Alton (p. 321-341).

Le combat et victoire d’Alector contre le serpent. La sagette vengeresse jectée en l’air, avec imprecation, et puys tombée en flamme sur Coracton, et l’horrible mort de luy. Chapitre XXV.




Le peuple Orbitain, ce jour là, se trouva au Theatre et aux Arenes en plus grand nombre que jamais on ne l’avoit veu, pour la merveille du combat et pour l’attente de bon espoir de salut public, selon la revelation que l’Archier le matin avoit annoncée ; d’ond tant y estoit venu grande multitude, tant des citoyens que des estrangiers, que tous les degrez estoient pleins et serrez, toutes les fenestres, les arceaux et les galleries, voire tous les pinacles et faistz des murailles chargez de gens. Entre les autres y vindrent aussi les deux preud’hommes, Franc-Gal et l’Archier Croniel, à qui, à cause de sa dignité Pontificalle, estoit reservé siege le plus honnorable en l’Orchestre, et duquel on povoit mieux et plus à plain descouvrir toute l’Arene et le Theatre. Luy qui bien savoit sa place se y alla asseoir, menant et joignant à soy le Macrobe Franc-Gal, sur lequel tout le Theatre universellement jecta ses yeulx, et tous ceux devant lesquelz il passa se levarent et enclinarent leurs chefz par honneur au devant de luy, par singuliere admiration de la reverente dignité de face, plene de probe majesté, qu’ils voioient resplendir au visage et en la plusque Royalle prestance, forme, façon, droicture, hauteur, grandeur et membrure gygantine de ce tant beau et tant heroique vieillard, que leur venerable Archiprestre Croniel en si grand honneur menoit avec soy, mesmement ainsi armés (car ses armes il avoit portées) et emmantelé d’un si riche paludament de pourpre, avec son precieux et illustre escu d’azur au Soleil d’or. Brief, tous les assistans du Theatre avoient tous leurs regardz ententifz sur Franc-Gal par grande admiration.

Sur ce les trompettes sonnarent et Alector fut mis en l’arene ainsi acoustré qu’il estoit de son chappeau purpurin en teste, vestu de son bigarré Gallican saye d’armes, avec le jasseran frangé d’or, et armé seullement de sa bonne espée au fourreau leberidan et de son escu verd au coq d’or, avec la flesche homicide. Au demourant, tant beau qu’il sembloit faict et formé pour estre de tous regardé : jeune, vigoreux, membru, fourni, grand, elevé et hautain, et de contenance hardie et asseurée ; d’ond n’y avoit celluy ne celle (mesmement des jeunes dames et pucelles) qui en le regardant piteusement, ne regrettast ce tant beau jeune gentilhomme estre exposé à si mortel peril, d’ond il n’estoit possible (ce leur sembloit) qu’il peust eschapper ; toutesfois il se parquoit bravement, attendant son ennemi. Or estoit il le jour et l’heure que le dragon avoit acostumé de recevoir son ordinaire pasture. Parquoy à celle heure sentant la fraische chair humaine, il sortit de sa cloaque derriere le sepulchre de Calliste, levant sa teste draconique à yeux ardens et penetrables, grande gueulle ouverte et plene de dens serrées à triple ordre, jectant un horrible sifflement à trois langues vibrantes, qui à tous les assistans du Theatre donna une mortelle frayeur, fors que au hardy Alector, contre lequel se vint jecter le serpent en se roullant par grandz tours coullans, bien pensant de la premiere gueullée l’engloutir, comme aussi bien l’attendoient tous les spectateurs ; entre lesquelz Franc-Gal regardant ce beau jeune filz ainsi acoustré et armé, incontinent recogneut que c’estoit son cher enfant Alector, constitué en tel present et mortel peril, et d’une soubdaine paour hideuse pour son sang, devint aussi blanc et palle qu’une image de plastre, roide comme une statue de pierre et froid comme une colonne de cuyvre ; d’ond luy fut prestement jecté eau de vie au visage et en la bouche. Lors ayant reprins ses espritz, jecta un hault cry douloureux, disant :

