bordure est un dissident.

Les 3 Palotins. — Hon, Monsieuye ! nous tenons les preuves du crime en ce papier pelure d’oignon. Il donne le plan détaillé de la ville de Thorn.

Père Ubu (se fourrant son binocle par un bout dans un œil, selon son habitude). — Que vois-je ? les rayures brisées du canon à truffes et le devis du dernier bateau que nous avions inventé en notre science en physique, qui devait indiscutablement nous faire remporter notre victoire de Faschoda sur les Anglais et nous faire nommer roi de France.

(Musique.)

ACTE II

La Casemate de Thorn.

Scène I

père ubu, capitaine bordure (enchaîné), le palotin clam.

Père Ubu. — Eh, capitaine, nous avons la mansuétude d’adoucir vos derniers instants. Nous vous avons apporté, en trois caisses et une valise, sur notre grand Cavagne à phynances, notre Conscience nationale et militaire. C’est à huis-clos, mais en sa présence redoutable (Palotin Clam, verrouillez la porte), que nous allons vous ôter ces boutons du corps, insignes flatteurs de votre grade à la tête de nos estafiers. Faites votre dernière prière.

Le Capitaine. — Père Ubu, je suis innocent.

Père Ubu. — Il n’y a que notre Conscience qui vous ait entendu, elle ne le répètera à personne.

Le Capitaine. — Père Ubu, je suis…

Père Ubu. — Encore, à la poche ! Palotin Clam, faites votre devoir.

Le Palotin Clam. — Hon, Monsieuye ! Je sais mon affaire : torsion du nez, arrachement de la cervelle par les talons, enfoncement du petit bout de bois dans les oneilles…

Père Ubu. — Et finalement la grande décollation par sur le Billot, renouvelée de saint Jean-Baptiste. Ensuite le capitaine sera, de par notre mansuétude, mis en liberté d’aller se faire pendre ailleurs. Il ne lui sera pas fait d’autre mal, car je le veux bien traiter.


Scène II

père ubu, la conscience.

La Conscience, ressortant de la valise. — Monsieur, et ainsi de suite, veuillez prendre. quelques notes. Monsieur, votre conduite est indigne. Le capitaine est votre fils adultérin, ou de Mme France votre épouse, et en outre, et ainsi de suite, il est innocent.

Père Ubu. — Monsieur ma Conscience, malgré les picquartements de vos reproches acérés, nous n’aimons point que l’on nous fasse du tapage, personne ne nous a encore fait de tapage, et ce n’est pas vous qui commencerez. Vous nous forcerez à vous déposer sur la plus haute cime de la montagne réservée à nos chasses alpines, ou à vous engloutir dans la plus profonde caverne de nos mines que nous explorons, pour nos expériences de pataphysique, en nos voyages à travers les acclamations de nos sujets. Et si vous ne vous taisez pas, comme les grandes douleurs sont muettes, afin de vous faire très mal, je vais vous marcher sur les pieds.

(Il la renferme.)

ACTE III

père ubu, palotins, général lascy, peuple et soldats.

Le Général. — Justice est faite ! Le capitaine était bien coupable, puisque le Père Ubu, en son omniscience, l’a décervelé.

Père Ubu. — Messieurs,

À défaut du salut militaire dont est désormais indigne le cadavre du capitaine, et qu’il n’aurait reçu que six pas devant et six pas derrière en cette vallée de misères et d’uniformes, nous avons pourvu à son salut éternel. Ha, messieurs, nous aimons l’armée, il n’est rien que nous ne fassions pour elle. Notre peuple n’aime peut-être pas beaucoup les militaires, mais à notre exemple il se bat volontiers contre tout le monde. Cela fait aller le commerce, et principalement notre commerce de nos impôts. Nous avons la plus extrême confiance en notre tout jeune fils Freycinet, c’est à lui que nous remettons publiquement le commandement de nos estafiers et le grand-cordon de l’ordre de la Grande-Gidouille, bien qu’il ne soit âgé (car, plus l’on approche du siècle, plus l’âge diminue) que de treize mois. Vous savez pourtant, peuple, soldats et militaires, prêtres, magistrats, financiers, comme les généraux du premier Empire français, tels que Turenne et Condé, dont aucun n’avait moins de cent dix ans, remportèrent des victoires merveilleuses. L’âge est indispensable à la valeur guerrière. Nos généraux de treize mois attrapent toutes les maladies infantiles quand ils veulent encore dormir dans l’intérieur des canons remplis de neige ; mais cornegidouille, notre fils ne fait déjà plus de ce mortier dans sa culotte.

