Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Texte entier

Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 5-140).

ILES SANDWICH

Aspect physique de l'archipel. Volcans. Précipices. Mythologie hawaïenne. Cook. Le P. Martial. L'immigration. Les lépreux de Molokai. Le P. Damien. Une sérénade


MBARQUONS-NOUS dans l’un de ces immenses palais flottants qui sillonnent incessamment les grandes eaux du Pacifique et mettent la côte californienne à vingt jours de distance seulement de l’empire japonais.

Sur notre route nous rencontrerons les iles Sandwich ou Hawaii et nous y y ferons relâche. L’archipel hawaien est une terre de volcans. Dans l’île principale, il n’y a guère d’endroits où l’on ne rencontre soit des cratères recouverts, soit des plaines immenses de laves, soit des monticules de formation volcanique. Tout annonce que, dans le passé, cette terre n’a été qu’un vaste embrasement, et que le sol recèle encore des abîmes de feu.

Néanmoins l’île est fertile, elle a de bons pâturages et nourrit sur les flancs du Maunaloa plus de vingt mille bœufs sauvages.

Les Pères des Sacrés-Cœurs, qui évangélisent ce petit royaume, ont souvent déploré les mœurs licencieuses de la population des îles Sandwich et les ravages exercés dans son sein par l’excès du vice. « Nous autres missionnaires, écrit le P. Martial, nous sommes ici comme des gens conviés pour assister aux funérailles d’une nation. La disparition prochaine du peuple hawaïen est probable. Il y avait 300,000 indigènes dans ces îles au temps de Cook (1779), 150,000 du temps de la régente Kahumanu, 108,000


ILES SANDWICH. — PORT D'HILO OU DÉBARQUENT LES VOYAGEURS QUI VEULENT VISITER LE GRAND VOLCAN KILAUEA


en 1836, 78,000 en 1850, 71,000 en 1850, 50,000 en 1872, 40,014 en 1884. »

Voilà des documents officiels. Il n'y a pas d'exemple dans les annales du monde, d'une destruction pareille à celle qui s'opère dans cet archipel.

Le royaume hawaïen se compose d'un petit nombre d’îles dont la superficie réunie atteint à peine 20,000 kilomètres, soit trois ou quatre de nos départements. Les principales sont à Hawaii, où se trouve le plus grand volcan Kilauea, Maui, Molokai, Oahu.

Cette dernière ile possède la capitale. Elle est coupée dans le sens de la longueur par une chaîne de montagnes qui la divise en deux parties à peu égales. Honolulu est située dans la partie sud, la plus aride et la plus battue par les vents alizés : l’autre versant, plus favorisé sous le rapport des pluies, est aussi plus riche et plus fertile. Cette chaîne de montagnes n’offre qu’une ouverture, « le palé » ou le précipice de Nuuanu, qui met seul en communication les deux districts de Koolau et de Kona.

Visitons ce site remarquable. Après avoir cheminé quelques heures le long de crêtes arides, le voyageur étonné et saisi d’admiration voit le palé entr’ouvrir brusquement sous ses pas.


ILES SANDWICH.— GROUPE D'HAWAÏENS PRENANT LEUR REPAS.


Au-dessus de lui et des deux côtés, s’élèvent les pics sourcilleux et dénudés de la montagne. On dirait que l’épée de Roland a fendu la chaîne en deux et créé cet étroit passage. (Voir la gravure, p. 5. )

Si le palé de Nuuanu est célèbre à Honolulu et dans toutes les îles comme un point de vue merveilleux, il ne l’est pas moins dans les traditions indigènes comme localité historique. En 1794, le chef de l’île d’Oahu entreprit de repousser l’invasion de Kaméhaméha Ier, déjà maître et conquérant de toute l’île de Hawaï et de celle de Mauï, et qui affichait hautement l’intention de réunir tout l’archipel sous sa loi. La bataille décisive se livra dans la vallée. Le chef d’Oahu, résolu à vaincre ou à périr, avait adossé son armée au palé, en coupant ainsi volontairement toute retraite en cas de défaite. Ses soldats n’avaient d’autre alternative que de rejeter Kaméhaméha et son armée dans la mer, ou de périr tous jusqu’au dernier. C’est ce qu’ils firent. Après une lutte acharnée qui dura tout le jour, les derniers guerriers d’Oahu, au nombre de trois mille, refoulés jusqu’au palé et sommés de mettre bas les armes et de se rendre à la discrétion du vainqueur, préférèrent la mort et se précipitèrent dans le gouffre. On voit encore au pied même du palé et dans les anfractuosités des rochers les nombreux ossements de ces héros, derniers défenseurs d’une cause perdue.

Mythologie. — Quelques-unes des divinités hawaïennes comme Kame, Ku, Hina, sont communes à plusieurs autres archipels de l’Océanie. Lono était la plus populaire aux Sandwich. Ce Dieu, afin d’oublier d’amers chagrins domestiques, s’était embarqué pour des pays étrangers sur une pirogue triangulaire, en annonçant que plus tard il reviendrait puissant et glorieux à Hawaï. Après avoir longtemps et impatiemment attendu son retour, les indigènes crurent le reconnaître dans la personne du capitaine Cook, lors de son arrivée à Hawaï en 1779.

Pénétrée d’un profond sentiment religieux à l’égard du célèbre voyageur, toute la population le reçut avec le plus grand enthousiasme et le combla, lui et son équipage, de présents pendant plusieurs mois.

Au lieu de profiter de leur grossière erreur à son sujet pour essayer de leur faire connaître le vrai Dieu, le capitaine, par politique, cupidité et vanité


ILES SANDWICH.— PRÉCIPICE PRÈS D'HONOLULU ; d'après une photographie (V. p. 4)


peut-être, se prêta sacrilègement à ces différentes apothéoses idolâtriques et ne craignit pas de siéger dans les temples, au milieu des idoles les plus vénérées et de recevoir les sacrifices. Mais la main du Dieu jaloux qui, dans une circonstance analogue, frappa l’impie Antiochus, ne tarda pas à s’appesantir sur le capitaine anglais. La population, appauvrie par ses dons volontaires et les exactions incessantes des équipages, craignant d’un autre côté les débordements des blancs, changea de disposition. Des démêlés et des luttes survinrent entre les indigènes et les étrangers. Bon nombre périrent victimes de leur audacieuse confiance. Le prétendu dieu Lono lui-même, ayant poussé quelques sourds gémissements arrachés par la douleur après une blessure reçue dans la mêlée, fut aussitôt assommé par un chef qui comprit que le nouveau venu n’était pas celui qu’ils attendaient, puisqu’il était blessé et se plaignait comme un simple mortel. Telle fut la fin malheureuse et tristement tragique de ce fameux voyageur que les indigènes continuent toujours à appeler Lono, et à qui quelques résidents de sa nation ont élevé une petite pyramide sur le lieu même du massacre, dans une vaste baie nommée Kalakekua, au sud de Hawaï.

Le P. Martial. — Dans l'île Maui, nous demandons l'hospitalité au P. Martial, missionnaire catholique. Il nous reçoit à bras ouverts et met à notre disposition les modestes ressources de sa cure ; de la poï, des bananes, des œufs et de la volaille.

Le P. Martial est un vrai type du missionnaire catholique aux îles Sandwich. Il n'y a pas moins de vingt ans qu'il réside dans l'archipel, et il s'est si bien identifié aux indigènes, qu'il a adopté leur manière de vivre. Il parle admirablement leur langue. Constamment mêlé à eux, il est devenu le guide et le conseiller des habitants de son village. C'est à lui qu'ils ont recours dans toutes leurs difficultés. Sa vie est une page détachée du livre de Télémaque. Sage et bon autant que simple dans ses goûts et modeste par nature, il a circonscrit son horizon au petit coin de terre qu'il habite. Un jardin entretenu avec peine lui fournit les légumes et les fruits nécessaires. Un peu de poisson, frais quelquefois, plus souvent séché au soleil à la mode canaque, et quelques voleilles, suffisent à ses besoins. Un Frère, âge et à peu près incapable de tout service actif, mais à qui il laisse


ILES SANDWICH. — BAIE DE KALAKEAKUA OU FUT MASSACRÉ LE CAPITAINE COOK AVEC SON ÉQUIPAGE EN 1779, d'après une photographie. (V. p. 5.)


croire qu’il lui est indispensable, est le seul compatriote avec lequel il puisse échanger quelques mots et parler de la France. Malgré cela il est heureux. Il aime ses ouailles, qui le lui rendent bien ; il aime aussi ce pays, dont il apprécie avec une poésie naïve le beau ciel, le climat admirable et les sites pittoresques. Il a vieilli ici, il y mourra, ayant fait du bien. Ses grandes joies sont l’entretien de sa chapelle, les petites bannières déployées les jours de fête, la pompe primitive de ses cérémonies, qui serait grotesque si elle n’était profondément touchante.

La musique aux îles Sandwich. — La musique est en grand honneur dans l’archipel hawaïen, grâce aux missionnaires catholiques.

Il y a soixante ans à peine, les indigènes menaient une vie des plus sauvages. Quant à leur chant, c’était une psalmodie monotone et lugubre dans laquelle leurs rhapsodes célébraient les exploits et les aventures des anciens chefs. Les premiers missionnaires, heureux de profiter des dispositions de ces insulaires pour la musique, leur apprirent à chanter des cantiques composés par eux-mêmes sur des airs connus. Mais c’est à Mgr Hermann Koëkemann, vicaire apostolique actuel de l’archipel, que revient le mérite de les avoir initiés à la connaissance théorique et pratique de la musique. Après avoir formé un chœur d’élite, le R. P. Hermann fit exécuter, dans la cathédrale de Honolulu, des messes en musique des plus grands maîtres. Par lui fut organisée la première fanfare digne de ce nom. Les musiciens du Père Hermann sont devenus depuis le noyau de la fanfare royale. Le goût pour le chant et la musique se répandit peu à peu et partout on organisa des Sociétés musicales. Ces exercices ont beaucoup contribué à faire abandonner aux Hawaïens leurs anciennes danses (hula) et chants (oli et mele) ou déclamations, qui, en général, sont tout à fait immorales.

L’immigration. — L’état social de ces îles est continuellement en voie de transformation. Dans ces dernières années surtout, les changements ont été plus sensibles que par le passé. Les baleiniers ayant cessé de venir, on a vigoureusement poussé les plantations de canne à sucre, ce qui a eu pour suite l’immigration rapide de toute espèce de monde. Les Chinois sont près de vingt mille, presque tous hommes ; il n’y a pas mille femmes parmi eux. Ils sont païens à l’exception de trois à quatre cents protestants et environ cinquante catholiques. Les Japonais sont environ au nombre de douze cents, dont trente à quarante catholiques et quatre cents protestants, les autres sont païens. Les Portugais (hommes femmes et enfants) sont au-delà de dix mille.

Les lépreux. — Tout un côté, hideux mais caractéristique, de la physionomie du royaume hawaïen nous échapperait, si nous le quittions sans faire une descente dans l’île de Molokai dont toute une vallée est transformée en lazaret. Depuis vingt-cinq ans, la lèpre s’est propagée dans l’archipel d’une manière si effrayante que le gouvernement s’est vu obligé d’exclure de la société des autres insulaires tous ceux qui en étaient infectés. Plusieurs milliers de malheureux ont été ainsi confinés à perpétuité sur une langue de terre de l’île Molokai où ils languissent emprisonnés entre des montagnes infranchissables et le rivage de la mer.

La lèpre, on le sait, est une maladie presque incurable. Elle s’engendre peu à peu par la corruption du sang. Les premiers symptômes sont des taches noirâtres qui apparaissent sur la peau, principalement sur les joues ; les parties qui en sont affectées restent privées de sensibilité. Au bout de quelque temps, ces taches couvrent tout le corps, et des plaies s’ouvrent aux pieds et aux mains ; les chairs se rongent en exhalant une odeur fétide, et l’haleine des lépreux devient tellement infecte que l’air en est empoisonné.

Écoutons le P. Damien Deveuster, qui partage depuis treize ans le triste exil de ces infortunés parias.

« J’ai eu beaucoup de peine à m’habituer à vivre dans cette atmosphère. Un jour, pendant la grand’messe, je me suis trouvé tellement suffoqué, que j’étais sur le point de quitter l’autel pour aller respirer l’air du dehors ; mais je fus retenu par la pensée de Notre-Seigneur faisant ouvrir devant lui le tombeau


R. P. Damien DEVEUSTER, des Sacrés-Cœurs, missionnaire de la léproserie de Molokai.


de Lazare. Maintenant la délicatesse de mon odorat ne m’occasionne plus cette souffrance, et j’entre sans difficulté dans les chambres des lépreux. Quelquefois cependant j’éprouve encore de la répugnance : c’est quand il s’agit de confesser des malades dont les plaies sont remplies de vers semblables à ceux qui dévorent les cadavres. Souvent aussi je me trouve bien embarrassé pour donner l’extrême-onction : car les pieds et les mains ne sont plus qu’une plaie. C’est le signe d’une mort prochaine. »

En dehors de certaines phases critiques de leur maladie, les lépreux n’ont pas de douleurs aiguës à endurer. Leurs membres affectés sont presque morts et privés de sensibilité. « J’en ai vu, raconte le P. Montiton, qui taillaient sans gêne au couteau leurs pied ou leurs mains absolument comme un morceau de bois. Par contre, ils se brûlent souvent assez grièvement à leur insu en s’approchant du feu sans en ressentir les premières atteintes. »

La lèpre ronge et dévore, avec une activité toujours croissante, les parties saillantes de la tête, ainsi que les autres extrémités du corps, mains, pieds, coudes, genoux.. Quelques-uns n'ont plus de nez ; d'autres, au contraire, en ont un excessivement développé. Beaucoup voient tomber, l'une après l'autre, les différentes phalanges de leurs doigts de mains et de pieds au milieu de cruelles souffrances. Pauvres malheureux, ils se font peur à eux-mêmes ; malgré cela, ils ont la manie incroyable, comme tous les autres, lépreux, du reste, d'avoir toujours sous la main une glace pour s'y contempler chaque instant.

De loin en loin l'évêque de la mission vient confirmer les néophytes que le zèle du P. Deveuster a conquis sur l'hérésie ou l'idolâtrie. C'est grande fête alors dans la triste colonie : tous les lépreux encore assez valides pour monter à cheval viennent en cavalcade à la rencontre du prélat ; des arcs de


ILES SANDWICH. — HOPITAL D'HONOLULU, desservi par des religieuses franciscaines.


triomphe sont dressés sur son passage. « Vous parlerais-je, écrivait en 1875, un témoin de ces tournées épiscopales, le P. Bouillon, vous perlerais-je d'une sérénade qui nous a été donnée le jeudi soir, au clair de la lune ? Après souper, nous sortons pour prendre le frais. Nous trouvons près de cent de nos lépreux, avec deux immenses drapeaux, quatre tambours et une douzaine d'instruments de musique. Les musiciens, dont les mains n'ont plus que deux ou trois doigts et dont les lèvres sont toutes gonflées par les excroissances de la lèpre, exécutent avec succès les morceaux les plus variés et nous intéressent pendant deux grandes heures... Le vendredi matin, 11 juin, nous quittons Kalawao. Je n'oublierai jamais cette procession de deux cents lépreux nous accompagnant, pendant plus d'un mille, au son des tambours et des instruments, deux bannières en tête. Je n'oublierai jamais les paroles d'adieu de notre vénérable vicaire apostolique, à cette multitude prosternée pour recevoir sa bénédiction. J'aurai voulu, moi aussi, dire quelques mots ; mais j'étais trop ému. De l'embarcation où nous étions montés, Mgr Maigret bénit une dernière fois cette multitude pleurant, agenouillée sur la plage. »

OCÉANIE CENTRALE

La voie lactée des eaux. Les îles Tokelau. Samoa. Futuna. Le B. Chanel. Wallis. Mort de Mgr Bataillon. L'archipel des Amis.


ATONS-NOUS de reprendre la mer pour fuir ce séjour d’horreur. Là-bas, là-bas, dans l’hémisphère austral, un peu au-dessous de la ligne équatoriale, des milliers et des milliers d’îles, joyeuses et brillantes, nées de l’écume des eaux, émergent du sein des ondes. C’est la voie lactée des eaux, selon l’admirable expression de Reclus. Dans ces pléïades d’étoiles marines, la première nébuleuse qui arrête notre course, sera le groupe des Tokelau.

Il y a quelques centaines d’années, les navires auraient pu facilement naviguer à l’endroit même où se trouve cet archipel ; mais les coquillages, ayant construit leurs innombrables maisons les unes sur les autres, en ont fait un pays pour les humains. Ce même travail des coquillages se remarque actuellement entre Wallis et Samoa ; il est déjà parvenu à deux brasses au-dessous du niveau de la mer ; et dans un certain laps de temps, on verra aussi en cet endroit surgir de la même façon un nouveau pays.

Les îles Tokelau. — Rien de plus curieux que la genèse de ces îles toutes de formation madréporique. Sur la pointe des roches sous-marines, des millions de polypes ont bâti leurs demeures et formé de vastes bancs de corail blanc qui s’est bruni à l’air. En passant et repassant, les vagues ont enlevé les arêtes du corail et apporté sur ces bancs des débris qui s’y sont


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — JEUNES FILLES SAMOANES.


peu à peu superposés. Le tout est devenu un terrain aride. Pas d’autre terre végétale que ce sable rebelle à toute culture. Pas d’autre verdure que de rares cocotiers qui poussent dans quelque fissure de corail, ou dans quelque coin du sol moins sec et moins dépourvu de sucs nourriciers.

Plusieurs des îles Tokelau sont totalement inhabitées, d’autres renferment soixante, cent, deux cents âmes. Le type, le langage, les traditions de ces indigènes les rattachent aux grands archipels voisins. Égarés sur l’Océan ou poussés par la tempête, quelques Samoans auront rencontré ces îles, s’y seront réfugiés sans plus oser en sortir et les auront peuplées.

Rien de plus misérable que les peuplades de Tokelau. Elles n’ont pas d’autres nourriture que la noix de coco et le poisson. Comme ces îles sont formées de corail, les sources sont rares, et encore l’eau est-elle saumâtre. Plusieurs îles sont même privées complètement de sources d’eau douce.

Les habitants, pour se procurer leur boisson, recourent à une industrie.

Les cocotiers sont tous inclinés par le vent qui souffle presque toujours dans la même direction. Du côté opposé au vent, les indigènes pratiquent des ouvertures allant jusqu’à l’intérieur de l’arbre, sans nuire à son développement. Au-dessus de ces ouvertures et le long du tronc, ils creusent de petits sillons destinés à recevoir et à conduire l’eau de la pluie dans ces citernes en miniature. Quand elles sont pleines, on les entoure de feuilles pour empêcher l'évaporation et pour maintenir la fraîcheur. C'est là que ces malheureux peuples vont chercher l'eau nécessaire, qui, en temps de sécheresse, peut finir par leur manquer. L’eau ainsi recueillie appartient au propriétaire du cocotier, comme l’arbre lui-même, et chacun doit veiller à ne pas mettre la main sur le trésor de son voisin. On se demandera s’il ne serait pas plus simple de creuser des citernes dans le sol. Qu'on n’oublie pas que le sol est madréporique et qu'il laisse suinter l’eau de la mer. Le ciment pourrait bien obvier à cet inconvénient grave, mais le ciment est encore inconnue à Tokelau, et il n'y a que les missionnaires qui le feront connaître à ces pauvres gens.

Deux jours de navigation séparent les Tokelau des îles Samoa.

Samoa. — Apia est le port le plus fréquenté de l'archipel de Samoa. Situé vers le milieu de la côte septentrionale de l'île d'Upolu, il est de facile abord. Les navires y sont en toute sûreté, pendant la saison des vents alisés, c'est-à-dire depuis la fin d'avril jusqu'au mois de novembre. Le port est moins sûr pendant le reste de l'année, quand il y a grande tempête. C'est à Apia que sont établis les principaux commerçants de Samoa et les îles environnantes


APIA. — ÉTABLISSEMENT DES RELIGIEUSES DE N.-D. DES MISSIONS.


comme Viti, Tonga, Wallis et Futuna. Tous les deux ou trois mois, une goëlette part pour visiter ces îles, revient déposer à Apia sa cargaison et recommence le même voyage. Parmi ces trafiquants, il y a des Américains, des Anglais, des Allemands. Les Allemands se sont adjugé la part du lion ; non qu’ils aient fait des conquêtes à coups de canon, mais ils ont pris une position telle que les autres restent à l’arrière-plan. De Samoa leur action rayonne dans toutes les îles de l’Océan Pacifique, et ni les Anglais ni les Américains ne peuvent rivaliser avec les compagnies de Hambourg, qui font le commerce en grand et leur abandonnent seulement le commerce de détail.

« Apia, écrivait Mgr Elloy, est le siège du gouvernement de l’archipel de Samoa et la résidence de l’évêque. Comme tous les autres villages d’Océanie, Apia n’était autrefois qu’une réunion de cases ouvertes, aux toits en feuilles d’arbres ; maintenant ce pauvre village commence à prendre la tournure d’une ville européenne. Les constructions en pierres et en corail étaient, si l’on en excepte quelques résidences, un luxe réservé jusqu’à présent à la maison de Dieu. Pour la maison des hommes, on remplaçait la pierre par le bois, et au lieu de murs, on avait des cloisons. Un grand nombre de constructions européennes indique que la population blanche accroît de jour en jour son influence. »

Tutuila. — Dans l’île voisine d’Upolu, à Tutuila, coupée par le 173e méridien, saluons la belle église, dernière œuvre de Mgr Elloy, que ce grand évêque a fait bâtir sous le vocable significatif de Sainte-Croix in extremis terræ.

Saluons aussi le monument élevé sur la tombe des infortunés compagnons de La Pérouse massacrés.

Futuna. — Une autre île arrosée également de sang français, Futuna, nous appelle. C’est là que le P. Chanel fut égorgé le 28 avril 1841. Le christianisme a totalement transformé le caractère sauvage et irascible de ces insulaires. Jadis redoutés entre toutes les autres peuplades océaniennes pour leur barbarie, ils étaient à juste titre l’effroi des navigateurs. « Si j'excepte les Fidji, raconte le P. Poupinel, je ne reconnais point d'îles dont on puisse citer des horreurs comparables à celles qui ont été commises à Futuna, depuis le commencement de ce siècle. »

De cette île gagnée au Christ par le sang d’un martyr, de cette île sacrée, centre mystérieux de l’Océanie, portons les yeux sur l’horizon. Leva in circuitu oculos tuos et vide.

Wallis. — Au levant, Wallis encore embaumée des souvenirs de Mgr Bataillon. C’est là que le premier vicaire apostolique de l’Océanie centrale


FUTUNA. — ÉGLISE DE SAINT-JOSEPH A SIGAVE, d'après un croquis de M. Aube, alors capitaine du vaisseau, commandant du Seignelay.


termina son héroïque carrière, le 11 avril 1877 Nous ne pouvons résister à l’envie de mettre sous les yeux du lecteur la dernière page de la vie du vaillant évêque, dévoré jusqu’à la fin du zèle de la maison de Dieu. Elle est tout à la gloire du pasteur et du troupeau.

De l’église de Mua où il avait reçu les derniers sacrements devant tout le peuple assemblé, Mgr Bataillon s’était fait transporter dans son cher collège de Lano. Depuis plusieurs mois, on était occupé à la construction de l’église. Quelques heures avant de mourir, il s’aperçut qu’il n’entendait plus le bruit ordinaire des ouvriers, il dit à un des chefs qui se trouvait près de lui :

« — Je n’entends plus les coups de marteau. Est-ce qu’on ne travaille pas à l’église ?

« — Évêque, répondit le chef, nous craignons de vous troubler à vos derniers moments, et nous avons suspendu tout travail.

« — Non, non, reprit avec énergie Mgr Bataillon, ne vous arrêtez pas. Je veux mourir en entendant ce bruit de marteau ; il me fait tant de bien ! Travaillez, mes enfants. C’est pour le bon Dieu. »

Et les ouvriers recommencèrent ce bruit de


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — ÉGLISE DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION A APIA, ET RÉSIDENCE ÉPISCOPALE, d'après une photographie (Voir p. 10.)


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — VUE DU PORT D'APIA ET DU MONT VAÉA, d'après une photographie. (Voir p. 10.)


travail que le missionnaire voulait écouter jusqu’à sa dernière heure. Lorsqu’elle fut proche, l’évêque commanda de le porter dehors, sous un arbre à pain. Là, il se fit étendre sur une natte, le visage tourné vers l’église, et il expira en présence de son peuple, et aussi en présence de cette église et de ce collège, où il avait placé les dernières affections de son cœur et les dernières sollicitudes de sa vie.

Une pierre a été élevée sous cet arbre. Elle indiquera au peuple de Wallis que là est mort celui dont Dieu s’est servi pour les appeler à son admirable lumière.

Rotuma. — Au couchant, Rotuma, l’île aux sept royaumes. Chacun d’eux a un roi. Au-dessus des sept potentats qui gouvernent, est un huitième chef qui porte le titre de roi des rois. La population des sept minuscules empires de Rotuma ne dépasse pas 2,400 âmes.

Tonga. — Au sud, l'Archipel des Amis, où l'abordèrent en 1837 les premiers missionnaires catholiques. Les trois groupes qui composent cet archipel sont ceux de Tonga, de Hapai et de Vavau.

L’île capitale du royaume est Tonga-Tabou, c’est-à-dire Tonga la Sainte ou la Sacrée, île basse, dont la plus grande élévation ne dépasse pas 70 pieds. Elle n’a pas la plus petite source d’eau courante ; néanmoins c’est une terre très fertile, très bien boisée, et couverte d’une brillante végétation. Les courses que l’on y fait sont comme des promenades à l’ombre de bosquets touffus. Sa forme est demi-circulaire ; une ceinture d’îlots verdoyants qui l’entourent vers le nord, et la chaîne de récifs qui la protègent contre les tempêtes de la mer, lui donnent un aspect riant et plein de charmes pour l’étranger. Tonga a de belles baies dans l’intérieur des récifs ; mais les palétuviers qui parent ses rives, le corail et les madrépores qui poussent sous les eaux, remplissent petit à petit


ANAA (Iles Paumotous). — PREMIÈRE DEMEURE DES MISSIONNAIRES A TÉMARIÉ. (Voir p. 24.)


ces rades si gracieuses. Telle baie, où les navires de fort tonnage pouvaient venir mouiller, il y quelques années, n’est plus accessible, même aux chaloupes, lorsque la marée est basse. La longueur de l’île est à peu près de dix lieues, et sa largeur de deux à trois ; sa population, autrefois considérable, ne dépasse guère 7,000 âmes aujourd’hui.

Depuis quelques années, les immigrants envahissent Tonga ; la moitié du littoral est déjà occupée par les trafiquants. Un mouvement irrésistible entraîne Tonga vers les usages européens. « Les constructions, écrivait en 1876 le R. P. Lamaze, aujourd’hui évêque et vicaire apostolique de la mission, surgissent comme par enchantement sur notre rivage. Le palais du roi Georges est vraiment beau ; celui de son fils Uga ne lui cède guère. J’en dirai autant de ceux de nos commerçants ; mais tous sont éclipsés par le palais de Misi Beka, le Révérend Baker. On va construire trois grands temples aux ports de Tonga, de Vavau et de Haapaï. Nous sommes entraînés ; aussi, je suis sûr que, quelque belle que soit notre future église, nous regretterons de ne pas l’avoir faite plus belle. Je dispose tout pour sa construction. Il me faut un char pour les gros transports. Et, lorsque j’aurai les harnais, qui me donnera le cheval ? On m’avait fait cadeau, à Sydney, d’un bon cheval de trait, et on l’avait embarqué sur un trois-mâts. Je le voyais déjà attelé à mon char et traînant les gros bois de mon église. Hélas ! la traversée fut longue, les vents furent mauvais ; la pauvre bête fut blessée, prit le mal de mer, finit par périr, et il fallut la jeter à l’eau. Elle était belle, forte, docile, sans défauts, à ce que l’on m’en a dit pour me consoler. Ce qui est hors de doute, c’est que, au lieu de recevoir ce précieux cadeau, j’ai dû débourser 600 fr. pour le transport, la boîte et les vivres du cheval. »

L'ÉPISCOPAT OCÉANIEN


ES ARCHIPELS du Grand Océan Pacifique sont évangélisés par trois Sociétés différentes.

Aux Maristes appartiennent l’Océanie centrale et l’Océanie méridionale ;

Aux Pères des Sacrés-Cœurs, l'Océanie septentrionale et l’Océanie orientale ;

Aux Pères d’Issoudun, l’Océanie occidentale.




ÉVÊQUES MARISTES.
Mgr BATAILLON (Pierre-Marie),
de la Société de Marie,
évêque titulaire d’Enos,
premier vicaire apostolique de l’Océanie centrale.
(1810-1877.)

Le R. P. Bataillon fut un des vingt-et-un premiers Maristes qui firent leur profession, le 24 septembre 1836, et qui élurent le même jour, le T. R. P. Colin pour leur supérieur général. Quatre d’entre eux, les PP.Chanel, Bret, Servant et Bataillon, s’embarquèrent au Havre, le 24 décembre de la même année, sous la conduite de Mgr l’évêque de Maronée. Le P. Bret mourut trois mois plus tard, pendant la traversée ; le 28 avril 1841, le P. Chanel recevait la couronne du martyre à Futuna ; le P.Servant termina paisiblement sa vie dans la même île, le 8 janvier 1860.

Cette courageuse troupe de missionnaires arriva en face de Wallis, le Ier novembre 1837. Le R. P. Bataillon accepta pour sa part cette île inconnue. Après bien des épreuves et des dangers, le zèle du missionnaire fut couronné de succès. Comme les rapports de ces îles avec la Nouvelle-Zélande étaient trop difficiles, on crut nécessaire de grouper en une mission séparée les îles du centre. Le Saint-Siège érigea, le 23 août 1842, l’Océanie centrale en vicariat apostolique ; le même jour, le R. P. Bataillon fut nommé évêque d’Enos et chargé de ce nouveau vicariat. Il n’apprit sa nomination que par l’arrivée à Wallis de Mgr Douarre, évêque d’Amata, qui lui conféra la consécration épiscopale, le 3 décembre 1843.

Mgr Bataillon conduisit l'année suivant deux missionnaires à Lakemba, île de l'archipel des Fidji, en 1845, il en envoyait d'autres s'établir dans l'archipel de Samoa. En 1846, deux nouveaux missionnaires occupaient l'île de Rotuma. D'autres missionnaires s'étaient établis en Nouvelle-Calédonie, dès la fin de 1843. Le Vicariat de l'Océanie centrale s'étendait de l'Équateur aux tropiques du Capricorne, et comptait quarante degrés en longitude. Aussi, en 1847, la Propagande fit-elle de la Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides, un nouveau vicariat. En 1863, l'archipel des Fidji a été érigé en préfecture apostolique.

En 1856, Mgr Bataillon, dont le zèle n’avait point tenu compte des fatigues et des privations, fut forcé de revenir en France. Après deux années, pendant lequelles le prélat avait obtenu des secours considérables, il retourna dans sa chère mission ; le nombre de ses prêtres était plus que doublé.

Sur sa demande, Pie IX daigna, en 1863, lui accorder pour coadjuteur le R. P. Louis Elloy. Mgr Bataillon le sacra évêque de Tipasa, le 30 novembre 1864, à Apia, dans l’archipel de Samoa.

Le 9 février 1874, le T. R. P. supérieur général de la Société de Marie écrivait aux missionnaires de l’Océanie :

« Mgr Bataillon est, sinon le doyen des vicaires apostoliques, au moins un des plus anciens. Voilà plus de trente ans qu’il travaille, comme évêque, à défricher les îles de l’Océanie centrale pour y implanter le christianisme. Il y a deux ans, nous avons vu ce vénérable vieillard venir du bout du monde, malgré son âge et les fatigues d’un si long voyage, faire sa visite ad limina Apostolorum et rendre compte de sa mission au Souverain Pontife. Il n’a demandé à Sa Sainteté qu’une faveur avec sa bénédiction apostolique, c’était de retourner au plus tôt dans son vicariat. Il aurait pu cependant, à juste titre, prendre un repos bien mérité par tant d’années de travaux ; mais il ne pouvait se résigner à vivre loin de son troupeau, loin de cette Wallis bien-aimée, toute convertie par ses soins, et qui est aujourd’hui sa joie et sa couronne. Il est donc reparti pour consacrer les dernières années de sa vie à ses néophytes, pour mourir et reposer au milieu d’eux. »

Ces vœux, souvent manifestés par le vaillant évêque, reçurent leur accomplissement trois ans après.

Le 26 mars 1877, le prélat ayant eu une faiblesse, les missionnaires crurent prudent de l’inviter à recevoir les derniers sacrements, dans la nuit, pour ne pas effrayer la population. « — Oh ! pas du tout, reprit-il, vous m’administrerez en plein jour, à l’église, et, autant que possible, devant toute la population. »

Le lendemain donc, on se prépara à cette triste cérémonie. Mgr Bataillon était seul calme et sans tristesse. Comme on l’aidait à s’habiller : « — Allons, Père Ollivaux, dit-il en souriant, arrangez-moi bien ; faites que je sois beau ; c’est un grand jour pour moi. Il y a des jours solennels dans la vie ; celui-ci est un de mes plus grands jours, c’est le jour de ma dernière communion. »

Les préparatifs terminés, on porta Monseigneur à l’église, où il entendit la sainte messe. Il reçut ensuite, avec la plus grande piété, les derniers sacrements des mains du P. Bouzigue, son confesseur. Après chaque onction, le pieux prélat répétait cinq ou six fois : Amen ! Il voulut qu’on lui appliquât l’indulgence de la bonne mort. Lorsque, la cérémonie terminée, Mgr Bataillon fut reporté au presbytère, il bénissait en pleurant la foule de ses enfants rassemblés.

Le prélat languit encore une dizaine de jours. Il mourut le 10 avril à une heure du soir.

Le prélat défunt fut revêtu de ses ornements pontificaux, et, ainsi paré, son corps fut d’abord exposé dans la chapelle des Sœurs. Vers le soir, il fut transféré dans l’église de Notre-Dame à Matautu ; les fidèles de cette paroisse et ceux de Hihifo y passèrent la nuit en prières. D’heure en heure, chaque village, en signe de deuil, faisait entendre une détonation de coups de fusil. Mgr Bataillon avait fait connaître sa volonté expresse d’être enterré à Mua, dans l’église de Saint-Joseph. N’est-ce pas là qu’il avait tant travaillé et tant souffert pour la conversion de l’île ? N’est-ce pas là qu’il avait reçu la consécration épiscopale, à l’endroit même où s’élève aujourd’hui la belle église ? Pendant la nuit elle fut tendue de noir ; on improvisa un catafalque, tandis que les meilleurs ouvriers creusaient et préparaient un tombeau.

Le lendemain, 11 avril, le cortège funèbre arrivait à Mua vers huit heures. Après l’absoute solennelle, le corps de Mgr Bataillon fut placé dans un cercueil que la reine Amélia voulut orner de nattes fines. Son tombeau est dans le sanctuaire, à l’endroit même où le prélat avait son trône. Les habitants de Mua possèdent, comme un précieux trésor, le corps de l’apôtre de l’Océanie centrale.

Mgr Bataillon était né à Saint-Cyr-les-Vignes (diocèse de Lyon), le 6 janvier 1810.




Mgr ELLOY (Louis),
de la Société de Marie,
évêque titulaire de Tipasa, deuxième vicaire
apostolique de l’Océanie centrale.
(1829-1878.)

Nous venons de voir dans quelles circonstances ce vaillant missionnaire fut élevé à l’épiscopat.

Mgr Elloy était né le 29 novembre 1829 à Servigny-lès-Raville (diocèse de Metz). Il avait fait profession dans la Société de Marie, le 17 décembre 1852, puis enseigné la philosophie au collège de Langogne (diocèse de Mende) et rempli les fonctions de sous-directeur au noviciat de Lyon.

Au mois de mai 1856, il lui fut enfin permis de faire voile vers cette Océanie qui avait ravi son cœur ; le 24 novembre suivant, il abordait à Apia, capitale de l’archipel de Samoa. Cette mission, qui eut les prémices de son zèle, eut aussi les préférences de son affection. Tous ceux qui ont approché Mgr Elloy, l’ont entendu parler avec une complaisance vraiment maternelle de ces peuplades dont il vantait le doux idiome et les mœurs relativement polies. Devenu évêque, il redoubla de zèle et de dévouement ; il évangélisa successivement plusieurs archipels ; sa parole ardente et l’exemple de ses vertus apostoliques mirent partout en honneur notre sainte religion et lui gagnèrent une foule de prosélytes.

Cependant, au milieu de ses travaux, les intérêts de la mission appelèrent en Europe Mgr Elloy ; il arriva en France au mois de janvier 1868. Son grand désir était de partir au plus tôt. La terre de notre continent, disait-il, lui brûlait les pieds. Mais Dieu en disposa autrement ; les affaires traînèrent en longueur et le retinrent deux ans, non sans mettre sa patience à l’épreuve.

Au moment où le saint prélat se disposait à retourner en Océanie, le Concile du Vatican allait ouvrir ses solennelles assises que le monde catholique attendait

avec une espérance mêlée d’anxiété. Il répondit à la

Les évêques maristes


Mgr. BATAILLON, de la Société de Marie, vicaires apostolique de l'Océanie centrale. (Voir p. 11 et 14.)


Mgr. ELLOY, de la Société de Marie, vicaires apostolique de l'Océanie centrale. (Voir p. 14.)


Mgr. LAMAZE, de la Société de Marie, vicaires apostolique de l'Océanie centrale. (Voir p. 13 et 17.)


La Vénérable Pierre CHANEL, de la Société de Marie, martyrisé à Futuna, le 28 avril 1844. (Voir p. 18.)
convocation de Pie IX. Puis le Concile interrompu,

il se hâta de partir, car la guerre commençait rapide et terrible. D’immenses armées avaient envahi la France et menaçaient d’intercepter le chemin des ports et de couper les voies maritimes ; déjà la Lorraine était en feu ; les journaux avaient même apporté à Mgr Elloy la douloureuse nouvelle de l’incendie de son village natal, et il devait, en quittant la patrie en proie à des désastres inouïs, garder au fond du cœur le souci cuisant d’ignorer le sort de sa famille et de son vieux père, âgé de quatre-vingt-sept ans.

De retour au milieu de ses bien-aimés insulaires, l’apôtre, n’écoutant que l’héroïsme de son zèle, se remit à l’œuvre avec un nouveau courage. Il devait y succomber. Aussi, lorsque, vers la fin de 1877, Mgr Elloy revint en Europe, en le revoyant tel que l’avaient fait ses travaux, ses sollicitudes et les difficultés contre lesquelles il avait eu à lutter, ses frères en religion ne purent se faire d’illusion sur la gravité de son état.

Mgr Elloy vécut encore une année. I] mourut le 22 novembre 1878. Le diocèse d’Agen a reçu son dernier soupir, et garde sa dépouille mortelle dans la basilique de N.-D. de Bon-Encontre ; mais son cœur a traversé l’Océan et est allé reposer sur cette terre de Samoa qu’il trouva barbare et qu’il a faite chrétienne à force de l’aimer.




Mgr LAMAZE (Amand),
de la Société de Marie,
évêque titulaire d’Olympe, troisième vicaire apostolique de l’Océanie centrale.

Il y avait seize ans que ce missionnaire évangélisait l’archipel des Amis lorsqu’il fut appelé à succéder aux deux pontifes dont nous venons d’esquisser la biographie.

Né à Saint-Michel (Vosges), le 27 mars 1833, Mer Lamaze fut ordonné prêtre le 1er mai 1857. Après quatre ans de ministère dans le diocèse de Saint-Dié, il entra chez les Pères Maristes avec l’ardent désir d’être appelé un jour à évangéliser les infidèles. Destiné par ses supérieurs aux missions lointaines de l’Océanie, il quitta la France en novembre 1863 et arriva l’année suivante à Tonga.

Nous avons montré, p. 13, le P. Lamaze en train de bâtir à Maofaga une église digne de rivaliser avec les temples protestants. C’était en 1876. Hélas ! une épreuve amère lui était réservée.

« C’est du milieu des ruines, écrivait-il le 29 mars 1879, que je vous écris ces quelques lignes ; j’ai le cœur navré. Le premier vendredi de mars, nous venions de célébrer la messe et de faire la communion réparatrice, lorsqu’éclata une horrible tempête. Le soir, il fut impossible de réunir les fidèles pour la bénédiction du T. S. Sacrement. Nous étions blottis dans notre case tongienne, qui craquait de toutes parts et menaçait à chaque instant de nous écraser ; à dix heures et demie du soir, la nef de l’église, battue dans toute sa longueur par le vent d’est, céda et entraîna le chœur. La façade et les deux clochers tinrent bon jusqu’à quatre heures et demie du matin ; mais le vent, tournant au sud, s’engouffra dans le côté laissé ouvert par la chute de la nef et emporta le tout. C’est merveille qu’aucun de nous n’ait été tué ou blessé au milieu de cette grêle de branches d’arbres, de noix de cocos, de feuilles de zinc arrachées aux toitures et poussées de tous côtés par la violence du vent.

« Vous ne pouvez vous faire une idée de la destruction générale. J’estime que les pertes subies par la seule station de Maofaga peuvent s’élever à près de 60,000 fr. Mais surtout comment ne pas pleurer notre magnifique église, notre joie, l’orgueil du pays ? Du mieux que je puis, j’essaie de dire avec le saint homme Job : « — Dieu me l’avait donnée, il « me l’a ôtée : que son saint nom soit béni !» Nos néophytes ont été admirables de résignation, et sont les premiers à nous dire : « — Il faut refaire l’église, « et la refaire en pierre. » C’est un gros travail au moment où nous pensions nous reposer... Et puis où trouver des ressources ? »

Quand il écrivait ces lignes, l’humble et zélé religieux ignorait encore que le Souverain Pontife avait jeté les yeux sur lui pour remplacer Mgr Elloy.

Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il reçut le premier avis de sa nomination comme évêque d’Olympe, vicaire apostolique de l’Océanie centrale et administrateur du vicariat de l’archipel des Navigateurs. Il revint aussitôt en France.

Mgr le cardinal Caverot, archevêque de Lyon, voulut sacrer lui-même dans l’église primatiale de Saint-Jean, le dimanche 22 décembre 1870, le prélat, auquel il avait conféré autrefois, à Saint-Dié, tous les ordres, depuis la tonsure jusqu’à la prêtrise. Son Éminence était assistée de Mgr Marchal, alors évêque de Belley, et de Mgr Bonnet, évêque de Viviers.




Le Vénérable CHANEL (Pierre-Marie- Louis)
de la Société de Marie,
premier martyr de l'Océanie centrale
(1802—1841.)


A côté des portraits des pontifes de la Société de Marie qui régissent l’Église de Dieu dans ces lointains archipels, on nous permettra de placer la sereine et angélique figure du premier missionnaire mariste qui eut le bonheur d’y verser son sang pour la foi.

C’est le 28 avril 1841 que le P. Chanel consomma son sacrifice.

Le roi de Futuna, irrité des progrès du catholicisme dans ses États, et excité par Musumusu, premier ministre, tint, le 27 avril 1841, un conseil dans lequel on résolut de faire la guerre aux catéchumènes dans leur sommeil, en blesse un grand nombre et court assouvir sa haine contre celui que les païens appelaient l’auteur de la religion nouvelle.

Le P. Chanel était seul ; depuis quelques jours il ne pouvait guère s’éloigner de sa demeure ; ses pieds meurtris, à la suite de courses nombreuses sur les routes semées de corail aigu, le faisaient beaucoup souffrir. Il avait envoyé ses catéchistes ordinaires, J. Marie-Nizier et Thomas Boog, baptiser quelques enfants en danger de mort.

Apercevant Musumusu, le P. Chanel, qui connaissait les complots tramés contre sa vie, se dirigea vers lui :

« — D’où viens-tu ? lui demanda-t-il.

« — D’Asoa, répondit Musumusu.

« — Quel est le motif de ta visite ?

« — Je veux un remède pour une contusion que j’ai reçue.

« — Comment as-tu été blessé ?

« — En abattant des cocos.

« — Reste ici, je vais te chercher un remède et panser ta blessure. »

Pendant cet entretien, Filitika et Ukuloa, deux sauvages qui s’étaient joints à Musumusu, étaient entrés dans la case du missionnaire.

Le Père les rencontra comme ils sortaient chargés de linge.

« — Pourquoi, leur dit-il, venez-vous ici ? Qui vous a donné le droit d’agir en maîtres dans ma maison ? »

Ils gardèrent le silence et jetèrent le linge loin d'eau. Le reste de la troupe étant alors accouru, la scène prit un caractère plus alarmant.

Musumusu pousse un cri féroce et interrompt le missionnaire qui représente à ses agresseurs la grandeur du crime qu'ils méditent :

« — Pourquoi tarde-t-on à tuer l'homme ? »

A l'instant même, Umutauli, l'un des sauvages, brandit une énorme massue sur la tête du Père, qui, en parant le coup, a le bras fracassé. Filitika, qui se trouvait derrière le missionnaire, le repousse violemment en criant :

« — Fai motake mote. » (Frappez promptement, qu'il meure !)

Aussitôt Umutauli assène un second coup et lui fait à la tempe gauche une horrible blessure. Filitika attesta plus tard que le P. Chanel s'écria à plusieurs reprises : « Malie fuai ! » (Très bien !) Un troisième bourreau, nommé Fraséa, armé d'une baïonnette adaptée à une lance, se précipite sur le saint prêtre ; la baïonnette glisse, mais le bois de la lance frappe le P. Chanel et le renverse par terre. Ukuloa décharge sur lui plusieurs coups de bâton.

Puis, oubliant d'achever leur victime, ces furieux mettent au pillage la case du missionnaire et se disputent le linge, le mobilier, les images, les tableaux, les ornements sacrés, le calice et le saint ciboire.

Le P. Chanel se relève et se met à genoux ; l'épaule appuyé contre une paroi de bambous, la tête baissée, il essuie de la main gauche le sang qui ruisselle sur son visage, et offre à Dieu le sacrifice de sa vie pour le salut de ses chers Futuniens et en particulier de ses bourreaux.

Un catéchumène, dont la conversion était peu convenue, s'approche du martyr :

« — Kua pakia a Pétélo, » dit-il. (Pierre est meurtri.)

Le Père, le regardant avec bonté :

« — Où est Maligi ? « demande-t-il d'une voix presque éteinte.

C'était un vieillard qui lui était particulièrement dévoué.

« — Il est à Alofi.

« — Tu lui diras, ainsi qu'à mes autres amis, que ma mort n'est pour eux et pour moi qu'un grand bien (Malie fuaï loku mate). »

Cependant Musumusu, le seul qui ne perde pas de vue le but principal de l'expédition, s'adressant aux pillards :

« — N'êtes-vous venus ici que pour prendre des richesses ? »

Et, montrant, le missionnaire couvert de sang :

« — Pourquoi ne pas le frapper à mort ? »

Comme on tarde à remplir cet ordre, il saisit une herminette, s’élance vers le missionnaire, et lui fend le crâne. Le martyr, qui, de l’aveu même de ses bourreaux, n’a laissé échapper aucune plainte, tombe la face contre terre et rend son âme à Dieu. A l’instant, bien que l’air fût calme et le ciel sans nuages, un coup de tonnerre retentit et fut entendu dans l’île entière. Suivant la Sacrée Congrégation des Rites, c’était une voix divine qui reprochait à l’île de Futuna le crime qu’elle venait de commettre : « Deus ipse, aere sereno, intonuit, omnemque insulam patrati criminis admonuisse visus est. »

Pierre-Marie-Louis Chanel était né le 24 juillet 1802, à Montrevel (Ain). Sa vie apostolique avait duré trois ans, cinq mois et vingt jours (du 8 novembre 1837 au 28 avril 1841). Il a été déclaré Vénérable le 24 septembre 1857.




ÉVÊQUES DE LA CONGRÉGATION
DES SACRÉS-CŒURS.
Mgr MAIGRET (Louis-Désiré),
évêque titulaire d’Arathie, vicaire apostolique
des îles Sandwich.
(1804— 1882.)

Né à Maillé, diocèse de Poitiers, le 14 septembre 1804, Louis Maigret annonça dès l’enfance les plus heureuses dispositions. À dix-huit ans, il entra dans la Congrégation des Sacrés-Cœurs, et reçut le nom de Désiré, le jour de sa profession.

Ayant été élevé au sacerdoce, il professa la philosophie au grand séminaire de Rouen. Peu d’années après, il demanda avec instance et obtint, le 24 octobre 1834, d’être envoyé aux missions de l’Océanie.

Il travaillait depuis deux ans à la conversion des îles Gambier, dans le calme et la joie, lorsqu’il reçut du vicaire apostolique de l’Océanie orientale une délicate et difficile mission : il s’agissait d’aller porter des instructions et des consolations au Père Alexis Bachelot, qui le premier avait prêché la foi aux îles Sandwich, et qui était à la veille d’en être banni une seconde fois. Le P. Maigret partit ; mais, signalé d’avance aux ennemis de la religion catholique, il ne put mettre pied à terre. Forcé de passer immédiatement sur un autre navire avec le Père Bachelot, il eut encore la douleur, dès les premiers jours de la traversée, de recevoir le dernier soupir du zélé confrère dont il devait plus tard reprendre et compléter l’œuvre.

En effet, au mois de mai 1840, le Père Maigret revint aux îles Sandwich avec Mgr Rouchouze et quelques autres missionnaires. Ils furent reçus avec enthousiasme par trois à quatre cents chrétiens, qui avaient généreusement.confessé la foi durant la persécution. Malgré leur petit nombre, les missionnaires s’établirent en même temps dans l’île d’Oahu et dans la grande île, appelée Hawaii, qui donne quelquefois son nom à l’archipel. L’année suivante, en quittant ces îles, Mgr Rouchouze chargea le Père Maigret du soin de diriger la mission.

Par la dignité de son caractère et par ses manières douces et engageantes, il ne tarda pas à conquérir l’estime et l’affection des indigènes. En quelques années, il instruisit et baptisa des milliers d’infidèles, bâtit à Honolulu une belle église en pierre de taille, et fonda de nombreux établissements pour contrebalancer l’influence des protestants.

