Almanach des muses 1773/Réponse à une lettre de M. le chevalier de la Tremblaye

Almanach des Muses
(p. 67-73).


LETTRE
À Madame la Marquiſe d’Antremont, après un voyage en Grèce & en Italie.


EN regagnant mon hermîtage,
j’ai trouvé vos charmans écrits,
entre Bernard & Deſmahis,
dans le porte-feuille d’un ſage.
Combien Voltaire en ſent le prix !
& Voltaire a trois fois mon âge !
Je viens du pays de Phaon ;
mais c’eſt pour marcher ſur vos traces.
J’ai cueilli le myrte des grâces
ſur le tombeau d’Anacréon,
j’ai vu Chypre, Ios, Mitilene,
& reſpiré la douce haleine
& de Venus & d’Apollon.
J’ai volé des champs d’Aréthuſe
aux caſcades de Tivoli ;
l’ombre d’Horace m’a ſuivi
aux bords enchantés de Blanduſe.
J’ai reconnu, ſur un hameau,
le moineau chéri de Leſbie,
& bû de l’onde du ruiſſeau
où venoit ſe baigner Cinthie.
Que ces rivages d’Auſonie
ſont à mes yeux remplis d’appas !
mais quand on vous lit, on oublie

les merveilles de l’Italie :
Rome entière eſt dans Aubenas.

Au reſte, Madame, j’ai entrepris mon Odiſſée, non pas pour ce public, qui n’a plus que des ſifflets ou des ſerpents, mais pour un très-petit nombre d’amis, avec leſquels je peux voyager librement dans la lune, & me mocquer encore plus librement des ſotiſes du monde ſublunaire. Dans le moment que je travaillois au tableau de Rome, on m’apporte des vers charmans de Madame la Marquiſe d’Antremont. Adieu le Panthéon, le Coliſée, le Capitole. Me voilà ſur ce lit de fougère que vous peignez avec tant de grâces. Je ne vois plus, je n’entends plus que vous.

Ma jeune Muſe invoque-t-elle
l’ombre aimable de Bachaumont ?
les Grâces diſent d’Antremont,
quand la rime exige Chapelle.
Faut-il me plaindre à deux genoux,
baiſant, en digne Catholique,
la ſainte mule apoſtolique ?
je m’écrie, en penſant à vous :
hélas ! cette pantoufle antique,
que l’intérêt, la politique
firent chauſſer à Conſtantin,
eſt un épouvantail magique
pour la moitié’du genre humain :
mais qu’un Pape arbore la vôtre,
iejvluphti la baifc demain,

& l’Hébreu, du culte romain
devient le plus ardent apoire.

On die que Charles XII menaça la Suéde de lui envoyer une de ſes bottes pour la gouverner : c’eſt dans une idée bien différente, Madame, que je vous propoſe d’envoyer une de vos pantoufles au Vatican. Quelle conſolation pour les vrais croyans, de voir ſuſpendus autour de cette précieuſfe relique, la fraiſe de Luther & de Calvin, le chapeau ſans bouton de Guillaume Penn, le doliman, la dalmatique, & cette foule de bonnets de toutes formes, de toutes grandeurs, ſans cornes, à trois cornes & à quatre ! qui oſeroit me taxer ici d’un enthouſiaſme ridicule ?

Ô d’Antremont ! ô Deshoulieres !
Sapho, la Suze, objets charmans !
oui, plut au ciel que vos rubans,
vos pantoufles, vos jarretières,
de nos Pontifeâ plus galans
fuſſent déformais les bannières !
La paix renaîtrait parmi nous ;
plus de combats, plus de querelles,
plus de ces factions cruelles,
qui font des montres ou des fous :
on verroit des parfums plus doux
monter aux voûtes éternelles,
& des cœurs engagés par vous,
ne ſeroient jamais infidèles.

par M. le Chevalier de la Tremblaye.

RÉPONSE À la Lettre précédente.

