Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/16

Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 50-52).

LETTRE DE PIERRE MATHIEU, 8 novembre 1920.

Réponse à Paul-Henri… apôtre de la SAINTE agriculture !


Le Soleil, 8 novembre 1920


Dans l’ « Action Catholique » du 16 octobre, un certain Paul-Henri explique l’article que M. J.-C. Magnan fit paraître dans le même journal du 13 octobre, sur les écoles moyennes d’agriculture, qui devront préparer aux écoles de Ste-Anne et d’Oka. À l’heure actuelle, entre l’école élémentaire et ces deux institutions, Paul-Henri ne voit rien qui y prépare, ce qui est vrai. Il voit des académies commerciales qui en détournent, ce qui est faux. Toujours le même spectre. Encore un qui voit du « commercial » partout, et qui croit connaître tout ce qui s’enseigne dans ces écoles parce qu’il a aligné avec une finesse douteuse ces trois mots : “bookkeeping”, “banking,” “English-speaking.” Une raillerie si épaisse doit être du genre de celles qui firent écrire à La Bruyère : « La moquerie est souvent indigence d’esprit. »

Les véritables écoles commerciales préparent aux carrières commerciales. Combien en existe-t-il dans les campagnes ? Notre pédagogue prétend-il que ces écoles dites commerciales ne suivent pas le programme d’enseignement primaire imposé par le Conseil de l’Instruction publique ? Jusqu’à preuve du contraire, nous affirmons que ces écoles ne sont que des écoles primaires. Elles ne sont donc pas un obstacle au plan de M. Magnan qui nous dit que « les écoles moyennes d’agriculture doivent servir de complément aux écoles primaires. » Il ne s’agit donc pas de transformer, mais de créer. Alors, pourquoi poser au docteur et d’un geste indicatif dire sentencieusement : « Là, on apprend les opérations du commerce. » Le commerce suppose autre chose que cela.

On croirait, à lire Paul-Henri, que les maîtres qui dirigent ces écoles dites commerciales, sont les ennemis de la classe agricole. Ne dit-il pas « que là le jeune homme se fait une fausse idée de la vie agricole ; qu’il s’habitue à croire que rester sur la terre c’est renoncer à occuper une position sociale supérieure et respectée. » Notre scribe a cru entendre, en rêve sans doute, un professeur et des parents eux-mêmes dire aux enfants : « Vous ne serez jamais bons qu’à marcher en arrière des bœufs et à tenir des mancherons de charrue. » Cela est bon pour s’exercer à faire de la phrase privément ; mais il ne faut pas prêter ces propos vulgaires à d’autres et encore moins enchâsser de telles perles dans un article de journal.

Comment concilier ces affirmations avec les paroles de M. Jean-Charles Magnan en 1916 : « Depuis que le personnel enseignant s’occupe activement dans nos écoles à faire aimer et respecter l’agriculture, à enseigner les notions générales et à ruraliser l’enseignement, on constate que la jeunesse aime la profession agricole et l’apprécie de plus en plus. Ainsi, plusieurs enfants, qui ont connu à l’école les avantages de l’agriculture sont restés attachés à la terre. »

Bien que, suivant M. Magnan « l’école primaire ne soit pas une école d’agriculture et que ce serait faire fausse route que de lui faire jouer ce rôle, » les Frères enseignants, qui tiennent ces prétendues académies commerciales, ont fondé dans un grand nombre de pays des écoles d’agriculture, il y a longtemps, bien avant Paul-Henri. Ils ont d’excellents manuels sur l’art agricole. À ma connaissance, ils ont même essayé de fonder une école d’agriculture, au plein sens du mot, à St. Grégoire. Une pétition signée par presque tous les habitants de la paroisse fut adressée à la Législature pour réaliser ce projet. La réponse fut que l’heure n’était pas encore venue pour cette sorte d’entreprise. Nul doute que des efforts analogues furent tentés dans d’autres endroits. Pour développer le goût de l’agriculture chez les élèves, des jardins scolaires furent établis dans les écoles dites commerciales de Nicolet, St-Casimir, St-Raymond, Lac-Mégantic, St-Augustin, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Yamachiche, St-Ferdinand, St-Georges-de-Beauce, Ste-Anne-de-Beaupré, et ailleurs, voire même dans Québec où, durant la guerre, un grand nombre d’élèves de l’école St-Jean-Baptiste ont fait des expériences agricoles sur un terrain à proximité de la ville. Un agronome dirigeait les élèves dans leurs travaux. En 1915, on comptait 710 jardins scolaires dans la province de Québec et 18,000 élèves jardiniers. Ce nombre n’a pas diminué puisque d’après le dernier annuaire statistique il y a actuellement 945 jardins scolaires et 22,761 élèves jardiniers. M. J.-C. Magnan a pu dire : « Au cours de mes visites, j’ai vu à l’œuvre les Frères des académies rurales. L’œuvre des jardins scolaires a été comprise par le personnel enseignant. »

Paul-Henri ajoute que « là, les vocations d’« habitants » se perdent. » Pourrait-il nous dire le nombre des fils d’« habitants » qui fréquentent ces écoles ? Connaît-il les statistiques ? Si de telles vocations se perdent dans ces écoles, ne s’en perd-il pas ailleurs où certaines institutions, ni commerciales ni agricoles, regorgent d’enfants de la campagne, fils d’« habitants » ?

Il aurait été surprenant que Paul-Henri, du fond de son cabinet, n’eût pas fait un peu de sentimentalité sur la vénérable agriculture. En effet, il déclame : « Ce n’est pas une facile besogne que de tracer dans le sol un sillon bien droit et suffisamment profond : il y faut du coup d’œil et de l’intelligence comme dans toute autre carrière… Rien n’est plus élevé dans un pays, plus digne de sympathie et de respect que la profession de laboureur. » Cela ne coûte pas cher, pas plus que de frapper sur le dos de nos instituteurs avec une plume d’oie. Il y a longtemps que ces doléances sont hors d’usage. L’abbé Augustin Sicard, il y a quarante ans, nous en fit voir l’inutilité et le ridicule. Il dit plaisamment dans un de ses ouvrages : « Le dix-huitième siècle, qui avait peut-être puisé une partie de son enthousiasme pour l’agriculture dans la lecture de Télémaque, ne put pas se défendre de tomber dans la sentimentalité. N’était-ce pas le cas de se livrer aux effusions d’une philanthropie expansive, toujours empressée à faire parade de sa tendresse pour le pauvre peuple ? Que de fois en ce siècle on célébra, même en chaire, l’agriculture, la sainte agriculture ! Que de larmes furent versées par les âmes sensibles, à la seule pensée de cette noble et modeste profession ! Que de fois on montra à une jeunesse attendrie, Cincinnatus à la charrue, ou l’empereur de la Chine ouvrant tous les ans le premier sillon, pour donner le signal du labour à son immense empire !… chaque élève pris d’un tendre amour pour le coin de terre qu’il arrose de ses sueurs apprendra par là même à respecter le droit de propriété. Ces jeunes hommes connaîtront par expérience un art sans lequel il n’y a pas de nation et, au besoin, ils sauront s’attendrir sur les infortunés qui l’exercent. Ô scène attendrissante ! Ô sainte agriculture ! »

Ne posez pas en protecteur de l’agriculture, Paul-Henri, comme si chaque toit d’école dite commerciale abritait une armée prête à faire feu sur la classe agricole. Vous avez raison de féliciter les bons mouvements qui se font dans le sens agricole, mais respectez le champ scolaire, commercial ou non. Inutile d’y jeter vos pierres surtout d’une façon si maladroite.

Pierre Mathieu.