Ce n’était pas assez pour le Père Maigret de ses travaux multipliés à Honolulu et dans les districts environnants : il se plaisait à encourager ses confrères de la grande île. En 1845, il leur fit une visite qui dura deux mois.

De nouveaux ouvriers arrivèrent l’année suivante, ce qui permit au Père Maigret d’établir la mission dans les îles de Maui et de Kauai et de faire visiter l’île de Molokai.

Cependant le Saint-Siège avait érigé les îles Sandwich en vicariat apostolique ; et le 11 août 1846, Pie IX avait choisi le P. Maigret pour remplir la charge de vicaire apostolique, en le nommant évêque d’Arathie. La consécration épiscopale, retardée par suite de la difficulté des communications, se fit à Santiago (Chili), le 31 octobre 1847.

Salué à son retour par d’unanimes acclamations, le nouvel évêque commença aussitôt la visite des différentes îles pour administrer le sacrement de confirmation. À peine l’avait-il terminée, qu’une cruelle épidémie éclata dans l’île d’Oahu, et particulièrement à Honolulu. Le vicaire apostolique et ses missionnaires étaient nuit et jour au chevet des malades. Trois fois, dans l’espace de sept ans, le fléau sévit avec violence, et emporta des milliers de victimes.

Son dévouement, son zèle, sa charité lui avaient attiré l’estime universelle et, quand il mourut le 11 juin 1882, le gouvernement hawaïen s’associa au deuil de la chrétienté d’Honolulu ; le roi et la reine le visitèrent sur son lit funèbre ; les princes de la famille royale, les hauts fonctionnaires et tous les membres du corps diplomatique honorèrent ses funérailles de leur présence.

Il a été remplacé par son coadjuteur Mgr Hermann Koeckmann, évêque titulaire d'Olba.




Mgr DORDILLON (Ildephonse-René
de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus,
évêque titulaire de Cambysopolis,
vicaire apostolique des îles Marquises.

La mission des Marquises doit les grands de ces dernières années à ce vénérable prélat qui la gouverne depuis 1855.

« Depuis plusieurs années déjà, écrit ce prélat, le gouvernement de nos îles favorise les écoles en obligeant à les fréquenter tous les enfants,qu’ils soient chrétiens ou issus de parents païens,depuis l’âge de six ans jusqu’à douze ans. Nous nous sommes empressés d’établir des classes dans tous nos principaux postes. À Taiohaé, l’école, tenue par quatre Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, est fréquentée par 65 filles ; celle de Hatibue,dirigée par le Frère Florent, a 75 garçons ; à Puamau (Ile de la Dominique) nous comptons 25 garçons, 25 filles ; à Hanaiïapa, 20 garçons, 24 filles ; à Ataona, 25 garçons, 20 filles ; à Vaitaha, 25 garçons, 30 filles ; à Hanavava, 20 garçons, 23 filles ; à Napou, 15 garçons, 18 filles.

« Tous ces enfants sont internes. Les parents fournissent la nourriture et le vêtement. Le reste est à la charge de la mission, qui bien souvent doit suppléer à l’impuissance des familles.

« On apprend dans nos écoles à aimer et servir Dieu, à lire et à écrire le français et le marquisien ; on enseigne aussi le calcul. Les filles apprennent en outre à coudre à l’aiguille et à la machine, et d’autres petits travaux convenables à leur sexe. J’aurais voulu


Mgr NAVARRE, de la Société du Sacré-Cœur d'Issoudun, vicaire apostolique de la Mélanésie et de la Micronésie.


vous voir le 15 juillet dans notre belle église de Taiohaé écoutant avec ravissement le chant mélodieux de dix-sept de ces petites filles.

« Un avantage que produisent ici les écoles et qu'il ne faut pas oublier, c'est que tous les enfants qui les fréquentent et aussi les parents, se disposent au baptême à peu d'exceptions près. Presque partout même on fait baptiser les petits enfants aussitôt après la naissance. Ces enfants et les grandes personnes aussi, veulent avoir des chapelets, des médailles. Pour ces dépenses et plusieurs autres, nous comptons sur la Providence. Témoin des besoins de ces enfants, le Frère Florent me disait hier en retournant à son poste :

« Pour que mes enfants soient passablement, j'aurai besoin d'avoir deux sous de plus chaque jour pour chacun d'eux : un sou pour la nourriture et un sou pour le vêtement. »

« Cette demande parait fort modeste. Mais comme il n'est pas seul, et que, pour réaliser ses désirs, il me faudrait augmenter notre dépense de plus de dix mille francs, je n'ai pu que lui souhaiter de trouver quelques âmes généreuses. »




Mgr JAUSSEN (Florentin-Étienne
de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus,
évêque titulaire d'Axieri, vicaire apostolique des îles
Tahiti et Paumotous.

Ce prélat est le doyen d'âge et d'épiscopat de tous les évêques missionnaires d'Océanie.

Il aura, le 9 mai prochain (1888}}, quarante ans qu'il a été nommé évêque d'Axieri, et le 28 août, quarante ans qu'il a été sacré.

Chacun de ces anniversaires est pour les peuple chrétien de Papeete l'occasion de fêtes touchantes.

Nous résumons d'après la lettre d'un missionnaire les détails de l'une de ces solennités.

« La réception des Européens avait eu lieu, la veille (27 août), à l’évêché, en présence des missionnaires de Tahiti et des îles Paumotous, des Frères de Ploërmel, de leurs élèves et des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Outre les catholiques, parmi lesquels se trouvait M. le capitaine d’artillerie français, nommons M. Miller, consul anglais, et madame Miller, et le consul américain. M. Wilkens, consul d’Allemagne, retenu par la maladie, avait exprimé, dans une lettre, son regret de ne pouvoir se rendre à la fête.

« Le lendemain, Mgr Jaussen, en cappa magna, accompagné des prêtres et des Frères de la mission, de tous les catéchistes du vicariat et d’une foule de catholiques et de protestants, s’est rendu, au son des cloches, à l’église de Papeete. Après la messe pontificale, il retourna à l’évêché, accompagné du même cortège. Il y reçut les hommages, les fleurs et les dons en nature des peuplades des différents districts. Le district de Papeete offrit à Mgr le vicaire apostolique une nouvelle cappa magna en papyrus jauni de terra merita et ornée de fines fleurs blanches provenant de l’écorce intérieure de la tige du giraumont.

Arii-Ané, fils de la reine et héritier présomptif de la couronne, fit, quoique protestant, et avec le consentement de la reine, une visite à Mgr Jaussen, qui l’invita à dîner. Arii-Ané accepta l’invitation, ainsi qu’un catholique, son parent, et le chef ministre protestant de Faau.

Le dîner fut servi en plein air, à l’ombre de feuilles de cocotiers disposées sur une charpente. Arii-Ané était à la droite de l’évêque. En même temps, les Tahitiens et Paumotous, catéchistes et autres, prirent aussi leur repas sous les arbres de l’évêché. La fête s’est terminée par des jeux et des himenés chantés en l’honneur de Mgr Jaussen.

À cause de son grand âge, ce prélat a obtenu en 1882 un coadjuteur, Mgr Verdier, évêque titulaire de Mégare.




ÉVÊQUES DE LA SOCIÉTÉ DU SACRÉ-CŒUR D’ISSOUDUN.
Mgr Navarre (André),
évêque titulaire de Pentacomie, vicaire apostolique de
la Mélanésie et administrateur du vicariat apostolique
de la Micronésie.

Le 30 novembre 1887, fête de saint André, apôtre et patron de Mgr Navarre, avait lieu dans l’église paroissiale d’Issoudun, le sacre de ce zélé missionnaire par Mgr Marchal, archevêque de Bourges.

Nous détachons de la circulaire par laquelle Mgr Marchal faisait part à son clergé de l’auguste cérémonie, les lignes suivantes tout à l’honneur du nouvel évêque et de la vaillante Société dont il est le premier membre élevé à l’épiscopat.

« Au mois de septembre 1881, je bénissais le R. P. Navarre, ainsi que ses trois coopérateurs, et je les voyais avec confiance partir sous la protection de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Le voyage dura treize mois, et ce fut au prix de fatigues inouïes et à travers des périls qui font penser à ceux qu’énumérait saint Paul, que ces missionnaires abordèrent enfin à la Nouvelle-Bretagne, et ensuite à la Nouvelle-Guinée.

« Je ne puis vous faire un récit, même abrégé, des débuts de leur ministère dans ces contrées étrangères à tout enseignement religieux.

L’avenir de la mission paraît assuré. Elle se développe rapidement et c’est pourquoi le Saint-Père vient de donner à cette mission un évêque, c’est-à-dire un centre qui en reliera toutes les parties, et d’où s’étendront jusqu’aux extrémités du royaume qu’il faut soumettre à JÉSUS-CHRIST, l’impulsion, la direction et la surveillance.

« C’est un des nôtres que le doigt de Dieu a désigné pour ce poste avancé de son royaume ici-bas ; c’est un fils de Notre-Dame du Sacré-Cœur que votre archevêque va sacrer de l’huile sainte qui fait les pontifes.

« Le R. P. Navarre est membre de la Société des missionnaires d’Issoudun, et, s’il est né dans un autre diocèse, il appartient à celui de Bourges par son éducation cléricale et par son ordination. La voix de Dieu l’a fait sortir des rangs du clergé séculier, pour l’attirer, semble-t-il, plus près du cœur de Jésus, en le faisant entrer dans une société qui lui est plus spécialement dévouée. Là, dans l’austérité et les travaux de la vie religieuse, il a préludé aux travaux plus pénibles et plus glorieux auxquels le destinait la Providence.

« Le choix du Vicaire de JÉSUS-CHRIST est allé surprendre le R. P. Navarre au milieu de ses travaux, et il le ramène au berceau de sa vocation ecclésiastique et religieuse. C’est avec émotion que je l’ai revu, épuisé déjà par les fatigues d’un apostolat pour lequel tout est à créer, et où l’existence même du missionnaire est rarement assurée pour plus d’un jour. Il est revenu, pour retourner bientôt à son poste d’honneur et de dévouement, avec un caractère plus élevé et des grâces nouvelles. »

OCÉANIE ORIENTALE

TAHITI. — PAUMOTOUS. — FIDJI.


L'EST des des iles Samoa, mais bien dispersé à plusieurs jours de distance, voici Tahiti, et les Marquises, et les Paumotous.

Nous pénétrons dans le domaine spirituel des Pères de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus.

Tahiti. — Tahiti est située par 17° 39 de latitude sud, et 151° 48, de longitude ouest. Sa superficie est de 104,215 hectares. L'île est de forme ronde, montagneuse au centre, avec des côtes assez basses sur plusieurs points.

A l’est de l’île est la pointe de Vénus, garnie de pics élevés qu'on aperçoit de quatre-vingt-dix kilomètres en mer ; près de cette pointe, la rade de Matavaï, avec son phare, dont la portée n'est que de dix kilomètres.

Une hauteur considérable, appelée le Diadème, marque le centre de l’île et se détache de loin sur le ciel, flanquée du pic de l’Orohéna découpé en deux pitons de plus de 2,000 mètres de hauteur, et des pitons de l’Aoraï et de Pithoiti, qui ne sont guère plus bas.

Nous avons nommé la vallée Fatahoua. Elle est commandée par un pic de ce nom et présente un défilé des plus pittoresques avec une admirable cascade de deux cents mètres de chute, dont le bassin n’a pas moins de quatre cent vingt mètres d’altitude.

Les rivières qui arrosent Tahiti ont un cours peu étendu, mais elles sont pour ainsi dire innombrables, et leurs eaux, fort belles, forment des cascades à chaque pas.

Au point de vue géologique, Tahiti ne présente pas moins d’intérêt. C’est un soulèvement qui l’a fait sortir de l’Océan : l’action volcanique s’y peut constater encore, car les inégalités du sol ne sont autre chose que les ondulations d’une lave refroidie dans sa course.

D’immenses colonnades basaltiques encadrent aussi ses vallées.

Cependant nul pays n’est plus pauvre en minerais. A peine y a-t-on découvert quelques parcelles de fer à l'état de sulfure.

La flore y est, en revanche, des plus riches et des plus luxuriante, car le sol est excessivement fertile. Les arbres y sont magnifiques, surtout les cocotiers, les pandanus, les orangers et les arbres à pain, qui couvrent les plages. Les forêts sont pleines d'arbres précieux pour la construction et l'ébénisterie.

Avec une si riche nature, les mammifères étaient peu nombreux à Tahiti. A l'exception du cochon et du rat qui y sont fort communs, tous les animaux y ont été importés. Les oiseaux y sont encore extrêmement rares. Il y a peu de serpents dangereux et peu de poissons et d'insectes.

Les Tahitiens ont embrassé le christianisme en 1797. Quarante-huit églises ou chapelles et cinquante-deux écoles ont été élevées par les missionnaires dans les principales îles de l'archipel. Un évêque et vingt-deux prêtres de la Congrégation des Sacrés-Cœurs évangélisent actuellement les indigènes.

Paumotous. — A l'est de l'île Tahiti se trouve l'île Anaa, l'une des Paumotous où le zèle des missionnaires s'est exercé avec le plus de succès.

Anaa ou l'île de la Chaîne était encore, en 1849, plongée dans les ténèbres de l’infidélité ou de l'hérésie, ainsi que l'archipel paumotou dont elle est la métropole. Presque tous les habitants étaient païens. Un petit nombre avaient reçu des bibles de prédicants anglais calvinistes ; quelques-uns avaient embrassé la morale prêchée par des matelots américains appartenant à la secte des Mormons. La conduite des Mormons ne différait guère de celle des plus débauchés d'entre les païens. Les Mormons prêchaient la polygamie qui, chez ces peuplades sauvages, n'avait jamais existé. Cet excès d'immoralité a formé le plus grand obstacle à la conversion et à la moralisation des îles Paumotous. Les missionnaires catholiques n'ont pas reculé devant les difficultés de la tâche, et aujourd'hui Anaa est, en grande majorité, catholique.

L'île d'Anaa est divisée en six districts principaux,
TAHITI. — NATURELS, CASES, ANIMAUX DOMESTIQUES, d'après des croquis (Voir p. 22.)

qui possèdent chacun une belle église en pierres.

Tuuhora, chef-lieu d'Anaa, est aussi la résidence du régent de l'archipel. Placé à l'entrée du lac, autour duquel l'île s'étend comme une ceinture, et dominant la passe du lac, Tuuhora tient la clef de cette mer intérieure. Il est le débarcadère et l'entrepôt général des Paumotous.

Le supérieur de la mission a choisi Tuuhora pour sa résidence ordinaire, pour le centre de l'administration ecclésiastique de l'archipel et pour le rendez-vous des missionnaires et des fidèles à certaines solennités religieuses. En 1851, Mgr Jaussen baptisa dans


OCÉANIE. — ÇAKOBAU, DERNIER ROI DE FIDJI ; d'après une photographie (Voir p. 24)


l’église de Tuuhora Auguste Teina, alors régent des îles Paumotous, dont l’exemple entraîna la conversion de plusieurs autres dignitaires du pays. Cette église est en chaux ; elle a été bien des fois recrépie et badigeonnée à neuf. Depuis la construction de l’église en pierre, elle sert de chapelle pour les catéchismes.

La case en branches de cocotier, que représente la gravure page 13, fut la première demeure des missionnaires catholiques à Témarié.

C’est dans ce presbytère primitif que fut inaugurée la mission d’Anaa ; c’est à l’ombre de ces cocotiers baignés par les flots de l’océan Pacifique,que la Bonne Nouvelle fut annoncée, pour la première fois, aux habitants d'Anaa. Le grain de sénevé a été jeté là ; il s'est développé bientôt, et il couvre maintenant l'île toute entière. En quelques mois, les RR. PP. Clair Fouqué et Benjamin Pépin eurent gagné une soixantaine de néophytes. Le R. P. Albert Montinon, aujourd'hui à Molokai, qui est représenté, p. 13, debout, sous un cocotier, exerça aussi son zèle dans ce district. La chapelle était alors située à une centaine de mètres derrière le presbytère, dans un bois de cocotiers. Comme celle de Tuuhora, elle était en chaux et recouverte en feuilles de cocotier. Le district de Témarié n'est séparé de celui de Tuuhora que par la passe du lac et une bande de récif longue d'environ un mille et demi. C'est le premier village que les navires venant de Tahiti aperçoivent à Anaa.

Dans ce district de Témarié, d'où ils sont partis pour entreprendre la conquête religieuse de l'île, les missionnaires poursuivent aujourd'hui les restes du mormonisme réfugiés au fond des bois de cocotiers.

Iles Fidji. — De ces lointains parages de l'Océanie orientale, portons-nous maintenant au nord-ouest. Nous traversons, sans nous y arrêter, la préfecture apostolique des îles Fidji administrée par les RR. PP. Maristes, îles célèbres par la barbarie de leurs habitants et par le génie de leur roi Çakobau.

Çakobau est la grande figure historique de l'archipel des Fidji ; c'est le Louis XI en raccourci, à la fois violent et rusé, de ces contrées lointaines. Par une politique souvent habile, toujours cruelle, mais dont les missionnaires protestants anglais ont absous les excès par le baptême, Çakobau réussit à étendre sa souveraineté sur la presque totalité des trois cent soixante îles, flots ou rochers qui composent l’archipel et sur 150,000 insulaires qui le peuplent.

Les faits d’anthropophagie et de barbarie abondent dans la vie de ce roi cannibale ; pendant plus de trente ans, il ne passa peut-être pas de semaine sans festin de chair humaine. Aussi n’est-il pas étonnant de l’entendre répondre aux capitaines de navire de guerre, anglais ou américains, qui visitaient de temps à autre ces îles, et qui le sommaient de mettre fin à ses repas d’anthropophages :

« — Vous autres papalagis, vous avez des bœufs, voilà pourquoi vous ne mangez pas les hommes ; pour moi, les hommes sont mes bœufs. »

Jusqu’en 1850 et plus tard encore, telle fut l’existence de Çakobau, qui était roi de fait, quoique son vieux père Tanoa en retint le titre. Les ministres hérétiques eurent à employer toutes leurs ruses et toutes leurs menaces pour s’introduire à Bau, dont le nom commençait à devenir redoutable dans tout l’archipel. Le tigre grinçait des dents contre ceux qui osaient essayer de le faire renoncer au cannibalisme. La gueule des canons qu’il avait l’occasion de voir quelquefois à bord des vaisseaux, l’intimidait cependant, et leurs voix sonores parlèrent hautement en faveur des ministres.

En 1851, Mgr Bataillon, visitant cet archipel, ne put avoir une entrevue avec Çakobau, pour l’engager à recevoir des missionnaires. Les wesleyens n’avaient pas encore pu obtenir cette faveur, et Mgr d’Énos ne fut pas plus heureux. Les premiers parvinrent enfin à pénétrer dans la citadelle en 1853. Il se déclara wesleyen, et tout son royaume eut à le suivre.

Depuis lors, des relations continuelles avec les Européens finirent par lui donner une certaine teinte de civilisation et les Anglais surent s’insinuer si bien dans ses bonnes grâces qu’il finit par leur abandonner en 1874 la souveraineté de son archipel.

Hercules Robinson, gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, muni des pleins pouvoirs de la Reine, se rendis à Fidji, pour conclure cette affaire.

L'acte de cession pure et simple fut dressé, le 30 septembre, au palais du gouvernement. Il ne serait pas exact de dire qu'il fut signé par Çakobau. Pour cause, il dut se contenter de faire écrire son nom, fit appliquer son sceau et dit : « — Ceci est ma signature et mon acte. »

Tous les grands chefs présents signèrent le document.

L'acte solennel de cession eut lieu le 10 octobre. La nuit précédente et toute la matinée de ce jour, la tempête faisait rage, la pluie tombait par torrents. A une heure, le temps se rasséréna quelque peu, et les préparatifs interrompus se terminèrent en toute hâte. A deux heures vingt minutes, sur Hercules Robinson arrivait, accompagné d'un brillant état major, salué par dix-sept coups de canon et les hourrahs des matelots montés sur des vergues. L'infanterie de marine et les troupes indigènes l'acclamèrent à son débarquement. Çakobau, entouré des chefs et de ses ministres, l'attendait au palais. Il s'assit ayant à sa droite sir Hercules et à sa gauche le commodore Goodenough ; tout le reste de l'assistance se tenait debout. On lut de nouveau en fidjien et en anglais le traité de cession, auquel les chefs, absent le 30 septembre, apposèrent leur signature.

À ce moment, le premier ministre du roi qui abdiquait présenta au gouverneur un énorme casse-tête et lui fit le discours suivant :

« En cédant Fidji à la reine Victoria, le roi désire envoyer à Sa Majesté, par l'entremise de Votre Excellence, le seul objet auquel il tienne encore et qui puissent l'intéresser, sa vieille et favorite massue de guerre. Le casse-tête avait été, jusqu'à ces dernières années, la seule loi dans les Fidji. En abandonnant cette loi de la force pour adopter les principe des nations civilisées, le roi fait de sa vieille arme de guerre la masse du parlement de Fidji. Comme Votre Excellence le voit, on y a gravé dans ce but les emblèmes de la paix et de l’amitié. Le roi me charge de dire à Votre Excellence que, sous cette vieille loi de force, beaucoup de ses sujets, des tribus entières, ont disparu ; mais il reste encore des centaines de mille Fidjiens pour jouir des bienfaits d’un ordre de choses meilleur. Avec cette arme de guerre, le roi envoie aussi à la reine d’Angleterre l’assurance de son amitié et de son respect. Il compte que Sa Majesté et ses successeurs veilleront au bien-être de ses enfants et de son peuple, qui renoncent à leurs coutumes anciennes pour accepter, sous le drapeau anglais, une civilisation plus élevée. »

Ce casse-tête, vieille arme de guerre, était enrichi de divers dessins et décorations en argent.

Le gouverneur signa l'acte de cession et la copie qui en avait été préparée ; puis il se rendit sur le perron du palais. Il déclara à l'assemblée qu'à dater de ce jour Fidji était une possession de la couronne britannique. On amena en silence le drapeau fidjien, et aussitôt apparut l'étendard des royaume unis de la Grande-Bretagne et l'Irlande. Toute la foule le salua par des applaudissements ; la musique de la frégate joua le chant national : God save the Queen, tandis que l'on tirait une salve de vingt-et-un coup de canon. Parmi les réjouissances de cette soirée, les journaux mentionnent le joyeux carillon de l'église du Sacré-Cœur .

Sir Hercules, avant de quitter Fidji, décréta que Çakobau recevrait annuellement une pension de 900 livres sterling (22,500 fr.).




Mais passons. La terre immense des Papous et les innombrables archipels éparpillés sur cette partie de l'Océan pacifique nous attendent. Que de points obscurs, que d 'îles inexplorées, que des terres vierges dans ces myriades de petits royaumes polynésiens !

BORNÉO

Mission chez les Dyaks. Usages et préjugés des indigènes.


i l'on excepte l'Australie, Bornéo est la plus grande île du monde : elle est plus étendue en superficie que la France entière. Le sud appartient à la Hollande ; le nord est gouverné par des sultans indépendants : Sarawak, notamment, a pour souverain un Anglais, Rajah Brooke. Une compagnie anglaise vient de se former dans le but d'exploiter le nord de l'île. La population se compose de Dyaks, de Malais et de Chinois.

Les missionnaires anglais de Mill - Hill ont repris en 1881 l'évangélisation de cette contrée qui, depuis une vingtaine d'années, n'avait pas eu d'apôtres catholiques. C'est dans le nord de l'île, dans les États du Rajah Brooke, roi du Sarawak, qu'ils ont établi leurs premières stations. Les sauvages Dyaks de l'intérieur, voisins de ce royaume, ont également reçu la Bonne Nouvelle.

Les Dyaks. — Le P. Dunn, qui a été chargé de la première mission chez ces indigènes, donne de curieux détails sur leurs usages :

« Entrer dans l'intérieur de la partie nord de Bornéo, n'était pas la moindre de nos difficultés. Presque tout le pays est couvert de forêts et de jungles impénétrables, le pauvre voyageur est souvent obligé


BORNÉO. — INTÉRIEUR D'UN VILLAGE DYAK


de traverser des fleuves remplis de crocodiles, des terrains marécageux. Il doit encore supporter la faim, la soif et autres privations inévitables sous les tropiques.

« Les races de l'intérieur vivent isolées et séparées les unes des autres, sans domicile fixe ; car elle aiment beaucoup le changement.

« Quelques peuples ont conservé l'habitude des sacrifices humains, et un très grand nombre sont head hunters, c'est-à-dire « chasseurs de têtes ». Ce nom leur est donné parce qu'ils tuent les gens pour le plaisir de garder leurs crânes ; ces crânes sont conservés comme des trésors ; j'en ai vu plus de cinquante suspendus dans une seul demeure.

« D'autres coutumes sont trop horribles pour que les énumères ici.

« Leurs constructions sont forts originales. Chaque village se compose seulement de quatre ou cinq maisons, soutenues par de longs poteaux à vingt pieds du sol. On monte à ces habitations aériennes au moyen d'une perche inclinée offrant des entailles qui tiennent lieu de marches. Pour augmenter la sécurité, deux autres perches à portée des mains remplacent les rampes. Arrivés au sommet, nous trouvâmes une plate-forme de bambous disjoints, offrant de distance en distance de larges ouvertures béantes par lesquelles on risquait de tomber dans le vide. « Un long bâtiment, construit en planches brutes de toutes grandeurs et mal assemblées, recouvert de feuilles de palmiers cousues ensembles, occupe toute la longueur ; il est partagé en une quarantaine de petits appartements de 12 à 15 pieds carrés et habité par un nombre égal de familles. Au-dessus du plafond, un grenier contient toutes les richesses du ménage. Un ou deux lits, dressés à quelques pouces de terre, un dais d'étoffe de couleur et, le long des murs, des anneaux de bronze, des ornements de plomb, enfin de larges, hautes et vieilles urnes de terre : voilà tout l'ameublement. A propos de ce dernier article, je ferai remarquer que les Dyaks y attachent le plus grand prix. Imitant à leur insu les collectionneurs européens, qui se disputent, à coups de billets de banque, les vieilles porcelaines de la Chine et du Japon, ces sauvages consacrent des sommes considérables, 200, 300 dollars (1,000, 1,500 fr.) à l’achat d’une seule de ces urnes : plus elles sont anciennes, plus elles sont appréciées.

« Dans chaque maison où nous entrâmes, on nous fit le meilleur accueil. La plus neuve et la plus belle natte était étendue en notre honneur et nous nous asseyions à la mode orientale. On plaçait devant nous, dans des boîtes en métal délicatement ouvrées, du bétel, noix dont les Dyaks et les Malais font une consommation incessante : nous nous contentions d’admirer les boîtes. Le capitaine du fort, un Singalais, nous servait d’interprète.

« Les femmes confectionnent, avec des lamelles de rotin finement fendu, des corbeilles de différentes couleurs ; on nous en montra de jolis échantillons. Les hommes s’occupent de culture, de pêche et recueillent la gutta-percha ; ils fabriquent aussi leurs ornements de bronze et leurs armes. Le costume des hommes se réduit à une pièce d’étoffe de couleur brillante, enroulée autour de la taille et descendant jusqu’aux jambes, les deux extrémités de la pièce pendant devant et derrière. Du poignet à l’épaule, le bras est couvert d’anneaux de cuivre : la cheville du pied l’est également. Un collier et une coiffure de couleur complètent le costume. Rien de beau comme un équipage de Dyaks pagayant sur la rivière ! À chaque mouvement des rameurs, les anneaux métalliques, qui ornent leurs bras, miroitent aux feux du soleil, les riantes nuances de leurs vêtements, le léger bateau. qui file rapidement entre les rives verdoyantes, tout cela offre un spectacle d’un pittoresque achevé.

« Ces indigènes ont une étrange coutume, c’est de tailler leurs dents en pointe, de les peindre en noir, parfois de les percer et de combler le trou avec de l'or ou du cuivre. Leur habitude de mâcher du bétel rend leur salive rouge et fait croire à tout instant qu'ils ont la bouche pleine de sang...

« Nous avons beaucoup de peine à obtenir que les parents nous confient leurs enfants. leurs idées sur les résultats de l'éducation sont des plus primitives. Ainsi un père de famille nous amena un jour son fils et nous pria de l’instruire. Nous lui promîmes de faire de notre mieux. Deux semaines après, le brave indigène nous adressait des reproches.

« — Comment ? disait-il tout mécontent, vous avez
« mon fils depuis quinze jours et sa peau est aussi
« noire qu’auparavant ! »

« Ce ne fut pas sans difficulté que nous lui fîmes comprendre notre impuissance absolue à opérer une telle transformation. Le père, malgré cette déconvenue, consentit pourtant à nous laisser encore le petit élève ; mais il revint bientôt, désireux de juger de ses progrès :

« — Dis-moi, mon garçon, maintenant que tu es
« savant : tardera-t-il beaucoup à pleuvoir ?

« L’enfant naturellement restait sans réponse. Le père passait à une autre question :

« — J’ai perdu mon sabre la semaine dernière ;
« sais-tu qui l’a trouvé ? .

« Après deux ou trois interrogations du même genre, le pauvre sauvage déconcerté déclara qu’il n’y avait décidément plus d’espoir et que nos leçons n’étaient bonnes à rien.

« C’est cependant par l’éducation des jeunes Dyaks que nous pourrons convertir ce peuple. Car, si nous réussissons à former quelques enfants, ils nous serviront de catéchistes et d’auxiliaires.

« Bien des points offriraient à l’évangélisation un terrain favorable,comme j’ai pu m’en assurer dans une exploration que je fis au mont Nado, chez les Dusans, à 125 milles de Labouan. La tribu est gouvernée par une vieille femme nommée Dintas ; c’est dans sa hutte que se réunit la population pour entendre mes communications. J’exposai par interprète le but de ma visite. Lorsque j’eus terminé,les Dusans délibérèrent quelque temps ; plusieurs paraissaient inquiets, et hochaient la tête. Leur décision fut qu’ils trouvaient mes propositions excellentes ; mais qu’ils me rendraient réponse plus tard. La conversion de cette peuplade me paraît facile à obtenir ; elle produirait un effet immense sur les tribus voisines.

MICRONÉSIE ET MÉLANÉSIE

Origines, Abandon, reprise de la mission. La Nouvelle-Guinée. Port-Léon.


L y a quelques années à peine, les ouvriers apostoliques ont enfin réussi à défricher une ou deux coins du champ immense de la Mélanésie et de la Micronésie. Plusieurs tentatives héroïques faites dans l'archipel Salomon ou dans celui des Carolines échouèrent successivement. Les vaillants apôtres à qui le Saint-Siège confia ces îles, y mirent pied à terre aux prix d'efforts inouïs ; mais l'heure de Dieu n'avait pas encore sonné ! Ils durent bientôt les abandonner, à la suite des coups rapides et multipliés qui vinrent frapper ces premiers missionnaires. On n'a pas perdu le souvenir de Mgr Epalle débarquant


MÉLANAISIE. — MAISON DES MISSIONNAIRES A BERIDNI (Nouvelle-Bretagne), d'après un croquis de Mgr Navarre.


sur ces rives inhospitalières, et massacré à son arrivée dans l'île Isabelle (archipel Salomon). Son successeur Mgr Collomb, le suivait au bout de quelques mois dans la tombe où les avaient déjà précédés les PP. Pages et Jacquet, victimes de la férocité des insulaires à San-Christoval. Bientôt après, les PP. Crey et Villien, tombaient dévorés par la fièvre et la brûlante ardeur de ces climats. Les autres missionnaires, épuisés de fatigues et poursuivie par les naturels, de qui quelques-uns reçurent même de graves blessures, abandonnèrent à regret ces îles infortunées où ils n'avaient pas trouvé d'épis mûrs pour la moisson ; mais ils conservèrent l’espoir d’y retourner, sitôt que la bénédiction divine, attirée par le sang des martyrs aurait disposé ces peuples à recevoir la bonne nouvelle du salut.

Mais le sang généreux de ces Martyrs a crié miséricorde et attiré sur ces infortunées populations des grâces de salut. Les efforts tentés récemment ont enfin abouti ; la croix est maintenant arborée sur plusieurs points de ces archipels inhospitaliers.

C’est hier que les PP. Capucins espagnols abordaient aux îles Carolines, le P, Navarre dans la Nouvelle Bretagne, et le P. Vérius dans la Nouvelle Guinée. Notons les impressions de ces hardis apôtres en mettant le pied sur ces terres dévorantes.

La prise de possession de la Nouvelle Guinée par les missionnaires catholiques est de date trop récente (4 juillet 1885) pour que les annales de l’apostolat puissent nous offrir sur ce monde nouveau autre chose que de rapides croquis.

On nous permettra, à raison de l’intérêt qu’elles offrent, de détacher du journal de bofd du P.Vérius, les pages relatant les émouvantes péripéties des dernières journées de sa traversée et de sa première installation dans la grande île.


MÉLANÉSIE. — HABITATION D'UN CANAQUE A LA NOUVELLE GUINÉE, d'après un croquis de Mgr. Navarre. (Voir p. 31.)


Le missionnaire partit, le 19 juin, de Thursday Island, l’une des îles du détroit de Torrès, sur une petite barque de pêche. L’océan était furieux, aussi la navigation fut elle des plus pénibles.

« Vers le soir du 20 juin, raconte le P. Vérius, la mer devint tellement grosse que nous dûmes ancrer derrière l’Ile-Double. Nous en profitâmes pour descendre à terre et faire nos exercices de piété ; car, à bord, impossible de lire ou de parler, on ne peut songer qu’à une chose : se tenir ferme aux mâts et aux cordages, sous peine de prendre un bain forcé et de faire une visite aux poissons. La soirée fut belle ; après nous être reposés un peu à terre, nous plantâmes une croix dans cette île déserte, nous y fîmes notre lecture spirituelle, notre prière, et, après une courte réfection, nous retournâmes à bord. Le lendemain la mer fut meilleure, le surlendemain aussi, mais la nuit venant, nous étions toujours obligés de chercher un refuge derrière une île quelconque. L’île Jorke parut enfin à l’horizon et près d’elle, au mouillage, le « Gordon » grosse barque de pêche mise pour quatre mois à notre disposition. Le lendemain, nouvelles difficultés. Je croyais trouver le bateau tout prêt et tout armé. Il n'a point de boussole. Comment faire ?... retourner à Thursday pour en acheter une ?... Mais pour y aller il m'en faut une. heureusement arrive un bateau qui en a une de reste et qui nous la cède. Enfin, le 25 juin au matin, après avoir célébré le saint sacrifice de la messe dans notre cabane de paille, nous levâmes l'ancre pour la Nouvelle-Guinée.

« La journée fut terrible ; juste au moment de traverser deux bancs de coraux, la pluie se mit à tomber, la mer passait par-dessus le bateau et j'eus mille peines à rassurer mes compagnons de voyage et à me tenir cramponné à l'avant pour examiner la route. Le soir, mouillés jusqu'aux os, nous ancrâmes derrière l'île Darnley, dont l'Albertis parle longuement dans son voyage à Jule-Island. Nous dressâmes la tente sur le pont pour y passer la nuit, mais tout était mouillé. Impossible de sa réchauffer. Pour comble, le vent, agissant sur la tente, fit chasser le bateau sur son ancre et nous renvoya au large. Il nous fallut une bonne heure pour revenir. Le lendemain, impossible de partir. Mais le 27, vers trois heures du matin, le vent étant favorable, nous levâmes l'ancre pour ne plus la jeter qu'en Nouvelle-Guinée. Nous entrions en pleine mer, plus d'îlots pour s'abriter, il fallait marcher. En avant donc, il n'arrivera que ce que le bon Dieu voudra pour sa gloire !

« Toute la journée du 27, la nuit et journée du 28, nous eûmes la mer la plus affreuse : les vagues étaient deux fois plus hautes que les mâts de notre barque. Par trois fois nous faillîmes tous être balayés. Comme l'ont se sent petit dans ces terribles occasions !... Les bons Frères étaient pâles d'effroi, ils me regardaient pour savoir ce qu'ils devaient penser. Enfin, le 28, vers si heures du soir, le ciel s'ouvrit et devint tout à coup serein, du côté de la Nouvelle-Guinée. Une pauvre petite colombe nous avait annoncé la terre ; fatiguée du chemin, elle cherchait à se reposer sur nous voiles. J'en fus touché, tout le monde disait : « C'est de bon augure. »

« Vers le soir, au moment où nous ne pensions qu'à prier, le Frère Gasbarra s'écria :

« La Nouvelle-Guinée !... La Nouvelle-Guinée!... »

« Elle était là, en effet, cette chère Terre Promise. Les larmes nous vinrent aux yeux à tous, larmes de joie et de reconnaissance.

« Deux jours furent employés à reconnaître les lieux. En louvoyant le long de la côte, nous vîmes deux grands villages. Ayant jeté l'ancre devant l'un d'eux, vite les sauvages vinrent à notre bord avec des cocos qu'ils troquèrent pour du tabac.

« Enfin, le 30 juin au soir, nous ancrâmes dans Hall-Sound, en face de l'île Jule ou Roro, but de notre voyage, et où nous devons établir une station qui sera comme la mère de toutes les stations subséquentes de la Nouvelle-Guinée.

« Le lendemain 1er juillet, fut le jour de descente.

« Arrivé dans une baie fort jolie qui se trouve au sud de l'île, le capitaine de notre barque me dit :

« Je vois des maisons..., des plantations..., je vois
« un sauvage, puis deux, puis trois... »

« Arrière donc, lui dis-je, et jetez l'ancre au centre
« de la baie, c'est là que le bon Dieu nous veut. Cette
« baie sera Port-Léon, en perpétuelle mémoire de
« Sa Sainteté Léon XIII' qui nous a confié l’évangélisation
« de la Nouvelle-Guinée, et la colline que voilà
« sera notre future résidence »

« A peine eûmes-nous ancré, que les sauvages se montrèrent en foule sur le rivage. Ils sortaient de toutes parts. Je leur fis signe de venir. Aussitôt une vingtaine d'entre eux se précipitèrent dans leurs pirogues qu'ils tenaient cachées, et se dirigèrent vers nous.

« C'était plus que n'en voulait notre capitaine ; il eut un peu de frayeur et chargea son révolver. Je défendis aux hommes de tirer sans mon ordre. Les sauvages arrièrent, bons, presque timides. Je fis monter les plus âgés et leur donnai un peu de galette de mer. Ils ne se firent pas prier, je vous assure. J'avisai alors l'un d'eux qui se nomme Raouma, et je lui fis entendre que je voulais descendre dans son île près de sa maison. Il comprit mes gestes, et fît éclater sa joie d'une manière extraordinaire. Il voulut savoir qui j'étais :

« Missionary, Missionnaire, » lui répondis-je.

« Le pauvre homme prit cela pour mon nom et depuis, tout le monde m'appelle : « Mitsinary ».

« Quand je vis ces pauvres gens en de si bonnes dispositions, je dis au capitaine :

« Battons le fer pendant qu'il est chaud ; suivez-moi
« avec Frère Nicolas et allons de suite acheter
« un terrain »

« Je pris le paquet préparé d'avance pour cet achat et nous voilà partis sur une pirogue de sauvage. L'affaire fut conclue en un quart d'heure. Raouma, Colva, sa femme, toute sa famille et nous, fîmes le tour de la terre que je voulais acquérir, marquant l'espace désiré par de petits tas de pierres. J'étalai ensuite aux pieds de Raouma trois chemises, trois couteaux de poche, trois colliers, trois miroirs et deux petites musiques avec un peu de tabac. Puis, lui faisant admirer le tout, je lui fis signe que cela était à lui et le terrain à moi. Il consentit, et toute sa famille sautait de joie. Nous revînmes à bord pour dîner, et, le soir même, nous descendîmes à terre pour couper le bois de la cabane.

« Le lendemain, 2 juillet, en moins de quatorze heures, nous arrivâmes à mettre sur pied une cabane couverte d'herbes sèches, de six mètres sur quatre avec deux compartiments. Les sauvages en sont dans l'admiration. Enfin, le 4 juillet, j'avais le bonheur de célébrer la première messe qui ait été célébrée en Nouvelle-Guinée. »

Les épreuves ne tardèrent pas à arriver : elles vinrent du côté où on ne les attendait pas. Les provisions apportées de Thursday prirent fin, la disette commença de se faire sentir, et le petit bateau qui devait ravitailler la mission ne reparaissait pas. Puis vinrent les fièvres, conséquence d’un travail prolongé, forcé, en plein soleil, plutôt que de l’insalubrité de l’île.

Mais la Providence n’abandonnait pas ceux qui s’étaient uniquement confiés en elle. Grâce à un fusil et à quelques munitions, on parvenait à abattre quelques pièces de gibier, Les provisions de chasse finirent, elles aussi, par s’épuiser, et le moment arriva où il fallut se mettre tout de bon à la sauvage : bananes le matin, bananes à midi et bananes le soir ; plût à Dieu que cela eût pu continuer ainsi ! Les objets de commerce, servant de monnaie, touchaient à leur fin, et les sauvages ne donnant rien pour rien, les bananes elles-mêmes devinrent précieuses et rares. On devine toutes les souffrances occasionnées par cette pauvreté.

Ici se place une petite excursion dans l’intérieur de la Nouvelle-Guinée, en vue d’approvisionnements à faire. Nous laissons encore parler le P. Vérius.

« Après avoir arrangé nos vêtements qui tombaient en pièces, nous préparâmes notre monnaie, c’est-à-dire les divers objets que nous devions donner en échange de ce que nous désirions. Nous dûmes prendre, sur nos affaires particulières, une hache, la seule bonne qui nous restait, une de nos chemises, deux couteaux, un miroir, du tabac et quelques allumettes. Avec cela, nous espérions acheter un porc, des bananes, des cocos et des taros.

« Le village de Bioto où nous allions n’est qu'à cinq ou six kilomètres à l’intérieur. Nous côtoyâmes tout Hall Sound. La paresse de nos sauvages s'accommode mieux de pousser avec un bâton le long des côtes, que de ramer. Après quelques heures, nous étions dans la grande et unique embouchure des deux fleuves Hilda et Ethel, qui a bien cent mètres de largeur. Quel spectacle splendide ! Les eaux calmes, les deux rives parfaitement boisées et comme parfumées ; mille oiseaux divers, aux couleurs les plus brillantes, chantaient en volant sur nos têtes, des poissons par milliers, et aussi des crocodiles nous regardaient passer. Nous traversâmes cette embouchure, et à peine eûmes-nous fait deux ou trois cents mètres que nos sauvages nous indiquèrent la rivière à gauche, Nous la remontâmes pour arriver à Bioto.

« Une trentaine de maisons bien bâties, sur deux rangs, une rue large et bien ensablée, les deux extrémités de cette rue fermées par des monuments spéciaux, attirèrent tout d’abord notre attention. C’était le village.

« Dans un de ces bâtiments se tenait une réunion de vieillards. On se dirigea vers cet édifice, toujours en silence.

« — Amis, dirent nos hommes en s’asseyant, nous
« sommes vos amis ; ce blanc, c’est le Mitsinari,
« missionnaire. »

« Je m’assis alors gravement, et saluai tous ces anciens en leur demandant leur nom et en leur faisant de petits présents : tabac, perles, etc. Alors s’engagea la conversation. J’étais dans la Maréa, maison de réception, où tous les étrangers ont le droit d’entrer, de dormir et d’être nourris. Le village entier était là, les hommes dans la Maréa, les enfants sur les escaliers, et les femmes sur la place. Après avoir remercié tout le monde et dit combien nous étions heureux de voir les fils de Bioto, et combien nous trouvions beau leur village, je commençai à leur faire entendre le but de mon voyage et je répétai avec emphase mes tarifs, c’est-à-dire les divers objets que je me proposais de donner en échange de ce que je demandais.

« Mais, au moment où je m’y attendais le moins, on nous apporta les dons de bienvenue : cinq grands plats remplis de tout ce que les sauvages ont de plus délicat. Je fis semblant d’être ravi de la chose, car ils nous faisaient là le présent des chefs. Je goûtai un peu de tout, et passai reste à mes rameurs qui, enthousiasmés, firent tout disparaître en quelques instants. En renvoyant la vaisselle, je mis dans chaque plat un peu de tabac. On me trouva fort poli, et les hommes et les femmes exprimèrent leur admiration par de forts claquements de langue.

« J'aurai désiré faire les échanges de suite et partir dans la nuit même, à la haute marrée ; mais les sauvages ne se pressent jamais, et je dus me résigner à passer la nuit à Bioto. Sous la maison, on avait allumé un grand feu pour chasser les moustiques ; mais la fumé devint insupportable et nos pauvres yeux, encore novices pour ce genre d'atmosphère, pleuraient, malgré nous, toute leurs larmes. Les sauvages s'en aperçurent et firent mettre le feu de côté.

« Tout à coup, vers neuf heures, alors que la conversation allait grand train, elle tomba par enchantement. Une femme venue d'un village voisin, Nieura, parlait toute seule à haute voix comme pour être entendue de tout le village. Elle annonçait la mort d'un habitant de Nieura et en donnait les détails. Un silence mêlé de stupeur suivit le discours de la femme. Je fus très frappé de l'impression que produit sur ces enfants des bois une nouvelle de mort. J'essayai alors de prendre quelques informations au sujet de leurs croyances sur Dieu, l'âme, la vie future, mais je n'ai rien pu savoir de certain. Il était environ dix heures quand les sauvages commencèrent à se retirer les uns après les autres.

« Le silence se fit dans le village, nous étendîmes nos couverture pour essayer de dormir. Mais la nuit fut longue ; les moustiques, la fumée, les bâtons sur lesquels nous étions couchés rendaient le sommeil impossible. Dans la nuit, je fis seul une visite dans le village : les feux étaient éteins, je pus aller partout. Une maison perchée sur des pilotis de 10 à 12 mètres me frappa. Le lendemain j'en demandais la destination. On ne voulu pas me répondre. Je soupçonnai un temple ou quelque chose d'analogue.

« Vers sept heures, la rivière était pleine, car la marée se fait sentir jusqu'ici ; je désirais partir, mais je n'avais encore rien obtenu. J'eus recours à une ruse. L'énumération des objets qu'on veut leur donner les tente, mais les objets eux-même les frappent davantage. Je fis dans la Maréa une exposition, comme, au bazar, de tous les petits riens que j'avais apportés. Oh ! alors, tout le monde se mit en mouvement. On allait, on venait, on courait de tous côtés. Les hommes admiraient la hache ; les femmes, les perles et le miroir ; le jeunes gens louaient le tabac et le couteau ; l'enthousiasme fut tel qu'en moins d'une demi-heure, porc, bananes, taros, yams et cocos, tout était chargé sur la pirogue et nous pouvions partir.

« Les adieux furent longs. Les femmes se retirèrent en me disant de ne pas oublier de revenir. Les hommes voulurent tous donner au Missionnaire une forte poignée de main, les enfants aussi. Je leur fis le cadeau du départ : un petit morceau de tabac à chacun, tous en le recevant me disaient :

« — Reviens vite, Missionnaire, n'oublie pas Bioto ;
« sitôt que tu auras une barque blanche (un canot),
« reviens à Bioto, et apporte beaucoup de tabac,
« beaucoup de chemises, de hachettes, beaucoup de
« miroirs et tu trouveras tout chez les fils de Bioto. »

« A leur grande joie, je leur promis de revenir. On s'achemina lentement vers la barque : là, nouveaux saluts, nouvelles instances et nouvelles promesses. Quelques-uns d'entre eux voulurent nous accompagner sur le fleuve. Ils nous laissèrent enfin, et je revins à Yule, heureux de penser que j'avais des provision pour un certain temps, en attendant des secours de Thursday. »

L'établissement de cette station n'avait pas été sans donner quelque ombrage aux ministres protestants disséminés sur les côtes de Nouvelle-Guinée.

Dans le courant de septembre, le P. Vérius reçut ordre du gouverneur général de la Nouvelle-Guinée d'avoir à suspendre ses travaux à Jule, et en même temps un navire vint le prendre pour le reconduire à Thursday.

Bien que le missionnaire envoyé par le Souverain Pontife et ses supérieurs légitimes n'ait besoin d'aucune autre autorisation, le Père Vérius céda : il se voyait de nouveau sans provisions, ne comprenant pas pourquoi elles ne lui arrivaient pas de Thursday, et, soupçonnant de nouvelles difficultés, il sentait le besoin d'une entrevue avec le Père Navarre. Confiant la maison avec quelques bagages au roi Rabaou lui-même qui la prenait sous sa protection, moyennant la promesse d'une hachette et d'une provision de tabac à son retour, le Père Vérius quittait Jule le 15 septembre.

« Les larmes me vinrent aux yeux, en descendant au port, écrivit-il ; les sauvages s'étaient réunis, ils étaient tout en pleurs... tellement, que les rudes mariniers qui nous venaient chercher en étaient émus.

« — Ces pauvres gens voient, disaient-ils, quels
« sont leurs vrais amis. »

« — Missionnaire, s'écriaient nos sauvages, en me
« serrant les mains, pourquoi laisse-tu Roro ? » et ils me faisaient promettre de revenir bientôt.

« Enfin, la barque, qui devait nous conduire au navire, se détacha du rivage, mais ils ne voulurent pas encore nous quitter. Ils nous suivirent dans l’eau, dirigeant eux-mêmes l’embarcation.

« — Reviens, missionnaire, reviens vers tes enfants
« de Roro. »

« — Reviens bientôt, criait le vieux chef Raouma
« tout en larmes, reviens bientôt, Je suis attristé par
« ton départ et je veux te revoir !... »

« Les femmes et les enfants pleuraient tout haut. Les hommes, ces hommes si rudes, laissaient couler en silence de leurs yeux de grosses larmes qui me faisaient mal... Puis, quand, forcés par l’eau qui devenait profonde, ils ne purent plus nous suivre, ils nous criaient encore de loin :

« — Reviens, missionnaire... reviens, n’oublie pas
« les fils de Roro. »

« Ce furent les dernières paroles que je pus entendre. Mon émotion était à son comble, j’avais sous les yeux ces pauvres sauvages, dans l’eau jusqu’à la ceinture, puis l’île, cette chère île, qui s’éloignait et notre cabane, que je voyais au haut de la colline, comme plongée, elle aussi, dans la douleur. Tout cela m’occupa tellement l’esprit et le cœur que je pris à peine garde à l’embarquement à bord de l’El-langowan.

