Alton (p. 8-12).


A MA DAMOYSELLE



M. D. CATHERINE DE COQ,


DAME DE LA VAU-JOUR, S.


Je say bien (Mademoyselle) que vous direz, ou penserez ainsi : Qui est ce nouvel homme, qui m’envoie et dedie ce livre ? Je vous declare que c’est moy, Barptolemy Aneau, bien vostre, qui,, ayant dès l’eage de ma premiere cognoissance mis en repost de sacrée memoire, comme en un intime Oratoire, les venerables images et vives representations en l’esprit de tous ceux et celles d’ond j’ay receu bienfaict ou plaisir (car de telle obligation n’est si grand au monde qui s’exempte), par occasion oportune m’est venue au devant la loingtaine ressouvenance de feu memorable personnage monseigneur vostre pere, depuys le temps que avec luy et aucuns de messieurs voz freres je vous vi premierement à Bourges, lieu de ma nativité et patrie, en la noble maison de feu, de digne et reverente memoire, Messire Guillaume de Cambray, Chancelier de Bourges, et (comme adonc je l’entendi) vostre prochain parent, vous pour lors estant en la compaignie et soubz la conduicte treshonnorable de vostre pere, Monsieur des Grenées, retournant de Lyon pour certaine commission Royalle, et de Madame vostre mere, Dame honnorable, à laquelle Dieu doint bonne et longue vie si elle est sur la terre des vivans, et bon repos si en l’autre. Vous alors estant petite damoyselle en l’eage de douze ou treize ans quant à la veüe de l’infante face et du tendre corps, mais quant en provenante sagesse, honnesteté, bonne grace et gentillesse d’esprit, jà beaucoup plus meure et avancée que le temps et l’eage de vous n’estoient parvenuz, par exuberante felicité de nature. Ainsi donc en la maison de monsieur de Cambray je aiant agreable entrée et familiere frequentation par l’octroi et commandement du bon seigneur Patron de case honnorable et liberal personnage, autant docte en tous bons ars comme amateur des bonnes lettres et gens de non fardée doctrine, qui de sa grace m’avoit en conversation domestique et en affection d’amitié chere et frequente compaignie. D’ond m’advint ce bonheur que par ceste frequentation je entray aussi en cognoissance et reverente familiarité avec feu monsieur de Grenées vostre pere, qui, pour grace de visitation et amiable hospitalité de son parent, sejourna quelques jours à Bourges. Par laquelle occasion, durant ce temps, je eu aussi le moyen de contempler à loysir et de precognoistre vostre gentille nature et bien astrée inclination aux choses vertueuses, appercevant jà flammeter en vous les estincelles de ce beau lustre de nayf entendement et de grace venuste, qui depuys, en la perfection de vostre eage et forme, ont tresclairement resplendi. En contemplation de quoy et admiration singuliere, je retins alors plus particuliere cognoissance de vous, laquelle, dès celle heure engravée en ma memoire et affection, fut quelque temps après renouvellée en vostre maison à Paris, où de cas d’aventure je fu mené et conduict en compagnie de quelques miens bons seigneurs et amys de vostre parenté. Et là je fu receu de vous en telle civilité, bon traictement, doux accueil et si tresfranche reception (sans toutesfois aucun mien merite envers vous) que depuys ce temps là, avec l’antique memoire du passé, je n’ay eu plus grande cure en pensée que de povoir un jour monstrer envers vous quelque apparent simulacre de recognoissance pour les obligations susdictes. En quoy l’occasion oportune, si non assés suffizante, au moins aucunement convenante, s’est offerte à mon desir et deseing, estant escheüe en mes mains une piece rompue d’un ouvrage. C’est un fragment d’une diverse et estrange narration, intitulée és epistyles des feuillets ΑΛΕΚΤΟΡ. ALECTOR, c’est à dire en bon François LE COQ comme je l’ay mis, par maniere de plus facile intelligence en la superscription de chescune suyvante page. Laquelle à mon advis est une histoire fabuleuse couvrant quelque sens mythologique, toutesfois bien dramatique et d’honeste invention, d’artificielle varieté et meslange de choses en partie plaisantes, en partie graves et admirables, et quelque fois meslées, plus toutesfois tenans de la Tragique que de la Comique. Icelluy oeuvre ayant trouvé tout broillé et confus en divers langages, j’ay tourné (au moins mal que j’ai peu) en nostre langue Françoise, affin que, si vous (madamoiselle) prenez quelquefois ou recreation, ou patience de le lire ou escoutter lire, il vous soit plus familierement parlant. Et le vous ay, longtemps a, donné, estimant que vostre noble nature ne voudroit souhaitter plus gentil present, que le personnage d’un prudent, hardy, liberal et vaillant Chevalier, portant en langue Grecque vostre nom original de gentillesse. Lequel brave Alector, selon sa naturelle hardiesse et liberalité, se va hardiement presenter et liberalement donner à vous, et encore se rendre d’obeissance à vostre bonne grace, bien considerant que il aussi ne pourroit sortir à la preuve de ses armes et chevalerie soubz plus insigne conduicte, ne plus heureuse faveur, ne plus asseurée inspiration de hault coeur, que d’une si gentille, douce et vertueuse Damoyselle, portant le nom et les armes de son devˆé chevalier, ce qu’est la cause (Madamoyselle) que je le vous envoye encore sortant hors de page et en sa premiere adventureuse jeunesse, esperant recueillir ses plus merveilleux et plus beaux actes de son eage virile et consistante en un second livre ou tiers, autant comme la matiere trouvée se pourra estendre. Et pource que en son propre nom il porte vostre surnom, et aussi qu’il depart de moy, et en charge de ma sponsion, je le vous envoie comme ostage et calangeur, pour respondre de mes debtes de memorable gratitude envers vous, comme j’espere qu’il fera et sera receu. Ainsi favorable luy soiez vous en vos amiables pensemens, comme desjà de tout temps passé il vous est dedié et du present offert, et à l’avenir (s’il peut departir d’Orbe et reprendre peregrination) il sera vostre tresaffectionné et à perpetuité obeissant Chevalier d’honneur ALECTOR.