« Ha, beau filz Alector, Alector mon cher enfant ! Qui est celluy qui toy, enfant innocent, a si injustement condemné à tant horrible et nompareil combat ? Est ceste la prediction du funeste oyseau qui me annonça que aux Arenes d’Orbe je te trouveroie ? Helas ! je te y ay vrayement trouvé, mais quant et quant je te y voy perdu, d’ond trop veritable et trop malheureuse est le presage qui m’advertit que je t’y trouverois, mais jamais plus ne te verrois – comme je ne feray. Car le ventre draconic sera ton sepulchre, mais aussi sera il le mien, voulant avec toy mourir, ou te sauver de si estrange mort. »

Ce disant, il jecta son paludament, desgaina sa grande et large espée, embraceant son bel escu celeste au Soleil d’or, et vouloit à toute force descendre en l’Arene pour donner secours à son filz ; mais les quatre cens armez qui tenoient le camp clos l’en gardarent. Au travers desquelz neantmoins il eust par sa proesse outre passé, n’eust esté l’Archier qui à instantes prieres et remonstrances le retint en luy declarant qu’il ne falloit aucunement contrevenir au jugement du Potentat d’Orbe, ce que aussi pour toute violence humaine faire il ne pourroit, mais que il eust patience et bonne esperance en la bonté et revelation du souverain Dieu JOVA, en la foy de laquelle il l’asseuroit que Alector en partiroit victorieux ; lequel ce pendant combatoit vaillamment son monstrueux ennemi, et ayant entendu le cry de Franc-Gal et apperceu l’escu Solaire, cogneut que son pere estoit là present, qui à toute force le vouloit seconder ; d’ond le courage luy accreut et les forces luy redoublarent par la presence de son geniteur, parquoy il luy recria :

« Mon Seigneur, mon pere, ne vous bougez et n’ayez doubte de moy, mais vous asseurez que en peu d’heure je vous iray saluer et embracer, estant victorieux de ce meschant monstre ! Et vostre seulle presence et regard assez m’aydera. »

Ceste hardie et confidente parolle retint Franc-Gal plus que nulle autre chose, neantmoins tremblant comme la fueille du bois à chescune saillie ou ouverture de profonde gueulle qu’il voioit faire au serpent, qui avoit plus de soixante piedz de longueur et une brasse de tout en grosseur, et la gueulle profonde et largement fendue. D’ond se voyant par plusieurs fois frustré de sa prinse, et ses envahies vaines par la legiereté et viste destournement du vigoureux Alector, s’estoit eschauffé en sa froide nature et tellement irrité que sa gorge estoit toute enflée du bilieux venin qu’il avoit amassé par ire, despité de trouver resistance en un seul homme. Parquoy une des fois il se tordoit tout en grandz rouleaux, puys soubdain les deployant s’eslançoit contre Alector qui promptement se destournant à costé luy jectoit de grandz coups d’espée à travers, luy faisant plusieurs playes, mais non assez profondes pour la durté de ses esquailles, d’ond il rasoit l’araine sonnante. Une autrefois il ramenoit impetueusement sa longue queüe, d’ond il flagella Alector qui ne s’en prenoit garde d’un coup si violent qu’il l’abbatit à terre, et soubdain retourna sa teste et sa grand gueulle sur luy pour le devorer.

