L’action paroissiale (p. 149-152).
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XX


Allie et sa petite famille étaient si intéressées au récit de mes aventures que le choc du marteau sur la porte produisit une espèce de commotion. C’était pourtant la chose la plus naturelle du monde que quelqu’un frappât à la porte d’une maison habitée ! Cependant, Allie resta interdite et les enfants parurent inquiets.

— Veux-tu que j’aille ouvrir ? dis-je à Allie pour la tirer d’embarras.

— Oui… Non… Non, j’irai moi-même. Tu es là, il n’y a pas de danger.

Allie ouvrit. C’était M. le curé, qui venait donner quelques détails supplémentaires pour l’organisation de la tombola. Elle s’excusa auprès de moi et fit passer le curé dans une pièce voisine.

— Vous allez continuer votre histoire, Monsieur Reillal ? dit Olive.

— N’attendrai-je pas plutôt le retour de votre maman ?

— Je n’y pensais pas. J’avais hâte de savoir ce que vous aviez fait de vos diamants.

— Nous verrons cela tout à l’heure ; si M. le curé ne prolonge pas trop sa visite, je continuerai mon récit.

Un journal à moitié ouvert gisait sur une table. Mon attention fut attirée par une manchette en caractères gras : Concours patriotique.

— Voici les réponses que nous avons reçues à notre dernière question : Que pensez-vous de l’avenir du français au Canada ? »

Les opinions les plus variées y étaient exprimées, et je pus constater, avec un chagrin mêlé d’inquiétude, que le Canada français compte un nombre incroyable de défaitistes. Le traditionnel « à quoi bon », marque infaillible des âmes veules et sans fierté, s’étalait avec impudence dans plusieurs des opinions exprimées par les concurrents. L’horizon borné de ces hommes à volonté gélatineuse, qui se tiennent pour battus avant d’avoir engagé la lutte, ne concorde pas avec les vastes horizons de la belle nature canadienne, où la France a tracé un sillon profond et laissé son empreinte encore vivante dans tous les cœurs bien nés.

À quoi bon ? Si les soixante mille colons abandonnés par la France sur les bords du Saint-Laurent avaient ainsi jeté le manche après la cognée, il y aurait belle lurette que le verbe français serait disparu de la terre canadienne. Heureusement que la majorité de nos gens ont exprimé leur volonté de vivre !

En marge de ces expressions d’opinions, Allie avait noté ses impressions, au crayon. « Aussi longtemps que les Canadiens-Français seront divisés en deux camps, rouge et bleu, aussi longtemps que le peuple fermera les yeux sur la tactique de nos adversaires de toujours : « diviser pour régner », maxime anglaise si adroitement déguisée mais si habilement exploitée, nous resterons en état de stagnation et nous continuerons à tâtonner. Aujourd’hui, cette question ne devrait plus se poser. « Vaincre ou mourir » devrait être notre devise, si nous voulons rester dignes des preux qui furent nos ancêtres !

« Qui fera ce miracle d’arracher l’âme canadienne aux tentacules de ces pieuvres que sont les partis politiques ? Qui fera de ces êtres désemparés un faisceau capable de résister aux attaques de l’ennemi ? Je voudrais être homme pour aller revendiquer les droits de ma race et les imposer au besoin ! »

Paroles fières et bien dignes de celle qui les avait écrites, en marge de cette enquête !

Le curé prit bientôt congé d’Allie et s’excusa, en passant près de la porte du vivoir, de nous avoir dérangés. Allie nous rejoignit immédiatement, en disant :

— Nous avons interrompu ton récit, Olivier ?

— Oui, mais cela m’a permis de faire une belle découverte !

— Ah ! Qu’as-tu donc pu explorer en si peu de temps ?

Ceci, lui dis-je, en lui montrant l’annotation en marge des réponses.

— Ce sont des impressions subites qui me sont passées par la tête en lisant ces opinions, les unes intelligentes et patriotiques, les autres stupides comme leurs auteurs. Il y a une chose que je n’ai jamais pu tolérer : c’est la lâcheté !

— Te dire que je partage tes idées serait une expression trop banale pour exprimer toute mon admiration. D’une âme haute ne peuvent sortir que des sentiments nobles et, sans être surpris de tes réflexions, je te félicite.

— Tu es en veine de compliments, Olivier ! Si tu continuais ton récit ?

— Avec plaisir ; mais pas avant de te dire que je reviendrai sur ce sujet patriotique, plus tard. Qui sait si le salut de la race ne viendra pas d’une femme ?