« On leva l’ancre, et il fallut dire adieu à notre terre promise, adieu momentané sans doute et qui sera, je l’espère, bientôt suivi de la joie du retour. »

L’adieu, en effet, ne fut que momentané. Le Père Vérius retourna à Jule et il y continue son œuvre au milieu de ces sauvages qui l’aiment.

Voici quelques détails donnés par le Père Vérius sur les mœurs et les coutumes des sauvages, comme aussi sur le climat et les produits de l’île Jule :

« Ces braves sauvages ne sont pas guerriers. Pour armes principales, ils ont la lance et l’arc ; mais ces armes leur servent plus pour la pêche que pour la guerre.

« Ils cultivent avec succès la banane, le taro, l’yam et la canne à sucre. La végétation est splendide, jamais l’île ne perd sa fraîcheur. Les arbres y sont beaux, j’en ai vu de gigantesques, tels que le cotonnier (Silex colon), grand, régulier, à belles fleurs rouges, il prend des proportions surprenantes ; l’arbre à pain (Artocarpus), le cocotier, qui est récent dans l’île, l’arequier qui ressemble au palmiste, enfin le splendide nipa qui fournit des feuilles dont les naturels font des nattes.

« Quant aux animaux de l’île, les quadrupèdes ne sont pas nombreux. Je ne connais que le sanglier qui abonde et le chien que les sauvagesses nourrissent avec beaucoup de soin pour avoir ses dents et en faire des ornements. J’ai vu plusieurs grosses espèces de serpents, mais ils me parurent inoffensifs. Les moustiques y sont en grand nombre ; ils sont un vrai supplice ; impossible de leur échapper, surtout la nuit : ils bravent tout, même la fumée dans laquelle les sauvages s’ensevelissent pour les éviter ; il n’y a que le pétrole pour les chasser.

« Quant à la religion de nos sauvages, j’aurais de la peine à en parler avec exactitude. Ils sont fort réservés, et ne veulent jamais répondre directement aux questions sur cette matière. Ils croient sûrement à Dieu, mais ils s’en occupent moins que du diable qu’ils consultent quelquefois. De leur culte et de leur respect pour les morts, on peut induire leur croyance à l’existence de l’âme ; il m’eût fallu un séjour plus prolongé pour savoir ce qu’ils croient au juste sur tout cela. Mais on ne saurait dire, comme quelques voyageurs l’ont affirmé, qu’ils n’ont pas de religion. Il est hors de doute qu’ils ont des endroits ou des choses qui, à leurs yeux, sont sacrés ou buco dans leur langue. Volontiers ils apprenaient déjà à faire le signe de la croix, et ils attachaient à cette action une idée de religion. Plusieurs fois, je leur ai fait tenir leur promesse en leur disant : « Jéhovah a entendu tes paroles, il te voit... »

« Ils n’ont peut-être pas de culte extérieur organisé, mais, même sur ce sujet, il y a des doutes ; car, dans plusieurs villages, j’ai vu des édifices particuliers dont on n’a pas voulu m’expliquer la destination. Enfin, ils croient facilement tout ce qu’on peut leur faire comprendre des vérités de notre sainte religion. L’enseignement par le catéchisme en images est le meilleur procédé pour leur graver dans la mémoire ce qu’ils doivent retenir. Le tout est de savoir la langue : heureusement, elle est fort simple. J’ai réuni près d’un millier de mots qui me suffisaient pour leur parler couramment.

« Voilà ces sauvages qu’on se plaisait à nous dépeindre sous de sombres couleurs. Ils sont bons, hospitaliers, reconnaissants. Sans doute, ils ont les défauts de la vie sauvage : ce sont de grands enfants, mal élevés, mais, avec de la patience et la grâce de Dieu, on en fera facilement des chrétiens. »

AUSTRALIE

Sydney. Melbourne. Perth. La Nouvelle-Nursie.


RAVERSONS rapidement la grande île de l’hémisphère austral, véritable continent dont la civilisation européenne a déjà transformé toute la côte sud-est et où s'ouvrent devant la hache de l'explorateur et la pioche du colon des millions d'acres de terres fertiles et de forêts mystérieuses.

Les brillantes métropoles australiennes ne nous arrêteront qu'un instant. Sydney est devenue en quelques années une ville de premier ordre. C'est là qu'ont successivement régné sur le troupeau fidèle les grands évêques englais dont le dernier vient d'être revêtu de la pourpre : NN. SS. Polding, Vaughan, Moran. L'émigration qui pousse sur ces rives brillantes d'avenir une foule d'Irlandais, de Belges et d'Italiens catholiques accroît incessamment le bercail du divin Maître dans ces contrées lointaines.

Sydney. — Placé sur le 34° de latitude et le 150° de longitude, Sydney jouit d'une température moyenne de 20° Réaumur en été, et de 10° en hiver. Aussi l'olivier de Provence, comme le pommier de Normandie, l'oranger de Sicile, le poirier de l'Anjou, y croissent admirablement, avec tous les arbres fruitiers du nord et du midi ; les vignes de tous les climats, les légumes de toutes les zones, les fleurs de toutes les latitudes en font vraiment un paradis terrestre. Les anglais, si grands amis du confortable, y mènent le hight-life comme dans les cités les plus aristocratiques de leur patrie. Par leurs soins, des


NOUVELLE-NURSIE. — Jean DIRIMERA, BÉNÉDICTIN AUSTRALIEN ; BAPTISÉ, CIVILISÉ ET ÉLEVÉ AU SACERDOCE PAR MGR SALVADO.


rues larges et bien percées, des maisons luxueuses, de splendides hôtels et des monuments remarquables ont fait de Syndey la rivale des capitales de l'Europe. Un parlement autonome la régit sous l'autorité du gouverneur général. Son port de Jackson est comme le rendez-vous de l'univers ; on y voit tous les costumes et des visages de toutes les couleurs, on y entend presque toutes les langues du monde ; enfin son commerce l'a rendue la métropole de l'hémisphère austral. De nombreuses cités, Paramatta, New-Castle, Brisbane, Maitland, Bathurst, lui forment une riche couronne.

Les RR. -PP. Maristes ont acquis près de Sydney ) Hunter's-Hill une propriété à laquelle ils ont donné le nom de Villa Maria. C'est la procure de leurs importantes missions d'Océanie. L'église, sous le vocable de la saint Vierge, a été bénite en 1871 par Mgr Elloy.

Melbourne. — Distante de 600 milles de Syndey, cette superbe cité a son gouverneur et son parlement particuliers et se glorifie d'être la capitale de l'Australie heureuse, l'une des provinces les plus importantes des futurs États-Unis de l'hémisphère austral.

En 1885 un événement d'une importance capitale permit de mesurer l'étendue des progrès de la vraie foi dans l’hémisphère austral.

Le premier concile général australien s'ouvrit le 15 novembre, dans la cathédrale de Sydney, avec une grande pompe sous la présidence de S. Ém. le cardinal Moran, archevêque de Sydney. Tous les évêques du continent australien et de la Nouvelle-Zélande


COLLÈGE SAINT-STANISLAS, A BATHURST. (Voir p. 34.)


ÉGLISE DE VILLA-MARIA, PRÈS DE SYDNEY (Voir p. 34.)


étaient présents ou représentés à cette imposante cérémonie. Mgr Redwood, l'éloquent archevêque mariste de Wellington, prononça à la messe d'inauguration un sermon remarquable.

« Il y a cinquante ans, remarquait dernièrement le Freeman's Journal de Sidney, quelques prêtres consolant quelques prisonniers, c'était tout le personnel catholique... Aujourd'hui vingt évêques, quatre archevêques, un cardinal, assistés d'une nombreuse pléiade d'apôtres, forment la hiérarchie sainte, et six cent mille fidèles les entourent de vénération. »

Perth. — Cette capitale de l'Australie occidentale, n'a pas atteint la splendeur de Sydney et de Melbourne ;


NOUVELLE-NURSIE. — INDIGÈNES AUSTRALIENS ET MISSIONNAIRE BÉNÉDICTIN, d'après une photographie.


elle offre néanmoins un aspect monumental et l'avenir lui réserve de brillantes destinées. C'est dans cette partie du continent que nous allons saisir sur le vif l'indigène australien ; car c'est là que les missionnaire bénédictins ont réalisé une merveille qui renouvelle les merveilles légendaires des âges de foi : nous voulons parler de la Nouvelle-Nursie, dans contredit l’œuvre la plus admirable, la création la plus originale des apôtres de notre époque.

La Nouvelle-Nursie. — Essayons de décrire l'aspect que présente ce monastère, cette Thébaïde des forêts australiennes. Au milieu d'un vaste domaine couvrant une superficie de douze kilomètres carrés, domaine encore entouré de grands bois qui le couvraient entièrement, il y vingt ans à peine, s'élève l’église dont le style italien ne manque pas d'élégance. A peu de distance, dans la partie inférieure du coteau, se dresse le monastère, qui est en même temps une ferme-école. A gauche de l'église, espacées par de petits jardinets bien entretenus, se voient plusieurs cabanes recouvertes de feuilles d'eucalyptus en guise de chaume, où les indigènes baptisés habitent avec leurs familles. Sur la hauteur, on a construit les ateliers des forgerons et des menuisiers, assez loin pour que le bruit des marteaux et des scies


NOUVELLE-NURSIE. — BIGLIAGORO, PREMIER SAUVAGE AUSTRALIEN BAPTISÉ PAR MGR SALVADO.


ne vienne pas troubler les religieux pendant l'office divin. Plus bas, près de la route qui longe le vaste enclos de la Nouvelle-Nursie, l'on aperçoit l'hôpital de la colonie où sont reçus indistinctement les indigènes et les colons européens, les pauvres et les voyageurs malades. De l'autre côté de la route est l'hôtellerie. Là encore, comme jadis au Mont-Cassin et à Solesmes, « les visiteurs ne manquent jamais », selon la parole de saint Benoît dans sa Règle. A la droit du monastère, les Bénédictins ont construit leurs granges, leurs écuries, leurs moulins, leurs celliers et leurs étables. Dans la plaine, de grandes et fortes palissades, formées de troncs d'arbres, ferment les différents parcs pour les grands bestiaux, pour les brebis et pour les chevaux. Enfin tout au haut de la charmante colline où s'étagent ces bâtiments de formes et de destinations si diverses, l'on distingue à travers les acajous et les eucalyptus un petit ermitage dédié à la Reine du Ciel, et dont le léger campanile surmonté d'une crois domine toute la contrée.

Les sauvages australiens, habitués à la vie de chasse dans les bois immenses de leurs pays, ne pouvaient être assujettis, après leur baptême, à une vie trop sédentaire. La sollicitude paternelle du fondateur de la Nouvelle-Nursie a su y pourvoir. « De temps à autre, écrit Mgr Salvado, j’envoie les nouveaux convertis et les jeunes gens de la mission passer une semaine ou deux dans les vois, sans autres provisions qu'une peu de farine dans un sac. Ils doivent se procurer le reste de leur nourriture par la chasse et coucher sur la terre dans de petites huttes, construites de leurs propres mains avec des branchages. j'obtiens, par ces petites excursions, deux excellents résultats : je fortifie leur tempérament, qu'une vie trop renfermée aurait, pour cette première génération, promptement épuisé, et je leur fais comprendre, par le contraste, tous les avantages de la vie de famille que l'on mène à la Nouvelle-Nursie. »


NOUVELLE-NURSIE. — BATTEUSE A VAPEUR SERVIE ET DIRIGÉE PAR LES AUSTRALIENS, d'après une photographie.


Mais il y a aussi des expéditions forcées qui ne leur sont pas moins utiles. Dans les mois des grandes chaleurs, il faut parfois aller chercher assez loin des pâturages pour la subsistance des brebis. Ce sont des migrations nécessaires, comme pour les troupeaux transhumant de la Provence. On choisit alors dans les bergeries des brebis bien vigoureuses, que l'on envoie en avant. Peu après, arrivent en longues files les grands troupeaux de la mission ; mais tout est préparé par les recevoir et les parquer, et pour que les bergers et leurs familles puissent passer le temps de l'estivage sans trop de fatigues. On le voit, c'est le mode primitif de vivre et de voyager, employé, il y a près de quatre mille ans, par les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, dans les plaines du pays de Chanaan.

Ce mélange de vie nomade, pastorale et agricole, maintient très heureusement la santé générale des Australiens de la mission et les habitue doucement aux mœurs des pays civilisés.

La Nouvelle-Nursie est déjà une petit cité et, un jour peut-être, elle deviendra un grand centre de population, comme beaucoup de nos ville d'Occident qui ont commencé par un monastère. Les résultats obtenus paraîtront d'autant plus admirables, que l'on sait dans quel état de dégradation se trouvaient les Australiens avant l'arrivée des moines espagnols.

L'ÉPISCOPAT AUSTRALIEN


Mgr POLDING (Jean),
bénédictin,
premier archevêque de Sydney.
(1794-1877.)

'EST au mois de septembre 1835 que Jean Polding, nouvelle sacré évêque de Hiero-Césarée, arriva en Australie. Il y fut reçu par le R. P. Ullathorne, aujourd'hui évêque de Birmingham, alors vicaire général. L'Australie n'avait, à cette époque, que trois missionnaires, MM. Thery, Dowling et Encroe.

La grande colonie anglaise était alors surtout un lieu de déportation pour les criminels. Dans la seule année 1835, d'après le relevé officiel, on avait transporté, dans la Nouvelle-Galle du Sud, 3,000 hommes et 179 femmes ; dans la Terre de Van Diemen, 2,054 hommes et 922 femmes ; le total des condamnés réduits à la servitude s'élevait à 30,000 dans la Nouvelle-Galles du Sud, et à 20,000 dans l'île de Van Diemen. Il y avait en outre, dans les maisons de correction de l'île de Norfolk, de Moreton-Bay et de Port-Arthur, 3,000 détenus.

L'état moral de toute cette population était épouvantable, et, pour la soumettre, le gouvernement anglais n'avait trouvé et n'employait que les châtiments corporels d'une révoltante cruauté. Dès son arrivée à Sydney, Mgr Polding s'occupa particulièrement et avec un zèle infatigable de l'amélioration morale de ces malheureux. Il allait, comme un simple missionnaire, accompagné d'un prêtre, dans les prisons, dans les cantonnements des convicts, dans les maisons de correction, prêcher la foi catholique et préparer au repentir ces âmes gangrenées. Sa charité obtint les plus consolants résultats, et plusieurs gouverneurs de la colonie se firent un devoir de le reconnaître publiquement. Mgr Polding obtint aussi, par ses incessantes prières, un adoucissement des peines corporelles.

En 1841, il se rendit en Angleterre, puis à Rome, pour demander au Saint-Siège l'établissement, en Australie, de la hiérarchie catholique. Sa proposition fut agréée, et, le 15 février 1842, le pape Grégoire XVI le nommait premier archevêque de Sydney. Pendant son séjour à Rome, quelques difficultés survenues dans l'Église de Malte ayant demandé l'intervention du Saint-Siège, Mgr Polding fut envoyé à Malte avec pleins pouvoirs. Sa mission fut couronnée de succès, et Grégoire XVI, pour lui témoigner sa satisfaction, le créa comte romain et assistant au trône pontifical.

Le 12 novembre 1866, le Saint-Siège accorda pour auxiliaire à Mgr Polding, Mgr Augustin Sheehy, nommé évêque de Betsaïde in partibus.

Le 28 février 1873, à cause du grand âge de l'archevêque de Sydney, Mgr Roger-Bède Vaughan, Bénédictin, fut nommé son coadjuteur avec future succession, avec le titre d'archevêque de Nazianze in partibus.

Sur la proposition de Mgr Polding, le Saint Père créa, le 31 mars 1874, une seconde province ecclésiastique en Australie ayant son siège à Melbourne.

Les funérailles de Mgr Polding ont eu lieu à Sydney le 19 mars, dans la cathédrale provisoire, présidées par Mgr Vauhan, assisté de NN. SS. Lanigan, évêque de Goulbourne, Murray, évêque de Maintland, et Quinn, évêque de Bathurst, en présence de tout le clergé et de toutes les sociétés catholiques de Sydney. L'équipage de sir Hercules Robinson, gouverneur et commandant en chef de la colonie, suivait le char funèbre.




Mgr VAUGHAN (Roger-Bède)
bénédictin,
deuxième archevêque de Sydney.
(1834-1883.)

Mgr Roger-Bède Vaughan, deuxième archevêque de Sydney, était le second fils du colonel Vaughan de Courtfield et le frère de l'évêque de Salford, Mgr Herbert Vaughan.

Né à Courtfield le 9 janvier 1834, il entra, en 1853, dans l'Ordre de Saint-Benoît, et fut ordonné prêtre, à Saint-Jean-de-Lantran, par le cardinal Patrizzi, le 9 avril 1859. D'abord professeur de philosophie à Saint-Michel, centre des études de l'Ordre des Bénédictins,

Mgr Jean POLDING, Bénédictin, premier archevêque de Sydney. (Voir p. 38.)


Mgr Roger-Bède VAUGHAN, Bénédictin, deuxième archevêque de Sydney. (Voir p. 38.)


S. Ém. le cardinal MORAN, troisième archevêque de Sydney. (Voir p. 41.)


NOUVELLE-NURSIE. — MGR SALVADO, bénédictin, évêque de Port-Victoria, abbé de la Nouvelle-Nursie. (Voir p. 37 et 41.)

en Angleterre, il fut, en 1862, élu prieur du chapitre de Menevia et Newport, réélu en 1866, réélu une troisième fois en 1870.

Mgr Vaughan fut sacré à Liverpool, le 19 mars 1873, par S. Ém. Mgr Manning, archevêque de Westminster.

Ce pieux prélat n’avait pas encore cinquante ans lorsque Dieu l’appela à l’éternelle récompense au cours d’un voyage en Europe. Il est mort le 17 août 1883 d’une maladie du cœur. Débarqué à Liverpool, il a expiré subitement dans la nuit, tandis qu’il se disposait à se rendre à Rome afin de déposer ses hommages aux pieds de Sa Sainteté.

Mgr Vaughan avait quitté son diocèse vers la fin de juin. On lui avait fait, à l’occasion de son départ, de magnifique démonstrations qui témoignaient combien l’éminent archevêque était aimé et estimé par la population de son diocèse. Mgr Vaughan était en effet un prélat des plus distingués et sa mort est une grande perte pour l’Église d’Australie.

Les funérailles solennelles du prélat ont eu lieu à Liverpool, le 23 août. La messe de Requiem a été célébrée par le R. P. Dom Jérôme Vaughan, prieur des Bénédictins de Fort-Augustus, assisté du R. P. Bernard Vaughan, jésuite, et de M. l’abbé Jean Vaughan, tous frères de l’éminent défunt. Cinq évêques, parmi lesquels Mgr Herbert Vaughan, de Salford, frère aîné de l’archevêque décédé, ont donné les absoutes d’usage. Le panégyrique a été prononcé par le R. P. Morris, de la Compagnie de JÉSUS. Le corps de Mgr Vaughan a été transporté à Sydney et repose dans la cathédrale Sainte-Marie, dont il avait fait, en 1882, la dédicace solennelle.




Son Éminence le cardinal MORAN (Patrice-François),
troisième archevêque de Sydney.


Ce prélat gouvernait un diocèse irlandais quand le Saint-Père jeta les yeux sur lui et l’invita à occuper le trône si prématurément laissé vide par la mort de Mgr Vaughan.

La promotion de Mgr Moran au siège métropolitain de la Nouvelle-Galles du Sud lui permit de réaliser le vœu le plus cher de ses jeunes années : travailler à la diffusion de l’Évangile dans les pays étrangers. Dans son enfance sa mère lui faisait lire les Annales de la Propagation de la Foi ; cette lecture éveilla dans son âme un tel désir de se vouer à l’œuvre des missions qu’il fut sur le point de partir pour la Chine. Mgr Kirby l’en empêcha en lui remontrant que l’Irlande offrait à son zèle un champ bien suffisant.

Aussitôt que sa nomination fut connue, on prépara à Sydney une magnifique réception à l’archevêque le jour de son arrivée.

« Notre archevêque, disait le Freeman’s Journal, nous arrive de la terre du chant, de la patrie des bardes et des ménestrels. Comme tous les cœurs irlandais sont extrêmement sensibles aux charmes de la musique, il est juste que les concerts et des hymnes de louange fassent partie du programme de la réception que nous voulons faire à celui qui vient au nom du Seigneur ! »

C’est le 8 novembre 1884, que le nouvel archevêque de Sydney fit son entrée solennelle dans sa ville métropolitaine.

Un temps splendide favorisa l’exécution du cérémonial préparé de longue main par les pieux catholiques. Vingt bateaux à vapeur pavoisés et décorés allèrent à la rencontre de la Ligurie qui amenait le prélat. Mgr Moran étant descendu sur l’un d’eux, toute la flottille s’avança processionnellement dans le port. Le steamer pontifical était escorté par les autres steamboats rangés sur deux lignes et portant les membres catholiques du parlement australien, bon nombre de membres protestants et les diverses associations religieuses. Au débarcadère l’archevêque fut complimenté au nom du gouverneur qui lui envoyait en même temps une voiture de gala pour le conduire à la cathédrale.

Le Freeman’s Journal assure que qui ait jamais eu lieu en Australie. Il évalue à 100,000 le nombre des personnes qui se pressaient sur les quais et dans les rues sur le passage du prélat. Toutes les villes de la Nouvelle-Galles du Sud avaient envoyé des catholiques notables pour les représenter. Un grand nombre d’adresses furent lues à la cathédrale, au nom du clergé et des fidèles, soit de l’archidiocèse, soit des diocèses suffragants. Mgr Moran répondit par une longue et éloquente allocution. Les démonstrations enthousiastes déployées partout en son honneur, les perpétuelles ovations renouvelées sur son passage, ont dû adoucir l’amertume du chagrin qu’avait éprouvé le nouvel archevêque en se séparant de son diocèse d’Ossory et de la patrie irlandaise.

L’année suivante, le 27 juillet 1885, il recevait le chapeau de cardinal.

Le successeur des Polding et des Vaughan est un lettré de haute valeur. Les vieilles annales irlandaises n’ont pas de secret pour lui. Justement fier des gloires de son pays natal, il a fait revivre dans des livres estimés les traditions les plus anciennes, les plus touchantes, les plus précieuses de l’Ile des Saints. Sa plume élégante a retracé la vie des pontifes illustres qui fleurirent pendant l’âge d’or de l’Irlande, à l’époque où la Verte Erin envoyait à l’Europe continentale des instituteurs et des apôtres.

Mgr Patrice-François Moran est né dans le diocèse de Kildare, le 17 septembre 1830.




Mgr SALVADO (Rudesindo),
bénédictin,
évêque de Port-Victoria,
préfet apostolique de la Nouvelle-Nursie.

Le monastère de la Nouvelle-Nursie que nous avons décrit au chapitre précédent, est le plus beau titre de gloire et l’œuvre préférée de ce grand évêque qui en fut le créateur de concert avec Mgr Serra.

Le 12 mars 1867, le jour de la fête de saint Grégoire le Grand, lui aussi l’apôtre monastique d’un grand peuple, le pape Pie IX donna la bulle qui érigeait le monastère de la Nouvelle-Nursie en abbaye nullius diœcesis et en préfecture apostolique, comprenant un espace de seize milles carrés autour de la colonie bénédictine, dont Sa Sainteté formait un véritable diocèse, distinct de celui de Perth, quoiqu’il s’y trouve enclavé. Mgr Salvado était nommé, par la même bulle, abbé perpétuel et préfet apostolique de la Nouvelle-Nursie, cette dignité et cette charge devant, après lui, passer à ses successeurs. C’était le digne couronnement du long et pénible apostolat de Mgr Salvado.

Le Souverain Pontife voulut que l’ancien Bénédictin de Saint-Martin de Compostelle assistât aux fêtes du dix-neuvième centenaire du martyre de saint Pierre, pour y représenter, avec Mgr Polding, archevêque de Sydney, les églises du continent océanien.

Après ces glorieuses solennités, Mgr Salvado vint en France et obtint des Conseils de la Propagation de la Foi quelques secours pour sa mission.

De là, il se rendit en Espagne, où la reine Isabelle II lui fit l’accueil le plus sympathique. Sa pensée était d’établir, non loin de Madrid, un monastère de son Ordre, qui devait être en même temps un séminaire, un collège et une ferme-école pour les jeunes Espagnols désireux de se consacrer, sous le froc bénédictin, à l’évangélisation des sauvages de l’Australie. On dit même que la reine voulait lui céder, dans ce but, une portion de l’immense palais de l’Escurial, qui n’est aujourd’hui qu’un désert de pierre.

Mais la révolution renversa peu de temps après le trône de la reine Isabelle, et le projet de Mgr Salvado ne put s’exécuter. Néanmoins l’évêque profita de son séjour dans sa catholique patrie, pour recruter un bon nombre de jeunes Espagnols tout dévoués à son œuvre.

A l’époque du Concile du Vatican, le vaillant évêque des Australiens revint en Europe, toujours plein de force et d’ardeur, quoiqu’il eût alors, depuis quelques années, dépassé la cinquantaine.

Avant de repartir pour le Nouveau-Monde, il fit connaître l’état prospère de sa colonie monastique et de son abbaye, où vivent maintenant 72 moines, tous Espagnols.

« Mais, disait-il, nous sommes toujours et pour longtemps encore les enfants de la Providence, parce que, à mesure que nos ressources augmentent, nous admettons un plus grand nombre de sauvages à partager notre vie. Les indigènes de cette première génération ne peuvent pas encore se suffire ; il faut que nous les aidions en beaucoup de manières. Qu’il survienne une longue sécheresse ou des pluies prolongées, une épizootie sur les bestiaux ou une épidémie chez les sauvages, comme en 1860 ; voilà toutes nos réserves épuisées et nous nous trouvons réduits presque à la mendicité. Lorsque la seconde génération de nos Australiens sera arrivée à l’âge d’homme, elle pourra se passer de notre secours, parce qu’elle aura eu, dès l’enfance, l’habitude du travail, de l’ordre et de l’économie comme chez les bons agriculteurs de l’Europe. Nous-mêmes, dans quelques années, nous aurons terminé nos constructions, qui absorbent tout ce qui n’a pas été dépensé pour l’entretien journalier de plus de trois cents personnes. Nous ne serons plus réduits alors à tendre la main à nos frères de l’Ancien Monde, et nous pourrons vivre de notre propre vie, Toujours, il est vrai, à la sueur de notre front, mais, enfin, avec nos ressources personnelles. »




Et maintenant, quittant l’Australie, passons en revue les îles de son voisinage.

En voici d’abord une sur laquelle flotte le pavillon tricolore.

Terre française !

NOUVELLE-CALÉDONIE

Nouméa. Le Canaque. Usages bizarres et cruels. Avenir de la race canaque. L'île des Pins !


ERS la fin de 1853, la France se décida à prendre possession de la Nouvelle-Calédonie. L’année suivante, M. de Montravel, capitaine de vaisseau, choisissait Nouméa pour y fonder un premier établissement et lui donnait le nom de Port de France.


NOUVELLE-CALÉDONIE. — CANAQUE.


Nouméa. — Cette ville est située près de la pointe sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie.

« C’est, rapporte un missionnaire, le lieu le moins fertile et l’un des moins beaux de cette île, quoique, sous ces deux rapports, il ne soit pas à dédaigner ; mais c’est incontestablement un port magnifique. Fermé en avant par une île qui a plus d’une lieue de long, il comprend de nombreuses baies, larges, profondes et bien abritées ; il pourrait recevoir des flottes considérables, et, comme point militaire, il est d’une très facile défense. »

Une jolie ville européenne s’y élève.

Le Canaque. — Mais nous avons hâte de rencontrer sur cette terre barbare autre chose que des rues alignées au cordeau, des hôtels de ville et des écoles bâties par adjudication. C’est l’homme, le naturel du pays que nous voulons voir. Montrez-nous l’indigène ! Quelles sont ses qualités ? Quels sont ses défauts ?

Plus laborieux que les autres insulaires des tropiques, les Canaques de la Nouvelle-Calédonie sont doués d’un vrai talent pour les irrigations ; ils savent faire monter l’eau sur les collines, sur les montagnes, pour arroser leurs plantations, qui sont bien cultivées.

Dans les premiers temps de la conquête, la monnaie la plus usuelle parmi eux, c’étaient les pipes et le tabac. Tout le monde fume ; enfants et vieillards, femmes et jeunes filles, on les rencontre tous avec une pipe passée dans leurs cheveux, ou placée en guise de pendant d’oreilles. Leur provision est-elle épuisée, ils consentent alors à vous rendre des services pour avoir du tabac : « Il est fâcheux, faisait observer un missionnaire, que ces malheureux dépensent ainsi en fumée ce qu’ils gagnent ; mais il n’est pas facile de corriger cette habitude, singulièrement favorisée par le « communisme » océanien. Ce fléau social, avec ses hideuses et désolantes conséquences, tyrannise les tribus de ces îles. Ici, il faut tout partager. Celui qui, par son industrie, par son application au travail, amasse quelques richesses, devient puissant dans sa tribu ; c’est un grand chef, dont on parle au loin, mais à la condition qu’il communique ce qu’il possède. Agir autrement serait pour l’ordinaire exciter des choses, le Calédonien préfère du tabac à des étoffes : il serait obligé de partager celles-ci ; le tabac, il le fume et tout est fini. »

Tant que les Néo-Calédoniens habitèrent seuls leur archipel, ils ignorèrent complètement l’usage de toute liqueur fermentée. Aussi quand les Européens, fixés sur un point de l’île, ou visitant la côte en embarcation, venaient leur offrir de l’eau de vie, ils la repoussaient avec dégoût ; car, après y avoir trempé le bout des lèvres, ils s’essuyaient la bouche et se disaient entre eux : « Oué, teil, mouang. C’est de l’eau qui brûle, mauvais. » Ce temps de légitime frayeur est déjà loin de nous, et aujourd’hui nous ne rencontrons que trop de noirs dont le gosier est moins susceptible. Des exemples pernicieux et fréquents, hélas ! ont produit leur effet.

Avant l’arrivée des Européens en Nouvelle-Calédonie, cette grande île était privée des animaux qui entrent pour une si large part dans l’alimentation de l’homme, tels que bœufs, moutons, porcs, chèvres. Les ressources de la basse-cour, poules, canards, oies, etc. y étaient également inconnues. L’indigène


NOUVELLE-CALÉDONIE. — HÔTEL DU GOUVERNEUR A NOUMÉA.


ne tirait de la terre que des végétaux fournissant un menu fort simple : taros, bananes, cannes à sucre et ignames.

Cette absence complète d’animaux domestiques ou sauvages devait donc nécessairement amener les indigènes à mettre à profit les ressources de la mer. Aussi trouvons-nous chez eux l’exercice de la pêche pratiqué sur une large échelle ; hommes, femmes et enfants s’y livrent avec ardeur. Les femmes ont en partage la pêche aux crabes, aux oursins, aux poulpes et autres mollusques. La pêche proprement dite, la grande pêche des poissons, est réservée aux hommes.

Usages bizarres et cruels. — À la mort d’un insulaire a lieu un festin. Lorsqu’un Canaque est malade, ses parents n’attendent pas toujours qu’il soit mort pour fixer le jour du festin de ses funérailles : la fête est arrêtée à l’avance. On prépare les vivres, on invite les amis pour le jour choisi, sans que le malade ait été consulté. C’est à lui de prendre ses précautions pour décéder en temps opportun, car, le jour dit, on le pleurera bel et bien, et on fera le festin en son honneur. Comme il serait désagréable pour lui d’assister à sa fête, s’il n’expire pas assez tôt, on lui vient en aide, on l’étouffe. Cette atrocité n’est pas rare, mais elle n’atteint pas toujours son but Plus d’une fois celui qu’on avait cru mort, est revenu à la vie, et, dans ce cas, on dit qu’il est ressuscité. Ces cas de survivance ont donné lieu à un singulier argument. Comme les Pères, pour établir la divinité de Notre-Seigneur JÉSUS-CHRIST, insistaient sur le miracle de sa résurrection, on leur a répondu plus d’une fois : « Cela peut être un grand prodige dans votre pays, mais ce n’en est pas un chez nous ; nous avons plusieurs gens ressuscités à Poebo. » Ces décès hâtés par la violence arrivent aussi aux chrétiens dont les parents sont encore idolâtres. Plusieurs fois ceux-ci sont venus chercher le prêtre, en lui disant : « Ne manque de venir aujourd’hui, car le malade sera mort demain. — Et comment sais-tu qu’il sera mort demain ? — À Poebo, nous savons toujours cela. » En effet le missionnaire trouvait toujours les parents et les amis réunis, les apprêts du festin presque terminés, et quelquefois il avait à peine fini les cérémonies du baptême, ou de l’extrême-onction, que les pleurs commençaient. Une fois même, on dit au prêtre, lorsqu’il arriva dans la case, que son malade avait rendu le dernier soupir. Désolé et étonné d’une fin aussi prompte, il voulut voir le cadavre, qu’on avait jeté dans un coin, or, celui qu’on disait mort se mit à soutenir qu’il ne l’était pas, et cela au grand ébahissement de l’assemblée. Le festin n’en eut pas moins lieu.

Quelquefois les Calédoniens avancent la mort de leurs parents sans le vouloir, et même avec le dessein de les empêcher de mourir. Lorsqu’ils voient un malade près de l’agonie, ils lui compriment les narines et la bouche avec la main, pour empêcher la vie de s’échapper. Le R. P. Rougeyron administrait un jour un infirme ; pendant qu’il faisait les onctions, il s’aperçut qu’un des assistants avait posé la main sur la bouche du malade, et qu’il allait l’étouffer. Il repoussa vite la main malencontreuse, le patient ouvrit la bouche et mourut. « — Vois-tu, lui dit le Canaque ébahi, sa vie s’en est allée ; aussi pourquoi m’as-tu ôté la main ? »

Avenir de la race canaque. — Après avoir parlé de la mort individuelle des indigènes néo-calédoniens, que penser de la race entière ?

Doit-elle disparaître, comme tant d’autres peuplades de couleur, qui, se trouvant en contact avec la race blanche, se sont éteintes peu à peu ?

« Hélas ! s’écrie le P. Lambert, à la fin de son précieux ouvrage sur la tribu Bélep, hélas ! cette loi fatale est en pleine voie d’exécution. Quelles sont les causes de ce fait ? De tous temps et en tous lieux une malédiction paraît peser sur l’homme de couleur. On le


NOUVELLE-CALÉDONIE. — VUE DE NOUMÉA.


dirait né pour être esclave. Et ceux-là mêmes qui, par des motifs de pure philanthropie, proclament son

NOUVELLE-CALÉDONIE. — UNE MESSE ÉPISCOPALE A L'ÎLE DES PINS, EN PRÉSENCE DES FORÇATS, d’après un dessin à la plume d’un transporté.

affranchissement, travaillent sans cesse à l’asservir sous de nouvelles formes. On veut bien le reconnaître légalement citoyen pour lui imposer des devoirs et exiger des services ; mais s’agit-il de lui assigner des droits, et surtout de les faire respecter, on montre ordinairement une grande parcimonie.

« La peine morale que l’indigène éprouve dans la condition qui lui est faite, doit aussi, à notre avis, entrer en ligne de compte dans son dépérissement. En face de notre supériorité tranchée, le Néo-Calédonien reste stupéfait et comme étourdi ; il a bien pu se faire illusion, un certain temps ; mais il n’a pas tardé à se reconnaître vaincu, et, en voyant ce qu’on exige de lui dans ses biens, dans sa personne, pourrait il ne pas songer à ce temps où il se sentait maître et libre comme l’oiseau de la forêt ? Pourrait-il, malgré son insouciance apparente, ne pas penser à l’avenir ? Or, ces considérations lui ôtent l’énergie et relâchent considérablement les ressorts nécessaires à sa vie.

« Outre cette raison morale, signalons encore quelques causes naturelles que nous pouvons généraliser d’un mot : le changement d’habitudes. Le missionnaire, ne pouvant laisser l’indigène dans l’état de nudité où il l’a trouvé, a dû s’efforcer de le faire sortir de sa paresse pour se procurer des vêtements. Un travail réglé et le port régulier des habits ne pouvaient, sans doute, que développer ses forces et le mettre à l’abri des transitions funestes du chaud au froid. Mais l’indigène ne sait ni se ménager, ni se couvrir avec prudence. Il prend, il quitte ses vêtements, il les porte dans un état de malpropreté dégoûtante, et souvent, après la pluie ou le bain, il les laisse sécher sur lui.

« Dans les rapports avec les centres de population, il y a, pour l’indigène, des inconvénients d’une toute autre gravité. D’abord, l’abus des boissons avec ses conséquences meurtrières, puis le libertinage et les nombreuses maladies qui en sont la suite amènent la dépopulation dans des proportions effrayantes.

« Les mesures de cantonnement par petites tribus ou fractions de tribus, prises dans des vues bienveillantes sans doute, nous paraissent plus qu’insuffisantes pour enrayer ce dépérissement. Selon nous, il eût fallu former des centres populeux, et donner à ce peuple enfant des protecteurs sérieux et de bons conseillers, possédant ce qui est nécessaire pour l’instruire, le former au travail, entretenir chez lui et perfectionner l’esprit de famille ; car, nous croyons pouvoir l’affirmer, parmi les tribus en rapport avec la race blanche, on remarque plus de vitalité dans toute tribu chrétienne que la foi met à l’abri des grands désordres.


1. Poste.   2. Caserne.   4. Carré des officiers.   5. Écurie.   6. Magasin général.   7. Logement des surveillants de 1re classe.
NOUVELLE-CALÉDONIE. — VUE GÉNÉRALE DU PÉNITENCIER DE L’ÎLE NOU (partie orientale).


La dépopulation se fait plus rapide chez celles qui ne sont pas retenues par le frein religieux.

Aussi, les missionnaires sont-ils heureux de se séparer de leurs familles, de s’éloigner de la patrie, pour venir, au prix de mille sacrifices, sauver des âmes tout en adorant, à leur sujet, les desseins de la Providence.

L’île des Pins. — Avant de quitter la Calédonie, demandons aux missionnaires quelques renseignements sur une de ses dépendances tristement célèbre.

L’île des Pins, appelée Kunyé par les indigènes, est située à la pointe sud-est de la Nouvelle-Calédonie, dont elle est séparée par un canal de quarante kilomètres environ. Son nom lui vient des beaux pins qui couvrent ses rives et surtout les divers îlots qui l’entourent. Cet arbre s’élève à une hauteur de vingt et trente mètres ; les branches naissent autour du tronc par petites touffes, dont il est aisé de le dépouiller ; et alors il peut fournir aux vaisseaux une excellente mature.

Elle est de forme ronde, et n’a pas plus de dix lieues de tour. Le sol, coupé sur le rivage par de nombreuses vallées, s’élève graduellement et forme à l’intérieur un plateau boisé d’où s’échappent plusieurs petits ruisseaux. Il est généralement plus fertile que celui de la Nouvelle-Calédonie. L’igname, le taro, la ba,a,e et le canne à sucre y croissent en abondance ; les missionnaires ont de plus implanté le maïs, l’orge et la plupart des légumes d’Europe ; le froment lui-même, qui ne vient pas dans les zones tropicales, paraît s’acclimater à l’île des Pins, et on pense que la vigne y réussira. Outre les pins, le bois de fer et autres variétés d’arbres particulières aux régions des tropiques, l’île des Pins est riche en bois de sandal, espèce de bois blanc qui exhale une odeur aromatique et dont se servent les Chinois pour confectionner de petits objets de curiosité ou pour composer leur huile de senteur.

Les forêts sont peuplées d’un assez grand nombre d’oiseaux : les plus communs sont le pigeon et une espèce de bec-figues, qui vivent de baies sauvages, et que l’on prend en grand nombre, au moyen de filets, à l’époque de la maturité des fruits. Du reste, il n’y a aucun autre quadrupède que ceux introduits par les Européens, aucun animal malfaisant, aucun reptile, sinon le lézard.

Quant aux habitants, réduits aujourd’hui au nombre de sept cents environ, ils sont de couleur presque noire, d’une taille haute et bien prise ; ils ont le regard moins farouche que leurs voisins de la Grande-Terre, l’esprit plus intelligent et ils vivent ensemble dans la paix et l’union.

Ce sont des Pères Maristes, membres de la vaillante Société lyonnaise, qui nous ont fourni tous ces renseignements. On a déjà vu qu'à eux est dévolue la puissance spirituelle sur la moitié de l’Océanie. Eux


9. Logement du commandant.   11. Atelier des tailleurs.   13. Case des transportés.   18. Logement du garde d'artillerie.   21. Menuiserie.   10. Scierie à vapeur.   12. Chapelle.   14. Magasin d'habillement.   16. Magasin au vivres.   19. Logement de l'aumônier.   15. Cantine.   17. Bureau du port.   20. Logement de familles.
NOUVELLE-CALÉDONIE. — VUE GÉNÉRALE DU PÉNITENCIER DE L'ÎLE NOU (partie occidentale).


encore nous introduiront dans la belle colonie anglaise de la Nouvelle Zélande.

1. — Coiffure des anciens. 3. — Coiffure de femme. 2. — Coiffure de guerre.
4. — Turban en écorce d'arbre. 5. — Coiffure ordinaire d'homme. 6. — Coiffure de grande toilette.
NOUVELLE-CALÉDONIE. — DIVERS GENRES DE COIFFURES.

NOUVELLE-ZÉLANDE

Le pays et les habitants. Colons et indigènes. Les Maoris.


ONNONS d’abord une idée générale du pays. La Nouvelle-Zélande est une terre de ressources extrêmement variées. De hautes montagnes, de riantes vallées, de vastes plaines, font de la Nouvelle-Zélande un continent en miniature : elle a ses régions élevées avec des neiges perpétuelles et des glaciers comparables à ceux de la Suisse. Les sources d’eaux thermales du district des lacs, dans l’île du nord, sont plus merveilleuses, sous bien des rapports, que celles de l’Islande. Une chaîne de montagnes s’étend du centre de l’île du nord jusqu’à l’extrémité méridionale de l’île du sud, dont le pic le plus élevé, le mont Cook, a 13,000 pieds anglais (3,900 mètres). Outre les vallées, les plaines et les plateaux, on voit çà et là des marais et de vastes champs de lin indigène (phorium tenax). Ailleurs des séries de collines onduleuses descendent par degrés dans les plaines couvertes de gazons et de fougères. Les forêts sont magnifiques ; il y règne un printemps éternel : le seul arbre indigène à feuilles caduques est le fuxtria excorticata. Les arbrisseaux sont nombreux et variés, les lianes abondent et entourent la tige des arbres, comme les cordages, les mâts d’un navire. On y voit deux espèces de palmiers très gracieux,


Mgr REDWOOD, de la Société de Marie, archevêque de Wellington.


et l’arbre fougère (fern tree) si remarquable par l’élégance de sa forme. Ces derniers arbres donnent parfois au paysage un aspect tout oriental.

La Nouvelle-Zélande possède plusieurs beaux ports, de grands estuaires et quelques fleuves navigables. Le plus gros fleuve, le Waikato, coule à travers le lac Taupo, dont la largeur est de plus de dix lieues, en conservant sa température et sa couleur, l’une et l’autre différentes de celles du lac.

Il y a quelques volcans en activité, par exemple le Tongariro, qui s’est fait sentir dernièrement en s’ouvrant un nouveau cratère latéral. Les tremblements de terre sont fréquents dans les régions voisines du détroit de Cook ; mais ils sont généralement faibles.

On y exploite des mines inépuisables de charbon, et la houille est de très bonne qualité. On exploite aussi des mines très considérables d’or et de fer. L’or se trouve dans des terres alluviales, ou dans des rochers de quartz. On rencontre aussi des mines d’argent et d’autres métaux.

Malgré le petit nombre des habitants, cette contrée jouit de presque tous les avantages des pays les plus civilisés. Le télégraphe va du nord au midi, passant sous mer par le détroit de Cook, et relié à l’Australie par un câble. Il a des ramifications dans toutes les localités importantes. Le coût du télégramme de dix mots, dans l’intérieur de la colonie, est de 1 fr. 20. Il y a déjà plusieurs lignes de chemin de fer. De nombreux bateaux à vapeur font le service avec l’Australie et relient les différents ports de la Nouvelle-Zélande. Les routes se multiplient pour faciliter aussi les transactions commerciales. Le missionnaire profite de tous ces progrès pour étendre le règne de Dieu.

Le pays se peuple rapidement, par suite de l’immigration qui, chaque année, lui amène plus de 30,000 personnes.

Le Grand Océan, qui entoure la Nouvelle-Zélande, rend le climat de cette île de plusieurs degrés plus


NOUVELLE-ZÉLANDE. — CHEF MAORI DE LA PROVINCE D'AUKLAND, d'après une photographie.


froid que sa latitude ne le ferait supposer. L’Australie est continentale ; la Nouvelle-Zélande est non seulement insulaire, mais pour ainsi dire océanique dans son climat. La température est plus égale en Australie ; à la Nouvelle-Zélande, le beau temps et la pluie se succèdent de la manière la plus irrégulière et la plus subite.

Par son étendue en latitude, la Nouvelle-Zélande offre une plus agréable variété de climat que tout autre pays du monde de la même grandeur. Le climat est tempéré ; peu de chaleurs excessives, encore moins de froids rigoureux, excepté dans les hautes régions.

Les nuits sont toujours fraîches et agréables. A Weelington, et plus encore dans la région semi-tropicale d'Aukland, les haies de géranium sont en fleurs tout l'hiver. Cette saison se fait sentir par des vents froids, humides et violents. Dans l'île du sud, la neige tombe de temps en temps dans les plaines, mais elle reste peu de jours, souvent peu d'heures. Il y a rarement des brouillards. Il pleut autant qu'en Angleterre ; les voyageurs qui arrivent d'Australie se plaignent quelquefois de l'humidité. Certaines parties de la colonie souffrent pourtant un peu de la sécheresse pendant l'été.

Presque toutes les productions de la France réussissent bien en Nouvelle-Zélande. On récolte, sur plusieurs points, un vin d'assez bonne qualité ; mais l'art du vigneron est peu avancé. D'autre part, la fraîcheur des nuits en été et le manque des fortes chaleurs au moment où le raisin mûrit, rendent les vins inférieurs à ceux de France.

On ne rencontre par un seul animal sauvage en Nouvelle-Zélande et le voyageur attardé peut coucher à la belle étoile sans redouter le moindre reptile. Cependant sur les dunes d'Otaki on rencontre une petite araignée noire et rayée de rouge dont la piqûre est venimeuse. Ce pays était naguère presque entièrement dépourvu d'animaux domestiques ; ceux qu'il possède actuellement y ont été introduits par les colons.

On sait que la Nouvelle-Zélande fut découverte, en 1642, par le navigateur hollandais Tasman. Quelques hommes de son équipage ayant voulu descendre à terre furent tués par les indigènes. Cet endroit a gardé le nom de « Baie du Massacre ». Tasman se borna à reconnaître la côte occidentale de ces grandes îles et leur donna le nom de l’une des provinces de son pays.

En 1749, le capitaine Cook visita la Nouvelle-Zélande, ou, pour mieux dire, il la découvrit de nouveau. Le célèbre navigateur anglais dressa la carte marine des trois îles qui composent ce groupe : l’île du nord, l’île du sud ou île centrale, et l’île Stewart. Cette dernière, beaucoup moins considérable que les deux autres, est située tout à fait au sud. Le détroit de Cook sépare l’île du nord de l’île du sud. La direction générale de ces îles est du nord-est au sud-ouest, et leur longueur atteint près de 1,200 milles (1,930 kilom.)

Lorsque les rapports du capitaine Cook eurent fait connaître ce nouveau pays, les baleiniers anglais, français et américains ne tardèrent pas à établir, dans les principaux ports, surtout vers le sud et dans le

NOUVELLE-ZÉLANDE. — PONT SUR L'AVON, A CHRISTCHURCH, d'après une photographie.


NOUVELLE-ZÉLANDE. — PONT DANS LA GORGE DE MANAVATU, d'après une photographie (Voir p. 54.)

détroit de Cook, diverses stations de pêche. Ces baleiniers furent ainsi les premiers colons de la Nouvelle-Zélande. Le voisinage de l'Australie y attira d'autres étrangers qui s'établirent principalement à la Baie des Iles, dans l'île du nord. En 1840, le capitaine Hobso prit possession de la Nouvelle-Zélande au nom de l'Angleterre, et, bientôt après, il fut nommé gouverneur de la nouvelle coloie. En 1852, le Parlement anglais reconnut son autonomie et lui octroya une charte qui continue de la régir. Le gouvernement se compose d'un gouverneur nommé par la reine d'un Conseil exécutif et d'un Parlement. Celui-ci est formé de deux Chambres le Conseil législatif dont les membres sont nommés à vie par le gouverneur, et l'Assemblée des représentants élus pour cinq ans par le suffrage universel.

Auckland fut d'abord la capitale de la Nouvelle-Zélande ; mais, en 1864, un acte du Parlement a transféré le siège du gouvernement à Wellington. Cette dernière ville, située dans les détroit de Cook avec un port excellent, était naturellement désignée à cet honneur. Elle est le centre de la colonie et le lieu d'escale obligé de toute la navigation à vapeur.

Les ministres anglicans et wesleyens arrivèrent dans ce pays à la suite des colons australiens. Ils y étaient déjà nombreux et puissants, lorsque, vers le commencement de 1838, les premiers missionnaires catholiques débarquèrent sur les côtes de la Nouvelle-Zélande, après un voyage de plus de quatorze mois. Ils s’établirent à la Baie des Iles, qui était alors le rendez-vous des baleiniers et des colons.

Auckland. — Cette ville, la plus ancienne de la Nouvelle-Zélande, ne date que de 1840. Ce n’était auparavant qu’un village en voie de formation.