Alors Franc-Gal perdit toute contenance, et son esprit troublé, les genous luy defaillirent. Semblablement tout le peuple devint morné, tenant Alector pour defaict et perdu. Mais le courageux champion, voyant la gueulle mortelle sur luy ouverte, de la dextre main jecta un grand coup d’estoc dedans, qui luy feit une profonde playe en la gorge d’ond s’espandit sang noir et venin roux, escumeux en abondance. Et de la senestre se couvrit de son escu qu’il luy mist au devant. Le furieux serpent, voyant en l’escu la figure du coq d’or, hault elevé, qui naturellement luy est redoubtable, et sentant aussi l’odeur du fourreau faict de la despoille d’une espece serpentine, qui aux autres serpens est exitiale, tant par un soubdain espouventement que par la douleur de la playe en la gorge, se retira en sorte que le gentil combatant eut loysir de se relever et poursuyvre son ennemi, qui, craignant l’escu, la guaine de leberide et la poincte de l’espée qu’il avoit sentie au vif, ne se jectoit plus si advantageusement sur Alector, ains commença à jouer de sa queüe pour de rechief l’abbatre. Mais Alector, qui en avoit esté mouscheté et qui s’en donnoit mieux garde que par avant, à chesque fois que le serpent flagelloit de sa queüe, il sautoit habillement et s’elevoit en l’air par dessus, en sorte que les coups alloient en vain batre l’Arene ; d’ond le monstre draconic s’eschaufoit en fureur, et de grand ire tourna la teste contre l’homme, qui luy mist au devant l’escu que bien avoit cogneu luy estre redoubtable, et pource qu’il sentoit bien les coups de taille ne pouvoir mordre sur sa dure peau, sinon bien peu, il luy mist la poincte acerée de la bonne espée à un coup d’un faux montant entre les escailles, poussant si ferme que l’espée entra fort profondément dedans l’espine, où la poincte penetra si rudement que Alector ne peut retirer son glaive. Et le serpent, beste de merveilleuse force, en se destordant par une rude estorse, la luy feit perdre de la main.

Alors nouvelle paeur saisit Franc-Gal et tous les regardans, perdans la courte joye qu’ilz avoient eüe des deux playes faictes en la gorge et au dos de ce monstre, d’ond sang et venin decoulloit abondamment. Parquoy, ne sachans si ces playes estoient mortelles ou non, demouroient doubteux entre craincte et esperance. Ce pendant, le serpent, impatient de la grieve douleur qu’il sentoit en l’espine, retourna sa teste vers son dos, et mordant aux dens la poignée de l’espée d’ond la poincte fixe luy douloit, tant la tira et destordit par force remplie d’ire, en agrandissant et escharoignant tousjours la playe, que finalement il l’arracha, non sans grande perte de la plus grande part de ses dens, et la jecta sur l’Arene. Puys, sentant son combateur desarmé, se jecta furieusement sur luy.

Alector n’ayant dequoy se defendre luy presenta l’escu et s’advisant de la sagette qu’il avoit croisée à son baudrier, la saisit promptement et la planta en la gueulle bée de ceste malle beste, en sorte qu’elle en estoit baillonnée ; et comme plus vouloit serrer les dens pour empoigner le bras d’Alector, de tant plus se enferroit plus profond du fer de la flesche. Et qui plus est, se sentoit grievement offensée du fust de la sagette, qui estoit de fresne, bois alexitheriac et naturellement contraire au genre serpentin. Parquoy ce monstre draconic se retira en se destordant horriblement par grande douleur et angoisse qu’il sentoit, tant des playes que de la flesche, et plus encore du fust contreserpentin que du fer, pour lequel arracher, il n’avoit piedz ne mains. Parquoy il mettoit en sa gueulle le bout de sa queüe pour se oster ce curedent nuysant. Mais la queüe estoit trop foible et avoit perdu force pour la rupture de l’espine du dos. D’ond ce monstre se sentant ainsi blecé, baillonné de fer et bois contraire, defailli de force, et son adversaire près de luy portant l’oyseau et le fourreau à luy espouventables, et qui avoit repris son espée, jà plus ne l’envahissoit, mais reculloit et se destordoit le plus qu’il luy estoit possible, cerchant à rentrer en sa cloaque, ce que il ne peut faire assez tost, pource que la playe qui luy avoit rompu l’areste du dos et qui l’avoit eschiné le retardoit de se trainer à sauveté de son trou, où il visoit à rentrer. Ce que voyant Alector, et cognoissant son grand avantage, au cry et bruyant applaudissement des mains de tous les spectateurs se vint mettre au devant et trencher voie au monstre fuyard, luy taboulant et estourdissant la teste à grandz coups d’espée sur les ouyes, et puys sur l’extremité de la queüe, quand il la cuydoit ramener en jeu ; tant et si fort que, peu à peu, le serpent s’affoiblit de corps et diminua beaucoup de sa ferocité, ne pouvant plus de rien nuyre, et tendant seullement à s’eschapper. Tant que le gentil Escuyer luy vint au devant et sans aucune craincte luy enfonça le bras avec l’espée dans la gueulle baillante jusques au coeur transpersé. Le serpent de ce coup se sentant blessé à mort, se roulla, destourdit et renversa en mains tours et retours par angoisse de douleur.

