Aline et Valcour/Note de l’Éditeur

Chez la veuve Girouard (Tome 4p. 366-374).

NOTE DE L’ÉDITEUR.




La correspondance cessant ici, il nous devenait très-difficile de transmettre au lecteur la suite de cette histoire ; mais l’extrême envie que nous avons de lui plaire, l’intérêt que nous lui supposons pour les personnages avec lesquels il vient de vivre, les ressources qui nous ont été fournies par monsieur Déterville, nous ont mis à même de donner quelques éclaircissemens dont nous espérons qu’on nous saura gré.

Le deux mai, vers le soir, le corps d’Aline partit mystérieusement du château de Blamont, sous la conduite de Julie, à laquelle le président imposa le plus rigoureux silence. Tout arriva à Vertfeuille le six mai, et Aline fût aussi-tôt placée, suivant ses désirs, dans le même tombeau que sa mère.

Déterville prit Julie dans sa maison, où elle est encore aujourd’hui, près de sa femme, avec cent pistoles d’appointemens et la certitude d’y finir ses jours ; mais il ne s’en tint pas à ces légers soins, de plus importans l’animèrent bientôt. Trouvant les crimes du président trop horribles pour rester impunis, dévoré du désir de venger de si tendres amies ; dès que ses affaires furent expédiées à Vertfeuille, il fut en poste trouver le comte de Beaulé, son devoir l’avait retenu malgré lui. Cet officier plein de mérite, et fort en crédit, jura à Déterville de l’aider à tirer vengeance du monstre qui venait de les priver l’un et l’autre de deux femmes qui leur étaient si chères. Ils revinrent aussi-tôt à Paris, leurs premiers soins furent de faire faire les plus exactes perquisitions sur Augustine, complice des noirceurs de monsieur de Blamont. Elle fut trouvée dans une autre terre de ce scélérat, en Champagne, où elle attendait en paix la récompense de ses indignes services. Le comte et monsieur Déterville décidés l’un et l’autre à ne point faire d’esclandre à cause de Léonore, que, d’après les volontés de madame de Blamont, on désirait de faire rentrer dans les biens que lui destinait sa naissance réelle, en renonçant à ceux auxquels elle n’avait aucun droit, se contentèrent de faire interroger secrètement Augustine devant des gens préposés par le ministère ; elle avoua tout, et fût à l’instant condamnée à aller finir sa vie dans un couvent de force, , destinée aux plus vils ouvrages, elle pourra pleurer long-temps les égaremens affreux de sa jeunesse.

Le corps de délits contre monsieur de Blamont se trouvant complet par les aveux d’Augustine et par ceux des témoins que cette fille nomma et que l’on entendit secrètement comme elle, le ministre expédia sur-le-champ un ordre pour le faire arrêter ; cet homme toujours aussi surveillant que fourbe et criminel, n’avait pas vu sans manœuvrer également, les démarches des amis de sa femme ; il n’avait pas été assez heureux pour les rompre, mais il avait été assez adroit pour les prévenir,… il s’était évadé. Le comte ne jugea pas à propos de pousser les choses plus loin ; et, débarrassé de cet indigne mortel, on ne travailla plus qu’à mettre Sainville et Léonore en possession des biens de la maison de Blamont, en légitimant la naissance de Claire, en prouvant, au moyen de tous les actes dont on était muni, qu’elle était réellement fille de monsieur et de madame de Blamont, et non de la comtesse de Kerneuil, à la succession de laquelle elle renonça publiquement, ce qui n’affligea pas les collatéraux. Ces deux époux se trouvent donc en possession de la terre de Vertfeuille, dont ils font leur plus agréable séjour, et au moyen de deux millions que le roi d’Espagne a fait rendre sur les lingots de Sainville… de la fortune considérable de la maison dans laquelle ils entrent, on voit qu’ils se trouvent infiniment riches ; mais l’humanité ne sera plus offensée de l’emploi que cette jeune femme fera désormais de ses richesses. L’horrible destinée du père, de la mère et de la sœur de Léonore, ont plus touché ce caractère dur et altier, que tous les malheurs qu’elle avait éprouvée dans ses voyages, et le premier effet de son retour à la bienfaisance, a été de faire chercher avec le plus grand soin l’azyle de son père ; l’ayant découvert à Stockolm, elle lui a fait dire qu’il eût à prendre un lieu de résidence fixe ; que là elle le ferait jouir d’un bien qu’elle n’avait accepté que pour le soigner, l’améliorer et goûter le plaisir délicat pour son cœur de lui en faire annuellement passer les revenus,… ce qu’elle fait avec la plus grande exactitude, et le président,… non corrigé, mais plus prudent sans doute, a joui quelques années en paix, de plus de cinquante mille livres de rentes à Londres, qu’il avait choisi pour sa retraite ; mais le ciel, qui ne laisse jamais le crime impuni, a permis que ce scélérat fût assassiné par des voleurs, en allant visiter le nord de l’Angleterre.