Vous avez vû l’Italie & la Grèce ;
oui, votre Epitre enchantereffe 2
Je prouve bien : j’en crois ce ton chaimant,
ces tours légers, cette fincffe ;
Anacréon avoit cet enjouement,
Sapho, certe délicateffe ;
Horace, avec cet agrément,
faifoit badiner la fageffe.
Sans doute aux bords de Tivoli,
il a dà marcher fur vos traces ;
il retrouvoit ce luth chéri,
que pour vous feul avoient gardé les Graces,
Je ne m’étonne pas que fous cet arbrifleau,
où l’Amour dépofa les cendres de Lefbie,
vous ayez vù voltiger fon moineau :
n’étiez-vous pas fur le tombeau ?
il crut Catulle encore en vie :
mais je m’étonne qu’au rulffeau
où venoit fe baigner Cinthie,
Endimion n’en ait pas troublé l’eau !
Que ne peut-on vous fuivre à Mitilene !
que dis-je ? eh non, pourquoi courir ?
on lit vos vers, & c’eft jouir ;

de Venus, d’Apollon c’eſt reſpirer l’haleine.
Efprit léger, réformateur charmant,
qui voudriez qu’un Pape, au Capitole,
parut pontificalement
chauffe des mules d’une folle,
qui prétendez que fon Divan
mette nos pompons en bannieres ;
& qui bientôt aux têtes à turhan,
aux fronts à corne, à doliman,
iriez nouer nos jarretieres,
ce projet me paroît galant :
mais croyez-vous qu’on en fût moins en guerre ?
&elas ! l’homme eft fi turbulent !
il faut fi peu pour mettre en feu la terre !
Grands ou petits, chacun a fon tonnerre,
fon Olympe & fon Vatican. >
Du haut du fien, Voltaire écrafe
l’opinion, les préjuges divers ;
fur les débris, Cléon avec emphäfe,
faic jouer fes pétards contre ce Dieu des vers,
De toutes parts, voyez dans l’Univers,
s’entrechoquer l’efprit & l’ignorance,
le ſage en bute aux fureurs des cagots ;
vous avez beau prècher La tolérance :
on ne corrige pas les fots.
Comment faire entendre aux dévots,
que la raifon eft l’indulgence ?
c’eſt un malheur : mais enfin tel qu’il eſt,
je l’avoûrai, ce monde-ci ine plaît.
Dans ce conflit de troubles, de querelles,

dans ce chaos de contradictions,
je ris de voir, pour des opinions,
le feu monter, & tourner les cervelles u
à je me dis, fi pour des bagarelles
s’élevent ces diviſions,
il faudra bien ſouffrir les fadions,
la jalouſie & les prétentions,
dans le petit état des Belles.
Ces oracles des nations,
ces demi-Dieux font ils plus ſages qu’elles ?
il ſe battent pour des pompons !
Hélas ! tel eſt ce monde ſublunaire ;
tel eſt ſurtout cet empire orageux,
où la Tremblaye attend le ſceptre de Voltaire,
Que de noirceurs, que de traits odieux,
lancent des auteurs ténébreux,
contre Îe Dieu qui les éclaire,
& rit de leurs complots affreux !
Heureux qui fait braver l’orage !
mais plus heureux qui du rivage,
contemple, fous l’aile des ris,
les flots battus par la tempète,
& le naufrage des écrits !
qui, tranquille dans fa retraite,
s’applaudit de n’avoir appris
qu’à crayonner dans ſes tablettes,
ne lit que des hiſtoriettes,
ne voit que le roman du jour,
& fait, au plus, mouler dans des vignettes
l’hymne qu’il conſacre à l’Amour !

Oui, telle eſt ma philoſophie :
jugez ſi, comme vous, je dois craindre l’envie,
^ la cabale, & fcs fitHets bruyans j
vous avez droit auxcourmens du génie :

mais moi, qui n’ai pas la manie

de coudre à la robe du tems

les bagatelles de ma vie,

2c de perdre des jours charnians

à fomenter la jaloufie,

je redoute peu Tes ferpens :

connoît-elle mes rêveries ?

l’cclat eftfait pour les talens,

le fecret pour les fantaifies.

Sans autre efprit que la gaîte,
fans autre feu que celui des faillies, "^
 ; e vais, au bruit du grelot des folies,

me perdre dans l’obfcurite:

le cygne de nos coteries

expire après avoir chante.

par Madame la Marquiſe d’ANTREMONT;