La province d’Auckland, qui comprend à peu près la moitié de l’île du nord, est, vers le milieu de sa longueur, divisée en deux parties par l’isthme d’Auckland, Sur la côte orientale, au sud de l’immense baie de Waitemata, est assise la ville d’Auckland. Sur la côte occidentale, s’étend un autre vaste estuaire, et, aux bords du Manukau, s’élève la petite ville de Onehunga, distante d’Auckland de six milles seulement. Plus au sud, les eaux des deux mers sont à peine distantes d’un demi-mille. Cet isthme, étroit et peu élevé, était autrefois, pour les Maoris, un véritable portage, par où ils transportaient leurs pirogues d’une mer à l’autre. Aujourd’hui, de bonnes routes relient Auckland à Onehunga et aux autres petites villes de la côte occidentale. Un chemin de fer (Great south road) traverse le même isthme et se dirige vers le sud, par la riche vallée de Waikato, tandis qu'une autre ligne (Great north road) relie Auckland à la grande rivière de Kaipora et à la partie septentrionale de la province.

En 1880, la ville d'Auckland comptait environ 30,000 habitants, et le nombre de ceux qui sont disséminés dans le district est à peu près égal. On reconnaît l'extrême jeunesse de la ville au grand nombre de ses constructions en bois ; mais, d'année en année, s'élèvent de grands bâtiments en basalte poreux, extraits des cônes volcaniques environnants, et de jolies maisons en briques, qui attestent le progrès du goût architectural.

La situation d'Auckland, avec ses collines s'avançant dans la mer, et les anses comprises entre elles, fait penser à Sydney et aux profondes découpures de sa vaste baie. Comme le port d'Auckland a beaucoup de profondeur du côté de la ville, on a dû construire, sur les points de débarquement, des jetées ou piers s'avançant assez loin dans la mer. Le Commercial pier, entre autres, long d'un quart de mille, est véritablement l'un des ouvrages les plus remarquables des colonies océaniennes, et son utilité est incalculable pour le commerce maritime d'Auckland.

Auckland a perdu de son importance, lorsque, de capitale de la colonie, elle est devenue simplement chef-lieu de provinces ; mais sa position exceptionnelle lui réserve un brillant avenir. On peut dire qu’elle a un port sur les deux mers. Plusieurs fois par semaine des bateaux à vapeur partent, soit d'Auckland, soit de Manukau, pour Wellington et les ports intermédiaires. Tous font escale à Wellington, et de là ils vont visiter les ports de l’île du sud.

Les colons. — Enfonçons-nous dans l’intérieur avec le P. Yardin, vénérable missionnaire qui, en sa qualité de visiteur apostolique, entreprend une excursion dans les deux grandes îles. Nous prenons le chemin de fer à Wellington et filons dans la direction du nord. Sur la ligne on traverse successivement Hallcombe, Feilding, Bunnythorpe et Palmerston, villes naissantes dont la plus ancienne n’a pas plus de neuf ans d’existence, mais qui comptent déjà de 12 à 1800 habitants. Il a fallu avant tout abattre les arbres, défoncer le terrain, semer du gazon. Vous trouvez çà et là des scieries à vapeur. Des hommes robustes sont partout occupés à faire des éclaircies qui s’agrandissent d’année en année. (Voir la gravure p. 56.) Quand la forêt a disparu, des maisons en bois s’élèvent


VUE DU DÉBARCADÈRE D'AUCKLAND. (Voir p. 52.)


AUCKLAND, VUE PRISE DE LA CASERNE, d'après une photographie. (Voir p. 52.)


comme par enchantement, des rues et des routes sont tracées, des prairies sont formées, où moutons et bêtes à cornes trouvent bientôt une abondante pâture. La race anglo-saxonne, par sa ténacité, a réalisé ici des prodiges. Quantité de pauvres gens, qui ne pouvaient pas vivre dans leur pays, ont réussi à se créer ici des ressources, une honnête aisance, et même quelques-fois la richesse, à force de travail, de privations et d’énergie. On rencontre parmi eux des gens de toutes les nations, et aussi de toutes les dénominations religieuses possibles, ayant leurs chapelles particulières. Tous vivent en bons voisins, et suivent leurs religion sans s’inquiéter beaucoup de celle des autres.

Les gorges de Manawatu sont un des endroits les plus pittoresques de cette partie de la Nouvelle-Zélande. La rivière Manawatu, grossie d’une quantité d’affluents qui viennent du sud, de l’est et du nord, a réussi à se creuser un lit profond entre les monts Ruahine au nord, et les monts Tararua au sud : ces monts s’élèvent de 4 à 5.000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Le pont jeté sur ce torrent n’étant pas achevé, nous descendons de voiture et montons dans une corbeille qui, roulant sous un câble de fer suspendu entre les deux rives, nous transporte rapidement


WELLINGTON, CAPITALE DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE, PARTIE SEPTENTRIONALE


à l’autre bord. Au delà, le chemin est des plus pittoresques ; il domine le fleuve. Sur la rive gauche, le gouvernement a ouvert une route sur le flanc de la montagne, d’où elle surplombe la rivière de 60 à 120 pieds. Cette route n’a pas plus de dix à douze pieds de large. Dans certains endroits, quand il faut franchir un affluent, on a jeté une sorte de pont sur l’abîme. Il serait difficile deux voitures de se croiser, et il faut au conducteur de l’habileté et une vigilance continuelle pour maintenir ses chevaux au milieu de la route, surtout aux tournants. La moindre imprudence briserait la voiture contre la montagne, qui d’un côté s’élève à une grande hauteur, ou, de l’autre, la précipiterait avec les chevaux et les voyageurs dans la rivière à une profondeur que l’œil n’aime guère à considérer. Dans l’un et l’autre cas, il y aurait danger de ne pas se relever. Dès qu’on entre dans ces fameuses gorges de Manawatu, longues de 9 à 10 kilomètres, on remarques généralement que les voyageurs parlent très peu ; on n’entend guère que les exclamations d’étonnement et d’admiration devant le panorama qui se déroule sous les yeux.

De vastes plaines, parsemées de troupeaux de moutons, nous conduisent jusqu’à l’entrée du « Seventy miles bush » (la forêt de soixante et dix milles).

Nous voyageons toute la journée dans cette grande forêt. Deux petits villages scandinaves, Norsewood et Danevirk, y ont été fondés par des bûcherons de la Norwège et du Danemark. Ces colons abattent les arbres à droite et à gauche de la route, les scient, en vendent le bois, et, au moyen du feu, commencent à défricher les terres pour les transformer en jardins et en champs de blé.

Les Maoris. — Mais nous avons hâte d’en venir aux indigènes de l’archipel. Sur ce sujet mettons à contribution les lettres des Pères Servant et Petitjean.

Maoris, ce sont les curieuses lignes d’un noir bleuâtre qu’ils se sont tracées sur le visage : je veux parler du tatouage. Le tatouage avec toutes ses variantes est la marque distinctive des diverses conditions. Les chefs ont seuls le privilège de se peindre les jambes. On reconnaît les femmes d’une illustre extraction à un léger tatouage sur les lèvres et à deux lignes droites et parallèles sur le front. Les gens du peuple et les esclaves sont bariolés sur le dos. Ces marques sont héréditaires et les enfants se font honneur de porter celles de leurs aïeux. Voici comment on imprime ce bizarre ornement : d’abord on trace des

« Les indigènes maoris habitent des cabanes construites avec des traverses en bois et des plantes marécageuses, le tout relié avec beaucoup de goût et d’habileté : elles sont couvertes soit avec les mêmes matériaux soit avec les longues branches du palmier du pays appelé nikau, soit avec des écorces d’arbres. Outre la porte qui est très basse, il y a aussi quelques petites croisées pour donner du jour, de l’air et laisser échapper la fumée qui souvent remplit ces sortes d’habitations. Une natte, quelques blocs de bois constituent à peu près tout le mobilier.

« Ce qui attire d’abord l’attention à la vue des


WELLINGTON, CAPITALE DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE, PARTIE MÉDIDIONALE.


Maoris, ce sont les curieuses lignes d'un noir bleuâtre qu'ils se sont tracées sur le visage : je veux parler du tatouage. Le tatouage avec toutes ses variantes est la marque distinctive des diverses conditions. Les chefs ont seuls le privilège de se peindre les jambes. On reconnaît les femmes d'une illustre extraction à un léger tatouage sur les lèvres et à deux lignes droites et parallèles sur le front. Les gens du peuple et les esclaves sont bariolés sur le dos. Ces marques sont héréditaires et les enfants se font honneur de porter celles de leurs aïeux. Voici comment on imprime ce bizarre ornement : d'abord on trace des lignes noires sur la peau, puis on fait une suite de petites blessures sur chacune d’elles avec un ciselet en pierre ; à chaque coup on trempe le ciselet dans un liquide où on a dissous la racine du Phormium tenax réduite en poussière. Autrefois tous les indigènes arrivés à l’âge mûr étaient forcés de subir cette douloureuse opération, mais depuis la formation de la colonie, les maoris, voyant que les Européens ne se tatouaient pas, ont, pour les imiter, abandonné en grande partie cette ancienne coutume, au moins ceux qui habitent dans le voisinage des blancs.

Les Maoris dépassent en général la taille moyenne,

NOUVELLE-ZÉLANDE. — DÉFRICHEMENT D'UNE FORÊT, d'après une photographie envoyée par le R. P. Sauzeau, missionnaire mariste. (Voir p. 52.)


beaucoup sont grands, bien proportionnés, forts et intelligents. Ils semblent d’un tempérament doux et pacifique, mais facile à irriter ; s’ils sont offensés ou croient l’être, leur vengeance alors est implacable comme les moyens auxquels ils ont recours. Vifs, actifs même au besoin, en temps ordinaire cependant ils sont indolents. Très hospitaliers, ils forment certainement une des plus intéressantes races de toute l’Océanie. Leur conversation est gaie, animée, remplie de tournures poétiques et pleine d’allusions à leurs ancêtres, à leurs coutumes et à l’histoire du pays ; naturellement curieux, ils ne négligent pas les moindres détails et harcèlent leurs visiteurs de toutes espèces de questions ; sous beaucoup de rapports, ce sont de vrais enfants.

La Mission. — Jusqu’en 1848, la Nouvelle-Zélande tout entière faisait partie du vicariat apostolique de l’Océanie occidentale, dirigé par S.S.Grégoire XVI (juin 1835), et confié à la Société de Marie, sous la juridiction de Mgr Pompallier.

Après la division du vicariat, la Nouvelle-Zélande forma deux diocèses : celui d’Auckland, laissé à Mgr Pompallier et celui de Welligton, confié à l’administration de Mgr Viard (20 juin 1848). Ce n’est qu’en 1859 que Mgr Viard quitta le diocèse d’Auckland pour se rendre à Wellington, où il arriva avec les


NOUVELLE-ZÉLANDE. — KIWI ET MOA, OISEAUX PARTICULIERS A CET ARCHIPEL.


Pères de la Société de Marie, le 1er mai 1850. Postérieurement les diocèses de Dunedin et de Christchurch ont été créés et le siège de Wellington a été érigé en archevêché.

Quand les missionnaires vinrent s’établir sur la baie des Iles, ce qui forme aujourd’hui le Canterbury et l’Otago, n’était habité que par quelques tribus maories, établies principalement le long des côtes, dans la presqu’île de Bank, à Port-Chalmers et dans l’ile Stewart. Ces parages furent visités dès 1804, et peut-être plus tôt par des baleiniers de toutes nations parmi lesquels se trouvaient des catholiques. Avec eux, le catholicisme s’introduisit dans le sud ; mais il faut bien dire que c’était un catholicisme fort mitigé et incapable de produire aucune influence sur l’esprit des naturels.

Frappé de la beauté du port d’Akaroa, un capitaine nommé Hempleman résolut de s’y fixer ; il débarqua à Peraki le 17 mars 1836. C’était le jour de la Saint-Patrick et, parmi les hommes de son équipage, plusieurs Irlandais catholiques résolurent de célébrer la fête de leur saint patron. C’est ce jour que le catholicisme fut implanté dans la presqu’île de Bank. Ces braves fils de la Verte Erin étaient les précurseurs des 80.000 catholiques qui habitent aujourd’hui la

Terre de Cook.
NOUVELLE-ZÉLANDE. — QUATRE TYPES DE FEMMES MAORIES AVEC LEURS COSTUMES ; d'après des photographies.
AMÉRIQUE.

AMÉRIQUE DU NORD.

PRÈS les vénérables et séculaires missions de l’Ancien Monde, accordons un regard aux Jeunes églises du Nouveau. Là plus de souvenirs héroïques, plus de persécutions sanglantes prolongées durant des siècles, plus de légions de martyrs par milliers. La fondation des chrétientés que nous allons parcourir est de date trop récente pour fournir aux annales de l’apostolat des pages nombreuses. Nous touchons pour ainsi dire à leur création. Mais, si elles n'ont point de passé, quel grandiose horizon, quel superbe avenir s'ouvrent devant elles ! Quels glorieux accroissement elles promettent à l'Église de Dieu ! C'est ce que les progrès réalisés depuis cent ans permettent déjà d'entrevoir. Par une de ces compensation dont la Providence a le secret, des Églises nouvelles se lèvent par delà les mers dans la sérénité de la force et de la paix, au moment où les vieux peuples chrétiens de l'Occident se laissent de plus en plus envahir par l'esprit d'irréligion. Il y a plus de deux siècles que les apôtres de l'Europe prodiguent aux missions de l'Amérique leurs sueurs et leur sang.

« Combien de dangers la nature et les hommes leur préparaient dans ces sauvages contrées ! s'écrie l'historien Bancroft. Affronter la rigueur d'un climat


AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE. — INDIENS DU FLEUVE YOUKON AVEC LEURS CHIENS.


nouveau, traverser les fleuves, voyager sur la neige sans pouvoir se réchauffer, n’avoir pour nourriture qu’un peu de maïs écrasé sous une pierre, ou même quelquefois la mousse des rochers, travailler sans relâche, être obligé, pour ainsi dire, de vivre sans aliments et de dormir sans lieu de repos, ne pouvoir pas compter sur un jour d’existence, être exposé à toute heure à périr par les flammes ou sous le tomahaw : telle est la vie qui, cependant, donnait à ces héros d’ineffables consolations. Que de fois, sans doute, sur leur dur oreiller de pierre, eux aussi, comme le patriarche Jacob, ils sentirent l’encourageante présence de l'Éternel ! Que de fois les vieux chênes à l'ombre desquels ils s'asseyaient pour se reposer, furent pour eux le chêne de Mambré, sous lequel Abraham partageait son pain avec les anges du ciel ! »

Leur sang féconda le champ de leur apostolat. Les noms d'Isaac Jogues, de Jean de Brémeuf, de Gabriel Lallemand, pour ne nommer que les plus illustres, sont au martyrologe de cette Église naissante. Ibo et non redibo, écrivait le P. Jogues, en partant pour son dernier voyage chez les Mohicans.

Chacun de ces hommes savait qu'il était baptisé pour le martyre. « Mais déjà morts au monde, dit le même historien, et possédant leur âme dans une paix parfaite, ils ne reculaient jamais. L'histoire de leurs travaux se rattache à l'origine de toutes les villes mentionnées dans les Annales de l'Amérique française. On ne doublait pas un cap, on ne traversait pas une rivière sans qu'un Jésuite n'en montrât le chemin. »

Ce fut un Jésuite, le P. Marquette, qui, le 15 juin 1673, accompagné de Joliet, et monté avec lui sur un simple canot d'écorce, reconnut le Mississippi jusqu'à sa jonction avec le Missouri. Ce fut un Récollet, le P. Hennequin, compagnon de Cavalier La Salle, qui descendit son cours en 1682. Cinq ans après, La Salle, dans un second voyage, donnait à la vallée, en l'honneur de Louis XIV, le beau nom de Louisiane, et peu après les Français y établissaient des postes de défense et des stations de commerce, au nom du roi de France.

Alors, les missionnaires rassemblèrent des Congrégations ; toute la contrée s'apprêta à devenir chrétienne. Au récit des souffrances rédemptrices de l'Homme-Dieu, l'Ottawa, l'Illinois, le Potowatomie, déposant leur férocité, enterrèrent leur hache en signe de paix, et les grandes forêts prêtèrent leurs plus beaux arbres pour la construction de la Loge de la prière. Au nord, les Abenakis et les Iroquois produisirent une moisson d'élus au milieu de laquelle se dresse, comme une fleur sauvage, une jeune Iroquoise, Catherine Tegahkouita, morte brillante de sainteté à l'âge de vingt-quatre ans, près du ruisseau et de l'arbre où elle avait fixé sa vie au pied d'une croix. A l'ouest, les trente Réductions de la Californie rappelèrent les Réductions des Jésuites au Paraguay. Au sud, les Natchez, la célèbre nation guerrière, déposèrent enfin les armes aux pieds de ses Robes noires. Sur tout le continent, le Créateur avait envoyé son Esprit, et il avait renouvelé la face de la terre.

Un jour vint où tout cela cessa d'exister par le crime des hommes. Tandis que, dans la Nouvelle-Angleterre, les catholiques subissaient un ostracisme écrasant, on préparait au Canada et à l'Ouest de pareilles violences. Déjà maître de la Nouvelle-Écosse, de la baie d'Hudson, de Terre-Neuve et de l'Acadie, le gouvernement anglais, convoitant la Louisiane, ne trouva rien de mieux que d'y étouffer le catholicisme pour y ruiner du même coup la puissance française. Par lui, la férocité native des Indiens fut réveillé et armée contre leurs bienfaiteurs. Les Congrégations indiennes furent noyées dans le sang. Les Robes noires devinrent peu à peu inconnues, et quand, par un juste retour, en 1776, la guerre de l'Indépendance déposséda l'Angleterre de cette colonie qu'elle opprimait, l’Amérique renaissante ne trouva plus sur son sol que le souvenir presque effacé de la foi qui avait fait fleurir ces solitudes à l'ombre de la croix.

Deux causes provoquèrent alors une deuxième effusion de la foi catholique : l'émancipation des États-Unis rendit à l'Église la liberté religieuse ; l'émigration des prêtres chassés de France et d'Europe par la Révolution procura une vaillante recrue de missionnaires.

Washington avait dit, dans son adresse aux catholiques des États de l'Union : « Puissent les membres de votre société, en Amérique, uniquement animés par le pur esprit chrétien, jouir de toutes les félicités temporelles et spirituelles. » À ces vœux d'un homme de bien, l'Église des États, qui jusque-là dépendait d'un vicaire apostolique résidant à Londres, répondit en demandant à Rome de lui donner directement des pasteurs qui ne dépendissent que du pape. Le congrès appuya la requête du clergé ; et Pie VI promut John Carroll au siège épiscopal de Baltimore.

L'Église d'Amérique entra avec cet évêque dans une nouvelle phase. S'emparant, en missionnaire d'un diocèse de quinze lieues de long, sur huit à neuf cents de large, à la tête seulement d'un vingtaine de prêtres, comme lui précieux débris de la Compagnie de JÉSUS, Mgr Carroll alla d'abord demander des recrues à la France, M. Émery lui donna une première colonie de Sulpiciens, qui, en 1791, vint fonder le collège de Baltimore. Les prêtres chassés de France par la Révolutions, les prêtres chassés de Saint-Domingue par l'insurrection, apportèrent peu après à la petite armée un contingent de soldats aguerris dans la lutte. La concession de la Louisiane à l'Union américain, en 1803, et, à quinze année de là, la nomination d'un grand missionnaire, Mgr Dubourg, à l'évêché de la Nouvelle-Orléans, activa dans le Sud, cette reconstruction.

Souvent dans les savanes immenses du Far-West, un incendie dévore les herbes de la prairie que le voyageur croit perdue et anéantie sans retour. Mais, au printemps suivant, revenant aux mêmes lieux, il s'étonne de retrouver une végétation plus luxuriante que jamais dans la plaine où hier il n'avait laissé que des cendres. Telle et plus riche encore fut la rénovation qui, dans l'Église d'Amérique, commença à la fin du XVIIIe siècle et qui aujourd'hui s'épanouit dans le

nôtre.

ALASKA.

Une tournée pastorale. Un admirable évêque. Aurore boréale.


E continent américain à son extrémité nord-ouest, se prolonge en une immense péninsule, l’Alaska, d’une étendue de 1,500,000 kilomètres carrés, baignée par l’Océan glacial et par le Grand Océan et confinant au Canada. Cette contrée sauvage, peuplée de 70,000 habitants tout au plus, appartient


Mgr SEGHERS.


aux États-Unis, à qui les Russes l’ont cédée, le 18 octobre 1867. Au point de vue spirituel, l’Alaska relève du diocèse de Vancouver, dont le chef réside à Victoria. La distance considérable, la difficulté des communications et les frais du voyage ne permettent aux évêques que de rares et courtes apparitions sur cette lointaine portion du domaine soumis à leur juridiction. C’est à Mgr Seghers que cette mission doit son existence. Le vaillant archevêque belge, si prématurément enlevé a l’Église, aimait d’une tendresse de prédilection cette difficile et ingrate mission. C’est pour elle qu’il avait, avec une abnégation admirable, renoncé au siège métropolitain d’Orégon pour reprendre la direction de l’humble diocèse de Victoria et se dévouer jusqu’à la mort aux barbares peuplades de l’Alaska et de l’archipel de Vancouver. Le noble prélat s’occupait précisément de la fondation de diverses stations apostoliques sur la rivière Youkon quand il fut frappé à mort dans des circonstances que nous exposons plus loin, p. 66.

Empruntons au journal de voyage du vénéré défunt quelques notes sur la péninsule peu connue où il apportait la parole de vie et où il a succombé à l’âge de quarante-huit ans.

« Dès notre arrivée à Nulato, raconte le pieux prélat, nous nous mimes en relations avec les Indiens. Localité centrale, Nulato devait être le point de départ de nos diverses explorations dans le territoire d’Alaska.

« Nulato est bâti sur la rive droite du Youkon ; c’est de tous les postes établis par la compagnie russe-américaine le plus septentrional et le plus avancé dans l’intérieur des terres. Le fort est entouré d’une solide palissade et défendu par deux tours. Les misérables huttes des Indiens sont groupées à quelque distance.

« Nous nous établîmes sur le bord du Youkon, dans une barrabara (sorte de caravansérail), que j’avais achetée et fait réparer. Il nous était ainsi plus facile d’instruire les Indiens dont la pêcherie d’été était à peu de distance. J’avais engagé un Indien du nom de Michel pour nous servir de cuisinier et d’interprète ; malheureusement il trouva que nous nous levions de trop bonne heure, se plaignit amèrement que nous ne lui laissions pas le temps de dormir (il se couchait à sept heures du soir !) et nous quitta au bout d’une semaine. Après avoir fait cette triste expérience de l’instabilité du cœur sauvage (car Michel nous avait promis de rester toujours avec nous), nous primes la résolution de nous passer de domestique. M. Mandart se chargea de fournir le bois ; je m'engageai à apporter l'eau et je me transformai en cuisinier. Si je vous disais que j'ai réussi dans cette nouvelle position, vous ne me croiriez pas, cependant ces repas ont suffi tant bien que mal à nous conserver la vie.

« Nous instruisions les Indiens de temps en temps. Quelques-uns manifestèrent de très bonnes intentions. Ainsi un jeune homme, voyant que nous ne fumions pas, en avait conclu que fumer était un péché et avait mis de côté sa pipe. Les absences des sauvages sont malheureusement fréquentes et les instructions trop irrégulières pour produire beaucoup de fruit. Plus tard, je préparai, pour les missionnaires que j'espère envoyer, un plan en rapport avec les mœurs nomades des Indiens. Je connais à présent la contrée, la manière d'y voyager, l'idiome qu'on y parle, les dépenses qu'on doit y faire, les dispositions et les besoins des habitants, et une foule d'autres choses sur lesquelles je n'avais aucun renseignement précis.

« Le pays est parfaitement habitable. Ce qu'on redoute le plus lorsqu’on ne l’a pas visité, c’est la rigueur du froid. Cependant, chose curieuse, des deux saisons de l'année, car il n'y en a que deux, l'hiver est plus agréable que l'été. Il commence vers le milieu de septembre.

« Pendant mon voyage, les jours les plus froids du mois d’octobre furent les 22, 23, 24 et 25 ; le thermomètre descendit à 27°. En novembre, il marqua 32° ; en décembre, 38° ; et à la fin de janvier, le mercure resta gelé deux jours. Lorsque le ciel est serein, l'air devient tellement glacé qu'en le respirant on sent un malaise aux poumons. Si l'on ouvre les portes des maisons, la chaleur qui tend à s'échapper se condense subitement et rentre impétueusement en vapeur dans l'appartement. Chaque petit trou du mur ou du plafond par où un léger courant d'air peut passer, est marqué par une couche de glace ; le verglas sur les vitres dépasse un pouce d'épaisseur, et l'intérieur de la porte est constamment à moitié blanchi par le givre. Durant les grands froids, si on laisse tomber de l'eau, elle est gelée avant d'arriver au sol.

« Les chiens attelés au traîneau sont enveloppés d'une épaisse vapeur qui sort de leur corps et retombe sur eux comme du givre. On trouve des arbrisseaux dont les tiges sont chargées de baies gelées que la courte durée de l'été a empêché de mûrir. La glace du fleuve atteint une épaisseur de six à sept pieds, et une foule de petites rivières se solidifient tout d'un bloc. Malgré cela, on ne peut pas dire que l'hiver soit rigoureux. Le froid ne fait souffrir que par un ciel serein et un temps calme. Dès que le vent souffle, en effet, ou que les nuages s'amoncèlent, le thermomètre monte. Enfin, on est si bien enveloppé de fourrures et si parfaitement protégé qu'on a rarement à craindre d'inclémence de la saison.

« Un phénomène des plus curieux, c'est le mirage sur la neige. Un bâton planté debout ressemble de loin à un être vivant qui remue, marche, danse. Vous voyez une colline, un rivage ; vous approchez, il n'y a plus rien. Un vapeur, semblable à une épaisse fumée blanche, paraît indiquer un campement à proximité, bientôt vous vous apercevez que ce n'était qu'une illusion.

« Vous désirez sans doute que je vous parle des aurores boréales. Elles sont aussi variées que nombreuses ; elles arrivent si fréquemment qu'on finit par ne plus s'en occuper, et à peine en voit-on deux qui se ressemblent.

« Voici la description d'un de ces admirables phénomènes dont on ne peut se figurer toute la magnificence.

« C'était le 18 septembre ; nous étions au fort Saint-Michel. A huit heures et demie du soir, une traînée lumineuse de couleur verdâtre apparut dans le firmament, se dirigeant du nord-ouest au sud-est et passant le zénith. On ne saurait mieux la comparer qu'à une épaisse vapeur éclairée par une vive clarté ; nous pouvions distinctement discerner le courant qui, avec une rapidité prodigieuse, surgissait du nord-ouest pour aller se perdre dans les nuées du côté opposé. Le reste du ciel était serein, et la lune qui se trouvait alors au sud, à une altitude peu considérable, était à moitié voilée.

« L’aurore boréale étale à nos regards charmés ses magnificences et ses magies. De trois côtés différents de l’horizon, formant un demi-cercle dont le rond-point regarde le septentrion, des jets de lumière, rouge vif, rouge sombre, rouge clair, jaune safran, émeraude pâle, s'élancent et s'étendent sur le ciel bleu comme la toile d'un immense rideau, dont les plis moëlleux, toujours agités, toujours mobiles, toujours inconstants, vont se réunir au sommet du zénith en une couronne brillante, en une féerique coupole. Des frissons capricieux se jouent et courent dans les dessins de ces draperies diaphanes, de ces damas cramoisis et empourprés. Des vagues transparentes de flamme légère, aux formes indécises, s'élèvent et s'abaissent sous des souffles invisibles :

AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE. — AURORE BORÉALE OBSERVÉE PAR MGR SEGHERS AU FORT SAINT-MICHEL DANS LE GOLFE DE NORTON (territoire de l’Alaska).


vraies fantasmagories, jeux de spectres chimériques empruntés au monde des rêves. Nous ne pouvions nous lasser de voir, comme l'a si bien dit le poète canadien, Fiset :

Courir ces météores,
Fantômes lumineux, esprits nés des éclairs,
Qui dansent dans la nue, étalant dans les airs
Leurs manteaux de phosphores.
Parfois en se jouant, ils offrent à nos yeux
Des palais, des clochers, des dômes radieux,
Des forêts chancelantes, .
Des flots d’hommes armés pressant leurs bataillons,
Des flottes s’engouffrant dans les vastes sillons
Des ondes écumantes.

« La clarté était plus que suffisante pour lire dans un livre et distinguer l’heure sur une montre. La largeur, la position et l’éclat de cette traînée de feu variaient sans cesse ; à un certain moment, elle avait presque disparu, et tout à coup elle se montrait plus vive qu’auparavant au nord-ouest, au zénith et au sud-est simultanément. Composée de lignes lumineuses, parallèles sans être rectilignes, elle flamboyait comme la flamme d’un feu très actif que le vent agite ; et le courant, quoique parfaitement visible, était tellement rapide que l’œil ne pouvait le suivre. Ayant lu autrefois que l’aiguille aimantée est agitée pendant une aurore boréale, j’ouvris la boîte d’une boussole très sensible ; mais je ne pus remarquer le moindre mouvement. »

Mgr Seghers. — Le vaillant prélat qui écrivait ces lignes était de ceux qui remplissent rapidement le but de leur vie et comblent en quelques années la mesure de leurs mérites.

C’est au cours d’une visite pastorale dans l’Alaska que l’éminent archevêque fut massacré par un nommé Frank Fuller engagé comme homme de peine.

Après bien des journées de marche et de courses en traîneau, la petite troupe arriva le 27 novembre 1886, à un village inhabité. Sa Grandeur, trouvant l’endroit peu convenable pour faire halte, exprima l’intention de pousser plus loin, malgré l’heure avancée, et prit l’avis des guides indiens.

Cette détermination déplut à Fuller. Il manifesta hautement son mécontentement et se plaignit aigrement de la préférence que le prélat avait pour les Indiens :

« — C’est moi, ajouta-t-il d’un ton irrité, et non pas eux que vous devriez consulter ! »

L’archevêque lui fit observer que les Indiens avaient sur lui l’avantage de connaître le pays.

Fuller ne répliqua rien. Mais, peu après, il s’aboucha avec les indigènes, eut avec eux une longue conversation et s’efforça de les indisposer contre Mgr Seghers. Témoins de la mansuétude, de la charité et de l'admirable courage de leur vénérable maître, les braves Indiens, loin d'entrer dans les vues du traître, firent part au prélat de ses menées. Celui-ci n'en tint aucun compte ; il ajourna cependant au lendemain matin l'étape supplémentaire qu'il avait projetée.

Le repas du soir eu lieu sans incident ; les couches furent dressées pour la nuit. L'archevêque se plaça, comme à l'ordinaire, entre Fuller et le métis, chef des guides.

Sur les six ou sept heures du matin, Fuller se leva et vint s'accroupir près du foyer éteint, au centre de la hutte. Il avait son fusil à la main. Il regarda longuement le prélat, qui, exténué des fatigues de la veille, dormait encore profondément ; puis, tout à coup, se dressant, il l'appela brutalement et le coucha en joue.

Les Indiens accoururent au bruit ; mais, avant qu'ils eussent pu l'empêcher, le parricide sacrilège était accompli.

Brusquement réveillé, l'héroïque apôtre avait levé la tête et ouvert les yeux. Voyant l'arme braquée sur son front, il se contenta de croiser les mains sur sa poitrine et reçut presque à bout portant la décharge, dans cette attitude de résignation et de recueillement. La balle creva l’œil gauche et, traversant la tête obliquement, sorti au-dessus de la nuque. La mort fut instantanée.

La mort du grand archevêque a eu le plus douloureux retentissement dans toute l'Amérique du Nord. Mgr Seghers était un de ces missionnaires accomplis, comme la Belgique en envoie chaque année un grand nombre aux États-Unis.

Né à Gand, le 26 décembre 1839, Mgr Charles-Jean Seghers avait été élu le 11 mars 1873 évêque de Vancouver, puis nommé archevêque titulaire d’Émèse, le 28 septembre 1878. Deux ans après, il succédait par coadjutorerie à l’archevêque d’Orégon-City. En 1884, il était replacé, sur sa demande, à la tête de son ancien diocèse.

L’activité, la haute intelligence, l’esprit d’initiative du vénéré défunt, avaient préparé et ouvert en quelques années, dans ces contrées ingrates de l’extrême nord-ouest de l’Amérique, des voies toutes nouvelles à la prédication de l’Évangile.

Que de transformations ne devait-il pas se proposer et n’eût-il pas réalisées si, dans la sagesse infinie de ses conseils, Dieu ne l’avait pas prématurément appelé à l’éternelle récompense !

CANADA.

Provinces de Québec et d'Ontario. Manitoba. Athabaska. Mackenzie. Pontiac.

ASSONS de l'Alaska au magnifique empire que la couronne britannique possède dans le nord de l'Amérique, des États-Unis jusqu'à l'Océan Glacial et depuis l'Atlantique jusqu'au Pacifique. C'est le Canada.

Sous le rapport politique, le Canada forme depuis 1867, sous le protectorat de l'Angleterre, une confédération quasi-indépendante, connue sous le nom de Confédération Canadienne ou de Puissance du Canada (Dominion of Canada).

Elle se compose de huit provinces, savoir :

PROVINCES.
SUPERFICIE EN MILLES CARRÉS.
POPULATION EN 1871.
CATHOLIQUES EN 1871.
Québec (Bas-Canada)
193,355
1,191,516
1,119,850
Ontario (Haut-Canada)
107,780
1,620,851
274,162
Nouvelle-Écosse
21,731
387,800
102,001
Nouveau-Brunswick
27,322
285,594
96,016
Ile du Prince-Edouard
2,134
94,021
40,000
Manitoba
14,340
12,228
10,006
Colombie anglaise
213,500
33,586
30,000
Territoire du Nord-Ouest
757,000
60,500
20,000
TOTAL
1,337,162 3,686,096 1,692,029

Depuis dix ans la population s'est considérablement accrue tant par l'immigration au Manitoba et dans le territoire du Nord-ouest, que la propagation toujours croissante des Canadiens français, dans la province de Québec surtout. Ces derniers, qui n'étaient qye 75,000 en 1760, lors de la cession du Canada à l'Angleterre, étaient, en 1871, 1.104.401 dans la seule province de Québec, outre à peu près 150.000 dans les autres provinces, et 400.000 aux États-Unis. La population totale dépasse maintenant 4.000.000 d'habitants dont près de 2.000.000 sont catholiques.

Il y a environ 50.000 indigènes sauvages répandus pour la plupart dans les vastes prairies du Nord-Ouest et dans les territoires avoisinant la baie d'Hudson et la mer Glaciale. Il n'en reste plus que 6.000 ou 7.000 dans la province de Québec, et ce nombre diminue d'année en année. Ces restes des nombreuses tribus, qui parcouraient autrefois en toute liberté les forêts du Canada, sont condamnés à disparaître dans un avenir prochain. La plupart des sauvages sont catholiques.

Les Canadiens jouissent d’une entière liberté politique et religieuse. Le gouvernement est fédéral constitutionnel ; il a la direction et le contrôle des intérêts généraux des provinces confédérées, et comprend trois pouvoirs : 1° un gouverneur général nommé par l'Angleterre qui administre la Puissance par un conseil privé de 13 députés responsables devant les Chambres, comme en Angleterre ; 2° une Chambre haute appelée sénat composée de 80 membres nommés à vie ; 3° une Chambre basse appelée chambre des communes, comptant aujourd'hui 206 députés élus par le peuple tous les cinq ans. Le siège du gouvernement fédéral est à Ottawa, sur la rivière du même nom, entre les provinces de Québec et d'Ontario.

Chaque province possède aussi un gouvernement local constitutionnel, lequel s’occupe des affaires particulières de chacune d’elles, des lois civiles, de l’éducation, de l’agriculture, de l’industrie, des arts, etc., etc.

Le gouvernement se compose d’un lieutenant-gouverneur (canadien-français pour la province de Québec), nommé par le gouvernement fédéral et assisté d’un conseil exécutif, responsable devant les Chambres ; d’une assemblée législative élue par le peuple. Chaque province est divisée en un certain nombre de comtés qui envoient chacun un député tant au parlement fédéral qu’au parlement provincial.

Le gouverneur-général (aujourd’hui marquis de Lansdowne et les lieutenants-gouverneurs règnent, mais c’est réellement le peuple qui gouverne par ses députés, lesquels gouvernent à leur tour par les ministres choisis parmi eux et responsables devant les Chambres. Le français et l'anglais sont les langues officielles du gouvernement fédéral et des gouvernements locaux des provinces de Québec et de Manitoba ; mais il arrive que, par suite de la prépondérance de l'élément anglais à Ottawa, l'anglais y est beaucoup plus usité que le français, tandis que le français est presque exclusivement employé au parlement local dans la province de Québec.

Les Canadiens français forment un peuple de 1.104.401 habitants unis par la langue française, la religion et les mœurs.

Provinces de Québec et d'Ontario. — C'est dans ces provinces que vit l'élite de la population canadienne. Le vénérable archevêque de Québec, S. Ém. le cardinal Taschereau est le chef du clergé canadien. Autour de lui se groupent les archevêques de Toronto, de Saint-Boniface, d'Halifax, de Montréal et d'Ottawa et les nombreux évêques qui dirigent, avec une légion de missionnaires, dans les voies du salut de deux millions d'âmes.

L'instruction est très répandue au Canada.

Voici pour la provinces de Québec seulement : 5 grands séminaires ; Montréal, Québec, Saint-Hyacinthe, Trois-Rivières et Rimouski avec 444 ecclésiastiques tonsurés se préparant au sacerdoce ; les Universités Laval à Québec, Megilt à Montréal ;


CANADA. — CATHÉDRALE DE QUÉBEC


les collèges classiques de Saint-Sulpice et des jésuites à Montréal ; ceux de Québec, de Trois-rivières, de Saint-Hyacinthe, de Rimouski, de Nicolet, de Sainte-Thérèse, de Sainte-Anne, de l'Assomption, de Sainte-Marie du Mounoir, de Sorel ; 16 collèges industriels ; 66 académies de garçons, 72 de filles ; 260 écoles modèles, 20 établissements des Frères des écoles chrétiennes fréquentées par 9,000 enfants ; enfin 3,600 écoles élémentaires.

Depuis trente ans, des progrès extraordinaires se sont accomplis au Canada. « Si on jette la vue sur les districts de l'est, dit le Courrier de Saint-Hyacinthe, et qu'on examine l'état du pays en 1850 avec ce qu'il est maintenant, on demeure étonné, et on se réjouit de contempler l'énergique et forte population qui habite le territoire. Partout où l'on aperçoit un établissement agricole, partout on voit briller la croix qui domine l'église. »

Le progrès religieux a marché de pair avec le défrichement, car le plus souvent c'est le prêtre qui a déterminé la vocation du colon ; c'est à la suite du prêtre que le hardi défricheur est allé s'établir dans la forêt ; c'est le zèle de l'évêque qui a fait surgir les paroisses. augmenté en proportion de l'élan donné à la religion catholique par les éminents prélats qui ont présidé aux destinées des diocèses.

Colombie britannique. — Cette grande et belle mission, confiée au zèle des Oblats, se transforme depuis quelques années et va leur offrir un double champ à cultiver ; ce ne seront plus seulement des sauvages infidèles qu’ils auront à convertir, mais des hérétiques de couleur blanche ou civilisés qu'ils auront à ramener au bercail du bon Pasteur

Le vicaire apostolique, Mgr d’Herbomez, dirige depuis un quart de siècle cette grande mission. Il a pour coadjuteur Mgr Durieu, comme lui de la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée.

La grande voie ferrée transcontinentale, inaugurée en 1886, amène beaucoup d’émigrants anglais et protestants, Les Irlandais catholiques qui émigrent préfèrent se rendre aux États-Unis, n’aimant pas s’établir là où la domination anglaise se fait sentir.

Les missionnaires exercent leur zèle parmi ces hérétiques, se mêlant avec eux, les amenant aux offices de l’Église catholique. Plusieurs retours à la vraie foi ont déjà consolé les Pères et encouragé leurs efforts.

Les sauvages, même infidèles, sont restés attachés à la robe noire et ne veulent pas d’autre religion que la sienne. Les six grandes tribus que les Pères Oblats évangélisent depuis plus d’un quart de siècle, ont fait de grands progrès dans la civilisation. Cédant à la douce influence de la religion, ils ont abandonné leur vie nomade pour se grouper autour de l’église, et forment aujourd’hui des villages florissants.

Il y a encore plusieurs tribus de sauvages plongées dans les ténèbres de l’idolâtrie ; le nombre restreint des missionnaires et le manque de ressources n’ont pas permis de les visiter régulièrement. Espérons que le maître de la vigne enverra des ouvriers pour cette partie de son champ.

Manitoba. — Le Manitoba, connu autrefois sous le nom de Rivière-Rouge, forme aujourd’hui une des provinces de la confédération canadienne. C’est là que, depuis bien des années déjà, les missionnaires ont porté la foi. Ils ont poussé leurs excursions à plusieurs centaines de milles plus loin, sur les grandes rivières Saskatchewan et Mackenzie. Messagers de la bonne nouvelle, ils sont les premiers qui aient introduit des germes de civilisation dans ces immenses territoires. Après avoir adouci les mœurs farouches des sauvages, ils ont rencontré quelques hommes blancs, venus pour échanger leurs marchandises contre des fourrures. Bientôt ces blancs se multiplièrent, s'établirent dans ces contrées, et formèrent une petite population, surtout dans l'ancien territoire de la Rivière-Rouge.

En 1872, Manitoba devint une province ayant tous les rouages d’un gouvernement régulier et offrant toutes sortes d’avantages aux étrangers. Dans le premier enthousiasme, beaucoup de familles anglaises et protestantes y arrivèrent d’Ontario. Bientôt une immigration de Mennonites, et même une centaine de familles de l’Islande, s’établirent sur les bords de la Rivière Rouge.

« Menacés d’être envahis par l’élément étranger et protestant, dans ce pays que nous avons été les premiers à défricher, écrit le R. P. Lacombe, nous nous sommes levés, et, conduits par notre archevêque, nous avons tenté de paralyser les efforts du protestantisme, Au commencement de l’hiver 1875, Mgr Taché m’envoya au Canada pour commencer l’œuvre d’une émigration canadienne française vers Manitoba. Je parcourus plusieurs centres canadiens dans les États-Unis ; je parlai de Manitoba, de ses avantages et de l’avenir de ce pays pour la colonisation. Le gouvernement canadien approuva notre plan et vota même quelque argent pour aider au transport de nos immigrants. En 1876, cinq cents colons catholiques et français avaient grossi les rangs de nos anciens habitants, les métis.

« Mgr Taché, encouragé par ce premier succès, me confia une seconde fois la mission de continuer aux États-Unis et au Canada le recrutement des colons. A la fin du mois de janvier 1877, je partis de Saint-Boniface par la diligence, jusqu’à Moorhead, distante de 220 milles de Winnipeg. De Moorhead, le chemin de fer me conduisit à Montréal où je fus reçu par nos Pères. Je me mis aussitôt en rapport avec le gouvernement,avec les Compagnies de chemins de fer et avec les agents d’immigration dans la république américaine.

« Dans mes différentes excursions aux États-Unis je fus accueilli partout en missionnaire et en ami. Les prêtres m’offraient l’hospitalité, heureux de m’aider dans l’accomplissement de mon œuvre. De New-York, je me rendis à Washington, où une Société scientifique m’offrait d’imprimer, à ses frais, mon dictionnaire adjibway ou sauteux. N’ayant pu réussir à m’entendre sur les conditions posées par les membres de cette Société, je laissai la capitale des membres de cette Société, je laissai la capitale des États-Unis et continuai mon œuvre de propagande d'émigration parmi les Canadiens employés dans les manufactures américaines.

« Depuis que nous avons commencé cette œuvre de colonisation à Manitoba, nous avons éprouvé bien des contrariétés et rencontré bien des obstacles ; mais les résultats obtenus jusqu'ici compensent nos peines. Des paroisses se forment, et des familles vont s'échelonner le long des rivières, au milieu de nos provinces de métis.

« Dans quelques jours, je partirai avec deux prêtres, un Frère scolastique, des maîtres et des maîtresses d'école et quelques colons. Par mes rapports avec des différentes Compagnies de chemins de fer et de steamboats, j'ai pu obtenir des réductions sur les prix de passage.

« Pendant ces quelques mois passés en Canada, je me suis occupé de l'impression du dictionnaire et de la grammaire de la langue sauteuse. Après avoir publié le prospectus et les premières pages, je me suis arrêté, pour attendre les remarques et observations qu'on jugerait devoir me faire. C'est à Manitoba, durant les longues soirées de l'hiver, que je continuerai ce grand travail qui, loin d'être parfait, sera cependant d'un grand secours aux missionnaires.

« Mgr Taché m'avait aussi chargé de procurer au diocèse de Saint-Boniface des Frères des Écoles chrétiennes. J'ai eu le bonheur de réussir... »


MANITOBA. — LA RÉSIDENCE ARCHIÉPISCOPALE ET LA CATHÉDRALE DE SAINT-BONIFACE ; vue du côté occidental de la Rivière-Rouge ; d'après une photographie communiquée par le Révérend Père Lacombe, missionnaire oblat.


MANITOBA. — CATHÉDRALE DE SAINT-BONIFACE, d'après une photographie communiquée par le R. P. Lacombe.


L'insurrection des Métis et de Riel compromit durant quelque temps l'œuvre de la colonisation catholique. Mais aujourd'hui la pacification des esprits s'opère peu à peu et les missionnaires de Sait-Boniface et de Saint-Albert reprennent leurs œuvres momentanément interrompues.

Athabaska-Mackenzie. — Ce vicariat apostolique détaché en 1862, de l'immense diocèse de Saint-Boniface, a presque trois fois l'étendue de la France. Il est borné, à l'ouest, par les Montagnes Rocheuses, au nord par l'Océan Glacial, à l'est, par la baie d'Hudson, et au sud, par les hauteurs qui limitent le bassin du Mackenzie.

La partie la plus méridionale avait reçu, en 1847, la première visite d'un missionnaire, le R. P. Taché, aujourd'hui archevêque de Saint-Boniface. Dans une visite de trois semaines seulement, ce missionnaire baptisa 194 infidèles.

Les sauvages d'Athabaska-Mackenzie se rattachent à trois grandes nations. Ce sont d'abord les Crees ou Cris appartenant à la famille algonquine. Ils sont en petit nombre dans le vicariat, et en habitent la partie sud-ouest. Viennent ensuite les Montagnais ou Dénè, au centre du vicariat ; ils sont les plus nombreux. Leur langue, l'une des plus difficiles qui soient au monde, se subdivise en une dizaine de dialectes. Enfin, les Esquimaux, tout à fait au nord, le long de l'Océan Glacial et de la baie d’Hudson. Les langues des Cris, des Montagnais et des Esquimaux n'ont entre elles aucune ressemblances.

Avant l'arrivée des missionnaires, les cas d'anthropophagie étaient assez fréquents. Dans une petite localité, à Good-Hope, en un seul automne, 86 sauvages s'entre-dévorèrent.

Ces sauvages avaient encore la coutume de mettre à mort un très grand nombre de petites filles aussitôt après leur naissance. Les filles, ne pouvant pas aller à la chasse, étaient regardées comme une charge inutile. On se fédesait d'elles, l'hiver, en creusant dans la neige un trou où on les enterrait toutes vivantes, l'été, en les suspendant par leur maillot à une branche d'arbre.

Un sort non moins cruel était réservé à beaucoup de vieillards. Quand l'âge ou les infirmités les rendaient incapables de suivre la caravane (car tous nos sauvages vivent de la vie nomade), on les abandonnait, après leur avoir laissé pour un jour ou deux de nourriture. Ces malheureux mourraient de faim ou devenaient la proie des bêtes féroces.

La sainteté du mariages était absolument méconnue. La femme était méprisée, ravalée au dernier degré et traitée à l'égal de la brute.

En 1848, le R. P. Taché fit une seconde visite à ses


SAUVAGES DU MANITOBA, d'après une photographie communiquée par le R. P. Lacombe.


chers néophytes d'Athabaska. Il les trouva un peu moins enthousiastes qu'en 1847 ; mais il se convainquit qu'ils approfondissaient les enseignements qu'ils leur avait donnés et qu'ils s'affermissaient dans la foi.

En 1849, le R. P. Faraud, aujourd'hui vicaire apostolique d'Athabaska-Mackenzie, succéda au R. P. Taché dans la visite des sauvages d'Athabaska. En 1850, le 8 septembre, fête de la Nativité, il fixa définitivement sa résidence à l'extrémité occidentale du grand lac Athabaska et il dédia la mission à Notre-Dame de la Nativité. En 1852, il se rendit à 100 lieues plus au nord, au grand lac des Esclaves. Le plus beau succès couronna son entreprise. La même année, le R. P. Grollier, mort douze ans plus tard au cercle polaire, venait l'aider dans l'évangélisation des peuplades montagnaises ; et, l'année suivante, ce Père fut envoyé au nord-est du lac Athabaska pour y établir une mission parmi les Mangeurs de Caribou.

En 1855, le R. P. Grandin, aujourd'hui évêque de Saint-Albert, arrivait dans l'Athabaska.

En 1858, les PP. Clut et Eynard venaient rejoindre les RR. PP. Faraud et Grollier. Il n'y avait donc encore que quatre missionnaires dans le pays d'Athabaska-Mackenzie. Maintenant il y a vingt missionnaires et deux évêques. Tous, un seul excepté, appartiennent à la Congrégation des Oblats de Marie-Immaculée. Grâce à cet apostolat, les sauvages ont bien changé. Plus des trois quarts sont catholiques, et la plupart excellents catholiques. À Saint-Joseph, au grand lac des Esclaves, sur une population de 500 sauvages, pas un seul n’omet ses devoirs religieux. Ils s’approchent des sacrements de pénitence et d’eucharistie, régulièrement au printemps et à l'automne. Dans les autres saisons, s’ils viennent aux postes de traite établis près de la mission, ils ne manquent jamais de se rendre d'abord à l’église pour adorer Notre-Seigneur et faire leur prière devant l'image de la sainte Vierge. Ils vont ensuite toucher la main au missionnaire et recevoir sa bénédiction. Après une courte conversation, ils demandent à se confesser, et le lendemain ils se présentent à la sainte table. Chez eux, il n'y a pas de respect humain en ce qui touche aux devoirs religieux.