Sainville toujours honnête et sensible, a voulu partager dans un autre genre la piété filiale de sa chère épouse, il a fait élever à Aline et à sa mère un mausolée superbe dans l’église de Vertfeuille, dont les attributs sont : la constance, la piété, la foi conjugale et l’amour, plaçant des couronnes de myrthes et de roses sur la tête de ces deux femmes infortunées, qu’on voit serrées dans les bras l’une de l’autre.

Dolbourg tout à fait revenu de ses travers, habite une petite campagne, loin de Paris, où il mène la vie la plus régulière, avec un bien très-médiocre, ayant laissé tout ce qu’il possédait à ses parens et aux pauvres. Monsieur Déterville, sa chère Eugénie, madame de Senneval et le comte de Beaulé, continuent d’aller, comme autrefois, passer une partie de leurs étés à Vertfeuille, contens d’avoir vengé, sans répandre de sang, des personnes qui leur étaient si chères ; ils jouissent avec calme des agrémens de la société des nouveaux habitans de Vertfeuille, où ils ne vont jamais sans offrir un tribut de larmes et de prières aux mânes de ces deux femmes vertueuses, qu’ils chérirent et respectèrent autant l’une et l’autre.

Quant à monsieur de Valcour, après des mouvemens de désespoir affreux, après avoir été six semaines entre la vie et la mort, il s’est jetté dans les bras de Dieu et a fini ses jours au bout de deux ans dans l’abbaye de Sept-Fonds, qu’il a édifiée par une résignation, une candeur et des austérités les plus sévères. Ce ne fut que quand il cessa de vivre que l’on découvrit sa retraite ; aucun des soins de monsieur Déterville n’avait pu la trouver jusqu’alors, et peut-être lui eût-elle été toujours inconnue, si monsieur de Valcour ne lui eut adressé en expirant une lettre, où il le chargeait de quelques dernières dispositions ; cette lettre apprit à Déterville son ami existait quand il n’était plus temps de le secourir, ce tendre et délicat amant n’avait jamais cessé de porter sur son cœur le portrait de celle qu’il aimait. Il y fut trouvé quand il expira.

Clémentine est toujours en Biscaye, heureuse avec son mari et en commerce avec Léonore, qu’elle vient voir tous les deux ans. Nous ignorons le sort du reste des autres personnages, excepté Sophie, dont nous sommes fâchés de ne pouvoir rien dire, nous ne croyons pas les autres d’une assez grande importance pour que le lecteur doive regretter de ne pouvoir être instruit de ce qui les concerne, au seul Zamé près, néanmoins, qui, sans doute, après une longue carrière, sera mort au milieu d’un peuple dont il était l’idole, emportant avec lui dans la tombe les regrets, l’estime, l’amour et la reconnaissance de tout ce qui l’entourait, flatteuses récompenses de la vertu, de l’honnête homme et du législateur.


Fin de la huitième et dernière partie.