Adonc Alector alaigré, voyant descouvert son ventre blanc qui n’avoit point d’esquailles, luy enfondra l’espée dedans, un pied au dessoubz de la gorge, et poursuyvant sa poincte le fendit jusques à l’ombilic, tellement que, avec le sang, le venin, la sanie et les intestins, sortit du ventre de ce devorateur serpent le corps d’un homme tout descharné, que deux jours devant il avoit englouti, les os seullement restans encore comme en anatomie seche, avec quelques pieces d’habillemens froissez et sanguinolens, à la grand horreur de tous les regardans. Et le serpent, peu paravant terreur de toute une ville, qui tant avoit faict de tours obliques et tortueux, et tant donné de coups de queüe veneneuse et tant mangé de gens, alors vincu, tué et effondré, et contrainct à vuyder ce qu’il avoit devoré, et à telle fin mené par un jeune adolescent, feit mort ce que jamais en sa vie il n’avoit faict : c’est qu’il s’estendit tout droict de son long comme une colomne couchée, tenant en son estendue assez long espace des Arenes. Alector le contemplant, ainsi luy va dire par insultation :

« Ô Meschante beste, quand tu ne puys plus nuyre, tu fais le droict et le bon. Si tu te fusses maintenu en ta vie aussi droict que tu te es composé à la mort, tans de gens ne fussent par toy destruictz, ne toy occis ! »

Et ce disant, monta dessus des deux piedz et surmarcha le chef du grand serpent mort, en chantant de joye à haulte et claire voix, et à teste elevée au Ciel, un Epinic chant de victoire qu’il avoit apprins en langage Poullacque, passant par le Royaume de Polone, lors que l’esprit de Gallehault le transporta, au grand resjouyssement de tout le peuple et incredible joye de Franc-Gal, son bon pere. Cela faict, il enguaina son espée, puys osta la sagette hors la gueulle du serpent, laquelle tenant en main, et la regardant rouge du frais sang serpentin et encore tachée du sang mort de sa Dame Noemie, ne se peut tenir de jecter avec un profond souspir trois grosses larmes sans pleur, et telles parolles :

« Ô meutrier Sagittaire qui de ceste flesche traistreusement et de visée à pensée as occise l’innocente Noemie Gratianne, quatriesme des graces, devant leurs dignes statues et entre mes bras, et qui par male conscience de ton forfaict n’oses te declairer, cuydant par occulte dissimulation eviter la juste vengence, je requier le Souverain Dieu JOVA qui en ce temple devant nous est adoré, que le sang de l’innocente que je voy encore en ceste sagette tombe sur toy en cruelle vengence, et que sur ton chef descende ton iniquité, en exemple terrificque de tous traistres, envieux et violateurs d’innocence. »

Cela dict, il darda la fleche en l’air de telle impetuosité et vertu acompaignée (comme il est croyable) de quelque puissance superieure, qu’elle monta d’incroyable legiereté si hault que les assistans qui avoient tous les yeux elevez au Ciel la perdirent de veüe, attendans la cheute plus d’une heure, avec tresgrand esbahissement. Et ne la voyans point retomber, descendirent en l’Arene pour veoir l’horrible corps du serpent gisant sur le sable, tant enorme, hideux et espouvantable (quoy qu’il fust mort) que la plus grand part de la multitude ne s’en osoit approcher, mais le regardoient de loing, fors que Alector, vinqueur, qui le contemploit en sa longueur, grosseur et forme terrible, armée de durté impenetrable, de venin mortel de dents aguës, de prinse sans relasche, de gueule engloutissante et ventre consumant, et avec ce les miserables restes de ses devorations ; et sur ce, consideroit la grace de force et hardiesse que le Souverain luy avoit donnée de vincre un tel monstre tenant en miserable subjection toute une telle ville, et si faisoit encore quelque doubte s’il estoit mort, et pource le regardant de tous costez fort curieusement, voicy que une voix sortit du corps de celle serpentine charoigne, si haulte et gros sonnante qu’elle fut oye par tout le Theatre en telles parolles :



Filz de Franc-Gal, qui as tué
Le Sacré vengeur de Calliste,
Pour ce faict seras transmué.
Je t’annonce nouvelle triste.