Grâces soient rendues de tout au Seigneur. Nous entendrons un beau Te Deum en notre église de Notre-Dame ; la musique en est de compositeurs juifs, hérétiques et mahométans, comme Reyerberlioz, qui font la seule bonne musique catholique ; car il est bien avéré que nos fils les prêtres ne tolèrent pas la musique catholique, et exhortent les compositeurs catholiques à travailler pour l’Olympia et les Folies-Bergère. Réjouissons-nous, messieurs, du triomphe de la vérité et de la lumière. Tudez, décervelez, coupez les oneilles !

Tout le Peuple, par acclamation. — C’est clair !

Le général Lascy. — Soldats, sabre au clair ! Chefs des chœurs, Humbert, Meyer, Bec, Méline, Zurlinden, Mercier, Drumont, Pellieux, Gonse, Judet, Xau, Barrès, Gyp, et vous, guerrier chef de notre musique, battez tous la mesure avec vos sabres dans le peuple, et spécialement sur les têtes de MM. Clémenceau, Gohier, Quillard, Pressensé, Rochevoort, Anatole France, que l’on entonne bien la chanson du Décervelage.

(Musique. Rideau.)
LETTRES ET ARTS

La Fête Automobile

Personnages : père ubu, athanor le fourneau (personnage d’hiver).

Père Ubu. — Monsieur mon ami, vous êtes imbu d’idées absurdes par la fréquentation exclusive des journaux ; je vous conseille la cure de votre cerveau par la lecture de notre Almanach, ou mieux, Monsieur, la promenade digestive à jeun dans mon Omnubu Cours-des-Évènements — Postériterne.

Le Fourneau. — Pour ne pas rompre brusquement avec mes anciennes habitudes, nous n’achetons pas un journal, Père Ubu ?

Père Ubu. — Voici un kiosque, et des images de M. Forain.

Le Fourneau. — Ils ont, ces gens-là, de bien vilaines figures. De quoi parlent-ils donc ?

Père Ubu. — Ils parlent de nos institutions nationales.

Le Fourneau. — Et M. Forain, pour qui est-il ?

Père Ubu. — Pour la phynance, cornegidouille !

Le Fourneau. — Eh ! cela me coûterait trop cher. Voici un autre journal.

Père Ubu. — Le Sifflet, Monsieur mon ami, exemplaire non coupé. Psst, cocher.

Le Fourneau. — Pourquoi M. Caran d’Ache voyage-t-il à l’intérieur ?

Père Ubu. — Il est comme le scorpion dans son nid et le rasoir dans son étui, on ne le voit pas… Mais voici mon omnubu attelé, Cocher, en route. — Ce monument triangulaire, c’est l’église Saint-Germain-des-Prés, Monsieur.

Le Fourneau. — Je croyais avoir lu sur une photographie que c’était l’Odéon.

Père Ubu. — Eh non, c’est l’Opéra, puisqu’on y joue de la musique.

Le Fourneau. — Mais non, l’Opéra c’est la musique moderne, et l’Odéon la musique ancienne. — Aimez-vous la musique moderne, Père Ubu ?

Père Ubu. — Oh ! cela fait bien du tapage.

Le Fourneau. — Et les compositeurs, sont-ils anciens ou modernes ?

Père Ubu. — Ce sont les mêmes, mais il y en a qui sont morts.

Le Fourneau. — Aimez-vous les reconstitutions de musique ancienne ? Sur les modes grecs ?

Père Ubu. — Le jeu de l’Oye sans doute ? Un dîner renouvelé…

Le Fourneau. — Non, le jeu de l’érudit d’Indy. Connaissez-vous Saint-Saëns, qui les possède toutes ?

Père Ubu. — Mais sens est masculin, Monsieur notre ami.

Le Fourneau. — Comme décence, vous avez raison, Père Ubu… — Vous aimez beaucoup la poésie ?