Inutile d’ajouter qu’ils ont entièrement renoncé à leurs actes de barbarie. Maintenant le père et la mère aiment autant leurs filles que leurs fils. Sans recevoir encore toutes les marques de respect désirable, les vieillards ne sont plus abandonnés. La femme, autrefois traitée en esclave et en bête de somme, est aimée et respectée de son mari.

Tout cela est dû exclusivement à l’enseignement de la religion. Jusqu’à présent ils n’ont ni loi civile, ni magistrat, ni gouvernement ; et cependant, depuis l’arrivée des missionnaires, les crimes et les vols sont infiniment plus rares, proportion gardée, que dans les pays civilisés. Quand le missionnaire, voulant aider les sauvages à faire une bonne confession, les interroge sur quelques fautes graves qu’ils pourraient oublier, il arrive souvent qu’ils sont étonnée de ces questions et répondent : « — Mais, mon Père, maintenant que je connais la religion, que je sais que Dieu défend le péché, comment pourrais-je le commettre ? »


MACKENZIE. — FAMILLE D'INDIENS PEAUX-DE-LIÈVRE EN VOYAGE ET EN COSTUME D'HIVER, d'après une aquarelle d'un missionnaire oblat.


Un grand nombre de ces sauvages sont devenus très fervents. Dans plusieurs chrétientés où ces enfants des bois et des déserts ont leurs huttes de peaux groupés autour de la chapelle, ils se rendent exactement aux exercices de la missions. Dans les forêts ou le long des grands fleuves ou des grands lacs, ils ne sont pas moins fidèles à vivre en chrétiens. Ils font habituellement leurs prières du matin et du soir. Le dimanche, ils ont deux exercices religieux, chez le chef du camp, ou chez l'un des chrétiens les plus instruits. Là on récite les prières, on chante des cantiques, on lit un chapitre du catéchisme ou de l'abrégé de l'Écriture sainte traduits en leur langue. Soit à l'église, soit dans les huttes, hommes, femmes, jeunes garçons, jeunes filles, enfants, tous ensemble louent le Créateur par leurs prières et par leurs chants.

Songeant à ce qu'ils étaient autrefois avant l'arrivée des « hommes de la prière », et voyant le bien opéré parmi eux, ces sauvages apprécient mieux notre sainte religion et l'aiment davantage. Un sauvage disait à Mgr Clut : « — Lorsque le « priant » arriva pour la première fois dans l'Athabaska, mon père s'y rendit du grand lac des Esclaves pour l'entendre. A son retour, il nous raconta ce qu'il avait entendu, et , tout enfant que j'étais encore, j'eus grand désir de voir le prêtre. Enfin, quelques années après, le P. Faraud vint jusqu'au grand lac des Esclaves et nous prêcha. A mesure qu'il nous instruisait, il me semblait que je grandissais et que je prenais comme un nouvel être, un être spirituel, et voilà vingt-six ans que j'entends parler de la religion. Plus j'en entends parler, plus je la médite, et plus je me sens grand et élevé. »

Bon nombre de sauvages ont un véritable goût pour les vérités de la religion, et il arrive souvent qu'ils viennent trouver le missionnaire en particulier et lui disent : « — Mon Père, j'ai bien réfléchi à ce que tu m’as dit la dernière fois ; je le comprends. Dis-moi encore quelque chose ; j’ai faim de la prière et de l’enseignement divin. »

On voit que les missionnaires n’ont pas travaillé en vain dans ces régions glacées. Mais ce n’est pas sans avoir eu beaucoup d’obstacles à vaincre, qu’ils sont arrivés à ces résultats. Ils ont eu et ont encore beaucoup à souffrir des rigueurs de la température, des difficultés des communications et des privations de tout genre.

L’hiver dure ordinairement de huit à neuf mois, et le thermomètre marque souvent 30, 40 et même 50 degrés centigrades au-dessous de zéro. Malgré ce froid excessif, la plupart des missionnaires sont forcés de faire de longs voyages pour visiter des postes dépendants de leur district. L’évêque, pour remplir les obligations de sa charge, doit, chaque année, voyager une grande partie de l’hiver.

« J’ai fait, raconte Mgr Clut, il y a cinq ans, un voyage de trente-cinq jours de marche à la raquette, et j’étais parti du cercle polaire, le 5 janvier. Pendant les seize premiers jours, la température descendit entre 40° et 52°.

« Après une journée de marche et de fatigue, nous passons la nuit dans une vaste hôtellerie préparée par la Providence. La voûte en est immense et incomparablement ornée : c’est celle du firmament, presque toujours resplendissante de magnifiques aurores boréales qui l’embrasent d’une extrémité à l’autre. Des étoiles très brillantes ajoutent leur éclat à ce beau spectacle, éclat d’autant plus vif que le froid est plus intense.

« On choisit, autant que possible, un endroit où l’on trouve du bois sec et des sapins verts, et un abri contre le vent. Quelques-uns des voyageurs, se servant de leurs raquettes comme de pelles, écartent la neige et disposent la place du campement. D’autres coupent des branches de sapin qu’on étendra en guise de matelas. D’autres enfin abattent des arbres, allument un grand feu et préparent le souper. Pour les chiens on se contente de faire un peu dégeler et rôtir des poissons. Les deux gros poissons qu’on leur donne à chacun sont dévorés à l’instant, et c’est leur unique repas de la journée. Les chiens vont ensuite se blottir sous les arbres jusqu’à ce que leurs maîtres les appellent pour venir se coucher auprès d’eux.

« Pendant ce temps on a fait fondre de la neige pour le thé. La viande sèche est bouillie ou rôtie, selon les goûts. Bien que la viande sèche, le pemmican et plus encore le poisson sec ne paraissent pas capables de satisfaire le palais, on les mange de bon appétit. On y ajoute parfois un petit biscuit de farine d’orge mêlée à un tiers de farine de froment ; car c’est pour ces pénibles voyages qu’est réservé le peu de farine que nous recevons.

« Vient le moment du repos. Nous étendons sur les branches de sapin une couverture, puis nos manteaux ; c’est sur ce lit que nous coucherons, protégés par deux couverture de laines et une fourrure. Nous nous enveloppons le plus hermétiquement possible, ne laissant aucune ouverture pour respirer. L'air pur et vif de ces régions arrivera à nous plus que nous ne le désirerons, et nous sommes sûrs de ne pas nous asphyxier. Vers deux ou trois heures du matin, le maître de la caravane appelle celui qui doit faire le feu et préparer le déjeuner. Les voyageurs le font tour à tour, Enfin le signal du réveil général est donné. On se lève, on fait sa prière, et, après un léger déjeuner, la caravane se remet en marche.

« Un des voyageurs, les raquettes aux pieds, passe devant les chiens et leur trace le chemin, s’il n’en existe pas, et c'est l’ordinaire. Autrement les chiens refuseraient d'avancer ; du reste, ils enfonceraient trop dans la neige. Quand la neige est abondante, il faut que deux ou trois voyageurs tracent le chemin les uns à la suite des autres. Nos traîneaux sont ordinairement attelés de quatre gros chiens. Le traîneau se compose de deux ou trois planches de bouleau, d’une épaisseur de trois quarts de pouce. Il a huit pieds de long et seize pouces de large. Les planches en sont minces, afin que le traîneau chargé puisse plier et suivre les ondulations des bancs de neige.

« Entre dix et onze heures du matin, on s’arrête pour dîner. Quelques branches de sapin étendues sur la neige servent de siège et de table.

« Telles sont nos journées de marche l’hiver. »

Les voyages d’été se font en barques découvertes, ou en canots d’écorce de bouleau. Ces voyages sont quelquefois très dangereux, à cause des rapides qui abondent dans nos rivières.

Les missionnaires sont exposés à souffrir de la disette de la viande et du poisson, leur nourriture habituelle. La viande est devenue excessivement rare depuis sept à huit ans, surtout ces deux dernières années. Les animaux de chasse, les orignaux, les rennes et les ours sont moins nombreux, parce que les sauvages en tuent davantage au moyen des armes perfectionnées. D’autre part, les sauvages tirant de

MACKENZIE. — STATION DE GOOD-HOPE, d'après une aquarelle d'un missionnaire oblat (Voir p. 75.)


3. Ancienne résidence.   2. Enclos de la mission   1. Résidence des Pères.
MACKENZIE. — Le R. P. SÉGUIN, MISSIONAIRE OBLAT, EN COSTUME D'HIVER, arrivant à la station de Good-Hope, d'après une aquarelle. (Voir p. 75.)
leurs fourrures un prix plus élevé qu'autrefois, quelques-uns

deviennent comparativement riches et en même temps moins généreux à l'égard des missionnaires. Parfois aussi le poisson vient à manquer.

Dans une des missions, à N.-D.des-Sept-Douleurs, dix-sept sauvages sont morts de faim en 1876 ; ceux qui ont survécu ont dû manger toutes leurs pelleteries. A Good-Hope, sept sauvages sont aussi morts de faim l'hiver dernier, et, dans un autre poste, trois ont eu le même sort. Quand il y a aussi famine dans les camps sauvages, on comprend que les missionnaires ne reçoivent rien. Une fois ils furent réduits à manger une vieille jument ; et ensuite, pendant cinq semaines, il fallut se contenter de carpes bien maigres, assaisonnées au sel.

À la mission Providence, ils ont eu aussi beaucoup de privations à endurer. Ils durent bannir la graisse de toute préparation culinaire ; par conséquent le poisson, dont on faisait deux repas par jour, n’avait d’autre assaisonnement que du sel. Cependant on découvrit que la graisse de chien était bonne, et il fut décidé que désormais on en ferait usage. Quinze jours plus tard, quatre chiens rejetés par les sauvages furent pris. Puisque la graisse de chien était bonne, on pensa que la viande de chien ne devait pas être mauvaise. On servit donc des côtelettes de chien. Tous les convives y firent honneur.

La pauvreté pour le luminaire est un autre genre de privations. Faute d’éclairage, les Pères sont souvent obligés de passer dans l’inaction les longues soirées d’hiver : tous les missionnaires se servent d’une seule chandelle pour dire la messe.

Pontiac. — Du bassin du fleuve Mackenzie, passons maintenant aux parages limitrophes de la Baie d’Hudson qui forment l’immense mission de Pontiac. Ce vicariat apostolique, érigé en 1882,embrasse toutes les terres comprises entre le 88° et le 72° de longitude. Elles sont peuplées par des tribus d’Algonquins et des Cris.

Il y a trois ans, Mgr Lorrain, évêque de Cythère et vicaire apostolique de Pontiac, visitait, pour la première fois, ses missions sauvages de Témiscamingue, d’Abbitibi, de Moose Factory et d’Albany sur la baie James. Le prélat avait emmené plusieurs Pères Oblats. Le trajet complet des missionnaires fut de plus de 2,500 kilomètres et se prolongea durant les mois de juin et juillet 1884. C’est dans de simples canots d’écorce que s’accomplit cette rude pérégrination apostolique à travers les lacs et le long des rivières de ces vastes domaine du Haut-Canada.

Mgr Lorrain et ses vaillants compagnons remontèrent d'abord le cours de l'Ottawa, jusqu'au lac Témiscamingue. De là, franchissant la ligne de hauteur qui séparent le bassin de l'Atlantique de celui de l'Océan glacial, ils atteignirent les cours d'eau qui se déchargent par la rivière Abbitibi dans la baie James.

Dans ces régions écartées, le missionnaire doit toujours être en mouvement pour porter aux nombreux campements de nomades éparpillés à travers ces immenses solitudes le bienfait de sa parole, de ses conseils, de son ministère.

L'été, les missionnaires se rendent à Abbitibi, et poussent jusqu'à Albany, sur la baie d'Hudson, environ quatre cents milles plus au nord ; l'hiver, ils visitent les missions des chantiers. Ils aiment les sauvages et ils portent loin pour eux la charité et leur condescendance. Ils ne veulent pas qu'on les gronde.

« Avec des reproches, disent-ils, on n'en fait rien de bon. Le sauvage, tout sournois et rancunier qu'il soit ne connaît pas d'impatience et elle lui déplaît fort chez les Blancs. Au contraire, on le relève et on le soutient avec de bonnes paroles et du sucre. »

Tous les printemps, au commencement de juin, les sauvages d’Abbitibi sortent de leurs bois et viennent au Fort de la Compagnie vendre leurs pelleteries ; c’est le temps de la mission. Ils restent campés autour de la chapelle pendant une quinzaine de jours, et ils y resteraient volontiers plus longtemps si le missionnaire n’était appelé ailleurs pour donner les mêmes secours spirituels à une autre partie de son troupeau. Ce sont pour lui quinze jours d’un travail incessant. Il s’agit d’entendre les confessions, de catéchiser les enfants, d’instruire les adultes, de faire les baptêmes, de bénir les mariages, d’enseigner à lire et à chanter : pas de repos ni le jour ni la nuit.

Après ces deux semaines d’exercices spirituels, fortifiés par la parole de Dieu et le pain eucharistique, les sauvages reprennent le chemin de leur pays de chasse. Ils ont en propriété chacun leur part de la forêt sur une étendue de dix milles, de vingt milles, de quarante milles carrés : ils sont familiers avec les limites de leurs domaines respectifs, comme un habitant de nos campagnes connaît les lignes de sa ferme.

La pêche, la chasse aux bêtes errantes et voyageuses comme l’orignal et le caribou, enfin toute chasse nécessaire pour le soutien de l’existence, sont libres partout ; mais, pour la chasse des pelleteries précieuses, comme celle des castors, des martres, des

HAUT-CANADA. — UN COIN DE LA RIVIÈRE ALBANY, d'après un dessin du R. P. Paradis, missionnaire oblat. (Voir. 77.)


HAUT-CANADA. — TRAVERSÉE DES RAPIDES, d'après un dessin du R. P. Paradis, missionnaire oblat. (Voir. 77.)


bisons qui cherchent et trouvent leur vie dans un rayon assez circonscrit, personne ne doit empiéter sur le terrain de ses voisins.

Détachons du Journal de Voyage de Mgr Lorrain ce joli croquis d’Albany et de ses habitants.

« Au soleil levant, écrit le P. Paradis, nous entrons dans la rivière Albany. À neuf milles de distance nous apercevons le fort, terme de notre course, depuis huit jours point de mire de nos vœux et de nos soupirs ; le cœur nous bat d’émotion, nos lèvres murmurent une prière, notre âme s’élève vers Dieu, reconnaissante.

« Albany est moins considérable que Moose ; mais, dans la solitude inhabitée, elle présente un spectacle qui réjouit. Au fur et à mesure que nous approchons, la résidence du Bourgeois, les magasins, les maisons des employés, tous bâtiments passés à l’eau de chaux et éclatants de blancheur, l’église catholique avec son clocher brillant, l’église protestante avec sa flèche, les mâts au haut desquels flottent les longs pavillons, la goëlette qui balance son grand mât chargé de cordages, tout cet ensemble paraît sortir de l’eau pour nous saluer.

« Le vent nous pousse ; nos hommes sérieux, fiers, le corps raide, voulant montrer ce qu’ils savent faire, rament en une cadence accélérée avec des bras d’acier ; les avirons plongent à l’eau comme des palettes de plomb : le canot galope sur la houle légère. Nous faisons redire aux rivages les versets solennels du Magnificat, le cuivre sonore soutient les voix et fait vibrer les échos.

« Tout le peuple des Cris nous attend sur le bord d’une haute falaise à douze arpents du débarcadère. Ils sont rangés sur deux lignes, curieux, étonnés, avides de voir leur évêque, le regard attaché sur ce canot attendu depuis si longtemps, grands, la tête digne, drapés comme des sénateurs romains majestueusement dans leurs guenilles. Ils nous saluent d’une décharge générale de tous leurs fusils.

« Cette poudre a coûté un repas à la tribu :

« — Mais n’importe, se sont-ils dit, jeûnons et
« sachons faire honneur au Grand Chef de la prière
« qui nous visite. »


« Puis, hommes, femmes et enfants se mettent à courir pour nous suivre ; seuls les plus vigoureux peuvent tenir tête à nos rameurs, les autres viennent espacés sur la grève, plus ou moins loin, selon la force de leur jarret. L’émotion nous gagne. Les mots du cantique s’éteignent dans notre gosier, nous avons plutôt envie de pleurer que de chanter, le silence règne à bord et sur la rive ; une larme furtive coule sur plus d’une joue.

« Nous accostons au quai de pierre. Pauvres gens, ils sont là, pâles, exténués par la famine, fatigués d’une longue attente ; le respect les tient à distance, mais sur leur figure, généralement impassible, brille la joie ; leur regard étincelle, ils sont heureux. Le voici donc enfin ce père spirituel, ce premier pasteur qui leur envoie leurs missionnaires, ce successeur des apôtres, ce représentant de JÉSUS-CHRIST, cet aiamieganawabitch, dont ils ont entendu parler si souvent et qu’ils n’ont jamais vu, qui vient les visiter de si loin et qu’ils sont venus eux-mêmes rencontrer de leurs rivières et des profondeurs de leurs forêts aux retraites insondables. Benedictus qui venit in nomine Domini. Hosanna in excelsis !

« Il est sept heures et demie. Mgr Lorrain est à jeun, nous gagnons la chapelle, escortés d’une foule empressée qui nous précède, qui nous suit, qui nous environne et nous presse. La messe est dite au milieu de cantiques chantés à pleins poumons par cette population enthousiasmée ; pas une bouche qui reste muette, c’est enlevant.

« Après la messe, il faut, selon les rites du pays, toucher la main à tout le monde, en disant : « Koué, Koué, bonjour, bonjour » ; personne ne manque à cette cérémonie, les mères y présentent leurs enfants à la mamelle. Une femme sur le retour de l’âge, s’arrête, appuyée sur un bâton, devant Sa Grandeur.

« — Gardien de la prière, dit-elle, voilà trois jours
« que je n’ai pas mangé, j’ai peine à me tenir sur mes
« jambes ; pourtant je suis contente. J’ai voulu te
« voir et je te vois. Maintenant, tu vas me permettre
« de m’en aller là où il y a du poisson et des lièvres,
« car je ne veux pas mourir.

« — Tu ne t’en iras pas, répond l’évêque, et tu ne
« mourras point. Je vais te nourrir, et non seulement
« toi, mais aussi toute ta nation. »

« Et il donne à chaque chef de famille un ordre sur le fort, pour qu’on leur distribue une ration journalière. Il faut voir l’allégresse générale. Ils vont donc pouvoir assister aux exercices de la mission sans inquiétudes pour le vivre, dans l’abondance de toutes choses. Y a-t-il sur la terre un homme aussi riche et aussi généreux que le Gardien de la prière ! Pour eux, comme pour les Israélites, avec la grâce du ciel, leur arrive la graisse de la terre. »

La mission de Pontiac compte déjà près de 32,000 catholiques.

L'ÉPISCOPAT CANADIEN.

UVRONS cette nouvelle série de biographies épiscopales par le nom de S. É. le cardinal Taschereau, archevêque de Québec.

Né à Sainte-Maris de la Beauce (Canada), le 17 février 1820, il fit ses premières études au séminaire de Québec et vint à Rome, à l’âge de seize ans, pour suivre les cours de philosophie et de théologie de l’Université Grégorienne. De retour au Canada, il fut d’abord professeur au séminaire de Québec ; en 1847, il fut nommé missionnaire de la Grosse-Isle, ravagée à cette époque par la fièvre typhoïde. Il s’y dévoua avec un si grand zèle, qu’il fut frappé par la terrible épidémie. Au mois de septembre de la même année, le séminaire de Québec le comptait de nouveau parmi ses professeurs les plus distingués. Voulant compléter ses études de droit canonique, il revint à Rome, en 1852. Il entra alors au Séminaire français, fondé depuis peu et dont il fut l’un des premiers et des plus brillants élèves. A son retour de la Ville-Sainte, en 1856, il fut nommé


Son Éminece le Cardinal Éléazar-Alexandre TASCHEREAU, archevêque de Québec.


directeur du petit séminaire de Québec, puis recteur du Grand Séminaire et, en 1860, recteur de l'Université Laval. Deux ans après, Mgr Baillargeon, alors métropolitain de Québec, le nomma vicaire général. A la mort de ce prélat, tous les regards de l'épiscopat canadien tombèrent sur M. Taschereau, qui fut élu archevêque de Québec le 24 décembre 1870. Les bulles pontificales arrivèrent en cette ville le 23 février 1871. Mgr Taschereau fut sacré le 19 mars.

L’annonce de la promotion au cardinalat du digne pontife en 1886 fut saluée à Québec avec une explosion de joie à laquelle se sont associés tous les catholiques du Dominion. Cette promotion à la plus haute dignité de l’Église, juste récompense des travaux et des vertus du cardinal Taschereau, était aussi un honneur pour l’Église du Canada,qui n’avait pas encore fourni de membre au Sacré-Collège.




Mgr Lynch (Jean-Joseph),
Laszariste, archevêque de Toronto.

Avant de gouverner le diocèse de Toronto, Mgr Lynch prêta, soit comme vicaire-général, soit comme évêque coadjuteur, le plus actif concours à Mgr Armand-François-Marie de Charbonel, né à Monistrol en 1802, aujourd’hui capucin et archevêque titulaire de Sozopolis.

C’est en 1860 que Mgr Lynch succéda à Mgr de Charbonel démissionnaire et fut préconisé évêque de Toronto. Dix ans plus tard, il en était promu archevêque par suite de l’érection de ce siège en métropole.




Mgr BOURGET (Ignace),
ancien évêque de Montréal, archevêque titulaire de Martianopolis.
(1799-1885.)

« Soixante et treize ans ; trente-quatre d’épiscopat, et cinquante de sacerdoce. » C’est par ces mots que, en 1873, on saluait le 509 anniversaire de l’ordination de Mgr Bourget. « Ce saint vieillard, écrivait alors le Nouveau Monde de Montréal, a les cheveux blancs et soyeux ; les yeux bleu pâle, le regard doux et placide que donnent la vertu et l’habitude de la méditation ; le front haut, saillant, tous les signes de l’énergie dans le haut de la figure, et de la douceur dans la bouche, dans le sourire ; le teint frais et coloré de la jeunesse ; une physionomie pleine de bienveillance. »

C’est en 1821 que commença la vie publique de Mgr Bourget. Mgr Plessis ayant obtenu la division de son vaste diocèse, M. Lartigue, prêtre du séminaire de Saint-Sulpice, fut nommé évêque auxiliaire. Le nouveau prélat demanda à Mgr Plessis un secrétaire, et l’évêque de Québec lui indiqua un jeune ecclésiastique du collège de Nicolet. « On le dit un peu scrupuleux, ajoutait Mgr Plessis, mais nul ne fera mieux votre affaire. »

Ignace Bourget était né, le 30 octobre 1799, dans une concession de la Pointe-Lévis, connue sous le nom de « Arlaka ». L’humble maison où il vit le jour est devenue célèbre ; les gens de l’endroit la montrent avec orgueil au touriste curieux, en disant : « C’est là qu’est né Mgr Bourget. »

Son père, Pierre Bourget, était à la tête d’une famille de treize enfants ; Ignace était le onzième. Après avoir été à une école de la paroisse de Beaumont, il entra au séminaire de Québec et fut ordonné prêtre le 29 novembre 1822.

Le jeune secrétaire fut d’un grand secours à Mgr Lartigue ; son zèle, son activité et son dévouement lui gagnèrent en peu de temps la confiance de tous. Aussi lorsque, en 1836, Mgr Lartigue fut nommé évêque de Montréal, il se hâta de s'adjoindre comme coadjuteur celui qui, depuis dix ans, partageait ses labeurs. Le 25 juillet 1837, le modeste enfant de Lévis était consacré évêque de Telmesse, dans la nouvelle cathédrale, au milieu d’un concours immense du peuple et du clergé. Ce fut un grand jour, une fête brillante pour le diocèse.

Trois ans plus tard, la population de Montréal se pressait dans la même enceinte pour rendre ses derniers devoirs aux restes mortels de son premier évêque.

Son successeur était tout nommé d’avance. Mgr Bourget prit possession du siège épiscopal, le 23 avril 1840.

Il faudrait bien des pages pour raconter tous les bienfaits et les événements glorieux de son épiscopat, la fondation de nombreuses communautés, de maisons de charité et d’éducation, et d’une vingtaine de pieuses congrégations ; l’établissement dans le diocèse des membres de la Compagnie de Jésus et des RR. PP. Oblats, des Dames de la Providence, du Bon-Pasteur, de la Miséricorde, des Frères Joséphites et de Saint-Viateur, des Pères et Religieuses de Sainte-Croix ; l’institut des Sourds-Muets, la Société Sainte-Blandine, l’Hospice Saint-Joseph pour les prêtres vieux et infirmes, plusieurs salles d’asiles, etc.

En 1873, le vénérable vieillard demandait et obtenait un coadjuteur dans la personne de Mgr Fabre. Trois ans plus tard, il donnait sa démission comme évêque de Montréal, était nommé archevêque de Martianopolis et laissait à Mgr Fabre le soin de gouverner le diocèse.

Depuis lors Mgr Bourget vécut dans sa retraite du Sault-au-Récollet, retraite qui ne fut interrompue que par un voyage de quelques mois à la Ville Éternelle en 1881, et où il est mort le 8 juin 1885.

Mgr Bourget laisse après lui une mémoire impérissable et vénérée de tous ; les fidèles du diocèse de Montréal, en particulier, l’invoquent avec une confiance d’autant plus grande que, de son vivant même, ils attachaient à sa personne la vénération qu’on attribue aux saints.




Mgr LA ROCQUE (Charles),
évêque de Saint-Hyacinthe.
(1809-1875.)

Né au Canada, le 15 novembre 1809, et ordonné prêtre en 1832, Mgr La Rocque avait été nommé

Mgr BOURGET, archevêque titulaire de Martianipolis, ancien évêque de Montréal (Voir p. 79.)


Mgr LA ROCQUE, ancien évêque de Saint-Hyacinthe. (Voir p. 79.)


Mgr HORAN, ancien évêque de Kingston. (Voir p. 81.)


Mgr HORAN, ancien évêque de Kingston. (Voir p. 81.)

évêque de Saint-Hyacinthe le 20 mars 1866 et sacré le 29 juillet suivant. Il a légué à la corporation de l’évêché de Saint-Hyacinthe tous ses biens immobiliers.

« Mgr La Rocque, lisons-nous dans l’Année dominicaine (numéro de septembre 1875), a des titres spéciaux à notre reconnaissance, puisque c’est lui qui, reprenant les négociations commencées par ses deux prédécesseurs, nous a appelés à Saint-Hyacinthe. Si la Providence lui en eût laissé le temps, il aurait, sans aucun doute, donné un rapide essor à une œuvre qu’il avait tant à cœur d’asseoir et de développer. La mort l’en a empêché ; mais nous aimons à penser que le sentiment du bien qu’il avait souhaité l’aura soutenu et consolé à ses derniers moments. Il se plaisait à dire que l’installation des Frères-Prêcheurs dans son diocèse et au Canada, serait l’une des œuvres les plus importantes de son épiscopat. »

Il est mort dans sa résidence épiscopale, le 15 juillet 1875.

Ses obsèques ont eu lieu à Saint-Hyacinthe, au milieu d’un concours immense de clergé et de fidèles. Mgr Taschereau, archevêque de Québec, a célébré la messe, et Mgr Racine, évêque de Sherbrooke, a prononcé l’oraison funèbre.




Mgr HORAN (Édouard-Jean),
ancien évêque de Kingston.
(1817-1875.)

Mgr Édouard-Jean Horan, ancien évêque de Kingston (Canada), évêque de Chrysopolis in partibus, est mort à Kingston, le 15 février 1875.

Né à Québec, d’une famille irlandaise, le 26 octobre 1817, Mgr Horan fut ordonné prêtre le 22 septembre 1842. Il remplit successivement les fonctions de professeur et de directeur au séminaire de Québec, puis de supérieur de l’école normale. Lors de la création de l’université de Laval, il fut attaché à cet établissement. Après avoir rempli pendant plusieurs années les fonctions de secrétaire, il en fut nommé recteur en 1856.

Préconisé évêque de Kingston dans le Consistoire du 8 janvier 1858, en remplacement de Mgr Phelan, décédé, Mgr Horan fut sacré à Québec, dans l’église de Saint-Patrick, le 1er mai de la même année.

Au mois d’avril 1874, par suite du mauvais état de sa santé, il donna sa démission et reçut le titre d’évéque de Chrysopolis in partibus.

Les funérailles de l’ancien évêque de Kingston ont eu lieu à la cathédrale de Kingston le 19 février 1875. Mgr Lynch, archevêque de Toronto, administrateur provisoire du diocèse, a célébré l’office.




Mgr FARRELL (Jean Patrice),
ancien évêque d’Hamilton.
(1820-1873)

« C’était, disait un journal de Montréal, le jour de sa mort, un Irlandais de cœur et d’esprit, un amant de l’antique et toujours chère île d’émeraude, et un partisan très chaud de tout ce qui pouvait lui servir. Mais il détestait les agitateursqui trafiquent du patriotisme et de la générosité irlandaise, et voilà pourquoi le fénianisme américain avait en lui un ennemi déclaré. La mort d’un tel homme est une calamité publique, et lorsque le service funèbre sera chanté sur son cercueil, tous ceux qui l’ont connu sentiront qu’avec lui le Canada perd un de ses fils d’adoption les plus fidèles et les plus dévoués. »

Mgr Farrell naquit dans la ville d’Armagh (Irlande), le 2 juin 1820. Il demeura en cette ville jusqu’au jour où il émigra au Canada avec sa famille, qui alla se fixer à Kingston, en 1832.

Il fut ordonné prêtre à l’Assomption, en 1846.

Son évêque, remarquant en lui le génie d’un administrateur distingué, le nomma à la cure de Peterboro où il gouverna avec le plus grand zèle les âmes qui lui étaient confiées.

Les catholiques de Peterboro ont exprimé, dans une adresse qu’ils lui ont présentée lors de sa promotion à l’épiscopat, toute leur reconnaissance pour le bien immense qu’il avait fait, pendant son séjour au milieu d’eux.

En 1856, l’Église catholique de Toronto, trop considérable pour qu’un seul évêque pût l’administrer, fut divisée en trois diocèses, savoir : Toronto, Hamilton et London. Et, par un vote unanime des prélats du Canada, M. John Farrell, fut jugé digne d’être élu à l’un de ces nouveaux sièges épiscopaux. En conséquence, son nom pour le diocèse d’Hamilton et celui de M. Pinsonnault pour celui de London furent envoyés à Rome. Puis, en vertu des lettres apostoliques du Souverain Pontife, le poste d’évêque du diocèse d’Hamilton lui fut donné, et il fut sacré dans la cathédrale de Kingston, le 11 mai 1856.

Mgr Farrell arriva à Hamilton le 24 mai de la même année. Quand il prit possession du siège

Mgr TACHÉ, des Oblats de Marie-Immaculée, archevêque de Saint-Boniface. (Voir p. 69, 70, 71 et 83.


Mgr GRANDIN, des Oblats de Marie-Immaculée, évêque de St-Albert. (Voir p. 71 et 85.)


Mgr GUIGUES, des Oblats de Marie-Immaculée, ancien évêque d'Ottawa. (Voir p. 83.)


Mgr Louis d'HERBOMEZ, des Oblats de Marie-Immaculée, vicaire apostolique de la Colombie britannique. (Voir p. 69 et 85.)

épiscopal, il n’y avait, à l’endroit où s’élève aujourd’hui la cathédrale Sainte-Marie, qu’une petite église. Il fit alors circuler des listes de souscription dans son diocèse, et, en 1859, il était prêt à commencer le splendide édifice qui fait aujourd’hui l’un des plus beaux ornements d’Hamilton.

En mars 1862, il fit sa première visite officielle à Rome et y retourna en 1865. Il était présent aux cérémonies du centenaire des saints apôtres Pierre et Paul, en 1867. Son dernier voyage à Rome eut lieu en 1869, pour assister au concile du Vatican. Dans toutes ces occasions, les fidèles qui composaient son troupeau lui ont présenté des adresses d’adieu et de bienvenue, dans lesquelles ils exprimaient tout l’amour qu’ils lui portaient.




Mgr TACHÉ (Alexandre),
des Oblats de Marie Immaculée,
archevêque de Saint-Boniface.

Ce prélat, qui gouverne depuis trente-cinq ans l’Église de Manitoba, est Canadien de naissance. Né à Rivière du Loup (diocèse de Québec) le 23 juillet 1823,il fut élevé à l’épiscopat à l’âge de 27 ans, sur la demande du vénérable Mgr Provencher qui le voulait pour coadjuteur. Deux ans après, il succédait au pieux prélat. En 1871 il fut promu archevêque.

M. H. de Lamothe, dans son livre intitulé : Cinq mois chez les Français d’Amérique, fait de larges emprunts aux ouvrages de Mgr Taché, et il nous donne le portrait suivant de l’archevêque de Saint-Boniface :

« L’archevêque catholique romain de Saint-Boniface, Mgr Taché, frère du ministre de l’Agriculture et de l’Émigration à Ottawa, ne se trouvait point à la Rivière-Rouge, lors de mon voyage. Je l’avais vu à Montréal et à Ottawa où il était allé rétablir une santé ébranlée par vingt et quelques années de missions dans la région du Nord-Ouest. À mon sentiment, et ceci, je le dis en dehors de toute préoccupation religieuse, ce prélat, dont l’influence s’étend sur toute la population canadienne et métisse française, ainsi que sur une bonne partie des Indiens de son immense diocèse, est un de ces hommes vraiment supérieurs dont la rencontre laisse une impression aussi durable que profonde. Si notre nationalité représentée par douze ou quinze mille métis, hier encore sans cohésion, sans instruction, sans vue d’avenir, parvient à se maintenir entre la rivière Winnipeg et les Montagnes-Rocheuses, l’histoire dira sans doute un jour dans quelle large mesure l’archevêque de Saint-Boniface aura contribué à ce résultat. Ce qu’il a conçu, tenté, opéré pour l’amélioration morale et matérielle du pays au temps où gouvernait la Compagnie de la baie d’Hudson : ce qu’il a dépensé d’énergie, pendant les troubles occasionnés par l’annexion, pour maintenir sur le terrain de la légalité une résistance que des provocations insensées pouvaient d'un moment à l’autre faire dégénérer en lutte ouverte ; demanderait, pour être exposé fidèlement, plus d’espace que n’en comporte ce livre. Peu d’hommes connaissent aussi complètement que lui l'immense réseau de forêts et de prairies dont se composent son diocèse et ceux de ses deux suffragants, l’évêque de Saint-Albert sur la Saskatchewan et le vicaire apostolique du fleuve Mackensie. Le petit opuscule d’une grande simplicité de forme qu’il a publié en 1868, sous le modeste titre d’Esquisse sur le Nord-Ouest de l’Amérique, est très certainement le recueil le plus complet et le plus exact de renseignements hydrographiques, ethnologiques, botaniques, zoologiques, sur cette vaste région, qui ait jamais été publié dans notre langue, et je doute que, parmi les nombreux ouvrages anglais sur le même sujet, il en existe qui lui soient réellement supérieurs. Ajoutons dans son ministère, Mgr Taché a pour collaborateurs des hommes d'un zèle et d'un savoir remarquables.

« Tels sont, entre autres, Mgr Grandin, un Oblat français, aujourd’hui évêque de Saint-Albert, le Père Lacombe, auteur de travaux consciencieux sur les idiomes de diverses tribus indiennes, Mgr Faraud, vicaire apostolique de la Rivière Mackenzie. »




Mgr GUIGUES (Joseph-Eugène-Bruno),
des Oblats de Marie Immaculée,
ancien évêque d’Ollawa.
(1805-1874.)

Ce prélat distingué fut véritablement le fondateur de l’évêché d’Ottawa. Placé à ce moment dans une ville relativement pauvre, il dut déployer toutes les ressources de son génie pratique et administratif pour établir sur des bases solides le siège épiscopal de son diocèse. C’est grâce à lui que tant d’églises se sont élevées dans les campagnes de la rive nord de l’Ottawa. Aujourd’hui, ces clochers de village qui frappent les yeux sur toute l'étendue du plateau des Laurentides,

Mgr FARAUD, des Oblats de Marie-Immaculée, vicaire apostolique de l'Athabaska Mackenzie. (Voir p. 71 et 85.


Mgr CLUT, des Oblats de Marie-Immaculée, auxiliaire de Mgr Faraud. (Voir p. 71, 73 et 85.)


Mgr LORRAIN, vicaire apostolique de Pontiac. (Voir p. 75.)


Mgr LA FLÈCHE, évêque des Trois-Rivières. (Voir p. 85.)


entre Saint-André d'Argenteuil et ottawa, sont autant de monuments destinés à perpétuer son souvenir et à le graver dans le cœur de la population canadienne.

Joseph-Eugène-Bruno Guigues était né à Gap, le 26 août 1805. Il entra dans la Congrégation naissante des Oblats de Marie- Immaculée, où il fit profession le 4 octobre 1824. Ordonné prêtre le 26 mai 1828, le R. P. Guigues évangélisa, pendant vingt-cinq ans, les diocèses de Marseille, d'Aix, de Fréjus, de Digne, de Gap, de Valence et de Grenoble. Il était supérieur de la résidence de Notre-Dame de l'Osier (diocèse de Grenoble), lorsque Mgr de Mazenod, supérieur général des Oblats, l'envoya au Canada, en qualité de visiteur de la Congrégation. Le R. P. Guigues arriva au Canada au mois d'août 1844. Trois ans plus tard, le 9 juillet 1847, il était élevé à la dignité épiscopale, et, le 30 juillet 1848, Mgr Gaulin, de Kingston, le consacrait premier évêque de Bytown ou Ottawa dans la cathédrale de cette ville. Il y est mort le 8 février 1874.




Mgr GRANDIN (Vital-Justin)
des Oblats de Marie-Immaculée,
évêque de Saint-Albert.

Né à Saint-Pierre-la-Tour, diocèse du Mans, le 8 février 1829, il fut élevé à l'épiscopat sous le titre de Satala, le 21 décembre 1857 et transféré au siège de Saint-Albert, le 22 septembre 1871.




Mgr FARAUD (Henri-Joseph),
des Oblats de Marie-Immaculée,
évêque titulaire d'Anemour, vicaire apostolique
de l'Athabaska-Mackenzie.

Né à Gigondas (diocèse d’Avignon), le 17 mars 1823, il fut nommé le 8 mai 1862 vicaire apostolique de l’Athabaska-Mackenzie et sacré évêque d’Anemour sur le tombeau de saint Martin à Tours, le 30 novembre 1863. Depuis quarante ans ce vénéré prélat évangélise les sauvages tribus du nord de l’Amérique. (Voir p. 71 et 72.)




Mgr CLur (Isidore),
des Oblats de Marie Immaculée,
évêque titulaire d’Arindel, auxiliaire de Mer Faraud.

Nous avons cité au chapitre précédent d’intéressants extraits d'une lettre de ce vaillant prélat qui travaille depuis de si longues années dans la mission de l'Athabaska-Mackenzie et rappelé, page 71, ses débuts dans le ministère apostolique.

Né dans le diocèse de Valence, le 11 février 1822, il fut nommé, le 3 août 1864, auxiliaire de Mgr Faraud et sacré, le 15 août 1867, à la mission de la Providence, sur les bords du Grand Lac des Esclaves.




Mgr D’HERBOMEZ (Louis-Joseph),
des Oblats de Marie-Immaculée,
évêque titulaire de Mélitopolis et vicaire apostolique de la Colombie britannique.

La Colombie britannique faisait partie du diocèse de Saint-Albert, lorsque y arrivèrent les premiers Pères Oblats. En 1863, le R. P. d’Herbomez qui dirigeait les diverses missions fondées par les religieux de Sa Congrégation, fut choisi par le Saint-Siège pour être le premier évêque de cette grande province.

Né à Brillon (diocèse de Cambrai), le 17 janvier 1822, Mgr d’Herbomez fut nommé vicaire apostolique le 22 décembre et sacré le 9 octobre 1864.




Mgr La FLÈCHE (Louis),
évêque de Trois Rivières.

D’abord coadjuteur du premier évêque de Trois Rivières, Mgr Cooke (1852-1870), Mgr La Flèche gouverne depuis dix-sept ans le beau diocèse enclavé entre les archevêchés de Québec et de Montréal.




Mgr Connozzy (Thomas-Louis),
de l’Ordre des Frères-Mineurs Capucins,
archevêque d’Halifax.
(1814-1876.)

Il était né à Cork (Irlande), en 1814. Après avoir fait ses études à Rome, où il entra dans l’Ordre des Frères Mineurs Capucins, il vint en France et fut ordonné prêtre à Lyon, en 1838. Il remplit ensuite, pendant quatre années, les fonctions du ministère paroissial à Dublin, et, en 1842, il partit pour Halifax, en qualité de secrétaire de Mgr Walsh, archevêque. Nommé vicaire général et administrateur de ce diocèse en 1845, il fut, le 5 mai 1852, appelé par Pie IX au siège épiscopal de Saint-Jean du Nouveau-Brunswick, en remplacement de Mgr Dollard. Le 15 avril 1850, il était transféré à l’archevêché d’Halifax.

En 1876, Mgr Connolly mourut.
Mgr CONNOLLY, ancien archevêque d'Halifax. (Voir p. 85.)


Mgr MAC-KINNON, archev. d'Amida, ancien évêque d'Arichat. (Voir p. 87.)


Mgr MAC-INTYRE, évêque de Charlottetown. (Voir p. 87.)


Mgr SWEENY, évêque de St-Jean du Nouveau-Brunswick. (Voir p. 87.)

Ses obsèques eurent lieu le 31 juillet, à la cathédrale Sainte-Marie, à Halifax, avec un concours immense de clergé, de fidèles et de Protestants. On y remarquait NN. SS. Sweeny, évêque de Saint-Jean du Nouveau-Brunswick, Rogers, évêque de Chatam, Mac-Intyre, évêque de Charlottetown, Healy, évêque de Portland, et Cameron, coadjuteur de Mgr l’évêque d’Arichat.

Par ses hautes qualités d’intelligence et de cœur, par son zèle et son dévouement, Mgr Connolly s’était acquis le respect et l’affection de tous ; sa mort est un deuil pour les protestants comme pour les catholiques de la Nouvelle-Écosse.




Mgr Mac-Kinxon (Colin),
archevêque titulaire d'Amida, ancien évêque
d’Arichat.
(1811-1870.)

Le diocèse d’Arichat, démembré d’Halifax en 1844, comprend les trois comtés de la partie Nord-Est de la Nouvelle-Écosse, et l’île du Cap Breton avec ses dépendances. La ville d’Arichat est dans l’île Madame, île petite mais très peuplée, située au sud de l’île du Cap Breton.

Mgr Mac-Kinnon était né dans la Nouvelle-Écosse, en 1811. Il fit ses études ecclésiastiques au collège Urbain de la Propagande. Après la mort de Mgr Fraser, premier évêque d’Arichat, il fut choisi, le 11 novembre 1851, pour lui succéder : il reçut la consécration épiscopale le 24 février 1852. L’activité de son zèle se montra particulièrement dans la construction des églises, dans l’établissement d’un séminaire, d’un collège, de plusieurs couvents de religieuses consacrés à l’éducation, et surtout dans la création d’un très grand nombre d’écoles.

En 1870, Mgr Mac-Kinnon profita de sa présence à Rome, à l’occasion du concile, pour demander au Saint-Père un coadjuteur, que l’affaiblissement déjà ancien de ses forces rendait absolument nécessaire. Son vicaire général, M. Jean Cameron, fut nommé le 17 mars et sacré dans l’église de la Propagande par le cardinal Cullen, le 22 mai 1870, évêque de Titopolis in partibus infidelium, et coadjuteur avec future succession. Mais, quelques années plus tard, l’épuisement de sa santé obligea l’évêque d’Arichat à solliciter la résignation de son siège. Au printemps de 1877, il se rendit à Rome, où il fit agréer sa démission le 17 juillet. Pie IX, désirant reconnaître ses nombreux et importants services rendus à l’Église, l’éleva à la dignité archiépiscopale avec le titre d’archevêque d’Amida.

Mgr Mac-Kinnon continua de résider jusqu’à sa mort à Antigonish, qu’il avait habité durant tout son épiscopat. Il y est mort d’une attaque de paralysie, le 26 septembre 1879. Il était âgé de soixante-neuf ans et comptait vingt-huit ans d’épiscopat.




Mgr MAC-INTYRE (Pierre),
évêque de Charlottetown.

Ce vénérable prélat a été nommé, le 8 mai 1860, évêque du beau diocèse de Charlottetown qui embrasse l’île du Prince-Édouard et les îles Madeleine. Il a été sacré le 15 août de la même année.




Mgr SWEENY (Jean),
évêque de Saint-Jean du Nouveau-Brunswick.

Ce prélat a eu beaucoup à souffrir de l’intolérance des protestants depuis vingt-huit ans qu’il gouverne le diocèse de Saint-Jean du Nouveau-Brunswick.

Mgr Sweeny écrivait, de sa résidence, le 6 février 1872 :

« Mon diocèse a 80 lieues de long sur 60 de large. La population catholique est de 66,000 âmes, le nombre des protestants atteint le double de ce chiffre.

« Nous avons à Saint-Jean, un orphelinat avec 50 enfants, confiés aux soins des Sœurs de la Charité ; les offrandes des fidèles et les aumônes de l’Œuvre de la Propagation de la Foi constituent nos seules ressources. Les écoles gratuites des Sœurs sont fréquentées par 500 petites filles. Les Frères de la Doctrine chrétienne, au nombre de treize, font gratuitement la classe à 650 enfants. Nous avons aussi, à Saint-Jean, un couvent des religieuses du Sacré-Cœur, et une académie commerciale et classique, qui est dirigée par un prêtre et par deux Frères. Le séminaire diocésain compte deux diacres et sept étudiants. Enfin, nous avons trois conférences de la Société de Saint-Vincent de Paul : deux à Saint-Jean, une à Frédérictown.

« Notre législature provinciale a fait, l’an dernier, une loi qui établit les écoles libres et communes où l’enseignement de la doctrine chrétienne est défendu, et d’où sont exclus nos Frères et nos religieuses ; et, par cette loi, les catholiques sont obligés de payer une surtaxe pour faire bâtir et soutenir ces écoles antichrétiennes. »

ÉTATS-UNIS.

Histoire religieuse des États-Unis. Merveilleux progrès de la foi.

'EST l’Église de France qui est, à dans toute la force du terme, la mère de l’Église d’Amérique. Elle l’a enfantée dans les travaux et les souffrances de ses Jésuites et de rap ses Récollets, et dans le sang de ses martyrs. L’intolérance protestante arrêta longtemps les progrès de la foi ; mais, en 1796, une trêve générale mit fin au régime de persécution. L'esprit religieux se réveilla, cet esprit profondément chrétien, encore aujourd’hui si vivace, qui a été incontestablement une des causes les plus puissantes de la prospérité du peuple des États-Unis. Le troupeau fidèle ne comptait guère alors que 50.000 âmes ; il prit un accroissement rapide. La participation de l'armée française à la guerre de l'indépendance acheva de faire tomber en désuétude toutes les prohibitions légales contre la prédication du catholicisme.

Le Pape Pie VI put ériger, en 1789, l'évêché de Baltimore ; il nomma pour l'occuper un jésuite, désigné par Franklin, le P. Caroll (1735-1815), d'une illustre famille du Maryland. La consécration de ce premier évêque des États-Unis eut lieu en 1790, au temps même où la vieille France chassait Dieu de ses sanctuaires et forçait ses pontifes à mendier le pain de l'exil. En 1791, Mgr Caroll tint son premier synode diocésain ; tous ses prêtres y assistèrent, ils étaient au nombre de 22. Trois ans plus tard, Pie VI créait


ÉTATS-UNIS. — CINCINNATI EN 1802. (Voir p. 95.)


un deuxième évêché à la Nouvelle-Orléans pour les catholiques du sud. Un grand nombre de prêtres, émigrés de France, commençaient dès lors, par leurs prédication et leurs exemples, le mouvement de cette restauration catholique dont l'éclat jaillit sur notre patrie. Qui n'a entendu parler des Dubourg, des Flaget, des David, des Cheverus ?...

En 1822, à l'époque de la fondation de l'Œuvre de la Propagation de la Foi, l'immense territoire de l'Union américaine, aussi grand que l'Europe, ne formait encore que huit diocèses ; Baltimore, la Nouvelle-Orléans et six nouveaux sièges érigés par Pie VIII : New-York, Boston, Philadelphie et Bardstown (1808), Charleston (1820), Cincinnati (1821). La population catholique ne dépassait pas le chiffre de 500,000 âmes. Le nombre des prêtres était de 230.

Une pensée de généreuse sympathie pour les jeunes missions de l’Amérique du nord a été, on le sait, précisément une des causes de la création de cette Œuvre. L’Église des États-Unis a reçu les encouragements, les oboles et les prières des premiers associés, les premières gouttes de cette rosée, qui devait un jour se répandre plus abondante sur un champ sans limites, » selon la belle expression d’Ozanam.

Les dons de l’Œuvre ont été la principale source où ont puisé les évêques américains. Quelle consolation pour les associés de la Propagande de la Foi d’apprendre que les deniers envoyés, depuis soixante ans seulement, à leurs frères des États-Unis, forment déjà un total de plus de 24 millions de francs ! Que d'églises, de séminaires, d'écoles, de maisons religieuses, d'hôpitaux, etc., ont été élevés avec ce royal budget de leur charité ! Quelle satisfaction pour eux d'avoir contribué dans une si large mesure au merveilleux épanouissement de la vraie foi dont nous sommes actuellement les témoins !

Aujourd’hui que la situation de la plupart des diocèses américains est prospère, les évêques, se souvenant de l’assistance spirituelle et matérielle qu'ils ont reçue de l’Œuvre nourricière des missions aux jours difficiles du passé, se préparent à lui envoyer annuellement un généreux tribut de prières et d'aumônes, qui profitera aux peuples encore privés de la divine lumière de l'Évangile. Son Ém. le cardinal archevêque de New-York adressait, il y a quelques années, à ses diocésains, un pressant appel en faveur de la Propagation de la Foi. A la suite du vénérable archevêque, d'autres prélats ont également recommandé notre Œuvre, et tout fait espérer que ces exemples seront suivis dans tous les diocèses.