Ces parolles clamées hautes et profondes comme un creux son de tonnerre furent de tous entendues, et tous y accoururent pour veoir que c’estoit, mais rien n’apparoissoit, car le serpent estoit bien du tout mort et celle voix n’estoit point de la beste, mais de quelque esprit informé en ce grand corps monstrueux pour donner advertissement ou terreur de l’avenir, à quoy pour celle heure Alector ne print pas fort grand advis, pour l’admiration qu’il avoit de tel monstre et grand joye de l’avoir defaict. Et ainsi que toute la multitude estoit à l’entour de luy et du serpent, en contemplation, estonnée de l’enormité de l’un et vertu de l’autre, voicy la sagette, une heure par avant par luy dardée au Ciel, qui avec un aigre son strident retomba du Ciel, toute enflammée, trenchant les hautes regions de l’air avec un son strident et une impetuosité foudroyante, et au mylieu de la multitude consternée de paeur, vint tomber en fer ardent et pennage enflammé sur la teste d’un jeune homme nommé Coracton, natif d’Orbe, de meilleure maison que de bon nom, lequel estant frappé de la sagette et atteinct de ce feu celeste inextinguible, tomba à terre, où se distordant et voultrant en l’Arene pour les intollerables ardeurs d’ond il se sentoit brusler tout vif, s’escria horriblement :

« Mercy ! Mercy, Noemie ! Mercy, Franc Alector ! Je suys le malheureux Coracton qui par maligne envie et erragée jalousie ay traistreusement occise la belle Noemie de la propre sagette qui maintenant me perse et brusle le cerveau et les entrailles. Mercy (ô ame de Noemie), contente toy de plus legiere vengence ! Que me saurois tu plus faire, si le mourir est peu ? Ô Alector, pour l’amour de Noemie (qui tant te a esté chere), je te requier ce dernier don : que de ton espée vengeresse des mauvais tu m’abreges la vie et me ostes du tourment où je brusle.

— Ha vrayement (dis Alector, qui eust esté dolent que par une autre main que la sienne la mort de sa Noemie fust vengée), ceste gracieuseté ne te sera pas refusée, mais ce ne sera pas de ma bonne espée, car elle est indigne d’estre maculée d’un si meschant sang. »

Adonc va saisir la halbarde de l’un des quatre cens hommes gardes du camp, et en bailla tel coup sur la teste de Coracton qu’il en feit deux pieces, la cervelle espandue toute bruslée et fumante dessus l’Arene ; mais nonobstant cela, le feu celeste de la flesche qui s’estoit enprins au corps de Coracton ne laissa point de tousjours suyvre et brusler, tant que la teste, le corps, les entrailles, chair, os et nerfz fussent du tout consommez et redigez en cendre puante, avec la sagette meurtriere.

Telle fut la vengence divine tombée sur le traistre et envieux Paricide Coracton, d’ond tout le peuple fut esbahi en craincte et terreur de la grande vertu et puissance plus que humaine supernaturellement donnée à ce jeune Escuyer, qui sur le champ fut prins en main par le Potentat Dioclès, accompagné de tous ses Assesseurs, des Magistratz et Seigneurs de la ville, et mené en la plus apparente place du Theatre, où, avec Croniel Archier Pontife, estoit Franc-Gal tant ravi en joye du salut et de la victoire de son filz Alector qu’il en estoit hors de soy, ne sachant s’il estoit homme ou esprit, vif ou mort, sensible ou insensible. Et toutesfois son filz Alector avant tous le vint saluer en treshumble reverence, et embracer en filiale charesse, luy disant :

« Mon treshonnoré Seigneur et pere, grace soit au souverain de ce que, outre toute mon esperance, et malgré le transport ravissant des envieux esperitz, encores sommes reassemblez et reuniz, et serons si à Dieu plaict, qui m’a octroié de vous reveoir après si loingtain depart, et à vous de me trouver après si longue et incertaine queste qu’en avés faicte, comme veritablement je le croy. »