Père Ubu. — Je vous crois. Écoutez :

Descendent les grands vaisseaux le fleuve vers l’infini.

Le Fourneau. — De qui est ce beau vers ?

Père Ubu. —

C’est, je crois, de la Zouze ou Source qu’on le nomme.

C’est de M. Robert de Souza.

Le Fourneau. — Comme Molière disait, ce jeune poète découvert aux matinées de l’Odéon de l’an passé.

Père Ubu. — M. Ginisty a trouvé cela trop beau, il l’a supprimé.

Le Fourneau. — Qui c’est, M. Ginisty ?

Père Ubu. — Il est comme le scorpion dans son nid, et le rasoir dans son étui, on ne le voit que rarement. Ainsi il dirige l’Odéon.

Le Fourneau. — N’est-ce donc pas M. Mendès, le directeur de l’Odéon ?

Père Ubu. — Vous confondez, M. Mendès est journaliste, romancier, critique, poète ; mais M. Mendès n’est pas directeur.

Le Fourneau. — Et pourtant on m’avait dit…

Père Ubu. — Il ne faut jamais écouter les mauvaises langues, même si

Doceat matrona pinguis
Vos circumlambere linguis…

Le Fourneau. Il devient bien universel, M. Mendès.

Père Ubu. — C’est une grande qualité que de ne pas emméder les gens… Oh ! quelle secousse ! Cocher, allez doucement au tournant de la rue de Tournon… Cette borne, Monsieur notre ami, est une de nos ceuvres politiques charitables, l’asile de vieillards que nous avons fondé, et que notre peuple appelle le Sénat.

Le Fourneau. — Que font ces doux vieillards ?

Père Ubu. — Ils émargent.

Le Fourneau. — C’est pourtant de là, m’ont appris mes lectures journalières, qu’est partie la fameuse bombe Scheurer-Kestner.

Père Ubu. — Dans un pot, je sais, M. notre ami, au restaurant Foyot.

Le Fourneau. — Vous brouillez les histoires, Père Ubu. Ce n’est pas là que fut tailhadé notre camarade par la jeunesse anarchiste ?

Père Ubu. — Il l’a expié par l’holocauste de toutes les gouttes… d’encre de son cœur.

Le Fourneau. — Mais cette caserne que j’aperçois et ces nombreux guerriers ?

Père Ubu. — Ce sont les défenseurs de la Patrie, ceux qui détiennent Picquart.

Le Fourneau. — Mais non, il est écrit dessus : Cherche-Midi.

Père Ubu. — À quatorze heures. La montre de l’État n’a pas besoin de ce conseil.

Le Fourneau. — Mais on dit beaucoup de mal de l’année cette armée, Père Ubu.

Père Ubu. — Qui a dit ça ?

Le Fourneau. — Déroulède, Pellieux, Gonse, Billot, Drumont, Marinoni, Xau et autres soldats militaires.

Père Ubu. — On a dû les poursuivre.

Le Fourneau. — Eh non, on a poursuivi M. Gohier, qui n’avait dit que la même chose.

Père Ubu. — Mais Urbain Gohier, c’est un nom de pape ou de templier, cet homme, de par ses ancêtres, mérite le bûcher.

Le Fourneau. — Pourquoi pas Boisdeffre ou Billot, comme Panurge, pour cuire ses moutons, brûlait les grosses souches pour en avoir les cendres ? — Mais c’est imprudent, Père Ubu, d’arrêter votre omnubu sous cette tour en chute, au bord de cette fontaine.

Père Ubu. — Laissez mes chevaux se baptiser l’estomac.

Le Fourneau. — Mais, Père Ubu, nous allons périr dans cette eau. Je croyais que vous m’offriez un omnibus, est-ce par ladrerie que vous voudriez ne me faire aller qu’en bateau ?

Père Ubu. — Tous les bateaux mènent à Rome.

Le Fourneau. — Le traitement religieux actuel n’est pas à l’eau, Père Ubu, le curé Kneipp est mort, on cérémonise avec des ciseaux.

Père Ubu. — C’est le libre-échange des religions.

Le Fourneau. — Et les revendications féministes, vont-elles jusqu’à ?… Mais que peut-on couper aux dames ?