Pie VII avait créé six évêchés ; Léon XII ajouta deux noms à la hiérarchie des États-Unis : Mobile (1824) et Saint-Louis (1826).

Cependant, des rives de l’Ohio aux frontières du Canada, de l’Océan au Mississipi, le nombre des catholiques se multipliait. Le temps était venu de constituer, sur une base plus large, la première organisation ecclésiastique. Grégoire XVI, comprenant la nécessité d’imprimer aux travaux des missionnaires une impulsion plus forte, doubla le nombre des évêchés : Détroit (1832), Vincennes (1834), Dubuque, Nashville, Natchez (1837), Pittsburg, Little-Rock(1843), Hartford (1844). Dès l’année 1833, ce grand pape avait érigé Cincinnati en métropole. En même temps, il encourageait la réunion fréquente des membres de l’épiscopat dans des conciles, dont l’influence fut si efficace.

Si l’on cherche sur une carte les villes épiscopales déjà énumérées, on remarquera que toutes sont situées dans la partie orientale des États-Unis. Il ne faudrait pas en conclure que les immenses territoires du Far West, compris entre la rive droite du Mississipi et le Pacifique étaient alors entièrement privés des enseignements évangéliques. Plus d’un vaillant missionnaire parcourait déjà d’un pas intrépide, la croix à la main, les savanes du Texas, les forêts vierges du Territoire indien, les déserts de l’Arizona et du Nouveau Mexique, les plaines de l’Utah et du Nébraska, les abrupts sentiers des Montagnes Rocheuses, les versants aurifères de la Sierra Névada, les campagnes de la Californie : héroïques soldats qui reculaient au nord, à l’ouest et au midi les bornes du domaine de la sainte Église. Aussi, en 1844, Grégoire XVI sanctionnait ces lointaines conquêtes et les rattachait à un centre commun en choisissant la ville d’Orégon-City, près du rivage de l’Océan Pacifique, pour la résidence d’un vicaire apostolique. À la même époque, il envoyait des évêques à deux villes du nord, Chicago et Milwaukee, l’une et l’autre sur les bords du grand lac Michigan.

À l’avènement de Pie IX à la chaire de Saint-Pierre, les vingt-deux circonscriptions ecclésiastiques (21 diocèses et 1 vicariat) des États-Unis comptaient 1,164 prêtres, 1,267 églises ou chapelles et 1,300,000 catholiques. La longue énumération des quarante-neuf diocèses, vicariats ou préfectures, créés par lui n’apprendrait rien au lecteur. Contentons-nous de nommer les neuf évêchés, dont il fit des métropoles : Saint-Louis (1847) ; New-York, la Nouvelle-Orléans, Orégon-City (1850) ; San-Francisco (1853) ; Philadelphie, Boston, Milwaukee, Santa-Fé (1875).

À la fin de l’année 1869, cinquante-neuf prélats traversèrent l’Atlantique pour aller prendre part aux délibérations du Concile du Vatican. En 1875, l’un des plus vénérés et des plus aimés parmi eux prenait place pour la première fois dans l’auguste sénat de l’Église universelle : Mgr Mac-Closkey, archevêque de New-York, était revêtu de la pourpre romaine. En ouvrant les portes du Sacré-Collège à un membre du clergé américain, Pie IX accordait une faveur, plusieurs fois sollicitée par les présidents de l’Union, noblement jaloux de tout ce qui pouvait rehausser le prestige de leur pays. Il obéissait aussi à une inclination de son cœur.

En effet, pendant son règne mémorable, Pie IX ne cessa de témoigner sa sollicitude pour le bien spirituel des populations du Nord de l’Amérique. Les magnifiques progrès du catholicisme dans ce pays de liberté le comblaient de joie, et il pouvait répéter après Grégoire XVI, et avec plus de raison encore, que « dans aucun pays du monde, il ne se sentait plus pape qu’aux États-Unis. »

Lorsque, en 1878, le doux et bien-aimé Pontife s’endormit dans la gloire de ses épreuves, il pouvait consoler sa grande âme attristée des défections de la vieille Europe, en portant ses regards sur cette race jeune et énergique de l’extrême Occident, que le mystérieux travail de la grâce rapprochait de plus en plus de la vérité, sur ces quarante millions d’âmes, dont six millions se glorifiaient déjà d’être ses enfants.

S. S. Léon XIII, qui, pendant dix années d’un règne glorieux, a multiplié les preuves de son amour pour l’Œuvre de la Propagation de la Foi, devait encourager le mouvement des conversions dans les 38 États et les 8 territoires de l’Union américaine. Par lui ont été créés une quinzaine de diocèses nouveaux, et Chicago fut érigé en métropole.

En 1884, un concile national, qui réunit dans la métropole de Baltimore tous les pontifes des Unis, permit d’apprécier les immenses développements de la foi catholique dans l’étendue de l’Union et, par d’excellentes mesures votées par les Pères du synode, en prépara de nouveaux.

Voici la traduction d’un compte-rendu qu’a donné une feuille protestante, le Morning Herald, de l’ouverture du Concile. Parlant de la procession qui se rendait du palais archiépiscopal à la cathédrale, l’organe protestant dit :

« Cette démonstration n’a été égalée en grandeur par aucune autre démonstration religieuse en ce pays, et même probablement n’a été surpassée que par les plus imposantes cérémonies d’ouverture des Conciles dans le vieux monde. Au moins mille dignitaires faisaient partie de la procession, laquelle était remarquable, non seulement par le nombre, mais encore par la haute distinction de ceux qui y prenaient part.

« Réunis dans le Grand Séminaire de Baltimore, qui fut, il y a dix-huit ans, le théâtre d’une démonstration de même nature, ceux qui gouvernent l’Église sur les lointains rivages du Pacifique siégeaient à côté de leurs pairs, les dignitaires des sièges illustres de la Nouvelle-Orléans, de Philadelphie, de Baltimore. Plusieurs d’entre eux se voyaient pour la première fois.

« Des régions brûlantes du Nouveau-Mexique, des pays situés même au-delà de Santa-Fé, sont venus des hommes au teint cuivré dont les figures dénotent l’ascétisme et la haute science. Ils se trouvent réunis à leurs collègues, non moins brillamment doués, revêtus d’un caractère non moins auguste et de qualités non moins éminentes, des régions septentrionales du Montana, du Minnesota et du Michigan.

« Les dignitaires d’origine française s’entretenaient avec les prélats anglais, avec les pontifes espagnols, avec les allemands, et par là donnaient une preuve de la haute sagesse de l'Église leur mère qui a perpétué chez les prêtres la langue latine comme langue universelle de la hiérarchie catholique, établissant par là un lien qui unit ensemble les fidèles de toutes les nationalités. »

Quelque magnifiques que soient les résultats déjà obtenus par notre sainte religion, il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte pour apprécier l'étendue des conquêtes que lui réserve l'avenir. Ces territoires de l'Ouest et du Sud, populeux, et grands comme la France, qui ne forment qu'un vicariat ou un préfecture apostolique, sont appelés à devenir autant de provinces ecclésiastiques.

Voici, d'après les dernières statistiques, l'état actuel du catholicisme dans la grande république américaine : 80 diocèses ou vicariats, administrés par 12 archevêques et 65 évêques ; 7700 prêtres, 1700 étudiants ecclésiastiques, 10,200 églises ou chapelles, 38 séminaires 89 collèges, 594 académies, 2,700 écoles paroissiales, fréquentées par 538,000 enfants, 300 asiles et 140 hôpitaux.

On peut dire que tous les Ordres religieux sont représentés aux États-Unis. Les Franciscains (arrivés en 1528), les Dominicains (en 1539), les Jésuites (1565), les Augustins, les Sulpiciens (1790), les Bénédictins (1805), les lazaristes (1816), les Frères des Écoles chrétiennes, les Oblats, les Maristes, etc., y possèdent de nombreuses maisons. La Compagnie de JÉSUS seule y compte trente résidences, vingt collèges florissants et un millier de religieux. Quant aux différentes congrégations de femmes, une publication récente en énumère 45, depuis les Ursulines, introduites en 1727, jusqu'aux Petites Sœurs des Pauvres, arrivées en 1868.

La presse catholique compte actuellement une quarantaine d'organes, anglais, français, allemands, espagnols, italiens, polonais.

La population catholique dépasse aujourd'hui sept millions d'âmes.

« Le catholicisme est aujourd'hui la confession religieuse qui compte aux États-Unis de beaucoup le plus grand nombre d'adhérents, écrivait, en 1875, M. Claudio Janet ; et l'on comprend les forces croissantes qu'il acquiert quand on compare la vigueur de son organisation et de ses principes avec le fractionnement indéfini et la décomposition intérieure du protestantisme. »

ARCHIDIOCÈSES DE L'EST.

New-York. Baltimore. Cincinnati. Philadelphie. Saint-Louis. Chicago. Milwaukee. Boston.


E pouvant, faute de place, consacrer un article à chacun des quatre-vingts diocèses de la grande République d’outre-Atlantique, nous nous bornerons à quelques lignes sur chacune des métropoles.

New-York. — New-York n’est pas la capitale officielle des États de l’Union américaine ; mais sa position privilégiée lui assure à jamais la suprématie sur toutes les autres villes, ses rivales. C’est elle qui reçoit l’immense majorité des immigrants aux États-Unis, car elle entretient des communications régulières, par paquebots, avec Liverpool, Londres et le Hâvre ; elle forme, selon une heureuse expression, la tête du pont qui relie le vieux continent au nouveau.

Bâtie à la pointe méridionale de l’île Manhattan, au confluent de l’Hudson et de la rivière de l’Est, au fond d’une grande baie, elle comprenait, en 1870, 950,000 habitants, et en 1875, plus d’un million, sans parler de Brooklyn, son ancien faubourg qui, à lui tout seul, possède plus de 500,000 âmes. C’est la troisième ville du monde pour ses richesses et sa population. La portion relativement nouvelle de New-York se compose de rues larges, parallèles, coupées perpendiculairement


NEW-YORK. — CATHÉDRALE DE SAINT-PATRICE. (Voir p. 92.)


par de magnifiques avenues. La rue de Broadway qui mesure 4 kilomètres de long et 26 mètres de large, n’a pas sa pareille à Londres, ni à Paris. Près de deux cent cinquante églises, appartenant à différents cultes, sont disséminées dans les nombreux quartiers de la ville. Le port est incessamment sillonné par les navires ; nulle part, si ce n’est à Londres, l’activité commerciale ne se montre d’une façon aussi saisissante.

Les premières fondations de New-York furent jetées en 1621, par des Hollandais qui avaient établi des colonies sur les bords de l’Hudson ; ils lui donnèrent le nom de Nouvelle-Amsterdam : ce n’était qu'un hameau formé d’un petit nombre de cabanes ; notre gravure, p. 92, le représente tel qu’il était à la fin de la domination hollandaise. Dépossédés en 1664, par les troupes du duc d’York, plus tard Jacques II, qui prétendait avoir des droits sur ce territoire, parce que Hudson, navigateur anglais, mort en 1611, l’avait reconnu le premier, ils réussirent à le reconquérir en 1673, mais le perdirent définitivement l’année suivante. New-Amsterdam fut alors appelé New-York, et ce dernier nom est devenu celui de l’État le plus étendu, le plus peuplé, le plus riche de l’Union américaine.

Les premiers évêques de New-York furent NN. SS. Concanen (1808-1810), Connolly (1814-1825), Dubois (1826-1842), Hugues (1842-1864), Mac-Closkey (1864-1885). Quelques notes biographiques sur ce dernier prélat dont le souvenir est encore si vivant aux États-Unis.

A la fin de ses études, qui furent très brillantes Mgr Mac-Closkey se décidait à embrasser la carrière ecclésiastique. Mgr Dubois lui conféra l'ordination sacerdotale en 1834. Le jeune prêtre se rendit alors à Rome où il suivit, deux années durant, les cours de l'Université grégorienne ; il revint ensuite à New-York, où il remplit différentes fonctions avec la plus grande distinction. Il était supérieur du collège de Fordham, aujourd'hui confié aux PP. Jésuites, lorsque son ancien condisciple, Mgr Hughes, évêque de New-York (1842-1864), l'appela à partager les charges de l'administration épiscopale.

Préconisé évêque d'Axieri in partibus, le 23 novembre 1843, il fut sacré le 10 mars 1844. Trois ans plus tard, à la création du diocèse d'Albany, détaché de celui de New-York, Mgr Mac-Closkey était transféré à ce nouveau siège. Pendant dix-sept années, il se dévoua à son troupeau avec un zèle dont le souvenir est toujours vivant. En 1864, Rome le jugea digne de succéder au grand prélat dont un auteur protestant n'a pu s'empêcher de faire ce magnifique éloge : « Si New-York est catholique romaine, c'est le génie et l'énergie de l'archevêque Hughes qui l'ont faite ainsi. » Loin de se montrer inférieur à son illustre prédécesseur, il sut donner une impulsion plus grande à toutes les œuvres établies, en créer de nouvelles et soutenir


VUE DE NEW-YORK EN 1664, d'après une gravure américaine. (Voir. 91.)


le mouvement religieux qui a porté à plus de 600,000 âmes le chiffre de la population catholique de New- York.

L'œuvre qu'il avait le plus à cœur, joie de mener à bonne fin,c'était la cathédrale de Saint-Patrice dont Mgr Hughes avait posé la première pierre en 1858. De style ogival du XIIIe siècle, elle est bâtie en marbre blanc et mesure 111 mètres de long sur 58 de large. Ses deux flèches ont aussi 111 mètres de hauteur. Elle est située dans Fifth avenue, la plus belle rue de New-York. Cette merveille de l'architecture religieuse en Amérique a coûté plus de vingt années de travaux. La consécration donna lieu, en 1879, à une fête telle qu'on n'en avait jamais vu de semblable aux États-Unis. Six archevêques, trente-six évêques, plus de trois cents prêtres, et des représentants de tous les Ordres religieux assistaient à la solennité présidée par S. Ém. le cardinal Mac-Closkey.

L'illustre archevêque avait été, en effet, revêtu de la pourpre romaine quatre ans auparavant. Dans le consistoire du 13 mars 1875, S. S. Pie IX l'avait créé cardinal du titre de Sainte-Marie de la Minerve. Les Américains, honorés eux-mêmes par l'élévation de leur compatriote à cette dignité éminent, lui firent à cette occasion une ovation enthousiaste. C'était la première fois qu'un prélat américain prenait place au Sacré Collège.

Les obligations toujours croissantes de sa charge épiscopale, obligèrent le cardinal à demander un auxiliaire au Saint-Siège. Le nombre des églises et des prêtres en effet, doublé depuis l'arrivée à New-York de Mgr Mac-Closkey ; d'autre part, le chiffre considérable de conversions et le flot continu d'immigrants, qui se dirigent de l'Irlande et du continent européen vers l'embouchure de l'Hudson, ne cessait d'augmenter la population catholique de la grande cité.

Mgr Mac-Closkey s'endormit dormit dans le Seigneur à la fin de l'année 1885 et son coadjuteur, Mgr Corrigan, prit en mains l’administration de l'important archidiocèse.


Baltimore. — Le plus haut personnage de la hiérarchie américaine est actuellement S. Ém. le cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore. L'éminent prélat rendait dernièrement hommage aux œuvres catholiques françaises en des termes que nous sommes heureux de reproduire. que nous sommes heureux de reproduire.

« Dernièrement, disait-il, je me suis rendu en France, afin de visiter quelques-unes des maisons-mères


ÉTATS-UNIS. — CINCINNATI EN 1880. (Voir p. 95.)


qui ont des établissements dans notre diocèse. Ceci va peut-être vous causer quelque surprise, mais il n'en est pas moins vrai qu'il existe dans cette ville de Baltimore, quinze institutions dont le berceau est en France. Chère vieille France catholique ! Elle est aujourd'hui ce qu'elle a été pendant des siècles dans le passé, la mère vigilante de fils et filles qui ont répandu partout la semence de la religion.

« Il n'y a peut-être pas un seul États en Amérique, qui n'ait été parcouru par les missionnaires français. Lorsque le vent de la persécution soufflait sur la France, il a poussé sur nos rivages des prêtres et des missionnaires qui ont laissé derrière eux l'empreinte de leur zèle et de leur sainteté. Il n'est que trop vrai que l'impiété triomphe en ce moment en France, mais sous l'écume de la surface, il existe un courant transparent et sain de charité et de religion qui apporte la joie a cœur de la nation. Quant à moi, lorsque je considère les sommes souscrites. chaque année en France pour construire des églises et des écoles ; lorsque je constate que, sur les sept millions de francs donnés annuellement pour l'Œuvre de la Propagation de la Foi, ce noble pays en verse plus


VUE DE NEW-YORK EN 1880, d'après une photographie. (Voir p. 91.)


des deux tiers pour sa part ; lorsque je vois les offrandes magnifiques qu'il dépose aux pieds du Saint-Père ; lorsque je réfléchis qu'il envoie ses fils et ses filles remplir des missions de charité dans toutes les parties du monde ; lorsque je remarque que ses séminaires sont remplies d'une ardente jeunesse attendant avec impatience le jour où elle pourra prêcher l’Évangile ; lorsque je compte le nombre considérable d’hommes et de femmes appartenant aux plus hautes classes de la société qui se consacrent au service des pauvres, je ne puis désespérer de la France, Tant d’héroïsme dans la charité et dans la religion doit plaider pour la France devant le trône de Dieu. »

Cincinnati. — Ce vaste et florissant diocèse créé en 1821 et érigé en métropole en 1850, renferme plus de 200.000 catholiques, confiés aux soins de 220 prêtres. Mgr Purcell, doyen de tous les évêques des États-Unis, mort en 1882, après cinquante ans d’épiscopat, avait succédé au glorieux apôtre des États d’Ohio et du Kentucky, Mgr Fenwick. Mgr Elder gouverne actuellement cette Église.

La province ecclésiastique de Cincinnati a sept diocèses suffragants : Louisville, Détroit, Vincennes, Cleveland, Covington, Fort-Wayne et Columbus.

En 1800, Cincinnati, qui existait depuis onze ans et avait déjà le titre de capitale de l’Ohio, ne comptait cependant qu’une population de moins d’un millier d’âmes. Mais le nombre s’est accru avec une étonnante rapidité. Il était de 216,000 en 1870, sans parler de plusieurs faubourgs. Covington et Newport, qui ne sont séparés de Cincinnati que par l’Ohio, et qui appartiennent au Kentucky, réunissent une population de 40,000 âmes.

Philadelphie. — Cette ville, qui fut jusqu’en 1800 la capitale des États-Unis, est le siège d’un archevêché catholique occupé par Mgr Ryan. Les diocèses d’Allegheny, d’Érié, d’Harrisburg, de Pittsburg et de Scranton forment sa province ecclésiastique.

Saint-Louis. — De cette grande cité du Missouri, métropole religieuse du Kansas, du Nébraska, de l’Iowa et du Missouri, relèvent les sièges épiscopaux de Davenport, de Dubuque, de Saint-Joseph, de Leavenworth et d’Omaha. Mgr Kenrick est actuellement archevêque de Saint-Louis.

Chicago. — Célèbre par la merveilleuse rapidité de sa fortune, cette fière capitale commerciale, assise sur le rivage du grand lac Michigan, a vu, il y a quelques années, ériger en archidiocèse sa circonscription spirituelle et a reçu pour suffragants les évêchés d’Alton et de Peoria. Archevêque Mgr Feehan.

Milwaukee. — À cent vingt kilomètres au nord de Chicago, Milwaukee ouvre sur le même lac Michigan son beau port et étend ses docks magnifiques. Les États du Wisconsin, du Minnesota, du Michigan et du Dakota ou plutôt les diocèses de Green Bay, de La Crosse, de Marquette et de Saint-Paul sont sous la juridiction métropolitaine de son archevêque, Mgr Heiss.

Boston. — Cette vieille cité américaine, fondée dès le commencement du XVIIe siècle, est la métropole spirituelle des États de la Nouvelle Angleterre. Autour de son archevêque, Mgr Williams, se groupent les évêques des diocèses de Burlington, de Hartdorf, de Manchester, de Portland, de Providence et de Springfeld.

Dans toutes ces provinces, le catholicisme prend de merveilleux développements. Ses progrès ne sont pas seulement dus à l’immigration et à l’accroissement remarquable des familles catholiques ; il entame constamment la société protestante par des conversions individuelles. Le catholicisme se présente en effet aux États-Unis comme la nécessité religieuse et comme la nécessité sociale... Loin de s’affaiblir avec l’affaissement des sectes protestantes, il a absorbé en lui tout le mouvement chrétien et le meilleur de la vie religieuse de la nation ; aujourd’hui, il est l’un des éléments les plus considérables dans la vie du peuple américain.

Ce n’est donc pas seulement à New-York que le catholicisme progresse avec éclat. Les diocèses du centre et de l’ouest offrent le même spectacle, comme on vient de le voir à Philadelphie, à Saint-Louis, à Chicago, à Milwaukee et à Boston.

La ville de Pittsburg, pour ne citer qu’un exemple, la cité fumante, industrielle entre toutes, au centre du pays de la houille et du pétrole, n’était qu’une petite bourgade en 1816 ; elle ne comptait qu’une douzaine de catholiques, sans chapelle, visitée une fois ou deux par an par un missionnaire. Aujourd’hui, elle a un clergé de 100 prêtres et une population catholique de 95,000 âmes.

Qu’on ne vienne plus dire que le catholicisme est tué par la science et le progrès, qu’il se meurt. Ce qui meurt, c’est la société corrompue de l’Europe ; et si Dieu ne lui insuffle pas une nouvelle vie, elle pourra bien devenir barbare comme celle de l’Afrique et de l’Orient.

Le flambeau change de place, mais il éclaire toujours, et déjà nous pouvons saluer de loin l’heure où le Nouveau-Monde, avec son énergie et ses immenses ressources, sera le plus beau fleuron de l’Église catholique romaine.

MISSIONS DE L'OUEST, DU CENTRE ET DU SUD.

San-Francisco. Oregon-City. Utah. Colorado. Nouvelle Orléans. Texas.


NE cité jeune et riche d’avenir, une des villes les plus cosmopolites et les plus prospères des États-Unis, San Francisco, se dresse à l’extrémité du long railway qui part de New-York et coupe en deux dans toute sa largeur l'Union américaine.

San Franciso. — Nulle part la foi n'a fait de plus rapides progrès que dans cette capitale de la Californie, l'Eldorado du Far-West. Plus de 150 prêtres desservent actuellement les nombreuses stations d'un archidiocèse qui date d'hier et compte déjà plus de 200.000 catholiques.

Il y a quelques mois, l'éminent archevêque de


ÉTATS-UNIS. — MISSION DE LA CONCEPTION, d'après un croquis de M. Domenec, l'un des premiers missionnaires du Texas. (Voir p. 102.)


cette ville, Mgr Riordan, posait la première pierre de la future cathédrale. Cette cérémonie eut lieu avec un éclat extraordinaire, la foule qui se pressait à la cérémonie, offrait le plus pittoresque coup d’œil : toutes les nations de l'Ancien et du Nouveau Monde étaient représentées dans l'assistance.

Le R. P. Sansia, supérieur du collège des RR. PP. Jésuites de San-Francisco, prononça à cette occasion un discours éloquent dont voici la péroraison :

«... O Amérique ! tu es bien la terre de Marie. Que de titres tu as à ce beau nom ! N'est-ce pas sous les auspices de la Vierge immaculée, sous sa direction maternelle, à l’ombre de sa bannière arborée au-dessus du pavillon castillan, que les caravelles espagnoles de Christophe Colomb s’élancèrent à ta découverte ? Ne se nommait-il pas Santa Maria, l’esquif qui porta l’immortel navigateur sur les rives du continent inconnu ? La première terre américaine où il descendit fut, il est vrai, baptisée du titre de San Salvador, en l’honneur du rédempteur de l’humanité ; mais le deuxième où il mit le pied reçut, en l’honneur de la Mère de Dieu, le nom de Santa Maria de la Conception... Et voici que la piété chrétienne, faisant écho à la voix du grand amiral, prodigue le nom béni de la Reine du ciel sur tous les points de cette moitié occidentale du monde, aux baies et aux rivières, aux plaines et aux montagnes, aux vallées et aux collines. Aujourd’hui, des glaces de l’Athabaska aux sables de la Patagonie, entre les deux Océans qui l’étreignent à droite et à gauche, notre jeune et glorieux hémisphère se couvre de sanctuaires : humbles oratoires, modestes chapelles, vastes églises, basiliques superbes ; et des millions d’âmes croyantes s’y groupent pour chanter les louanges de l’humble Vierge qui disait, il y a dix-neuf cents ans, la parole


ÉTATS-UNIS. — ANCIENNE MISSION DE SAN JOSÉ, AU TEXAS ; d'après un croquis de M. Domenec. (Voir p. 102.)


si extraordinaire et si merveilleusement accomplie : « Toutes les générations m'appelleront bienheureuse ! »

«Ah ! ce sera pour nous un jour de grande joie que le jour où nous ferons retentir de nos hymnes à la gloire de la Mère de Dieu les voûtes de cette cathédrale Sainte-Marie, qui bientôt, nous l'espérons, s’élèvera là où nous sommes, sur ce rivage de la Mer occidentale, dans cette grande cité du Far West, la reine de la Porte d’Or !... »

Orégon City. — La province de San - Francisco confine au nord à celle d’Orégon City, immense elle aussi, mais moins bien pourvue et appelée à un moins brillant avenir à cause de son éloignement du centre. Le diocèse ne compte encore que 32 prêtres et 30 églises. Nous avons vu précédemment que Mgr Seghers en fut quelque temps le premier pasteur. Mais le prélat dont la mémoire vivra le plus longtemps dans le cœur des diocésains de l’Orégon, est Mgr Blanchet, mort en 1883 avec le titre d’archevêque d’Amida.

On ne peut lire sans émotion ce que l’on est tenté d’appeler les brillants états de service du saint pontife.

François-Norbert Blanchet, né à Saint-Pierre du Canada, le 3 septembre 1795, était parti en juillet 1838, pour l’Orégon. Il y arriva après un trajet de 1,800 lieues, accompagné de M. Demers, mort depuis évêque de Vancouvert. Il évangélisa d'abord les sauvages Cowlitz, puis il séjourna sur les bords de la rivière Wallamet, où son ministère, secondé par les heureuses dispositions des indigènes, recueillit d'abondantes bénédictions. S. S. Grégoire XVI le nomma, au commencement de l'année 1844, vicaire apostolique du vicariat nouvellement érigé de l'Orégon, et il fut sacré évêque de Drase in partibus, le 25 juillet 1845. Le Saint-Siège ayant choisi, en 1846, la ville d'Orégon-City, comme chef-lieu d'une province ecclésiastique, Mgr Blanchet en fut préconisé archevêque. Il ne cessa depuis de se dévouer au bien des âmes dans ce vaste territoire qui s'étend depuis le rivage de l'Océan Pacifique jusqu'à la rivière des Serpents, à 500 kilomètres dans l'intérieur des terres, et qui mesure 400 kilomètres du nord au sud. Vingt-cinq prêtres partageaient les travaux du vénérable prélat et donnaient, sous sa direction éclairée, leurs soins aux 20,000 catholiques, dispersés dans cet immense diocèse.

En 1882, l'auguste vieillard, affaibli par les travaux et le grand âge, donna sa démission. Rien n'est plus touchant que ses adieux à sa famille spirituelle :

« Après soixante-deux ans de prêtrise, dit-il, quarante-trois ans de travaux apostoliques dans cette


Pic de Peak. Place La veta École. Tribunal du
comté
Résidence du
lieutenant-gouvernement
Tabor.
Académie
Sainte-Marie.
Première église
protestante
congrégationaliste.
Cathédrale
catholique.
d'Arapahoé
ÉTATS-UNIS. — DENVER, CAPITALE DE L'ÉTAT DU COLORADO, QUARTIER DU SUD.


contrée, trente-six d'épiscopat, nous pouvons dire avec l'apôtre : « Le temps de ma dissolution approche... » Nous sommes venu en 1838 du Canada apporter l'Évangile de la paix à cette extrémité occidentale du continent américain, en même temps que feu Mgr Modeste Demers, premier évêque de Vancouver. Là où nous ne vîmes alors que « les ténèbres et l'ombre de la mort », fleurissent aujourd'hui des missions nombreuses, des communautés ferventes, un clergé zélé et un vaillant peuple catholique. Arrivé à l'âge de quatre-vingt-six ans, nous sentons que « notre génération touche à sa fin » (ISAIE, XXXVIII, 12). L'heure est donc venue de nous retirer dans la solitude « pour repasser devant Dieu toutes nos années dans l'amertume de notre âme. » (Id. 15.) Adieu donc à vous, nos bien-aimés et vénérés Frères dans le sacerdoce, qui avez été si souvent notre consolation et notre soutien dans les jours de trouble et de tribulation. Adieu, chères filles, vierges chrétiennes, épouses de JÉSUS-CHRIST, qui nous avez édifié et réjoui du parfum de vos vertus. Adieu, pieux chrétiens, objet de notre paternelle sollicitude. Adieu, jeunes gens, espoir de l'Église de notre pays, et vous, petits enfants, les biens-aimés du Christ, si chers à notre cœur. Nous vous quittons, mais avec la ferme confiance de vous retrouver éternellement dans le Ciel. N’oubliez pas votre vieux père qui vous aime tendrement ; pardonnez-lui ses fautes ; priez pour que ses péchés lui soient remis quand il sera appelé à rendre compte de sa gestion au Juge suprême... »

Utah. — Cette mission qui dépendit pendant longtemps du diocèse de San-Francisco, vient de recevoir son premier évêque. Le sacre de Mgr Scanlan, premier évêque de Salt Lake City (Utah), a eu lieu le 29 juin 1887 dans la cathédrale de San-Francisco. Mgr Riordan, archevêque consécrateur, était assisté de NN. SS. O’Connell et Manogue.

Mgr Scanlan, né en 1842, a été ordonné prêtre au collège d’All-Hallows au mois de juin 1866. Les trois premières années de sa vie de missionnaire se passèrent dans la capitale de la Californie où il était recteur assistant de l’église Saint-Patrice. De là, il fut envoyé dans le pays des Mormons où son zèle, sa patience, son énergie furent visiblement bénis de Dieu. Mgr Scanlan a donc la gloire d’être le premier évêque d’une mission qu’il a créée lui-même et qui lui doit tout son développement.

Colorado. — Cet État se trouve près du centre des États-Unis, plus rapproché cependant de l’Océan Pacifique que de l’Océan Atlantique. La capitale est Denver, siège de l’évêché, grande et belle ville sur la rive droit de la Platte, à environ vingt kilom. de


Grand-Opéra. Église des Unitariens. École supérieure. École presbytérienne. Hôtel Windsor. Pic de Long. Église luthérienne suédoise. Cathédrale St-Jean. Hall Jarvis. Église du Sacré-Cœur.
ÉTATS-UNIS. — DENVER, QUARTIER DU NORD.


la base orientale des Montagnes Rocheuses, sur un embranchement du grand chemin de fer du Pacifique. Fondée en 1858, Denver n’avait que 4,750 habitants en 1870 ; aujourd’hui, elle en compte plus de 60,000. C’est une des villes des États-Unis d’où l’on jouit du plus beau panorama : au-dessus des champs, des bois, des rochers et des neiges, on voit se dresser les grands sommets où le Colorado et l’Arkansas prennent leurs sources.

Denver est remarquable par la largeur et le mouvement de ses rues, ses édifices, dont quelques-uns peuvent rivaliser avec ceux qui ornent les plus grandes cités américaines ; citons, en passant, l’Université, l'École supérieure, l’hôtel Windsor, le Tabor block, immense construction qui a coûté plus d’un million, le grand Opéra, etc., etc.

Les protestants y possèdent de beaux temples. Les catholiques ont construit une pro-cathédrale dédiée à l’Immaculée Conception et trois églises : celle du Sacré-Cœur, appartenant aux PP. Jésuites, celle de Sainte-Élisabeth et celle de Saint-Patrice,

La ville est sillonnée par les tramways, et son importance devient si considérable que l'on va prochainement établir un chemin de fer de ceinture.

Les autres villes principales du Colorado sont Leadville, 20,000 habitants, Silver-Cliff, Peublo Georgetown, etc.

La population se compose d'Anglo-Américains, d’Allemands et d’Espagnols qui forment un total de 260,000 habitants. Sur ce nombre il y a 35,000 catholiques dont 10,000 à Denver ; le reste de la population appartient aux différentes sectes protestantes ; mais l’Église catholique a la majorité sur chaque secte séparée.

Sous le rapport religieux, le Colorado est administré par un évêque qui est suffragant de l'archevêché de Santa-Fé. Le clergé se compose d’une quarantaine de prêtres. Les PP. Jésuites se préparent à y bâtir un collège. On compte trente-cinq églises ou chapelles. Les Sœurs de Lorette ont plusieurs établissements dans le vicariat et les Sœurs de Charité desservent les hôpitaux.

L’évêque actuel est Mgr Joseph Machebeuf. Ce vénérable prélat, originaire du diocèse de Clermont, quitta la France en 1839, pour se rendre aux États-Unis. C’est à Cincinnati qu’il débuta dans le saint ministère. À l’époque de la création du diocèse de Santa-Fé (novembre 1850), lorsque M. Lamy, curé de Covington, en fut nommé évêque, M. Machebeuf suivit son compatriote au Nouveau Mexique et fut chargé par lui d’administrer d’abord la paroisse d’Albuquerque, puis celle de Denver ; il reçut aussi des lettres de vicaire général. En 1868, lorsque le Saint-Siège détacha du diocèse de Santa-Fé et du vicariat de Marysville les territoires du Colorado et de l’Utah, pour en former un vicariat distinct, Mgr Lamy proposa à la Propagande son infatigable et zélé collaborateur pour diriger l’Église nouvelle.

Ce choix fut agréé, et, le 3 mars 1868, M. Machebeuf fut préconisé évêque d’Épiphanie in partibus et député vicaire apostolique du Colorado et de l’Utah.

Le 16 août suivant, il reçut à Cincinnati l’onction épiscopale des mains du vénérable archevêque qui l’avait accueilli au début de sa carrière apostolique, Mgr Purcell. Dès le lendemain de son sacre, il s’empressait de porter à son peuple ses premières bénédictions de pontife. Le nouvel évêque d’Épiphanie défricha ce désert. En quelques années une église nouvelle était fondée ; elle compte aujourd’hui un nombreux clergé séculier et régulier et ses enfants par milliers.

Le 16 décembre 1886, une foule immense emplissait la cathédrale de Denver.

Dans les nefs, dans les tribunes, dans le sanctuaire, à genoux, debout, assis, protestants et catholiques étaient confondus dans un même sentiment de reconnaissance et d'amour. Mgr Machebeuf célébrait ses noces d'or sacerdotales.

Quand le vieil évêque, la mitre en tête et la crosse à la main, sortit de la sacristie pour se rendre à l'autel, son cœur s'émut, ses lèvres tremblaient et sur ses joues amaigries et sillonnées par les ans, on voyait rouler des larmes de joie. A l'issue de la messe pontificale, un missionnaire exalta en termes pathétiques et éloquents ses cinquante années de prêtrise dont trente-six passées dans le Far-West, au milieu des plaines monotones du Nouveau Mexique et du Colorado et dans les Montagnes rocheuses, portion stérile de la vigne du Seigneur changée en un paradis où s'épanouissent les plus belles fleurs d'innocence et de vertu. Il rappela le zèle infatigable, les travaux incessants qui ont couvert le vicariat d'églises et d'écoles, d'asiles et d'hôpitaux.

Les laïques s'avancent à leur tour. L'un d'eux prend la parole :

« Évêque titulaire d'Épiphanie, une des plus anciennes villes du monde, vous avez établi votre trône épiscopal dans une des plus jeunes. Vous êtes le vicaire apostolique du Colorado, l'évêque de Denver. Vrai fils de la catholique France, de toutes les nations la plus féconde en missionnaires et en martyrs, vous vous êtes senti appelé aux premiers jours de votre ministère à porter l'Évangile sur une terre étrangère et à des peuples d'une autre langue. Dans cette ville historique de Clermont, où, il y a huit siècles, fut prêchée la première croisade, vous avez senti passer en vous l'esprit des Croisés et vous êtes venu dans ce Nouveau-Monde faire de nouvelles conquêtes pour la Croix... »

Idaho. — Montana. — Nebraska. — Arizona. — Nouveau-Mexique. — Territoire Indien. — Le chapitre suivant, consacré aux Indiens des États-Unis, nous offrira un tableau complet des mœurs et coutumes de la population indigène qui domine dans ces divers territoires. Mais, avant de faire connaissance avec eux, disons un mot de la grande Mission de la Louisiane et du Texas, aujourd’hui divisée en huit diocèses différents.

Nouvelle-Orléans. — Un des premiers titulaires de ce siège métropolitain de la Louisiane porte un nom familier aux bienfaiteurs de la Propagation de la Foi. Mgr du Bourg, qui présida durant huit années aux destinées de ce beau diocèse, reçut les premières offrandes de notre Œuvre. Un de ses successeurs, Mgr Odin, mort en France en 1870, mérite une mention spéciale parmi les neuf prélats qui ont occupé ce siège depuis sa création en 1793.

Mgr Odin était né le 25 février 1801 ; il partit de Lyon pour la Louisiane, bien jeune encore, l’année même où l’Œuvre de la Propagation de la Foi était fondée, et arriva le 30 août 1822 au séminaire des Barrens ; il fut ordonné prêtre par Mgr du Bourg évêque de la Nouvelle-Orléans, le 4 mai 1823. Il était entré quelque temps auparavant dans la Congrégation de la Mission.

Le jeune prêtre brûlait du désir de se consacrer aux missions indiennes. Mais la confiance de son évêque le maintint au séminaire des Barrens, dont il eut pendant plusieurs années la direction. En 1833, il accompagna, comme théologien au second concile provincial de Baltimore, Mgr Rosati, évêque de Saint-Louis : après le concile il fut chargé d’en porter les actes et les décrets au Souverain Pontife. 508 évêque écrivait alors à M. l’abbé Cholleton, vicaire général de Lyon : « M. Odin, prêtre de la Congrégation de la Mission, est un des présents les plus précieux que le diocèse de Lyon, pépinière féconde de missionnaires, ait fait à celui de Saint-Louis. M. l’abbé Odin ne fut pas moins apprécié à Rome qu’en Amérique. En 1841, il avait été nommé coadjuteur de Mgr Rézé, évêque de Détroit ; mais il refusa les honneurs de l'épiscopat. L'année suivante, il dut pourtant se soumettre et accepter ke vicariat apostolique


TEXAS. — ÉGLISE FERDINAND, A SANT-ANTONIO. (Voir p. 101.)


du Texas, avec le titre d'évêque de Claudiopolis in partibus.

Lorsqu'en 1847, le Texas fut érigé en évêché avec Galveston pour ville épiscopale, Mgr Odin en devint le premier évêque, et, le 15 février 1861, il fut transféré à l'archevêque de la Nouvelle-Orléans, où il succéda à un autre missionnaire du diocèse de Lyon, Mgr A. Blanc.

Quoique sa santé fût très mauvaise, Mgr Odin n’hésita pas, en 1869, à répondre à l’appel du Pape et il se rendit à Rome pour le Concile ; mais il fut obligé de quitter cette ville et de venir demander au climat natal une santé qui ne lui a malheureusement pas été rendue. Le Souverain Pontife, afin de lui permettre de se rétablir, lui avait, sur sa demande, donné pour coadjuteur son ancien vicaire général, Mgr Perché, évêque d’Abdère in partibus.

Mgr Jean-Marie Odin avait soixante-neuf ans. Il comptait quarante-huit années de mission, et les travaux du missionnaire usent vite, surtout lorsqu’on y déploie tout le dévouement que n’avait cessé de montrer le vénérable prélat.

Mgr Perché, qui succéda en 1870, à Mgr Odin, était né à Angers, le 10 janvier 1805. Il fit toutes ses études et reçut la prêtrise dans son diocèse natal. En 1836, il partit pour l’Amérique à la suite de Mgr Flaget et demeura quatre ans à Portland. Étant venu prêcher à la Nouvelle-Orléans, il fut retenu par Mgr Blanc et nommé aumônier des Dames Ursulines. Dans cette modeste position, qu’il occupa jusqu’à sa promotion à l’épiscopat, M. Perché se révéla comme écrivain et comme orateur. Mgr Perché a occupé pendant treize ans le siège métropolitain de la Louisiane. En 1879, Mgr Leray fut nommé coadjuteur avec future succession du vénérable archevêque, et lui succéda en décembre 1883.

Mgr Leray est mort dernièrement en Bretagne. Il a rendu son âme à Dieu au sein de sa famille près de laquelle il était venu prendre un peu de repos.

François-Xavier Leray était né à Chateaugiron, petite ville de 2,000 habitants à quatorze kilomètres au sud de Rennes. Le désir de prêcher l’Évangile dans le Nouveau-Monde le fit partir pour les États-Unis. Ordonné prêtre le 19 mars 1852, il exerça son ministère dans l’État du Mississipi, au diocèse de Natchez. L’évêque, Mgr Guillaume-Henri Elder, aujourd’hui archevêque de Cincinnati, le nomma curé de Wicksburg, paroisse du comté de Waren. À la mort du regretté Mgr Martin, décédé le 29 septembre 1875, évêque de Natchitoches, il fut appelé à le remplacer. Quatre ans après, son vénérable métropolitain, Mgr Perché, qui l’estimait et connaissait ses mérites, se l’associait comme coadjuteur.

Texas. — L’évangélisation des Indiens du Texas présente de très grandes difficultés. Les succès des anciens missionnaires franciscains prouvent cependant que ces difficultés ne sont pas insurmontables. Le plus grand obstacle, c’est le manque d’ouvriers et de fonds ; les catholiques texiens subviennent aux dépenses du culte et à l’entretien du clergé dans les paroisses, mais les missions indiennes sont à la charge de l’évêque.

Dans les premières années du XVIIe siècle, les rois d’Espagne envoyèrent au Texas vingt-huit familles espagnoles des îles Canaries. Ces émigrants étaient conduits par des Franciscains et accompagnés de soldats pour défendre leurs établissements.

Les Religieux formèrent une série de stations dont la première était, sur le golfe du Mexique, la mission del Refugio, et la dernière, sur l’Océan Pacifique, à San Francisco (Californie). Beaucoup d’Indiens furent convertis au catholicisme et vinrent se grouper autour de ces stations dont quelques-unes, notamment celles de San-José, de la Conception, de Nacogdoches, de Saint-Sabas, acquirent une assez grande importance.

Ces missions se maintinrent dans une situation florissante jusque dans les premières années du XIXe siècle. Mais les révolutions politiques, commencées en 1812, et qui aboutirent, pour l’Espagne, à la perte de ses colonies, enlevant tout appui aux missionnaires. Les stations furent détruites pour les Comanches ou par les Apaches ; les Indiens convertis furent obligés de se disperser, et l’on voit encore au nord-ouest du Texas, sur le pic de Saint-Sabas, les ruines qui furent baignées du sang des derniers missionnaires.

Aujourd’hui, de tous ces établissements jadis prospères, il ne reste que les deux églises de de San-José et de la Conception. (Voir les gravures p. 96 et 97).

Il n’y a pas encore trente ans, que les tribus indiennes des Comanches, des Apaches, des Cherokées, des Lépans, des Créeks, etc., couvraient le Texas de leurs 600,000 sauvages. Leur nombre a diminué, tout en restant très considérable. Malgré eur croyance générale à un Être souverain, — le Grand-Esprit qui a fait toutes choses, — beaucoup d’entre eux rendent un culte au soleil qui les éclaire, les réchauffe et les brûle.

Le pays qu’ils habitent est très fertile ; mais, sans civilisation, pas de culture possible, et pas de civilisation pour les peuples tombés à l’état sauvage, en dehors de l’action vivifiante du catholicisme. Les sectes protestantes, qui n’ont plus la sève divine, ont prouvé toute leur impuissance pour greffer ces rudes sauvageons.

En 1845, le Texas entra dans la grande confédération américaine, malgré l’opposition des Mexicains, et vit, à la suite de cette annexion volontaire, les émigrants européens venir en grand nombre s’établir dans ses plaines fertiles.

À mesure que la population blanche s’augmentait, des villes se fondaient. On voyait s’élever presque simultanément au bord de la mer, Galveston dans l’île de ce nom, aujourd’hui siège d’un évêché et qui compte de 35 à 40,000 habitants, Indianola, Corpus-Christi, Brownswille, où réside un vicaire apostolique, Houston, qui a pris le nom du premier président de la république texienne, San Antonio, etc.

Lorsque Mgr Odin vint, avec trois missionnaires, prendre possession de cet immense vicariat long de six cents lieues et large de quatre cents, il n’existait que trois petites églises. Mais le sang de JÉSUS-CHRIST ne coule jamais en vain ; il fit naître les vertus qui rendent les hommes frères, en même temps qu’elles les unissent à leur créateur. Aujourd’hui, grâce aux prières et à l’obole de la Propagation de la Foi, 250,000 catholiques se réunissent dans plus de 300 églises ou chapelles ; 84 missionnaires s’y répartissent dans trois diocèses, et la part de chacun d’eux a l’étendue d’un département français.

INDIENS DES ÉTATS-UNIS.

Dénombrement général. Les Têtes Plates. Le P. de Smet. Les Apaches de l'Arizona. Le Territoire Indien.


ALGRÉ une croissance constante, le chiffre total des Peaux-Rouges dispersés dans les régions occidentales des États-Unis s'élève encore à trois cent mille se trouvent dans l'Alaska. L'île de Vancouver en renferme six mille, répartis en différentes nations.

Dans le diocèse de Nesqually, qui comprend le Territoire de Washington, Mgr Juger compte 13,000 Indiens ; parmi ceux-ci, les Pères Jésuites possèdent quatre missions avec des résidences pour les prêtres et des locaux pour les écoles.

Dans le diocèse d'Orégon, il y a quatre mille Indiens ; un bon nombre sont catholiques. Mgr Gross les a pourvus de deux prêtres et de bâtiments d'école.

Dans la Californie, onze mille Indiens sont partagés entre l'archevêque de San Francisco, Mgr Riordan, et les évêques de Grass Valley et de Los Angeles. Ce dernier a sept mille Peaux-Rouges dans le Nevada qui fait partie de son diocèse. Mgr J.-B. Brondel, évêque de Montana, compte dix-huit mille Indiens dans son diocèse, et Mgr Glorieux en a quatre mille dans son vicariat apostolique d'Idaho.

Dans le Dakota, Mgr Martyr possède trente mille Indiens dont plus de trois mille sont catholiques ; les Pères bénédictins et les Sœurs bénédictines ont cinq


ARIZONA. — UNE FAMILLE APACHE, d'après une photographie. (Voir p. 106.)


écoles et résidences parmi eux ; une école excellente est confiée aux Sœurs Grises, une autre est placée sous la direction des Pères Jésuites, et une troisième sous celle des Sœurs Franciscaines.

Mgr Rupert Seidenbusch, vicaire apostolique de la partie nord du Minesota, a quatre mille Indiens ; parmi eux les Pères Bénédictins et les Sœurs du même Ordre ont établi trois missions avec deux installations scolaires ; environ deux mille de ces sauvages sont catholiques.

Dans le Nord du Wisconsin et du Michigan, Mgr Flash, évêque de la Crosse, Mgr J. Vertin, évêque de Marquette et Sault Sainte-Marie, Mgr Richter, évêque de Grand'Rapids, se partagent entre eux quatorze mille Indiens, en majeure partie catholiques. Dans le Nébraska et Wyoming, qui ressortissent au diocèse de Omaha, Mgr O'Connor compte trois mille Indiens ; malheureusement, le zélé prélat n'a pu, jusqu'à présent, leur donner des missionnaires et des catéchistes à demeure fixe.

Mgr Bouryade, vicaire apostolique de l’Arizona, compte quatorze mille Indiens ; la plupart, depuis l’expulsion des missionnaires espagnols, sont retournés à l’état de barbarie.

Dans le Nouveau-Mexique, Mgr J.-B. Salpointe, archevêque de Santa-Fé, compte vingt-huit mille Indiens ; le plus grand nombre vivent groupés autour des anciennes églises (on en compte encore une vingtaine), et forment des agglomérations comme de petites villes et des bourgades ; quant aux Indiens non baptisés, ils errent partout et dévastent, quand ils le peuvent, toute la contrée.

Les trois mille Indiens du Mississipi sont dispersés dans le diocèse de Natchez, dont le titulaire, Mgr F. Janssens, leur a procuré deux missionnaires et deux écoles.

Reste le Territoire Indien (Indian Territory) dont le préfet apostolique et Dom Ignace, religieux de Saint-Benoît. Ce Territoire, dans ses limites actuelles, contient cinquante-sept mille Indiens.

Quelques détails sur les missions indiennes les plus intéressantes.

Les Têtes-Plates. — Les Indiens de ce nom sont divisés en dix tribus dont les principales sont les Pendants d'Oreilles, les Cœurs d'Alène, les Kalispels et

9. Moulin et scierie. 11. Montagnes au pied desquelles se trouve la mission. 10. Chutes d'eau.
4. Église primitive,
aujourd'hui atelier de charpentier.
2. Ancienne résidence 1. Église. 8. Emplacement où l'école
des garçons a été fondée depuis
ainsi que la résidence.
7. Hutte indienne à trois étages.
6. Boutique de forgeron 3. École des filles
tenue par les Sœurs
de la Providence.
5. Imprimerie
ÉTATS-UNIS. — VUE GÉNÉRALE DE LA MISSION ST-IGNACE, CHEZ LES TÊTES-PLATES (diocèse d'Omaha). (Voir p. 105.)


les Kootenay. Tous parlent au fond la même langue, le selish, avec quelques différences de dialectes.

Leur conversation au catholicisme date de 1841. Ils avaient réclamé en 1838, à Saint-Louis, des missionnaires ; mais, en route, les délégués furent tous massacrés par les Indiens Serpents d'Idaho.

A la fin de 1840 ils envoyèrent une seconde députation qui atteignit heureusement Saint-Louis, y passa l'hiver et revint au printemps avec le P. de Smet, trois autres Pères et trois Frères coadjuteurs. La première mission fut établie à Sainte-Marie, de la vallée de Bitter-Root ; une seconde, quelques années plus tard, chez les Kalispels, et, en 1853, celle de l'intervalle, la nation tout entière s'était convertie, et aujourd'hui elle ne compte pas un seul païen.