Franc-Gal entendant son filz, ainsi luy respondit :

« Alector, trescher enfant, le Souverain Dieu JOVA t’acroisse en vertu, proesse et honneur ! »

Puys, regardant son escu et elevant les yeux au Ciel, reprint sa parolle disant :

« Graces au Souverain et à toy, treshaut Soleil, de ce que avant que partir de ceste vie mortelle (qui sera bien tost), où j’ay demouré neuf siecles et plus, je voy devant moy Alector, mon trescher filz, né de ma dame Priscaraxe, Royne de Tartarie, et de luy ay veu les premieres proesses, promesses de plus grandes à l’avenir, et les premiers honneurs en terre estrangiere, voire entre ses ennemis et ceux qui aux mortels perilz l’avoient devoë. Mon enfant, je prie le souverain te faire donner l’ordre de Chevalerie par quelque vaillant et magnanime homme, car à l’avoir de moy as tu failli ; et quand tu le seras, persevere d’honnorer Dieu souverain, luy donner louange jour et nuyct à toutes les heures. Eleve ton esprit et les yeulx vers le Ciel d’ond tu as prins origine, et ton courage à haultes entreprinses, hardyesse, proesse et honneur tousjours t’acompaigne ! Vertu, franchise et liberalité jamais ne t’abandonne ! Sois ami des bons, ennemi et vindicateur des mauvais. Mon filz, la main de Dieu trespuissant, tresgrand et tresbon te benie, et ma benediction paternelle te soit donnée à bon heur ! »

Cela disant, mist la main sur la teste de son filz. Puys adreçant sa parolle à l’Archier Croniel ainsi luy dist :

« Je te regracie semblablement (ô preud’homme Archier) de ta fidele conduicte, honneste compaignie et tes bonnes et veritables premonitions, qui m’ont consolé et donné signifiance la fin de ma peregrination estre prochaine et la vaticination de Proteus venir à son complissement. J’ay vescu et parfaict le cours que nature m’avoit donné. En brief la grande Image de moy ira soubz terre et le flambeau de mon cierge remontera au Ciel d’ond il est venu. Fay annoncer mon depart à mes fideles compaignons qui sont au prochain port avec mon Hippopotame. Mais sur tout, je te prie envoyer message en Tartarie vers la Royne Priscaraxe pour luy annoncer mon décès, affin que plus elle ne m’attende. »

Croniel luy promist d’ainsi le faire, le cas mortel luy advenant, qui ne sembloit estre prest ne prochain, luy estant en santé et vigueur. Le peuple ce pendant, et les Seigneurs et Magistratz en grand silence regardoient ces deux personnages estrangiers, le pere et le filz, en grande admiration de leurs heroiques prestances et beautez egalles et semblables selon l’intervalle de leurs eages, de leurs excellentes magnanimitez, vaillances, faictz et gestes adventureux, et de leur fortunée rencontre et mutuelle recognoissance en ce lieu du theatre, tellement que sans parler ne mouvoir universellement ilz tenoient leurs yeux immuables sur Franc-Gal et Alector. Adonc Croniel Archier se tourna vers eux et tous les assistans au Theatre, et leur dist :

« Hommes Orbitains, qui sur ces deux hommes estrangiers gectez vostre regard en grande admiration, sachés que nostre souverain Dieu JOVA, des loingtaines terres Septentrionales les a envoyez en ces regions pour le salut public et pour la destruction de nostre ennemi interne, comme vous l’avés veu en vos presences occire et defaire par le filz de ce preud’homme, qui paravant avoit aussi rendu les bois et champs circonvoisins asseurez du terrible Centaure qu’il occit, et de ses mains delivra Noemie, d’ond puys après sourdit ce grand scandale qui depuys a esté cause de ce grand bien public, d’ond nous sommes tenuz à luy, et luy en devons honneur et remuneration après Dieu, Auquel premierement allon rendre grace en son temple, et là sera advisé de quel pris d’honneur on recognoistra son merite. »

Tous en general respondirent : « Ainsi soit ! »