Père Ubu. — Je propose qu’on leur coupe la langue, mais rien que le petit bout.

Le Fourneau. — La parole, voulez-vous dire.

Père Ubu. — Si on l’a coupée à Madame ***, tant pis, car elle est bien spirituelle.

Le Fourneau. — N’est-ce point dans cette église que sévit ?…

Père Ubu. — D’ores et déjà le Monsieur en or ? Sans doute, mais puisque nous sommes à la fontaine, je vais laisser traîner le croc à phynances. Nous verrons si la pêche est fructueuse dans les rues de Paris.

Le Fourneau. — Ça ne mord guère, Père Ubu ?

Père Ubu ? — Comment, j’ai déjà ferré trois chevaux de fiacre, deux chiens errants et M. Maurice Barrès. Eh ! j’ai encore accroché quelque chose.

Le Fourneau. — C’est, je crois, le préfet de police.

Père Ubu. — Non, ce qui nous arrête, c’est le bâton de la même couleur. Tiens, voici notre amie madame France, elle va nous réclamer encore un exemplaire relié en veau de notre biographie.

Le Fourneau. — Votre signature suffira, Père Ubu.

Père Ubu. — De par ma chandelle verte, je vous vais arracher les yeux.

Le Fourneau. — Ne vous échauffez point, Père Ubu. — Et son fils Anatole, que devient-il ?

Père Ubu. — Il fait des choses merveilleuses et dreyfuse dans un journal anti-dreyfusard.

Le Fourneau. — Aussi cet Écho de Paris lui a-t-il donné le maître qui lui convenait, académicien et professeur de morale civique.

Père Ubu. —

Lemaître fait de la morale,
Aphrodite est au Bon-Marché.

Le Conducteur. — Places, s’plaît.

Le Fourneau. — Comment, payer des places.

Père Ubu. — Ne faites pas attention, c’est le pourboire que cet esclave me demande sous cette forme peu respectueuse, et le malin sait bien que je vais lui donner les beaux sous neufs que vient de frapper pour notre usage personnel M. Dupuis, frappeur de notre phynance.

Le Fourneau. — Et président de votre conseil.

Père Ubu. — Mais non, ils sont du Puy tous les deux ou dignes de l’être.

Le Fourneau. — Brissons là-dessus, Père Ubu.

Père Ubu. — Mon croc à phynances vient encore de prendre quelque chose. Ha, ha ! c’est M. Roger Ballu qui court à son inspection des Beaux-Arts.

Le Fourneau. — C’est la première fois que je le vois.

Père Ubu. — Car il est comme le cochon dans son étui ou le rasoir dans son nid, on ne le voit jamais. Je le décroche, car il va examiner la place réservée à la peinture à l’Exposition.

Le Fourneau. — C’est lui qui voulait disposer les cimaises dans la grande roue, comme. M. Bouguereau désirait supprimer la peinture ancienne, qui n’est pas à vendre ?…

Père Ubu. — Alors que sa peinture à lui représente de l’argent. Parfaitement, chaque nécessité de la nature lui fait perdre près de cent francs.

Le Fourneau. — Se console-t-on de la mort de Puvis ?

Père Ubu. — On peut s’en consoler. Il a été remplacé par un peintre Detaille au conseil de l’Ecole des Beaux-Arts. De même, les élèves de Gustave Moreau, que nous venons de faire misérablement périr, ont compris l’attention délicate qui nous a fait lui donner comme successeur Aimé-Morot. Vu la similitude des noms, l’enseignement du maître vénéré n’a pas été changé de beaucoup plus d’un iota. O. T. à ses élèves pour cause de départ. Heureusement qu’à travers l’Atlantique nous arrive la peinture mirifique de Gauguin, fondateur de l’art académique haïtien. Et à la Revue Blanche, Vallotton expose des parties intimes de l’amour. Et Vuillard décore au moyen de panneaux.

Le Fourneau. — Quel est ce grand peuple en rumeur ?

Père Ubu. — Ce n’est rien, c’est le Balzac de Rodin qui monte sur un banc pour faire un discours, mais il est manifeste à tout le monde qu’il est servilement copié de celui de Falguière.