Depuis cette époque, ils ont toujours été les fidèles amis des blancs, dont ils se font gloire de n’avoir jamais versé le sang. De fait, leur bonne conduite leur a mérité à diverses reprises les éloges des officiers du gouvernement. L’honorable Isaac K. Stephens, gouverneur du Territoire de Washington, disait d’eux dans son rapport pour l’année 1854 : « Vous connaissez déjà le caractère des Têtes-Plates. Ce sont les meilleurs Indiens des montagnes et des plaines. Honnêtes, braves et dociles, ils n’ont besoin que d’encouragement pour devenir de bons citoyens. Ils sont chrétiens, et nous sommes assurés qu’ils vivent d’après les principes chrétiens. »

Il y a maintenant douze cents Indiens de différentes tribu, mais principalement des Pendants-d’Oreilles, à la mission de Saint-Ignace, et cinq cents à celle de Sainte-Marie dans la vallée de Bitter-Root.

La mission de Saint-Ignace n’est pas découpée en rues, parce que les Indiens tiennent à placer leurs cabanes de façon à voir l’église de leur porte. Pendant le jour, ils y font de fréquentes visites pour prier en particulier ; mais, quand ils n’y vont pas, ils trouvent un grand plaisir à la regarder. « Où est votre trésor, là aussi est votre cœur. »

Leurs cabanes, en règle générale, mesurent environ quinze pieds carrés ; bâties avec des poutres de pins tirés des montagnes voisines, elles sont à la fois propres et commodes. À l’exception de un ou deux bois de lit, on n’y trouve aucun meuble. Les habitants s’asseyent ou plutôt s’accroupissent par terre, ou bien ils s’appuient sur les couvertures ou les peaux qui leur servent de lit. Des images de piété et des crucifix sont pendus au mur, des chaudrons et d’autres ustensiles de cuisine sont sur le foyer, accrochés à des clous ou appuyés contre les chenets. Les huttes sont garnies à peu près de la même manière ; seulement le foyer est au milieu de la pièce, et la fumée s’échappe par une ouverture supérieure.

Les Indiens se réunissent tous les matins à six heures et demie pour la prière et la messe. Après la messe, on donne une instruction sur le catéchisme qui dure un quart d’heure. Les femmes et les enfants assistent à un entretien du même genre dans la matinée. Le soir, au coucher du soleil, tous s’assemblent dans l’église pour la prière précédée ou suivie d’une troisième instruction. Les dimanches, à neuf heures du matin, grand’messe et sermon ; dans l’après-midi, bénédiction ou chemin de la croix et une instruction.

Le plus grand nombre s’approche des sacrements une fois par mois ; beaucoup le font une fois par semaine ou même plus souvent. Parmi les douze cents Indiens de la mission, il n’y en a pas plus de cinq ou six qui négligent leurs devoirs religieux, et encore uniquement parce qu’ils sont retournés à la polygamie. Ils aiment surtout beaucoup à se confesser, et quelques-uns d’entre eux, si on le leur permettait, le feraient plus d’une fois par jour. Un Père raconte que, pendant qu’il était avec eux à la chasse aux buffles, au milieu de la nuit, un Indien scrupuleux le tirait par les pieds et lui demandait d’entendre sa confession.

Cependant, c’est de ces Indiens que le Père Point, un de leurs premiers missionnaires, écrivait en 1848 :


ARIZONA. — UN CHEF APACHE EN COSTUME DE GUERRE, d’après une photographie.


« Il n’y a pas un quart de siècle, les Cœurs d’Alène étaient si insensibles que, pour les peindre au naturel, leurs premiers visiteurs leur avaient appliqué justement le nom étrange qu’ils portent encore. Leur esprit était si borné que, tout en rendant un culte divin à tous les animaux, ils n’avaient aucune idée ni du vrai Dieu, ni de leur âme, ni par conséquent, d’une vie future. En résumé, c’était une race d’hommes si dégradés, qu’ils n’avaient conservé de la loi naturelle que deux ou trois notions très obscures, auxquelles bien peu se soumettaient dans la pratique. Cependant, je dois le dire à l’honneur de la tribu, elle a toujours eu dans son sein des âmes d’élite qui n’ont jamais courbé le genou devant Baal. Je connais des Indiens qui, depuis le jour où le vrai Dieu leur fut prêché, n’ont jamais eu à se reprocher l’ombre d’une infidélité. »

La piété n'a diminué en rien la bravoure des Têtes-Plates, la plus belliqueuse peut-être de toutes les tribus des Montagnes Rocheuses ; car, depuis comme avant leur conversion, ils ont conversé leur supériorité sur leurs voisins les Sioux et les Pieds-Noirs.

Le grand apôtre des Indiens d'Amérique en notre siècle a été le célèbre Père de Smet, jésuite belge, à qui sa ville natale élevait naguère une statue.

Né à Dendermonde, le 31 janvier 1801, il était parti à l'âge de vingt ans pour l'Amérique, et était entré le 21 octobre 1821 au noviciat de White Marsh (Maryland). En 1823, nous le voyons déjà occupé à bâtir la petite église de Florissant, et, quelques années plus tard, c'est à Saint-Louis que ses mains sacerdotales taillent les pierres sur lesquelles repose aujourd’hui


Le R. P. DE SMET, missionnaire jésuite aux Montagnes-Rocheuses.


le plus ancien édifice de l'université de Saint-Louis du Missouri.

Une sphère plus large devait bientôt s'ouvrir à son activité : en 1838, on l'envoie prêcher d'Évangile aux Indiens. Une lumière soudaine lui fait comprendre sa mission : désormais il sera le compagnon inséparable des sauvages, il les suivra dans leurs longues excursions, il les aidera à la chasse, il soignera leurs malades, il instruira leurs enfants, et, partageant ainsi leurs fatigues et leurs joies, il saura gagner leur confiance, les dominer par sa vertu et ouvrir leurs yeux à la lumière de l'Évangile. Une vie, bien rude sans doute, mais riche de consolations pour un cœur d'apôtre. Que de sauvages instruits de leur haute destinée, que d'âmes arrachées à l'enfer et gagnées pour le ciel, que de brebis égarées ramenées dans le bercail du pasteur éternel !

Le nom du P. de Smet devenait peu à peu populaire dans les Montagnes Rocheuses, et il s'en prévalait pour étendre partout les conquêtes pacifiques de la Croix. Nous n'entrerons pas dans les détails de ses travaux apostoliques ; qu'il nous suffise de remarquer que le gouvernement des États-Unis recourut trois fois à son influence pour traiter avec les Indiens. En 1851, il amène au Fort Laramie les chefs de plusieurs tribus indiennes et le gouverneur du lieu voit toutes ses espérances réalisées. En 1858, il parcourut pendant l'hiver le Territoire de Washington et amène neuf chefs puissants au général Harney à Vancouver. Enfin, en 1868, il quitte de nouveau Saint-Louis, accompagné des généraux Sherman, Sheridan, Harney et Ferry. Après de longs travaux, le vieillard désarmé obtient par la puissance de sa parole ce que les soldats n’avaient pu obtenir par la force : Sitting-Bull et ses 500 cavaliers consentent à faire la paix. Les généraux américains adressèrent alors au P. de Smet une lettre qui se conserve encore à l’Université de Saint-Louis et dans laquelle on lit le passage suivant :

« Nous voulons vous témoigner notre estime pour les services que vous nous avez rendus, ainsi qu'à tout ce pays. Sans votre long et pénible voyage au cœur même du territoire ennemi. Sans votre influence sur les tribus les plus sauvages, nous n’aurions jamais pu atteindre les résultats que nous avons obtenus. »

C'est à Saint-Louis que ce vaillant fil de saint Ignace est mort le 23 mai 1873.

Les Apaches. En 1859, le Territoire d'Arizona, qui appartient déjà aux États-Unis, fut agrégé par décret de la Cour de Rome au diocèse de Santa-Fé (Nouveau-Mexique). La même année, Mgr Lamy en fit prendre possession par son grand vicaire, M. Machebeuf, aujourd'hui évêque de Denver, Colorado, et, dans les premiers mois de 1864, il y fit une visite pastorale. La seule église qui restait encore debout était celle de Sans Xavier del Bac. Une centaine de familles d'Indiens Papagos, faibles débris de la grand tribu qui formait autrefois la missions, vivaient autour de cette église. Le reste de la population, en dehors des Pimas du Gila et des autres tribus indiennes dispersées sur différents points, se composait de quelques familles mexicaines et d'un petit nombre d'Américains. L'ensemble de cette population ne dépassait pas 1,500 âmes dans tout le Territoire. Cependant, le prélat ne voulait pas laisser sans administration cette partie de son diocèse, et comme, malgré les difficultés et les dépenses, il l’avait tenue, autant que possible, toujours pourvue de prêtres à demeure, depuis que la Providence l’en avait chargé, ainsi continua-t-il de pourvoir à ses besoins spirituels.

Mais l’humble évêque de Santa-Fé trouvait trop lourde la responsabilité qui pesait sur lui, et il cherchait à la faire diminuer. Ce fut à sa demande que son diocèse fut divisé, par décret de Pie IX, en 1868 ; ce qui donna occasion à l’érection des vicariats apostoliques du Colorado et de l’Arizona.

Depuis 1866, la population d’Arizona augmentait tous les jours d'une manière sensible. Les troubles du Mexique y contribuaient en refoulant vers les États-Unis tous ceux qui ne voulaient pas prendre part aux révolutions de leur patrie. Le Territoire commença donc à être exploré, il se forma des populations nouvelles, et les communications s’établirent entre les différents points, mais non sans dangers, à cause des hostilités des Apaches. Le besoin d’églises se manifestait dans plusieurs localités. La petite ville de Tucson, la première, fut dotée d’une maison de prière. L’église de Saint-Augustin, commencée en 1862, fut achevée en 1868.


ARIZONA. — CONVOI DE CHARIOTS ATTAQUÉ ET BRULÉ PAR LES APACHES, AU MOIS DE MAI 1869.


Depuis cette époque, on a vu se construire, dans le vicariat, les églises de Yuma, de Florence, de Silver-City, de la Mesa et de Tularosa, ainsi que les chapelles de San Lorenzo, de San Isidoro, de Santo Tomas, de San Miguel, de Nuestra Señora de la Luz, etc. Le nombre actuel des missions pourvues de prêtres, y compris celles qui se trouvent dans les comtés de Paso, de Grant et de Mesilla-Valley, est de douze, avec seize prêtres pour en prendre soin.

Les institutions religieuses du vicariat sont : celle des Sœurs de Loretto, établie à Las Cruces en décembre 1869, et érigée depuis en noviciat de la même congrégation ; celle des Sœurs de Saint-Joseph, établie à Tucson en mai 1870, avec une maison de noviciat instituée le 8 septembre 1876, enfin celle des Sœurs de la Merci.

Les religieuses de ces trois congrégations ont présentement la direction de six écoles d’internes et de cinq écoles paroissiales dans les localités de Tucson, d’Yuma et de Las Cruces. Les Sœurs de Saint-Joseph doivent aussi se charger prochainement de plusieurs nouvelles maisons d’école aujourd’hui en voie de construction. En outre, la ville de Tucson possède une école paroissiale pour les garçons, sous la direction de trois professeurs laïques. Ces établissements, où se donne annuellement l'instruction à plus de cinq cents élèves, sont dus, en grande partie, aux secours fournis au vicariat par l'œuvre de la Propagation de la Foi.

La population du vicariat est évaluée à 38,000 habitants, dont 20,000 à peu près sont catholiques. Dans ce chiffre, ne sont pas compris les Indiens.

Les principales tribus d’Indiens qui vivent sur le territoire sont : les Apaches, les Papagos, les Pimas et Maricopas, les Yumas, les Mohaves, les Yavapal et les Moquis. Quoique le nombre des membres qui les composent ne soit pas entièrement fixé, on peut l’évaluer approximativement à 20,000.


ARIZONA. — FEMME APACHE PORTANT SON ENFANT, d'après une photographie. ARIZONA. — BERCEAU D'UN ENFANT APACHE, d'après une photographie.


Jusqu’à présent, l’action civilisatrice du prêtre catholique n’a pu s’exercer que dans des limites très restreintes au sein de ces tribus. Les ouvriers évangéliques ont manqué presque autant que les ressources matérielles ; les fonctionnaires des Agences américaines n’ont cessé de susciter des embarras ; enfin, il n’était pas prudent d’aborder les Indiens directement et de leur prêcher l’Évangile sans les y avoir préparés d’avance.

« Un jour, dit Mgr Salpointe, nous demandions au chef des Pimas s’il ne serait pas content de nous voir au milieu des siens pour les baptiser et en faire des chrétiens : « — Non, répondit-il, cela n’est pas bon ; si tu venais pour nous baptiser, nous te tuerions. » La réponse était nettement formulée. Nous insistâmes cependant en présentant la question sous un autre point de vue : « — Si nous étions au milieu de vous, nous instruirions vos enfants, ce qui serait un très grand avantage pour vous. Vous savez très bien que, dans vos traité, vous vous laissez souvent tromper parce que vous ignorez le prix des choses. Mais supposez que vos enfants soient instruits, ils pourront vous aider à tirer un meilleur parti de vos biens ; et alors vous serez plus riches, vous pourrez vous procurer de beaux habits. » L'argument fut puissant. Le chef, après avoir conféré quelque temps avec cinq ou six Indiens de sa tribu, se tourna vers nous et nous dit : « Si tu veux instruire les jeunes, tu peux venir quand tu voudras, je me charge de te faire accepter, et même je te laisserai baptiser mes enfants. » Aussi, nous n'en doutons pas, il y aurait une abondante moisson à faire dans nos tribus pacifiques, si les ouvriers ne manquaient.

« A Pima, ville composée de Mexicains et d'Américains, mais très rapprochée de la tribu indienne, qui lui donne son nom, j'ai eu occasion de voir souvent les Indiens et d'étudier un peu leurs mœurs. Ils venaient à la ville vendre leur foin, faire leurs provisions ou se promener. Attirés par la curiosité, ils se mettaient aux fenêtres de l'église pendant les offices, assistaient aux enterrements et, grands admirateurs de mes ornements sacerdotaux, m'appelaient capitaine. Cette naïveté m'attirait quelquefois des visiteurs. Je voyais entrer chez moi quatre ou cinq de leurs capitaines en petite tenue, n'ayant pour tout vêtement qu'un paletot court et une ceinture. Ils s'asseyaient ou se couchaient sans façon sur le sol, et fumaient la cigarette en se la passant de l'un à l'autre. Certains jours, la visite devenait longue... Mais j’avais un moyen de me débarrasser d’eux, c’était de leur donner une petite pièce de monnaie, un peu de tabac, et surtout un vieux pantalon, si c’était en hiver. »

Voici à quoi se réduisent les croyances religieuses de ceux qui ne possèdent point la vraie foi.

« On m’a assuré, raconte Mgr Salpointe, que l’Indien attend le retour de Montezuma et que, selon lui, ce monarque doit venir en compagnie du soleil, qui est son proche parent. Ce qu’il y a de certain, c’est que plusieurs tribus voisines des nôtres rendent un culte au soleil. Il consiste à tenir du feu allumé, pendant l’hiver, dans une cave très profonde qu’on nomme estufa. Celui qui doit veiller à la garde du feu est pris à tour de rôle parmi les hommes de la tribu, et il est condamné à vivre dans l’estufa pendant plusieurs mois.

C’est l’exercice d’une fonction sacrée : tout commerce avec les hommes lui est interdit. Ayant un jour demandé à un Indien ce que signifiait cette pratique, il nous répondit naïvement qu’il était étonné d'un pareille question ; qu’il est bien évident « que, si on abandonnait le soleil pendant la saison froide, il finirait par perdre sa chaleur, se fatiguer et tomber ce qui causerait la perte du monde, qu’il fallait en conséquence l’aider par la chaleur du feu. » Il ajouta qu’ils en usaient ainsi en qualité de parents, vu que le soleil est fils d’un Indien et d’une indienne et que par cela même ils sont frères. »

Le Territoire Indien. — Cet immense Territoire, plus grand que le tiers de la France et placé comme une enclave au cœur de la grande république américaine, doit son nom, on le sait, aux tribus à demi-sauvages qui composent presque exclusivement sa population. Là se sont réfugiés, comme dans une dernière citadelle, les débris des races aborigènes refoulées par l’envahissement des Européens. Quelques-unes de ces peuplades n’ont pas encore perdu l’habitude de scalper et de torturer les malheureux blancs égarés dans leurs repaires. Mais la perspective d’une mort affreuse n’a pas arrêté les vaillants missionnaires bénédictins, à qui est confiée depuis onze ans cette grande mission, et ils ont déjà fait entrer dans le bercail du divin Maître plus de deux mille de ces enfants indomptés du désert.

Le Territoire Indien, encore inculte dans presque toute son étendue, est divisé en tribus. Chacune d’elles a son langage propre : quand deux Indiens, un Comanche et un Sharonce par exemple, se rencontrent, s’ils veulent se comprendre, ils sont obligés de se faire des signes, langage universel, intelligible pour tous. Outre l’idiome propre à chaque tribu, l’anglais commence à être parlé par les Indiens du Territoire, à l’exception toutefois des vieillards, ennemis de tout ce qui sent tant soit peu la civilisation. La jeune génération indienne, au contraire, se jette, tête perdue, dans le courant de la civilisation américaine qui envahit tout.

Les religions ici sont très nombreuses. Parmi les blancs, la grande majorité est méthodiste ou presbytérienne ; les épiscopaliens, baptistes, quakers sont en minorité : beaucoup n’ont aucune croyance. Quant aux Indiens, leur religion varie avec la tribu et il est difficile d’en connaître le caractère précis. Les Comanches adorent le soleil et sont très superstitieux.

Les trois tribus des Comanches, des Apaches et des Arrapahœs sont les seules qui conservent certaines mœurs et coutumes indiennes, telles que le la coiffure de plumes, les danses guerrières et religieuses. Mais toutes les tribus pratiquent encore la veillée des morts. Quand un Indien meurt, les voisins accourent et passent la nuit près du cadavre ; on chante en accomplissant certains rites ; le chant est long et monotone ; puis on boit, on organise des danses mortuaires, pendant que les pleureuses se livrent à des lamentations bruyantes, impossibles à décrire.

Seule la tribu des Pottowatomies est presque entièrement catholique. C’est à ces mêmes Pottowatomies que le bon Dieu a envoyé, il y a environ cinquante ans, la vaillante et sainte Madame Duchesne, l’apôtre du Sacré-Cœur chez les Indiens ; c’est vers eux qu’il a dirigé les enfants de Saint - Benoît, pour les maintenir dans la vraie foi. Quelques-uns servent et prient Dieu avec une simplicité admirable ; mais il y en a encore beaucoup, surtout parmi les vieux, à qui il est difficile d’expliquer les vérités les plus essentielles de la foi ; néanmoins, on y arrive, car ils ont en matière religieuse beaucoup de simplicité, et ils écoutent docilement la voix du prêtre.

Les missionnaires bénédictins ont bâti leur monastère sur un plateau entouré de collines boisées. Les dépendances : forge, menuiserie, forment un vrai village. Ce n’est qu’à force de labeurs incessants qu’ils sont parvenus à transformer cette sauvage solitude et à en faire un lieu habitable. Leurs Pères ont défriché les forêts des Gaules et de la Germanie ; Deo adjuvante, ils ont pu faire comme eux dans ce vaste désert indien et ces vieilles forêts d’Amérique. Après avoir beaucoup souffert dans les commencements, ils peuvent aujourd’hui subvenir à leurs besoins, et le bon Dieu leur donne encore de quoi nourrir de pauvres familles indiennes. Un jour, le vénéré supérieur de la mission disait : « Tant que nous aurons des pauvres parmi nous, je ne désespérerai de rien ; et, n’eussions-nous qu’un morceau de pain, je le partagerais entre eux et la communauté. » Sainte et belle confiance que la Providence n’a cessé de bénir visiblement ! Alors que toute la contrée d’alentour semble frappée de stérilité, les champs de maïs, d’avoine, de millet, le jardin, les vergers des moines, tout produit chaque année, abondamment.

Le fondateur de cette intéressante mission, dom Robot, s’est endormi dans le Seigneur l’année dernière. Il a été remplacé par dom Ignace.

L'ÉISCOPAT DES ÉTATS-UNIS.

Son Éminence le cardinal MAC-CLOSKEY (Jean),
archevêque de New-York.
(1810-1885.)

OUS avons donné plus haut p. 92 la biographie de l'éminent prélat qui gouverna pendant plus de vingt ans le diocèse de New-York et fut le premier cardinal américain.

Son successeur, Mgr Michel-Augustin Corrigan, fut de 1873 à 1880 évêque de Newark avant de devenir le coadjuteur de Mgr Mac-Closkey. L'archevêque actuel de New-York est né à Newark le 13 août 1839.




Son éminence le cardinal GIBBONS (Jacques), archevêque de Baltimore.

Les premières années du ministère épiscopal de ce prélat qui occupe aujourd'hui le plus ancien siège des États-Unis furent consacrées à la Caroline. Devenu, d'évêque de Richmond, coadjuteur de Mgr Bayley,


Le cardinal MAC-CLOSKEY, ancien archevêque de New-York. Le cardinal GIBBONS, archevêque de Baltimore.
Les deux premiers cardinaux américains


il ne tarda pas à succéder à ce pontife (V.p.116). Mgr Gibbons a été élevé à la pourpre romaine en 1886.




Mgr PURCELL (Jean-Baptiste)
ancien archevêque de Cincinnati.
(1800-1883.)

Cet évêque dot le nom tient une grande place dans les annales ecclésiastiques américaines, était le doyen de la hiérarchie épiscopale des États-Unis, lorsqu'il s'est éteint doucement, le 4 juillet 1883, au monastère des Ursulines de Saint-Martin (Ohio), dans la cinquantième année de son pontificat.

Les dernières années du vénérable prélat furent malheureusement remplies d’amertume : il avait multiplié les fondations pieuses avec un zèle qui ne connaissait pas de difficultés, et son diocèse finit par se trouver dans une situation financière des plus critiques. Les récriminations, auxquelles la presse prêtait un douloureux retentissement, arrivèrent à un tel point que l’archevêque se crut, en 1879, obligé de donner sa démission. Rome refusa de l'accepter par égard pour ses longs services : le Saint-Siège se borna à lui envoyer un coadjuteur dans la personne du pieux et éloquent évêque de Natchez. En 1880, Mgr Purcell abandonna entièrement à Mgr Elder l'administration du diocèse. Il se retira au monastère des Ursulines de Saint-Martin qu'il avait fondé.

Né à Mallow (diocèse de Cloyne), le 26 février 1800, Jean-Baptiste Purcell fit ses premières études en Irlande. A l'âge de dix-huit ans, il partit pour l'Amérique, passa trois années au collège d'Emmittsburg et reçut les Ordres mineurs. C'est au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, que le futur archevêque de Cincinnati compléta son instruction cléricale. Le 21 mai 1826, il fut ordonné prêtre à Notre-Dame. De retour à Baltimore en 1827, il fut successivement professeur de philosophie morale, suppléant de théologie et enin président du collège de Mont-Sainte-Marie, où il avait été élevé. M. Purcell était prêtre depuis six ans quand le siège de Cincinnati devint vacant par la mort de son premier titulaire, Mgr Fenwick (1822-1832). La haute réputation que le jeune supérieur s'était acquise, dans la direction du collège d'Emmittsburg fit jeter les yeux sur lui ; il fut préconisé dans le consistoire du 8 mars 1838, et le 13 octobre suivant, il reçut la consécration épiscopale. Cincinnati ne comptait qu'une chapelle à cette époque : c'est l'infatigable activité du prélat qui a doté la ville d'écoles paroissiales, de trente-deux belles églises, d'une cathédrale, et a couvert le diocèse d'un grand nombre de sanctuaires. Le 18 juillet 1850, Cincinnati ayant été érigée en métropole, Mgr Purcell fut promu archevêque.

Son jubilé sacerdotal (21 mai 1876) avait donné lieu à des fêtes magnifiques. Les catholiques américains se flattaient que le Seigneur prolongerait les jours du prélat jusqu'au cinquantième anniversaire de son sacre ; le vénérable vieillard lui-même caressait un peu cette pensée. On se proposait de donner un éclat inouï à ces noces d'or, uniques dans les annales de l'Église des États-Unis. Mais Dieu brisa toutes ces espérances en appelant à lui le pieux archevêque juste cent jours avant la date jubilaire.




Mgr ELDER (Guillaume-Henri),
archevêque de Concinnati.

Cet éminent prélat est né à Baltimore. Il fit ses études au collège du Mont-Sainte-Marie, à Emmittsburg, puis au collège de la Propagande, à Rome, où il reçut le bonnet de docteur et fut ordonné prêtre. En 1846, il retourna aux États-Unis, et professa pendant neuf ans au collège Sainte-Marie. Au septième concile provincial de Baltimore, Mgr Spalding, alors évêque de Louisville, le prit pour son théologien. Le siège épiscopal de Netchez étant devenu vacant le 13 novembre 1855, par la mort de Mgr Van de Velde, le Saint-Siège choisit M. Elder pour lui succéder.

Nommé le 9 janvier 1857, Mgr Elder fut sacré à Baltimore, le 3 avril suivant, par Mgr Kenrick. Le nouvel évêque s’empressa de se rendre dans son diocèse qui ne comptait alors que neuf prêtres, onze églises, un seul orphelinat, et 10,000 catholiques. Vingt ans après, il devait le laisser pourvu de 41 églises, 19 prêtres séculiers, 6 religieux, 6 étudiants en théologie, 5 communautés de femmes, 5 pensionnats, 13 écoles paroissiales, dont une pour les enfants nègres, et une population catholique de 12,500 âmes.

À Natchez, Mgr Elder se consacra entièrement au soin de son peuple. Durant l’épidémie de 1878, lorsque la fièvre jaune dépeuplait la ville de Vicksburg, il quitta Natchez et se dévoua au soulagement spirituel et temporel de ses diocésains. Il passait les jours et ses nuits au chevet des mourants, leur prodiguant les secours de la religion, et les assistants de toute manière. Mais sa faible constitution ne put supporter tant de fatigues, il tombe lui-même malade et fut bientôt réduit à l'extrémité. Les derniers sacrements qu'ils avait donnés à tant de malheureux lui furent administrés. On désespérait de le sauver, la nouvelle de sa mort fut même télégraphiée en Amérique et en Europe. Dieu avait d'autres desseins sur l'héroïque prélat, qui revint peu à peu à la santé. Dans le courant de cette même année 1878, Mgr Elder fut nommé évêque d'Avara in partibus et coadjuteur, avec future succession, de Mgr Alemany, archevêque de San Francisco ; mais, peu après, une nouvelle décision du Saint-Siège le maintint au diocèse de Natchez, avec le titre d'administrateur apostolique.

L'année suivante, il fut donné pour coadjuteur au vénérable Mgr Purcell et le remplaça au commencement du mois de juillet 1883.




Mgr WOOD (Jacques-Frédéric)
ancien archevêque de Philadelphie.
(1813-1883.)

Le 20 juin, quelques minutes après onze heures du
Mgr PURCELL, ancien archevêque de Cincinnati. (Voir p. 111.)


Mgr ELDER, archevêque de Cincinnati. (Voir p. 111.)


Mgr WOOD, ancien archevêque de Philadelphie. (Voir p. 113.)


Mgr François BLANCHET, ancien archevêque d'Orégon-City. (V. p. 113.)


soir, la grosse cloche de la cathédrale de Saint-Pierre et de Saint-Paul à Philadelphie annonçaient la mort de Mgr Jacques-Frédéric Wood. Cette triste nouvelle était attendue : l’illustre archevêque était malade depuis plusieurs mois et il avait, la veille, demandé et reçu les derniers sacrements en présence de tout le clergé de sa ville épiscopale.

Mgr Wood était un converti. Né dans la capitale de la Pennsylvanie, de parents anglais et protestants, le 27avril 1813, il avait fait son éducation en Angleterre, puis était revenu en Amérique, où il se livra d’abord au commerce. Il était directeur d’une maison de banque de Cincinnati lorsqu’au mois d’avril 1836, il prononça son abjuration entre les mains de Mgr Purcell ; l’année suivante, il abandonna sa belle position et partit pour Rome. Après de brillantes études au collège de la Propagande, il fut ordonné prêtre par le cardinal Franzoni, le 25 mars 1844. De retour à Cincinnati, l’ancien financier fut d’abord vicaire à la cathédrale, puis, en 1854, nommé curé de Saint-Patrice. Il n’occupa que trois ans cette dernière charge. Le 16 avril 1857, Mgr Purcell le sacrait coadjuteur de Philadelphie dont il devint évêque en titre à la mort de Mgr Neuman (5 janvier 1860). Sous l’administration de Mgr Wood, toutes les œuvres du diocèse continuèrent à prospérer : il acheva et bénit la cathédrale (novembre 1864), ouvrit nombre d’églises, créa des écoles, fonda le séminaire de Saint-Charles, etc... Les progrès du catholicisme en Pennsylvanie décidèrent le Saint-Siège à ériger Philadelphie en métropole : le 17 juin 1875, Mgr Wood était promu archevêque.




Mgr BLANCHET (François-Norbert),
ancien archevêque d’Orégon-City.
(1795-1883.)

Deux jours avant l’archevêque de Philadelphie, mourait un illustre pontife à l’autre extrémité des États-Unis.

Il n’y avait que deux ans que Mgr Blanchet avait résigné son siège archiépiscopal et s’était retiré à l’hôpital de Portland.

« Après soixante-deux ans de prêtrise, disait l’illustre vieillard dans la touchante et dernière lettre pastorale par laquelle il prenait congé de sa famille spirituelle, le 13 mars 1881, après soixante-deux ans de prêtrise, quarante-trois ans de travaux apostoliques dans cette contrée, trente-six d’épiscopat, nous pouvons dire avec l’apôtre : « Le temps de ma dissolution approche... » (Voir p. 98.)

Mgr François-Norbert Blanchet était né à Québec, le 5 septembre 1795. 11 fut ordonné prêtre le 18 juillet 1819 par Mgr Plessis, et exerça le saint ministère dans son diocèse natal jusqu’en 1838. A cette époque, des instances ayant été faites par la Compagnie de la Baie d’Hudson pour obtenir des missionnaires, Mgr Signay, archevêque de Québec, choisit MM. Blanchet et Demers. Partis au mois d’avril, ils n’atteignirent que le 24 novembre leur destination, Fort Vancouver.

Leur mission allait des monts Rocheux au rivage du Pacifique, et pendant plusieurs années, les deux humbles apôtres furent les seuls représentants du sacerdoce catholique dans cette immense région.

Le 1er décembre 1843, l'Orégon fut érigé en vicariat apostolique et le R. P. Blanchet nommé premier vicaire apostolique : les brefs de nomination ne lui parvinrent que le 4 novembre 1844. Le missionnaire se mit en route aussitôt pour le Canada afin de recevoir la consécration épiscopale. De Montréal où il fut sacré, Mgr Blanchet se rendit à Rome : il y arriva en janvier 1846. La même année, Pie IX le créa archevêque.

Il est impossible de rappeler tout ce que le saint prélat dépensa de zèle pendant sa longue carrière épiscopale : mentionnons seulement le pénible voyage de deux années dans l’Amérique du Sud, auquel il se condamna en 1855 pour trouver les ressources nécessaires à l’organisation de son diocèse. En 1870, il reçut pour coadjuteur le vaillant évêque de Vancouver (voir p. 66) ; il put dès lors songer à prendre un repos noblement gagné. Il donna sa démission et se retira à l’hôpital de Portland qu’il avait fondé. C’est là que l’auguste vieillard a rendu sa belle âme à Dieu le 18 juin 1883.




Mgr SALPOINTE (Jean-Baptiste),
archevêque de Santa-Fé.

Ce prélat est originaire du diocèse de Clermont. Parti en 1850 pour les États-Unis, il fut élevé à l’épiscopat en 1868 et nommé vicaire apostolique de l’Arizona. Mgr Lamy (voir p. 118) le demanda pour coadjuteur en 1 884. Mgr Salpointe fut, à cette occasion, promu à l’archevêché titulaire d’Anazarbe. Un an après, il succéda au vénérable archevêque de Santa Fé.

Trente ans d’apostolat ont grandement éprouvé la robuste constitution du prélat. Il écrivait récemment :

« J'ai pu me convaincre, dans ma dernière tournée apostolique, que je ne suis plus jeune : marcher longtemps, gravir les montagnes, camper dehors, agissent sur moi d'une manière bien différente de ce que j'éprouvais autrefois. J'ai encore la volonté d'antan, j'aime encore à admirer le spectacle grandiose de l'œuvre de la création dans l'immensité des forêts et jusque dans l'aridité de ces hautes montagnes qui se succèdent de loin en loin pour varier l'aspect du paysage ; mais mes forces ne sont plus les mêmes. Sans être malade précisément, la débilité que j'éprouve parfois m'oblige à me demander s'il ne vaudrait pas mieux retourner sur mes pas pour ne pas m'exposer à me voir arrêté complètement. Rien ne m'a manqué cependant dans mon dernier voyage. M. l'abbé Lestra, qui voulut bien se faire mon guide dans le pays que j'avais à traverser, avait su tout arranger pour que le trajet pût se faire rapidement et d'une manière agréable. Enfin, je m'en remets à la volonté de Dieu : Non recuso laborem, tant que je sentirai la force de le supporter. »




Mgr HENRI (Jean-Martin),

ancien archevêque de Milwaukee.
(1805-1881.)

Quand il mourut le 8 septembre 1881, Mgr Henni était un des plus anciens évêques de l'Amérique.

Né en 1805, dans le canton des Grisons (Suisse), il fit ses études à Saint-Gall et à Lucerne, puis, après avoir obtenu ses grades universitaires, il visita Rome. Là, il se rencontra avec Mgr Fenwick, évêque de Cincinnati, qui enflamma son cœur de montagnard suisse, et n'eut pas de peine à l'engager à le suivre en Amérique. En 1829, il abordait donc à Baltimore et la même année il était consacré prêtre. Cincinnati, puis l'Ohio, furent les premiers pays où il exerça son saint ministère, et bientôt il fut nommé vicaire général du diocèse. En 1835, il visitait l'Europe pour recueillir des secours, il en revint après une moisson des plus fructueuses, et fonda l’orphelinat de Saint-Aloysius, ainsi qu'un journal catholique allemand, le Wahrheits Freund (l'Ami de la vérité).

Il fut consacré premier évêque catholique de Milwaukee, le 19 mars 1844, par Mgr Purcell, dans la vieille cathédrale de Cincinnati, dix jours après le sacre de Mgr Mac-Closkey, comme évêque coadjuteur de New-York.

Dès sont arrivé au trône épiscopal, il déploya une ardeur et un zèle si grands, qu'en peu de temps ses travaux eurent d'importants résultats. En 1847, l'église de Sainte-Marie était consacrée, le nombre des prêtres avait augmenté de trente, les fondations d'une nouvelle cathédrale sortaient du sol, et l'hôpital Sainte-Marie était fondé. En 1848, il revint faire un second voyage en Europe, mais la révolution qui bouleversait la France ne lui permit pas de faire une tournée bien profitable. Après avoir visité son pays natal, il retourna dans son diocèse, où il fit suspendre les travaux de la cathédrale, voulant en employer les fonds pour la création plus urgente d'un orphelinat. Pour procurer de nouvelles ressources à son diocèse, le prélat n'hésita pas à se rendre au Mexique et à Cuba où sa mission eut un si grand succès qu'à la fin de 1855, la nouvelle cathédrale catholique était consacrée avec l'assistance du nonce du Pape, Mgr Bedini. L'œuvre à laquelle se livra ensuite l'infatigable prélat, fut la création d'un séminaire diocésain qui, dès l'année 1860, contenait dans ses murs cent vingt-cinq aspirants aux saints ordres. Il faut joindre à ces travaux, la fondation d'un asile d'orphelin, d'un institut pour les sourds-muets et de plusieurs monastères d'ordres religieux.

En 1875, il fut nommé archevêque de Mulwaukee, et, en 1879, il célébrait le cinquantième anniversaire de sa prêtrise. Plus de cent ecclésiastiques et neuf évêques assistaient à ce « jubilé d'or » dont le sermon fut prêché par Mgr Purcell, archevêque de Cincinnati, qui, trente ans auparavant, avait consacré évêque le digne prélat. Après une salve de cinquante coups de canon, le service fut exécuté en grande solennité dans cette cathédrale de Saint-Jean, que Mgr Henni avait lui-même édifiée. Le soir, une procession aux flambeaux, accompagnée de près de cinq mille porteurs de torches, clôturait cette magnifique cérémonie.

Mgr Henni a vu son humble mission devenir une des plus prospères des États-Unis.

Dans ce diocèse, fondé seulement depuis quarante-trois ans, grâce au travail infatigable et à la sage administration de son premier évêque, une cathédrale a été bâtie et consacrée, deux cent soixante-deux églises ordinaires, vingt-quatre chapelles et vingt-cinq stations ont été fondées, ainsi qu’un séminaire ecclésiastique, treize communautés religieuses, onze institutions charitables, une école normale, trois académies d’hommes, et cinq de femmes. Ce diocèse compte actuellement cent quatre-vingt-dix prêtres séculiers et trente-huit réguliers.

Mgr HENNI, ancien archevêque de Milwaukee. (Voir p. 114.)


Mgr ROOSEVELT BAYLEY, ancien archevêque de Baltimore. (Voir p. 116.)


Mgr LAMY, ancien archevêque de Santa-Fé. (Voir p. 118.)


Mgr Magloire BLANCHET, ancien évêque de Nesqually (Voir p. 118.)

Mgr Henni a été remplacé par son coadjuteur Mgr Michel Heiss, qui fut son compagnon de route dans son premier voyage au Wisconsin.




Mgr ROOSEVELT BAYLEY (Jacques)
ancien archevêque de Baltimore.
(1814-1877.)

Il était né à New-York, le 23 août 1814, de Guy Carlton Bayley et de Grâce Roosevelt, tous deux protestants. Son arrière-grand-père paternel, le Dr William Bayley, descendant d’une vieille famille anglaise du Yorkshire, avait émigré en 1710 aux États-Unis et s’était marié à New-York, avec Mlle Lecomte, protestante française émigrée. Son grand-père, chirurgien éminent, occupait en 1792 la chaire d’anatomie à Columbia-College, et son père était lui-même un des médecins les plus distingués de New-York. Sa mère, Grâce Roosevelt, appartenait à une des familles les plus considérées des États-Unis.

Après avoir terminé ses études au collège de la Trinité, à Hartford, M. Bayley prit, en 1835, ses grades universitaires et commença l’étude de la médecine, profession héréditaire dans sa famille. Au bout d’un an, il laissa la médecine pour la théologie et se disposa à entrer, comme ministre, dans l’Église épiscopalienne. En 1840, il fut nommé recteur de l’église de Saint-André, à Harlem. Vers 1841, le choléra fit de grands ravages à New-Vork. Le jeune clergyman n’hésita pas à aller porter les consolations religieuses à un grand nombre de malades. Là, il eut l’occasion de connaître un vieux missionnaire catholique, le P. Carran, dont la paroisse comprenait Harlem et Astoria. Il fut profondément touché par la piété et l’esprit de sacrifice du prêtre catholique, et, malgré la différence de communion religieuse, tous deux devinrent des amis et se rendirent ensemble à l’appel des cholériques.

À la même époque, M. Bayley rencontra sur le chemin qui devait le conduire à la vérité, un jeune prêtre, qui mourut cardinal-archevêque de New-York, M. Mac Closkey. Une révolution se fit bientôt dans son esprit. Vers la fin de 1841, il résigna sa charge de recteur de Harlem, et partit pour l’Europe. Le 26 avril 1842, à Rome, le R. P. Esmond, de la Compagnie de Jésus, recevait son abjuration. Le 28 avril, le néophyte était confirmé, dans la chambre de saint Ignace au Gesù, par le cardinal Fransoni, préfet de la Propagande. Il entra ensuite au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, où se trouvaient alors comme étudiants, le R. P. Howkins et l'archevêque actuel de Boston, Mgr Williams. En revenant à la foi catholique, M. Bayley n'avait écouté que la voix de sa conscience, sans se préoccuper d'aucune considération humaine, ni d'aucun intérêt matériel. A la nouvelle de sa conversion, sont oncle maternel, M. Jacques Roosevelt, annula le legs de 100,000 dollars (500,000 fr.) qu'il lui avait fait par testament, pour en faire bénéficier un séminaire protestant.

Ordonné prêtre à New-York, le 4 mars 1843, par Mgr Hughes, M. Bayley fut envoyé comme vice-président au collège de Saint-Jean, à Fordham, dont, en 1845, il fut nommé le président. Au mois de juillet 1846, il fut chargé de la paroisse de Staten Island, près du lazaret de Lower, et en même temps de l'hôpital maritime. Le 8 décembre suivant, Mgr Hughes, évêque de New-York, l'appelait auprès de lui pour remplir les fonctions de secrétaire particulier.

Le 29 juillet 1853 M. Bayley était nommé par le Siège premier évêque de Newark. Le 30 octobre, il recevait la consécration épiscopale dans la cathédrale de Saint-Patrick, à New-York, des mains de Mgr Bedini, alors nonce extraordinaire du Saint-Siège au Brésil, chargé d’un message pour le président Pierce, et qui consacrait aussi le même jour NN. SS. Loughlin, évêque de Brooklyn, et de Goësbriand, évêque de Burlington.

Une des plus grandes sollicitudes du nouvel évêque fut l’éducation catholique. En 1856, il fonda, à South-Orange, le collège de Seton-Hall, auquel était attaché un séminaire ; l’année suivante, il installa un couvent de religieuses de la Charité à Madison. Il introduisit et établit également dans son diocèse les Passionistes, les Dominicains, les Augustins, les Franciscains et plusieurs autres Ordres religieux.

Le 30 juillet 1872, Mgr Bayley fut transféré au siège métropolitain de Baltimore, en remplacement de Mgr Spalding, décédé. Il en prit solennellement possession le 13 octobre suivant.

Mgr Bayley avait fait à Rome de nombreux pèlerinages. Il avait assisté, en 1862, à la canonisation des martyrs japonais ; en 1867, aux fêtes du centenaire de Saint-Pierre, et, en 1869, aux délibérations du concile du Vatican.

Depuis plusieurs années, la santé de Mgr Bayley était altérée. Au printemps de 1876, il vint en Europe, et fit une saison aux eaux de Vichy. Il espérait

Mgr DUBUIS, évêque de Galveston. (Voir p. 118.)


Mgr GLORIEUX, vicaire apostolique d'Idaho. (Voir p. 118.)


Mgr HENNESSY, évêque de Dubuque. (Voir p. 118.)


Mgr MAC-FARLAND, ancien évêque de Hartford. (Voir p. 118.)


pouvoir se rendre à Rome, mais son mal s’étant aggravé, il dut, sur l’ordre des médecins, retourner aux États-Unis. Il débarqua à New-York le 21 août et fut conduit à Newark, au palais épiscopal, auprès de Mgr Corrigan. C’est là qu’il est mort le 3 octobre 1877.

Le 25 juin dernier, le Saint-Siège avait donné pour coadjuteur à Mgr Bayley, avec future succession, Mgr Gibbons, évêque de Richmond.

Mgr Bayley était un homme de grand savoir et un esprit éminent. Il parlait et écrivait purement le français et l’italien, il a laissé plusieurs ouvrages fort estimés, entre autres : Sketch of the history of the Catholic Church on the Island of New-York (New-York, 1853) ; et Memoirs of Simon Gabriel Bruté, first Bishop of Vincennes (1860).




Mgr LAMY (Jean),
ancien archevêque de Santa-Fé.

Né dans le diocèse de Clermont le 11 octobre 1814, Mgr Lamy fut pendant plusieurs années missionnaire dans l’ouest des États-Unis. En 1850 il était nommé évêque titulaire d’Agathonique ; il fut transféré au siège de Santa-Fé en 1853, puis promu archevêque en 1875. Brisé avant l’âge par les fatigues de l’apostolat, le vaillant prélat donna sa démission en 1885. Il a été transféré à l’Église archiépiscopale titulaire de Cyzique.




Mgr BLANCHET (Magloire),
ancien évêque de Nesqualy.

Comme son illustre frère l’archevêque d’Orégon, ce prélat se dévoua de bonne heure à l’évangélisation des provinces du Far-West. Nommé en juin 1849, évêque de Walla-Walla (territoire de Washington), il fut sacré le 27 septembre de la même année et transféré à Nesqualy le 31 mai 1850. Mgr Blanchet est actuellement évêque titulaire d’Ibora.




Mgr DUBUIS (Claude-Marie),
évêque de Galveston.

C’est en 1882, après plus de trente-six années d’un laborieux apostolat dans le sud des États-Unis que ce vaillant évêque a obtenu de S.S.le Pape Léon XIII d’être déchargé du gouvernement de son diocèse, et M. Louis Gallagher en a été nommé administrateur.

Mgr Claude-Marie Dubuis était depuis vingt ans à la tête dudiocèse de Galveston. Nommé, le 15 octobre 1826 en remplacement de Mgr Odin, il reçut la consécration épiscopale le 23 novembre suivant. C'est en 1846 que Mgr Dubuis quitta le diocèse de Lyon, dont il est originaire, pour aller se dévouer aux population du Texas, qui pour la plupart n'avaient pas encore entendu la parole de Dieu. Comme missionnaire et comme évêque, il n'a cessé de s'occuper des intérêts spirituels de ses ouailles et on lui doit, en grande partie, les progrès de la religion dans l'immense État du Texas.




Mgr GLORIEUX (Alphonse)
vicaire apostolique d'Idaho.

Ce prélat a été préconisé, le 27 février 1885, évêque titulaire d'Apollonie et vicaire apostolique d'Idaho.




Mgr HENNESSY (Jean),
évêque de Dubuque.

Ce prélat, originaire d'Irlande, a été nommé évêque de Dubuque le 24 avril et sacré le 30 septembre 1866.




Mgr MAC-FARLAND (Françaois-Patrice),
ancien évêque de Hartford.
(1819-1874.)

Mgr Mac-Farland était né le 4 avril 1819 à Franklin (Pensylvanie). Après avoir fait ses études au collège du Mont-Sainte-Marie à Emittsburgh et au collège de Saint-Jean à Fordham, il fut ordonné prêtre, le 18 mai 1845, par Mgr Hughes, alors évêque de New-York.

Il exerça pendant quelque temps le ministère dans le comté de Jefferson (État de New-York), puis fut nommé curé de la paroisse Sainte-Marie à Watertown, où il resta dix années. En 1856, il fut transféré à l’église de Saint-Jean à Utica (diocèse d’Albany). Il administrait cette paroisse lorsque le Saint-Siège le nomma évêque de Hartford, en remplacement de Mer O’Reilly. Le 14 mars 1858, il reçut la consécration épiscopale des mains de Mgr Hughes, archevêque de New-York.

Mgr Mac-Farland est mort le 12 octobre 1874.




Mgr MACHEBEUF (Joseph-Projet),
évêque de Denver.

Nous avons déjà donné page 100 la biographie de ce saint prélat et raconté les touchantes

Mgr MACHEBEUF, évêque de Denver. (Voir p. 118.)


Mgr KRAK, ancien évêque de Marquette et Sault-Sainte-Marie. (V p. 120.)


Mgr LYNCH, ancien évêque de Charleston (Voir p. 120.)


Mgr MARTIN, ancien évêque de Natchitoches. (Voir p. 121.)

manifestations dont a été l'occasion le cinquantenaire de son ordination. Avec le clergé. heureux de voir à sa tête un chef dont les années n'ont point diminué à la ferveur apostolique, tous les fidèles du vicariat ont tenu à s'associer à cette fête des « noces d'or » de leur pasteur, fête qui, ayant commencé par une grande messe pontificale et un sermon du Père Mageuney de la Compagnie de Jésus, s'est terminée dans les réjouissances les plus cordiales.

Après avoir gouverné durant près de vingt ans l'Église du Colorado avec le titre d'évêque d'Épiphanie et de vicaire apostolique, Mgr Machebeuf a été nommé en 1887 évêque de Denver et a reçu, sur sa demande, pour évêque coadjuteur, un de ses missionnaire les plus zélés, M. Nicolas Matz, né en Alsace en 1851.




Mgr MRAK (Ignace),
ancien évêque de Marquette.

Ce prélat est autrichien de naissance.

Né à Polland (diocèse de Laybach), le 10 octobre 1810, il partit de bonne heure pour les États-Unis et évangélisa de préférence la portion voisine du Canada.

Nommé au siège de Marquette et Sault-Sainte-Marie le 25 septembre 1868, après vingt ans d'un apostolat fécond au milieu des Indiens du lac Michigan, Mgr Mrak ne put recevoir la consécration épiscopale que l'année suivante. Le prélat continua avec zèle l'Œuvre commencée par Mgr Baraga (1855 1868), et remplit les obligations de sa charge jusqu'en 1878, époque où il obtint du Saint-Siège d'en être relevé. Il a remis aux mains de son successeur, Mgr Vertin, le diocèse de Marquette dans un état florissant : sous son administration, le nombre des prêtres s'est élevé de 15 à 27 ; celui des églises et chapelles, de 22 à 35, et celui des catholiques de 22,000 à 29,000. Mgr Mrak s'est retiré depuis huit ans à Menominee et y exerce les fonctions pastorales comme un simple missionnaire.




Mgr LYNCH (Patrice-Niesen),
ancien évique de Charleston.
(1817-1882.)

C'était un des plus savants prélats des États-Unis.