Le Fourneau. — Dénombrez-moi, s’il vous plaît, homériquement ce peuple, Père Ubu.

Père Ubu. —

Carrière celui qui vaporise.
Bergerat va-t-en guerre.
Pierre Louÿs Aphrodite.
Rey hier.
Daudet Léon.
Franc-Nohain Flûtes.
Vallotton boise.
Vuillard décore.
Rambosson Yva (nhoé).
Guilbert celle qui Yvette.
Paul Séruzier celui qui mesure.
Meyer capitaine.

Bruchard celui qui bruche.
Réja balle.
Schwob sait.
Rachilde celle qui hors nature.
Vallette celui qui Mercure.
Natanson ceux qui Revuent Blanche.
Garnier celui qui mécène.
Renard écorche vif.
Antoine théâtre.
Gémier gidouille.
Déroulède patrouille quand même.
Coquelin aîné.
Coquelin cadet.
Le Roux Hugues.
Leroux Églonne.
Églon celle qui Leroux.
Mirbeau celui qui supplicie.
Moreno celle qui Ophélie.
Henri de Régnier celui qui cyclope.

Richepin celui qui gueuse.
Jacotot Paphnutius.
Réjane celle qui parisienne.
Sarah Mède.
Guitry celui qui vestonne.
Le Bargy cravate.
Saint-Pol-Roux magnifique.
Henry Gauthier-Villars celui qui ouvre estivalement.
L’Ouvreuse celle qui willyain monsieur.
Tristan Bernard celui qui berne, nickelle les pieds et
chasse les chevelures.
Émile Bernard bretonne.
Saint-Georges de Bouhélier celui qui naturise.
Vandérem calice.
Samain poète.
Hermant Transatlantiques.
Erlanger Kermaria.

Fauchey celui qui carmagnole.
Dupont édite.
Durand édite.
Dubois celui qu’on édite.
De Bréville celui qui furette.
Bruneau zole.
Dumur Rembrandt.
Huysmans digère par la trappe.
Gyp celle qui miraBob.
Charbonnel celui qui orties.
Georges Bans critique.
Straus aime les images.
Delafosse pianiste avec aisance.
Claude Debussy Pelle (et as et Mélisande).
Dujeu règne en Pologne.
Lugné-Poe court à pied.
Mounet-Sully Hamlet.
Claretie administre.

Bouillon celui qui coupe les lys.
A.-Ferdinand Hérold celui qui connaît ainsi.
Alfonse Hérold celui qui meuble.
Odilon Redon mystère.
Gustave Kahn voyage en palais.
Séverin mime.
Léon Abric parle avec élévation.
Ranson tapisse.
Maurice Denis mystique.
Toulouse-Lautrec affiche.
André Mellerio estampe et l’affiche.
Colonne concert.
Georges Hue musique à dia.
Roussel pantinait.
Roussel Xavier-K.
Germain guignolet.
Charpentier muse.
Vollard devanture.
Bourgault Ducoudray.

Ducoudray celui qui Bourgault.
Paladilhe celui qui mandoline patriotiquement.
Ch. Bordes gervaise saintement.
De Groux vendanges.
Fénéon silence.
Salvayre est ainsi.
Widor est également ainsi.
Léon Dierx prince.
Fauré mélodivine.
Mellot celle qui méli-.
Allais (Alphonse) celui qui ira.
Loti renaude.
La Jeunesse oust.
Forain psst.
Ibels siffle.
Coolus Lysiane.
Thomé bamboula.
Laparcerie celle qui charmante.
Donnay celui qui amoureuse.

Schneklud celui qui violoncelui.
Reynaldo Hahn.
Diémer touche pleyellement.
Renoir peint.
Detaille uniforme.
Degas bec.
Becque de gaz.
Bartholdy lion de Belfort.
Kikourt bibine.
Chapuis fils bon pive.
Menier blanchit en vieillissant.
Drumont ne parle pas librement.
Louise France celle qui Mère Ubu.
Anatole France celui qui rôtit chez la reine.
Lorrain raitif.
Mulder moulde.
Zo d’Axa feuille.
Rousseau celle qui douanait.
Dupuy celui qui préside.

Freycinet celui qui guerroie.
Lockroy batelle.
Peytral phynance.
Delambre trafique.
Mougeot facte.
Viger poireau.
Leygues instruit en public.
Trouillot Quolonise.
Delcassé celui qui est affairé extérieurement.
Krantz Celui dont le labeur ignore le huis-clos.
Cremnitz celui qui patafiole.
Dupuis pièce d’un sou.
Roty pièce de dix sous.

NÉCROLOGIE

Stéphane Mallarmé

« L’île de Ptyx est d’un seul bloc de la pierre de ce nom, laquelle est inestimable, car on ne l’a vue que dans cette île, qu’elle compose entièrement. Elle a la translucidité sereine du saphir blanc, et c’est la seule gemme dont le contact ne morfonde pas, mais dont le feu entre et s’étale, comme la digestion du vin. Les autres pierres sont froides comme le cri des trompettes ; elle a la chaleur précipitée de la surface des timbales ; nous y pûmes aisément aborder, car elle était taillée en table, et crûmes prendre pied sur un soleil purgé des parties opaques ou trop miroitantes de sa flamme, comme les antiques lampes ardentes. On n’y percevait plus les accidents des choses, mais la substance de l’univers, et c’est pourquoi nous ne nous inquiétâmes point si la surface irréprochable était d’un liquide équilibré selon des lois éternelles, ou d’un diamant impénétrable, sauf à la lumière qui tombe droit.

Le seigneur de l’île vint vers nous dans un vaisseau : la cheminée arrondissait des auréoles bleues derrière sa tête, amplifiant la fumée de sa pipe et l’imprimant au ciel. Et au tangage alternatif, sa chaise à bascule hochait ses gestes de bienvenue.

Il tira de dessous son plaid quatre ceufs, à la coquille peinte, qu’il remit au docteur Faustroll, après boire. À la flamme de notre punch, l’éclosion des germes ovales fleurit sur le bord de l’île : deux colonnes distantes, isolement de deux prismatiques trinités de tuyaux de Pan, épanouirent au jaillissement de leurs corniches la poignée de mains quadridigitale des quatrains du sonnet ; et notre as berça son hamac dans le reflet nouveau-né de l’arc de triomphe. Dispersant la curiosité velue des faunes et l’incarnat des nymphes désassoupies par la mélodieuse création, le vaisseau clair et mécanique recula vers l’horizon de l’île son haleine bleutée, et la chaise hochante qui saluait adieu. »

(Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien. De Paris à Paris par mer.)

Mallarmé se réjouit de lire le périple et se leva une dernière fois, la main vers le docteur, du fauteuil à bascule dans le décor de suggestive beauté.

Faustroll, par la nef de la forêt, le long des fougères tapissant (tapinois et tapisserie) leurs faux à pustules d’Atropos, redescendit à l’automne, pieds nus sur la route, vers les arches de Valvins.

L’enterrement s’élevait selon la route de Samoreau, et s’écoula selon la digue des cimetières nombreux.

La petite église fut sobre et absolue, les deux chantres plus douloureux d’être faux, les vitraux concilièrent leur pauvreté dans de la lumière comme la foule choisie la pluralité de ses croyances dans l’agenouillement ensemble devant le catholique (puisque ce veut dire quelquefois universel) de la gloire.

Deux femmes très nobles étaient les cariatides de toute cette douleur.

Faustroll se hâtant sur le courant blanc, comme un liseré de tenture d’église, de la route par la forêt de palmes déchues, appréhendait la voix horrifique informant par trois fois Thamoun de la mort de celui dont ont aussi écrit, pour ceux qui savent lire, Hérodote, et Cicéron au tiers livre de la nature des Dieux.

Le fleuve dépose éternellement, circulaire miroir de la gloire, autour de la tombe jusqu’aux pénultièmes horizons, sa couronne mortuaire.

CONSEILS
aux Capitalistes et Perd-de-Famille

Il faut acquérir sans retard, car c’est un bon placement d’argent,
15, rue de l’Échaudé Saint-Germain :

Ouverture d’Ubu Roi, piano à 4 mains.

Marche des Polonais, piano à 2 mains.

Chanson du Décervelage.

Trois Chansons à la Charcutière.

a) Du Pays tourangeau.

b) Malheureuse Adèle.

c) Velas ou l’Officier de Fortune.

La Complainte de M. Benoît.

Paysage de neige.

Benjamin.

Berceuse obscène.

Ubu Roi, texte et musique, fort beau livre autographié, dont il ne reste plus que quelques exemplaires. Prière de se presser.

Sollicitudes.

Romance des Romances.

Ubu Roi, texte seul, format de poche, édition imprimée avec des caractères spéciaux et dont il reste à cette date 14 exemplaires.

Chanson du Porc-Épic.

Ronde des Neveux inattentionnés.

Ce qu’on entendait le soir dans les rues de Gênes.

Le Triangle orgueilleux a dit.

Histoire de la vieille dame très dévote.

Pied de Saint-Pierre, cantique.

Les Pédicures.

Propos de bain.

Solfège illustré, le seul qui apprenne rapidement la musique aux petits enfants.

Scènes familières pour piano.

Grand Ordre de la Gidouille

STATUTS

Article premier. — Tout postulant à la dignité de membre de l’Ordre de la Grande-Gidouille devra être pourvu des quatre siens, posséder un cerveau du poids de trente grammes au moins, deux yeux au plus, et justifier qu’il sera en mesure de présenter à toute réquisition environ trois cents cheveux et quarante-cinq (ce nombre pouvant être fort réduit pour les femmes femelles) poils de barbe sur chaque bajoue.

Article II. — Il devra soumettre sa supplique au siège de l’Ordre, libellée sur papier vert, sous enveloppe jaune, affranchie à quinze centimes pour le moins. Il devra tenir en réserve, en vue d’un banquet de quatre couverts, une pareille somme de quinze centimes, les francs en sus.

Article III. — Outre ces qualités physiques et morales, il devra produire un titre d’honorabilité suffisante, selon l’appréciation des grands-maîtres de l’Ordre, dans l’armée, la magistrature, les arts, le clergé, le commerce, la noblesse ou la pègre.

Article IV. — Les insignes de l’Ordre ne pourront être portés, sauf dispense conférée par les grands-maîtres, qu’à l’exclusion de tous autres.

Article V. — Les grades décroissants sont : Pères Ubus ou Grands-Maîtres, 1er fils, 2e fils, 3e fils, 4e fils, petit-fils.

Prophéties

Sera représenté pour l’Exposition de 1900 :
Pantagruel

pièce nationale en cinq actes et un prologue que viennent de terminer

Alfred Jarry et Claude Terrasse.
TABLE DES TABLEAUX
prologue
1re Tableau
Chœur des Buveurs et Funérailles de Badebec.
2e Tableau
Défilé des Géants, ancêtres de Pantagruel.
acte premier
1er Tableau
Sc. I. — Enlèvement des cloches de Notre-Dame ; Les jurements dans l’église.
Sc. II. — La messe de Frère Jean ; Panurge
marie les vieilles ; La grande Dame et Pantagruel.
2e Tableau.
Le Conseil de Picrochole.
3e Tableau.
Le Cloître de Sévillé ; Chant des Psaumes ; La vieille Lourpidon.
Sc. VI. — Picrochole aux Enfers.
4e Tableau.
Thélème (Ballet).
acte ii
Sc. I. — Panurge consulte Pantagruel sur son sort en mariage.
Sc. II. — Le songe de Panurge, pantomime.
Sc. III. — Chez la Sibylle de Panzoust. Chœur des Ventriloques.
Sc. IV. — Les litanies des fols ; Triboulet.
acte iii
Sc. I. — Les moutons de Panurge.
Sc. II. — Les paroles dégelées.
Sc. III. — La Tempête.
acte iv
Sc. I. — L’embuscade des Andouilles ; Défilé des Andouilles.
Sc. II. — Marche des Cuisiniers.
acte v
Sc. I. — Le Royaume de la Quinte-Essence ; Défilé des Nègres et des Renards ; Les Giborins gardent la lune des loups.
Sc. II. — La cave de la Dive Bouteille ; Danses de Panurge : les trois Ithymbons.
Sc. III. — Les Noces de Panurge ; Cortège de Bacchus et chœur des Buveurs.
Table
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