« L'évêque Lynch, dit le Charleston News, journal protestant, était un des hommes les plus remarquables de notre temps. Peu de personnes alliaient, à une variété de connaissances aussi grande, une esprit aussi clair. Il savait jeter la lumière dans les questions les plus difficiles et les plus complexes ; il était familiarisé avec toutes les branches des sciences humaines : astronomie, géologie, médecine, droit, il avait tout étudié et approfondi. Passionné pour l'étude et doué d'une facilité extraordinaire, il avait appris à Rome le sanscrit, outre le latin et le grec ; il parlait élégamment le français, l'espagnol, l'italien, l'allemand ; sa connaissance de l'hébreu le fit choisir une année pour prononcer à la Propagande une adresse dans cette langue en présence de Grégoire XVI. »

Né, le 10 mars 1817, de parents irlandais, Patrice-Niesen Lynch avait été envoyé, dès l'âge de seize ans, au collège de la Propagande par Mgr England. Il fit des études brillantes à Rome, reçut l'ordination sacerdotale en 1840, et conquit le grade de docteur en théologie. De retour dans son diocèse, il fut pourvu d'une cure, puis chargé de la direction du Collegiale Institue à Charleston, enfin nommé vicaire général. A la mort de Mgr Reynolds, deuxième évêque (1844-1855), il fut choisi pour l’administrateur du diocèse, puis, deux ans après, appelé à remplacer le prélat défunt. Préconisé le 11 décembre 1857, il fut sacré le 14 mars 1858.

A l'époque où il en devint le premier pasteur, le diocèse de Charleston était roche et prospère ; mais la guerre de sécession, qui éclata peu après, le couvrit de ruines. Pendant cette malheureuse époque, le cœur paternel de l'évêque souffrit cruellement des maux de toutes sortes qui affligeaient son troupeau. Jusqu'à sa mort, il ne cessa de travailler à relever les ruines et à réparer ces affreux désastres. Les dernières années de Mgr Lynch furent éprouvées par une longue et douloureuse maladie.

Le pieux et vénérable évêque est mort le 26 février 1881, dans sa ville épiscopale, à l'âge de soixante-cinq ans. Ses funérailles eurent lieu le 1er mars. Huit évêques rehaussaient par leur présence la cérémonie funèbre. L’archevêque de Baltimore, Mgr Gibbons, officia à la messe de Reguiem.

« D'autres, remarque un journal protestant, relèveront le fardeau qui est tombé des épaules du prélat et reprendront sa tâche où il l'a laissée. Mais aucun ne sera plus attaché à son Église, plus aimé des hommes de toutes les conditions, plus actif, plus dévoué à son peuple, plus loyal que le bon évêque qui vient d'être enlevé. Pour lui, plus rien des soucis de ce monde ; la trêve de Dieu a mis fin à sa laborieuse carrière : il est entré dans le dimanche éternel, dans ce jour de repos qui n’aura pas de fin. »




Mgr MARTIN (Auguste-Marie-Louis),
ancien évêque de Natchitoches.
(1803-1875.)

Mgr Auguste Martin, premier évêque de Natchitoches, est mort dans sa résidence épiscopale, le 2 octobre 1875.

Ce prélat était né à Saint-Malo (diocèse de Rennes) le 2 février 1803. Entré au séminaire de Saint-Brieuc en 1819, il fut ordonné sous-diacre à Beauvais en 1824, par l’évêque de ce diocèse, Mgr de Lesquen, et diacre l’année suivante, à Paris, par Mgr de Quélen. Le 21 juin de la même année, le cardinal de Croy le nommait supérieur du collège royal de Saint-Denis. Il n'avait que vingt-deux ans.

En 1828, M. Martin suivit Mgr de Lesquen dans le diocèse de Rennes, et fut chargé de la paroisse de Saint-Armegilde, puis, en 1832, transféré à celle de Saint-Martin à Vern. En 1839, il était nommé chanoine honoraire de la cathédrale de Rennes, et, peu après, aumônier du collège royal de cette ville.

La même année, cédant à son attrait pour les missions, il répondit à l’appel d’un de ses compatriotes, Mgr Bruté, évêque de Vincennes (États-Unis), et partit pour ce diocèse. En 1840, il en fut nommé le vicaire général, fonction qu’il remplit pendant plus de six années. Le 24 décembre 1846, il fut nommé curé de Saint-Joseph, à Bâton-Rouge (diocèse de la Nouvelle-Orléans). Le 17 décembre 1849, il devint vicaire général de ce dernier diocèse et curé de l’église Saint-François, à Natchitoches.

Enfin, le 28 juillet 1853, S.S. Pie IX nomma Mgr Martin, premier évêque de Natchitoches. Le nouvel évêque fut sacré dans la cathédrale de la Nouvelle-Orléans, le 30 novembre de la même année, par Mgr Blanc.

Le 8 décembre 1868, il publia une lettre pastorale pour le rétablissement de l’Œuvre de la Propagation de la Foi dans son diocèse.

Au mois d’avril 1875, Mgr Martin vint en France recruter quelques prêtres pour combler les vides faits dans son clergé par la terrible épidémie de 1873. Il repartit pour la Nouvelle-Orléans le 31 juillet, avec cinq missionnaires et une religieuse. Deux mois après, Dieu l’appelait à l’éternelle récompense.




Mgr VÉROT (Augustin),
de la Société de Saint-Sulpice,
ancien évêque de Saint-Augustin.
(1810-1876.)

M. Vérot était arrivé aux États-Unis en 1836. Il fut d’abord attaché au grand séminaire de Sainte-Marie à Baltimore, où il professa successivement les mathématiques, la philosophie et la théologie. En 1854, il fut nommé curé de Ellicott’s Mills (Maryland) et avait en même temps sous sa charge Doughoregann, Manor, Sykesville, Clarkesville et autres stations.

Le 21 décembre 1857, M. Vérot fut nommé évêque de Danabée in partibus et vicaire apostolique


Mgr VÉROT, ancien évêque de Saint-Augustin (Floride).


de la Floride, que le Saint-Siège venait d’ériger en vicariat. Sacré à Baltimore, le 25 avril 1858,le nouvel évêque faisait son entrée à Saint-Augustin le 1er juin suivant.

Le 14 juillet 1861, le Saint-Père nomma Mgr Vérot évêque de Savannah (Géorgie), et lui consacra, en même temps, l'administration du vicariat apostolique de la Floride. Le 21 mars 1870, il le transférait au siège, nouvellement créé, de Saint-Augustin (Floride).

C'est dans sa résidence épiscopale, qu'il est mort subitement le 13 juin 1876, d'une attaque d'apoplexie.


ANTILLES.

Trinidad. Cocorite. Roseau. Jamaïque. Curaçao.


ANS la chaîne d'îles qui s'étendent entre les deux Amériques ; dans ces Antilles où Christophe Colomb abordait il y aura demain quatre siècles, les missionnaires trouvent à leur zèle une ample carrière.

Nous voudrions parler avec tout le développement qu’elles méritent, de ces nombreuses et belles chrétientés ; mais le temps nous presse et nous devons penser à terminer cette longue pérégrination à travers les missions des Deux Mondes.

Archidiocèse de Port d’Espagne. — L’île de la Trinidad, la plus méridionale des petites Antilles et la plus voisine de l’Amérique du Sud, est située en face du Vénézuela, à peu de distance des Guyanes. En ce moment, cette île, comme la plupart des Antilles, est le rendez-vous de toutes les races humaines, sauf peut-être de celles de l’Océanie ; on y rencontre, en effet, des Européens, des Asiatiques, des Africains et des indigènes de l’Amérique. C’est assurément un des faits les plus étonnants de l’histoire des migrations des peuples.

Lorsqu’on supprima l’esclavage, il fallut pour suppléer au travail des noirs transporter aux Antilles des Chinois loués à Canton et au Fo-kien, et des Hindous de Calcutta et de Madras.


TRINIDAD. — MAISON DES DOMINICAINES DESSERVANT LA LÉPROSERIE DE COCORITE. (Voir p. 124.)

La première importation de coolies hindous eut lieu à Trinidad, en mai 1845.

Bientôt, sous l'autorité du gouvernement, une société se forma, pour régulariser et organiser ce recrutement de travailleurs. Chaque années, ils arrivent par milliers, hommes, femmes et enfants. Leur engagement est de cinq ans, et on leur donne un salaire. Libres, au bout de ces cinq années, de retourner dans les grandes Indes, ou d’acquérir dans la colonie des terrains de la couronne, la plupart préfèrent rester, et ils se constituent en villages, pendant que leurs compatriotes, nouveaux venus, travaillent sur les plantations.

Ces Hindous conservent leur religion, leurs mœurs et même leur costume national. Ils sont répandus sur presque toute la surface de l’île : mais c’est principalement dans la contrée de Naparim, très favorable canne à sucre et où se trouve la majeure partie des plantations, qu’ils sont agglomérés en plus grand nombre. Déjà on peut dire qu’ils forment un peuple, car, sur la population totale de l’île qui est de 115,000 habitants, ils comptent pour un tiers. C’est parmi eux que les missionnaires recrutent leurs meilleurs prosélytes.

En 1863, Mgr Gonin était nommé, par Pie IX, archevêque de Port-d’Espagne ; en même temps, le Saint-Siège confiait aux Dominicains l’administration de la

TRINIDAD. — CATHÉDRALE DE PORT-D'ESPAGNE. (V. p. 124.)


TRINIDAD. — ORPHELINAT DE SAINT-DOMINIQUE DE BELMONT, A PORT-D'ESPAGNE, d'après une photographie. (V. p. 125.)


cathédrale et l’apostolat de la ville de Port-d'Espagne qui, à elle seule, constitue une mission permanente, puisqu'on y trouve des hommes de toute race, de toute langue et de toute religion. La cathédrale est située sur le bord de la mer, à une des extrémités de la capitale (voir la grave page 123).

Cocorite. — L'œuvre la plus touchante fondée par les Pères, c'est leur léproserie de Cocorite, desservie par des Dominicaines.

« Nos visiteurs et visiteuses, écrivait dernièrement une Sœur, n'emportent pas un trop mauvais souvenir de notre hôpital : « Mais c'est le « Paradis » ici ! disaient naguère deux dames de la vile en descendant notre rude esclaier. Une atmosphère de joie et de paix enveloppe notre communauté. C'est la récompense des légers sacrifices qu'entraîne la vocation de garde-malades des lépreux.

« Une salle a été ajoutée à notre hôpital. Cette salle compte 30 lits, occupés par les plus impotents, car c'est l'infirmerie. C'est une place excellente pour faire une méditation bien sentie sur les misères humaines. En effet, ces lépreux les résument toutes : nous avons des aveugles, des borgnes, des boiteux, des estropiés, des idiots, des grangreneux, etc. Je craindrais de vous


TRINIDAD. — LÉPROSERIE DE COCORITE, DESSERVIE PAR LES DOMINICAINES.


effrayer en entrant dans le détail ; il n’y a pas jusqu’à un vieux Chinois qui ne nous rappelle parfaitement un de ces dieux ou diables de son pays que certaines gravures représentent.

« Nous comptons maintenant cent quatre-vingts malades. C’est le 19 août 1887 que nos richesses se sont soudainement accrues ; aussi quelle journée mémorable ! Dès le matin, nous attendions. A quatre heures, un premier équipage à deux chevaux est salué par les hourras de nos pensionnaires. Vingt compagnons en descendent ; quel coup d’œil ! Ces pauvres gens sont littéralement en haillons. L’un s’avance en sautant sur une jambe ; l’autre tremble sur son bâton ; un troisième est soutenu par un camarade aussi écloppé que lui ; plusieurs font l’effet d’arcs ambulants, d’autres enfin, les plus malades, sont portés sur les bras. Dès le lendemain, tous les visages s’étaient éclaircis. « Ma man french too much good, Mère française trop bonne ! » répétait notre vieux Chinois, et tous témoignaient la même reconnaissance... »

Dans le modeste cimetière qui confine à l'établissement, on ne lit pas sans émotion les noms des nombreuses religieuses tombées victimes de leur dévouement et appelées à la fleur de l'âge à recevoir la récompense de leur admirable apostolat. »

Belmont. — Un mot d’une autre création fondée en faveur des enfants nègres.

L'orphelinat de Saint-Dominique de Belmont fut ouvert, au mois de septembre 1871, par Mgr Gonin. Il ne comptait que trois enfants de race nègre. On dit que ses débuts parurent si misérables, à un personnage haut placé de la Trinidad, témoin de la cérémonie d'ouverture, qu'il s'écria, faisait allusion aux trois pauvres petits : « — Ils seront certainement les premiers et les derniers ; cela ne peut pas tenir. »

En effet, à le considérer humainement, il devait en être ainsi. Mais les voies de Dieu ne sont pas les nôtres, et du moindre grain de sénévé peut sortir un grand arbre.

À la fin de l’année 1871, c’est-à-dire trois mois après, il y avait déjà, à l’orphelinat de Saint-Dominique de Belmont, dix-huit enfants créoles.

Malgré le dévouement de tous ceux qui se consacraient corps et âme au service de l’orphelinat, l’œuvre avait besoin de mères selon la grâce, formées par


ILE DE SAINTE-CROIX (Antilles). — ÉGLISE SAINTE-CROIX A CHRISTIANSTED.


vocation à cet apostolat. Mgr Gonin fit appel à la charité des Sœurs Dominicaines qui avaient fait si admirablement leurs preuves à la léproserie de Cocorite. Saint-Dominique de Belmont leur fut confié au mois de février 1876. À cette date, on comptait dans l’établissement 66 enfants et 11 personnes employées au service de l’œuvre. Actuellement le nombre des pupilles de l’orphelinat atteint 125.

La province métropolitaine de Port-d’Espagne comprend :

1° L’archidiocèse de Port-d’Espagne, dans l’île de la Trinidad ;

2° L'évêché de Roseau, dans l'île de la Dominique.

Un diocèse sera très probablement créé plus tard à Saint-Thomas, pour les îles danoises et le groupe des îles Vierges.

3° Le vicariat apostolique de la Jamaïque ;

4° Le vicariat apostolique de Curaçao, dans l'île hollandaise de ce nom ;

5° Le vicariat apostolique de la Guyane anglaise ;

6° Le vicariat apostolique de la Guyane hollandaise.

Roseau. — Ce siocèse englobe six îles anglaises : Dominique, Montserrat, Antigoa, Saint-Christophe Nevis, Tortola, et trois îles danoises : Sainte-Croix, Saint-Thomas, Saint-Jean.

Grâce au zèle des deux prélats qui se sont succédé à la tête de cette grande missions, NN. SS. Poirier et Naughten, le nombre des catholiques s'est rapidement accru dans ces diverses îles et atteint 50.000, sur une population totale de 146.000 habitants.

Saint-Thomas mérite une notice spéciale. C'est dans ce centre des populations danoises que le catholicisme a fait le plus de conquêtes, grâce au zèle des Pères Rédemptoristes. De 6.000, le nombre des catholiques est monté à 10.000 ; une église nouvelle, un couvent, un hôpital, des écoles, des associations charitables ont été fondées et sont en pleine prospérité.

Jamaïque. — Ce vicariat apostolique, desservi par les Pères Jésuites, comprend, outre l'île de ce nom, tout le Honduras britannique.

Mgr Thomas Porter, de la Compagnie de JÉSUS, vicaire apostolique de la Jamaïque, écrivait le 1er septembre 1880 :

« Le 11 août dernier, un ouragan d’une violence épouvantable se déchaîna sur une partie considérable de l’île et causa d’affreux ravages à nos établissements. L’école Saint-Joseph, à Kingston, a été entièrement détruite. Le dortoir de l’école industrielle des jeunes filles, fondée il y a trois mois dans la même ville, a été ruiné. L’église en fer d’Agualta Vale, près de la baie d’Aunotto, a été renversée ; l’autel seul est demeuré debout : six mille dollars (30,000 fr.) avaient été dépensés pour élever ce sanctuaire. La toiture des églises de King-Weston, d’Above-Rocks et de Saint-George Avocat a été en grande partie enlevée. Les écoles et les chapelles de Friendship et de May-River sont démolies de fond en comble. La plupart des autres églises du vicariat sont plus ou moins sérieusement éprouvées.

« Les catholiques de la Jamaïque, ajoute Mer Porter, sont, à peu d’exceptions près, fort pauvres, et si des secours ne nous viennent du dehors, il faudra bien des années pour que nous puissions relever les ruines. »

Le nombre des catholiques de tout le vicariat est de 35.000.

Curaçao. — Cette île, située à 120 latitude nord et et 71° longitude est de Paris, entre les îles de Bonaire et d’Aruba, n’est éloignée de la côte américaine que de vingt-cinq heures environ, de sorte que souvent l'on peut parfaitement distinguer, à l’œil nu, les montagnes du Vénézuéla.

Ce n'est que vers l'an 1739 qu'un missionnaire hollandais y vint. Depuis lors l'église Sainte-Anne eut régulièrement ses pasteurs, espagnols pour la plupart ; il y eut aussi quelques-uns hollandais et même français.

En 1824, Rome envoya, en qualité de Préfet apostolique, M. Martin-Jean Nieuwindt. Secondé par plusieurs missionnaires qu'il avait amené avec lui, ce saint prêtre, alors âgé de vingt-huit ans à peine, se voua entièrement au troupeau confié à sa garde.

En 1829, M. Nieuwindt commença à bâtir dans l'intérieur de l'île, à l'ouest, une église qui fut dédiée à saint Joseph. Dix ans après, il en faisait ériger une nouvelle à l'est, en l'honneur de sainte Rose. En 1847, une troisième s'élevait dans l'ouest sous le vocable de la Sainte-Vierge. En 1849, une quatrième se consacrait encore dans l'ouest en l'honneur de saint Willibrord, et enfin, en 1854, l'extrémité occidentale de l'île eut aussi la sienne, dédiée à saint Pierre.

Dans l'île d'Aruba qu'il avait fait évangéliser dès 1825, trois églises furent bâties par ses soins. Bonaire en eut deux avec deux prêtres. Saint-Eustache, Saint-Martin et Saba eurent aussi chacune leur église et leur missionnaire.

Le Saint-Siège le nomma, en 1842, vicaire apostolique et évêque de Gytrum in parkibus.

Ce prélat étant mort en 1860, Mgr Kistemaker, curé de Saint-Eustache depuis 1839, luis succéda immédiatement. Il avait été déjà nommé son coadjuteur cum jure successionis. Sacré en Hollande, il revint en 1861. Mais, dès son retour à Curaçao, Mgr Kistemaker se vit obligé, pour cause de santé, d’offrir au Saint-Siège sa démission qui fut agréée en 1867.

M. le curé C. J. Schermer fut nommé administrateur par la Propagande. Il fallut songer alors à nommer un nouvel évêque ; mais, vu la pénurie de prêtres séculiers, Rome n’eut d’autres ressources que de céder la mission à un Ordre religieux. Ce fut aux Dominicains de la province de Hollande qu’elle fut confiée. Mgr Henri-Joseph Van Ewijk, ancien missionnaire au Cap de Bonne Espérance, fut nommé évêque en juin 1869. Ce prélat ne gouverna que sept ans la mission. En 1866, il mourut et fut remplacé par Mgr Ceslas Reynen, lequel fut aussi enlevé après quelques mois d’épiscopat. Le chef actuel de la mission de Curaçao est Mgr Fooster.

GUYANES ANGLAISES ET HOLLANDAISES

La Mission. Mgr Etheridge. Paramaribo. Mgr Schaap.


A GUYANE anglaise est confiée aux soins de la compagnie de JÉSUS. Le vicaire apostolique réside à Georgetown. Treize missionnaires le secondent pour les soins spirituels à donner aux 21,000 catholiques de la colonie. De nombreuses religieuses Ursulines s'occupent des enfants et tiennent les écoles.


Mgr ETHERIDGE, de la Compagnie de JÉSUS, ancien vicaire apostolique de la Guyane anglaise, décédé le 31 décembre 1877.


Mgr Butler gouverne actuellement cette belle mission. Son prédécesseur, Mgr Etheridge, a tant contribué à la prospérité du vicariat que nous nous faisons un devoir de rappeler les principales circonstances de sa vie apostolique.

Né près de Worcester (diocèse de Birmingham), le 19 octobre 1808, Mgr Etheridge fit ses études au collège de Stonyhurst (diocèse de Salford) et, en 1827, entra dans la Compagnie de JÉSUS, à Hodder house. Après six années consacrées à l'étude de la philosophie et de la théologie, il fut nommé professeur au collège de Stonyhurst. Ordonné prêtre en 1836, il exerça successivement le ministères apostoliques à Boston (Lincolnshire), à Worcester et à Norwich, puis fut envoyé, en qualité de recteur et de professeur de morale, au collège de Saint-Benoît, dans le nord du pays de Galles. Il y resta trois ans, après lesquels il


Mgr ETHERIDGE, de la Compagnie de JÉSUS, ancien vicaire apostolique de la Guyane anglaise, décédé le 31 décembre 1877.


fut nommé recteur de l'église de Saint-Wilfrid, à Preston. Il occupait ce poste lorsque, en 1857, Pie IX l'envoya à Demarara, comme vicaire général de Mgr Hynes, vicaire apostolique de la Guyane anglaise. Le 26 juin de l'année suivante, il fut nommé vicaire apostolique de la Guyane anglaise et reçut, la même année, la consécration épiscopale à Londres, dans l'église de l'Immaculée Conception, des mains du cardinal Wiseman, archevêque de Westminster.

En 1859, au départ de Mgr Spaccapietra, alors archevêque de Port-d’Espagne, il fut nommé administrateur de ce diocèse et délégat apostolique de Haïti, et il conserva ces fonctions jusqu'à l'arrivé du nouvel archevêque de Port-d’Espagne, en 1861.

Pendant ses vingt années d’administration, Mgr Etheridge s'est occupé avec un grand zèle d’accroître le troupeau qui lui était confié. Il a bâti, à Demerara, une belle cathédrale dédiée à la Vierge Marie.

Les catholiques de la Guyane ne peuvent point prier sur les restes de leur dernier pasteur. Mgr Etheridge mourut, frappé subitement d’apoplexie, le 31 décembre 1877, sur le steamer Eider, qui le ramenait de l'île Barbade à la Guyane, et les conditions de climat et de température ne permirent pas au commandant du Eider de garder le corps du prélat jusqu'à son arrivée à Demerara ; il dut, vers minuit du 31 décembre, le faire ensevelir dans les flots.

Paramaribo ou Surinam, chef-lieu de la Guyane hollandaise, est situé sur la rive gauche du Surinam, à environ 22 milles de l'embouchure du Maroni, limite de la Guyane française et à 210 milles de Cayenne. Le pays est tout à fait plat ; le sol est de


GUYANE ANGLAISE. — COUVENT, ÉCOLES ET ORPHELINAT DES RELIGIEUSES URSULINES, à Georgetown (Demerara), Camp Street ; d'après une photographie.


sable fin. La marée se fait assez sentir pour que l’eau de tous les puits soit saumâtre ; aussi on recueille avec soin les eaux de pluie dans les citernes. Les maisons sont en général plus élégamment bâties qu’à Cayenne ; mais les rues sont plates, sans trottoirs ni fossés, ce qui doit en rendre le parcours difficile dans les jours de pluie torrentielle si fréquents en Guyane.

La population est en majorité composée de luthériens, de calvinistes et autres réformés, et de près de 10,000 noirs. Ces derniers sont presque tous endoctrinés par les Frères Moraves. On n’exige guère d’eux qu’une vague croyance au Rédempteur et l’assistance aux prêches ; sur tout le reste on les laisse fort tranquilles. On compte aussi un assez grand nombre de juifs. La plupart des protestants et des juifs sont francs-maçons.

Les Moraves ont un temple dans une rue presque uniquement occupée par eux. Il y a là environ quarante Frères Moraves ministres, qui sont en même temps commerçants, tailleurs, cordonniers, etc. Ces gens-là sont fort riches, mais absolument déconsidérés. Ils possèdent, en outre, une fort belle plantation de cannes à sucre sur le bord du Surinam, à environ dix milles de la ville ; ils y ont un temple et une usine considérable.

Les Moraves ont quelque chose des mœurs phalanstériennes ; leurs enfants sont envoyés en Europe pour y faire leur éducation ; quand l’un d’eux doit prendre femme, celle-ci lui est adressée toute choisie par les Frères Moraves d’Europe, etc. Leur grande affaire est de gagner de l’argent, et ils en envoient beaucoup en Saxe, dit-on.

Les protestants comptent trois temples ; celui des luthériens a deux ministres qui prêchent alternativement, l’un que JÉSUS-CHRIST est Dieu, l’autre qu’il ne l’est pas ; ce qui, du reste, paraît assez indifférent à la plupart de leurs adeptes.

Quant aux juifs, ils n’ont pas de synagogue.

La ville a trois mauvais journaux, qui s’occupent, avec une grande ardeur, à combattre les travaux du vicaire apostolique, de ses prêtres et de ses religieuses.

On trouve dans la Guyane hollandaise un assez grand nombre de « Portugais » originaires du Brésil. Malheureusement, ils sont en général, des « cadavres de catholiques », tenant un peu à être baptisés, très peu à recevoir les autres sacrements si ce n’est peut-être l’extrême-onction ; mais désirant surtout après leur mort la sépulture ecclésiastique.

Enfin dans les exploitations éparses sur le territoire, il y a beaucoup de noirs, qui, tout en étant affranchis de nom depuis deux ou trois ans, sont assujettis à servir encore leurs maîtres pendant dix années. L’instruction religieuse est bien faible parmi eux ; les uns, — c’est le petit nombre, — sont catholiques ; les autres sont censés protestants ou moraves. Il n’est pas rare aussi de trouver des Chinois employés comme domestiques ou travailleurs ; aucun d’eux presque n’est chrétien. On rencontre encore des indigènes, mais ils sont dispersés au loin et sans beaucoup de rapports jusqu’à présent avec les missionnaires.

Le vicariat a été confié à des prêtres séculiers jusqu’à l’arrivée de Mgr Swinkels, de la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur. Le vicaire apostolique actuel est Mgr Schaap. Le prélat n’a pour l’aider dans sa tâche que seize Pères et quatre Frères de sa Congrégation, avec lesquels il vit en communauté. Quatre Pères sont toujours absents à tour de rôle ; ils visitent successivement les habitations et les campements indiens. Tous travaillent beaucoup. Mgr Schaap leur donne l’exemple. Chaque dimanche, il donne des conférences auxquelles viennent assister bon nombre de protestants. C’est lui aussi qui dirige les Religieuses.

Les Pères qui sont à Paramaribo se partagent la ville ; et tous les jours, chacun va dans son quartier visiter ses malades. Ils évangélisent quarante-sept habitations où ils baptisent chaque année un bon nombre de noirs.

Les fruits de leur ministère ne laissent pas d’être consolants. L’année dernière, plusieurs protestants se sont convertis, et la plupart étaient des personnages assez considérables.

Les indigènes de l’intérieur reçoivent de temps à autre la visite des Pères.

Le genre de vie de ces Indiens est des plus simples.

Leur première occupation, c’est la chasse et la pêche ; la culture de la terre vient bien loin après, et cette culture consiste dans un abattis de quarante ou cinquante ares de superficie, quelquefois moins, le plus souvent éloigné, d’une journée ou deux, du village. Là, au milieu d’immenses troncs d’arbres que le feu n’a consumés qu’à demi, ils plantent un peu de manioc, de rares bananiers, sèment quelques poignées de riz et de pistaches, juste ce qu’il faut pour leur usage.

Quant aux denrées d’exportation, comme le café, le cacao, la canne à sucre, la vanille, les arbres à épices, le cannellier et le giroflier, les résines et les gommes, les graines oléagineuses, etc.., ils ne s’en occupent pas, et ne les cultivent, ni ne les récoltent. En sont-ils plus malheureux et plus à plaindre ? N’ayant que des besoins très restreints, sous le triple rapport de la nourriture, du vêtement et du logement, rien ne les excite à produire des choses dont ils n’usent pas, ni à les échanger contre d’autres objets dont ils ignorent jusqu’à l’existence.

Ils ne savent ni lire, ni écrire, ni compter ; l’âge qu’ils ont leur est inconnu, ils ne savent même pas ce que c’est qu’une année, un mois, une semaine ; mais en sont-ils plus à plaindre pour cela ? Ils connaissent les phases de la lune sur lesquelles ils se règlent pour leurs cultures, et même pour la pêche et la chasse ; la marche du soleil leur sert de chronomètre ; leurs récoltes marquent les saisons. Le règne végétal est leur calendrier. Ce qu’ils connaissent admirablement, c’est le fleuve et la forêt. Ils sont d’une incomparable habileté à conduire une pirogue, à éviter un récif, à remonter ou à descendre un rapide.

GUYANE FRANÇAISE.

La mission de Mana. Le R. Mère Javouhey. La colonie pénitentiaire.


ETTE préfecture apostolique comprend vingt-cinq missionnaires, treize prêtres séculiers et douze membres de la Congrégation du Saint-Esprit. Outre le ministère paroissial à Cayenne et dans les quartiers et les aumôneries de la colonie pénitentiaire, la S. C. de la Propagande leur a confié deux missions intéressantes : celles des Indiens portugais ou Tapouyes dans le terrain contesté entre l'Oyapock et les Amazones et celles des peuplades qui habitent le Haut-Maroni.

La mission de Mana. — La distance par terre de Cayenne à Mana est de cent quatre-vingt-seize kilomètres.

La rivière de Mana, qui donne son nom au village,


MARONI. — UNE RUE DE MANA, d'après un dessin du R. P. Brunetti.


coule du sud au nord, sur une étendue de près de deux cent cinquante kilomètres. Sept ou huit placers, quelques-uns considérables, sont établis dans le haut de la rivière. Le village, sur la rive gauche, à quatre ou dix kilomètres de l'embouchure, est construit sur un banc de sable qui n'est que la continuation de celui qui longe toute la côte de Cayenne au Maroni. C'est, après Cayenne, par sa population et son


commerce, le point le plus important de la Guyane française, c'est une humble religieuse, la Révérende Mère Javouhey, fondatrice de la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, qui l'a créé.

En 1828, cette femme intrépide dont Chateaubriand avait dit : « Mme Javouhey est un grand homme », vint avec trente-six Sœurs et trente-neuf cultivateurs engagés pour trois années et quelques enfants,s'établir sur les bords de la Mana, à l'endroit même où se trouve aujourd'hui le bourg. En 1835 les colons européens l'ayant presque tous quittée ; à l'expiration de leur engagement, elle demanda et obtint du Gouvernement que les noirs de traite, libérés en vertu de la loi du 4 mars 1831, seraient successivement envoyés sur les bords de la Mana. Cinq cent cinquante noirs, enlevés aux négriers capturés sur la côte furent ainsi préparés, par le travail et une éducation chrétienne, à la liberté dont ils devaient jouir plus tard.

La population s'est accrue, et les gens de Mana, qui sont, en ce moment au nombre de huit cents, sont fiers de n'avoir jamais été esclaves, et ont conservé un profond souvenir de vénération et de reconnaissance à la chère Mère, comme ils appellent encore la à Révérende Mère Javouhey. Les Sœurs de Saint-Joseph, en souvenir de leur vénérée fondatrice, y ont conservé un établissement important. Ce sont elles qui, jusqu'à ces derniers temps, ont instruit et élevé les enfants des deux sexes; et elles continuent à faire valoir une belle propriété avec une sucrerie, la seule qu'il y ait en ce moment à la Guyane.

Mana est un bourg considérable à larges rues sablonneuses, possédant une vaste église bien ornée, une horloge à son clocher, une grande mairie et quelques belles maisons. Sa population en ce moment est excessivement mêlée : quoiqu'il n'y ait à peu près de blanc que le sable de ses rues et quelques rares Européens, elle est bien la réunion de toutes les couleurs de toutes les races. Il y a là, à côté des noirs de toute nuance de Mana, des Coolis, des Chinois, des Annamites, des Peaux-Rouges ou Indiens d'Amérique, des Tapouyes ou métis portugais, des Boschs, des Bonis, des Paramaca, des Saramaca, des Arabes ; On y parle au moins dix langues différentes. Ce n'est pas ce mélange qui contribue précisément à élever le niveau moral de cette localité.

Ce qui fait affluer ainsi ce monde bigarré « ex omni natione », ce sont les placers établis dans le haut de la rivière. Les nègres Boschs et Bonis sont là, près de cent cinquante, occupés presque exclusivement au transport des vivres, du personnel et des instruments destinés aux placer.

Pendant notre séjour à Mana, nous irons visiter l'établissement des lépreux, placé sur la rive droite de l'Accarouany, affluent de la Mana, à quinze kilomètres du bourg. Cet établissement, admirablement situé sur un vaste plateau qui domine la petite rivière, est encore une des œuvres de la R. M. Javouhey.

La colonie pénitentiaire. — Saint-Laurent est l'établissement pénitentiaire le plus important de la Guyane. Fondé en 1858 sous la sage et intelligente direction de M. Mélinon, cet établissement avait donné les plus belles espérances. C'est là qu'on voulait établir en grand, la colonisation pénitentiaire par la culture ; et c'est là que fut inauguré le système des concessionnaires qui devait être, en effet, le seul moyen de coloniser, s'il avait été possible de coloniser à la Guyane avec des éléments purement européens.

Ce système consistait à accorder à tout transporté en cours de peine se conduisant bien, et à tout transporté ayant terminé sa peine, une maison, une certaine superficie de terrain, des instruments de culture et des vivres pendant trois ans avec autorisation de se marier. Dans ce but on avait dirigé sur la Guyane plusieurs convois de femmes condamnées, choisies dans les Maisons Centrales de la Métropole. Hélas ! les résultats n'ont pas répondu aux espérances qu'on avait conçues.

« Voilà vingt-sept ans, racontait en 1886 le R. P. Brunerti, que j'ai assisté aux deux premiers mariages de ce genre qui ont eu lieu à Saint-Laurent et qui ont été suivis de beaucoup d'autres. Que reste-t-il de tout cela en ce moment ? La plupart des concessions sont abandonnées, et de toutes ces unions, quelques dizaines d'enfants chétifs et malingres, dont la plupart meurent avant l'âge de quinze ans. »

Si, de Saint-Laurent, nous étendons nos regards sur la transportation à la Guyane, nous constaterons partout les mêmes résultats négatifs, la même stérilité. Elle existe depuis trente-cinq ans, et près de 20,000 forçats y ont été envoyés successivement depuis 1851 jusqu'à ce jour. La France a dépensé plus de cent millions dans cette entreprise : les hommes sont morts, les millions absorbés et à Guyane n'a pas avancé d'un pas dans la colonisation.

Quelle conclusion à tirer de cette longue et coûteuse expérience ? La première, c'est que la culture de la terre en plein soleil dans les pays intertropicaux est impossible pour l'Européen. La seconde, c'est que, dans notre beau pays de France, les coquins ne gagnent pas leur vie et que ce sont les honnêtes gens qui sont obligés de les nourrir.

Quant au ministère des Âmes sur ces établissements, il est bien peu consolant. L’influence des aumôniers a été diminuée autant qu’on a pu le faire, sans les supprimer ; et liberté pleine et entière est accordée aux transportés, non pas d’accomplir leurs devoirs religieux, mais de ne pas les accomplir. Depuis bon nombre d’années d’ailleurs, il n’y a plus que des Arabes, des Noirs et des Annamites qui soient envoyés à la Guyane.

Quoi qu’il en soit, Saint-Laurent, malgré sa décadence, offre encore un joli aspect. C’est un établissement bien situé, bien bâti, bien aéré ; c’est l’emplacement d’une belle ville, mais on ne crée pas des villes avec des règlements d’administration et des surveillants militaires.

Peuplades de l’intérieur. — En 1886 le R.P.Brunetti remonta le cours de la rivière Mana jusqu’à 300 kilomètres dans l’intérieur et fit connaissance avec différentes peuplades.

Le quatrième dimanche de Carême, il eut la consolation de baptiser un Grand Man (grand chef) avec toute sa famille.

« Grande et touchante cérémonie ce matin, écrit-il dans son journal de voyage à la date du 4 avril. Notre petite chapelle champêtre avait été parée de ses plus règne végétal et surtout par la magnifique famille des palmiers dont les bords du Maroni possèdent presque toutes les variétés. Après la sainte Messe, a eu lieu, dans la chapelle, en présence de toute l’assistance, attentive et recueillie, le baptême solennel du Gran-Man Anato, de sa femme et de ses trois enfants. Le Gran-Man a reçu le nom de Paul et sa femme celui de Pauline : les trois filles portent les noms d’Henriette, de Marie et de Madeleine.

« En outre, ont été jugés capables de recevoir le baptême, Couami, notre chasseur, sa femme et ses deux enfants, ainsi qu’un excellent jeune homme, Couacou, qui nous avait accompagnés de Sparwin jusqu’à Cottica.

« Après la cérémonie, il y a grand conseil présidé par Anato et l'on y décide à l'unanimité que, dans la tribu des Bonis, tout le monde sera baptisé. Le Grand-Man, se faisant l'interprète de l’honorable assemblée, vient me transmettre cette importante décision, en me priant de leur envoyer le plus tôt possible un missionnaire pour les instruire et les préparer au baptême ; il me dit en même temps qu'ils construiront une haussou gadou (une chapelle) et que Massa-Gadou ne manquera de rien au milieu d'eux.

« Je vais ensuite baptiser dans leurs cases, d’où elles ne peuvent pas sortir à cause de leurs infirmités, dont la première et la plus grave est la vieillesse, la mère du Gran-Man et sa tante.

« Enfin, sur la demande de ces dames, surtout de la femme du Gran-Man, qui s’appelle à présent Pauline et qui a voulu que je sois son parrain et celui du Gran-Man, je procède avec bonheur à la bénédiction du village. La partie religieuse de cette bonne et consolante journée se termine par cette cérémonie.

« A l’occasion de son baptême, le Gran-Man invita les capitaines à sa table qui fut copieusement servie de volailles, gibier et poisson convenablement préparés par Joseph, avec du vin et d’excellent café de Cottica pour la fin.

« Le soir, il y a eu danses des enfants que le Gran-Man m’invite à venir voir et qui sont innocentes, m’assure-t-il. J’accède à ses désirs : aux enfants s’étaient jointes quelques grandes personnes, et tout le village, ainsi que les villages voisins, était là. Voici en quoi consiste cet amusement, qui est comme le complément de toute cérémonie et pour lequel les Bonis sont passionnés.

« Les femmes se placent ensemble en demi-cercle. L’une d’elles chante en récitatif sur un ton uniforme, auquel toutes les autres répondent par un refrain de quelques syllabes et quelques notes répétées en cadence. Toutes ont les bras tendus en avant et levés vers le ciel, sans faire le moindre mouvement avec les pieds, elles se balancent de droite à gauche au son du tam-tam et en répétant leur refrain. Cela peut durer ainsi des heures et même des nuits entières.

« Les Bonis sont doux et pacifiques : aucune discussion vive entre eux : aucune dispute. Pendant le jour, les femmes sont à l’abattis ; les hommes vont à la pêche ou à la chasse, ou causent entre eux : la nuit venue, ou au moins de bonne heure, chacun rentre chez soi pour se livrer au repos. Nul tapage nocturne, aucun de ces cris et de ces chants avinés si communs dans nos pays civilisés. Les noirs du Maroni boivent volontiers un coup de tafia, mais ne s'enivrent pas ; et si l'un ou l'autre d'entre eux a contracté cette déplorable habitude, c'est dans le contact qu'il a eu avec la prétendue civilisation. »

PATAGONIE.

Les Salésiens de Turin. Dom Bosco. Commencements et progrès de la nouvelle mission.


USQU'À ce jour, les immenses déserts des Pampas, la Patagonie, la terre de Feu et les îles Malouines avaient opposé la résistance la plus obstinée à la civilisation et au catholicisme.

Depuis la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, plusieurs fois de courageux ouvriers évangéliques tentèrent de pénétrer dans ces contrées égales en superficie à l'Europe entière ; mais ces essais durent infructueux, tous les apôtres furent massacrés et personne ne put fournir de renseignements positifs sur ces pays et leurs habitants.

Un prêtre de Turin, Dom Jean Bosco[1], en méditant sur le sort malheureux de ces sauvages, éprouvait


PATAGONIE. — PROCESSION À CARMEN, d'après une photographie.


la plus amère douleur. Il offrit pour une nouvelle tentative quelques-uns des religieux de sa Société et les présenta, le Ier novembre 1875, à Sa Sainteté Pie IX de douce mémoire.

Le Pontife les accueillit avec sa bonté toute paternelle : « Vous irez, leur dit-il, dans l'Amérique méridionale ; l'expérience, acquise par suite des tentatives faites jusqu'ici, vous conseille de ne pas vous rendre directement au milieu des sauvages, mais de vous établir sur les confins de leur territoire pour conserver dans la foi ceux qui l'ont déjà reçue. En prenant soin des enfants des Indiens, vous vous ouvrirez une voie pour vous approcher des parents. »

Après avoir ainsi reçu leur mission du Vicaire même de JÉSUS-CHRIST, les fils de Saint-François de Sales, au nombre de dix, sous la conduite de Jean Cagliero, prêtre, docteur en théologie, partirent, le 14 novembre 1875, pour la République d'Argentine ; le 14 du mois suivant, ils abordaient à Buenos-Ayres, capitale de cet État.

Les premiers travaux des nouveaux missionnaires furent consacrés à fonder des établissements d’éducation destinés aux sauvages, sur les confins de l’Uruguay et de la République Argentine. On éleva des hospices pour recueillir les enfants pauvres et abandonnés. On établit quelques séminaires pour y réunir des enfants capables de recevoir une instruction et une culture plus spéciales et pour développer en eux la vocation ecclésiastique.

La multiplication des maisons rendit indispensable l’augmentation du personnel. Chaque année on fit l’Amérique du sud. Sur divers points, on commença des missions dans le voisinage des Indiens. Elles eurent un bon succès et plusieurs centaines d’enfants et d’adultes furent instruits et reçurent le baptême.

Dans le but de pénétrer plus avant, on décida de profiter d’un bateau du gouvernement, qui devait se rendre au Rio Negro.

Le navire partit au mois de mai 1870. La navigation semblait devoir être heureuse ; mais à peine nos voyageurs furent-ils dans la haute mer, qu’une terrible bourrasque bouleversa les ondes de l’Atlantique. Après treize jours d’efforts inutiles et de périls, ils durent s’’abandonner aux vents qui repoussèrent le bateau au lieu même d’où ils étaient partis. Ce ne fut que par une protection toute spéciale du ciel, que les missionnaires et les autres voyageurs purent échapper à la mort.

Bien loin de perdre courage, les missionnaires voulurent faire une nouvelle tentative par voie de terre. Dans ce but, l’année suivante, le prêtre Jean Costamagna, le docteur Antoine Espinosa et un catéchiste


Dom JEAN BOSCO, fondateur et supérieur général des Missionnaires de Saint-François de Sales de Turin, chargés de l'évangélisation de la Patagonie.


se mirent en route à travers les Pampas. De grandes consolations les y attendaient. Ils purent parler à divers caciques (chefs de tribus), faire entendre le nom de JÉSUS aux habitants de ces immenses déserts, jusqu'alors inconnus, et donner le baptême à cinq cents sauvages.

Enfin, après Quarante-cinq jours de voyages à travers des terres inexplorées et innommées, ils purent, non sans difficulté, franchir le Rio Colorado, le Rio Negro, et entrer dans la Patagonie proprement dite, objet de leurs constantes aspirations. Le gouvernement de la République d'Argentine protégea cette périlleuse expédition, entreprise sur une étendue de plus de deux mille kilomètres.

Les missionnaires s’arrêtèrent sur les rives du Rio Negro, au 40° degré de latitude sud.

On trouve là divers marchés où les étrangers ont coutume de se rendre pour vendre, ou plutôt pour échanger du vin, des liqueurs, du pain, contre les fruits de ces pays ou des travaux exécutés par les Indiens. Ces objets sont ensuite transportés dans les autres parties de l’Amérique et même en Europe où leur rareté les fait rechercher. Les missionnaires s’établirent donc à Carmen, terrain découvert où les sauvages et les étrangers se rencontrent.

Les Patagons et quelques Européens déjà fixés dans le pays, accueillirent les Pères avec joie ; cette sympathique réception leur permit de traiter avec les chefs, d’examiner la condition des habitants et de reconnaître la possibilité d’établir des colonies. Puis, après les précautions nécessaires pour rester en bonne intelligence avec les Indiens et après leur avoir promis de revenir au plus tôt au milieu d’eux, ils retournèrent à Buenos-Ayres. Là, ils exposèrent l’heureux succès de leur voyage au gouvernement.

Après avoir préparé des provisions nécessaires, avec l’aide d’autres Pères et des Sœurs de Marie Auxiliatrices nouvellement arrivés d’Europe, le P. Fagnano, sur la fin de décembre 1879, se rendait directement en Patagonie pour organiser la mission. Les missionnaires fondèrent des maisons, des églises, des hospices ; ils établirent des écoles pour les jeunes garçons et pour les jeunes filles.

Au mois de juillet 1883, Dom Bosco, voyant que, grâce au courage de ses enfants, la mission de Patagonie était en pleine prospérité, adressa à la Propagande une supplique demandant l’érection d’un vicariat apostolique dans la partie septentrionale de la Patagonie et d’une préfecture dans la partie méridionale.

Les cardinaux de la Sacrée-Congrégation examinèrent le projet, dans leur réunion du 27 août, et émirent un avis favorable ; ils proposèrent de nommer M. Jean Cagliero, provicaire, et M. Joseph Fagnano, préfet apostolique.

Le vicariat septentrional comprend le nord de la Patagonie et la région centrale encore inconnue. La préfecture méridionale embrasse aussi les îles Malouines, voisines du détroit de Magellan. Le vicariat est borné, à l’est, par l’Océan Atlantique ; au nord, par les Pampas ; à l’ouest, par les Cordilières ; au sud, par la Patagonie centrale. La préfecture embrassant des pays en grande partie inexplorés, on n’a pu lui assigner de limites.

Voici l’état des colonies sur la rive nord du Rio Negro, vers le Rio Colorado. Ce sont :

Carmen de Patagones, résidence de l’évêque, Mgr Cagliero.

La Guardia Mitre, à 85 kilom. de Patagones, qui a de nombreux néophytes.

La Coloma Conesa, à 155 kilom. de Patagones, où il ya plus de huit mille Indiens de la tribu Catriel.

4° La nouvelle population, dite Chœle-Chœle, à 350 kilom. de Patagones. On y compte 2,500 Indiens baptisés ou catéchumènes.

En face de Carmen, sur la rive sud du Rio Negro, dans la Patagonie proprement dite, est située Mercedes, résidence d’un gouverneur envoyé par la République Argentine ; la population est d’environ deux mille âmes.

À cinquante kilomètres de Mercedes se trouve la colonie de Saint-Xavier ; elle est placée aussi sur la rive méridionale du Rio Negro, mais plus avant dans l’intérieur de la Patagonie. Là sont réunis des Indiens Linares, déjà baptisés où ou achevant leur instruction dans la foi. De nouvelles colonies, se fondent plus au cœur de la Patagonie et l'on s'occupe activement d'en établir une sur les bords du lac Nahuel-Hu-Api, dont les environs sont très peuplés.

Un missionnaire, avec un catéchiste, a fait, en 1885, une excursion vers ce lac, éloigné de Carmen de plus de 1,000 kilomètres et situé à peu de distance des Cordillères.

Aux environ du lac Nahuel-Hu-Api, on a déjà pu recevoir dans le sein de l'Église quelques centaines de sauvages qui ont ainsi commencé une chrétienté, première fleur offerte à l'Église par la Patagonie centrale.

Bien des obstacles viennent paralyser le zèle des missionnaires. La principale difficulté provient de la modicité des ressources.

Un autre obstacle des plus graves vient de la part des protestants. A peine ont-ils vu que le péril avait disparu, qu'ils sont allés planter leurs tentes dans les nouvelles colonies. Là, ils se sont mis à faire la classe ; en exerçant la médecine, la chirurgie, la pharmacie, et en prodiguant l'argent, ils réussirent à causer un grand embarras aux missionnaires catholiques.

Mais toutes ces difficultés et d’autres encore, les missionnaires pourront les surmonter, car la protection du ciel ne leur fera pas défaut.

Non contents de ces immenses territoires de l'Amérique australe, les Salésiens étendent à la plupart des autres grands États voisins le bienfait de leur ministère apostolique. Dans l’Uruguay et la République Argentine, ils ont déjà plusieurs collèges ou séminaires, et, pendant que nous traçons ces lignes (juillet 1887), ils fondent dans le Chili et l’Équateur d’importants établissements.

Mgr Cagliero, vicaire apostolique, visite en ce moment Conception, Los Angeles, Traiguen près de l’Araucanie, Talca, Valparaiso, Santiago. Partout on lui demande des Salésiens. D’autre part, sur l’invitation de Mgr Ordonez, archevêque de Quito, Dom Bosco a envoyé dans la capitale de l’Équateur, un premier groupe de missionnaires.

Enfin le R. P. Fagnano vient de pénétrer dans la Terre de Feu et de porter, pour la première fois, la parole de vie à la race chétive et dégradée qui végète dans cet archipel de désolation.

ÉPILOGUE.


CI se clôt notre longue promenade à travers les missions des deux mondes.

C'est par le vieux pays des Pharaons que, l'on s'en souvient, nous avons commencé la visite du champ de bataille de l'apostolat. Nous avons fait le tour de la terre de Cham, passant d'Alexandrie à Carthage, d'Alger au Sénégal, du Congo au Cap, du Zambèze au Zanguebar, et des grands lacs équatoriaux descendant sur Aden par Khartoum et l’Abyssinie. Sur tous les rivages de la grande île maudite, qu’ils soient éclairés par le soleil du matin ou par les feux du couchant, nous avons vu à l’œuvre les vaillants apôtres. Presque toutes les Sociétés religieuses sont représentées dans ce magnifique assaut livré aux derniers repaires de l’erreur : Pères du Saint-Esprit, Missionnaires d’Alger, Jésuites, Pères des Missions Africaines de Lyon et de Vérone, Oblats, Lazaristes, Capucins, Franciscains, prêtres anglais, etc. Dans quelques années, le Noir Continent sera conquis ou plutôt reconquis ; car on sait que la foi a déjà été prêchée et florissante aux siècles passés dans plusieurs de ses parties. Devançant les Livingstone et les Stanley, des fils de Saint-François, de Saint-Dominique, de Saint-Ignace, traversaient les déserts, remontaient le Zaïre, évangélisaient le bassin du Zambèze, employaient à des ablutions baptismales l’eau des fleuves équatoriaux, mais mouraient trop tôt pour leur œuvre et sans laisser de successeurs.

Franchissant le canal de Suez après une entrée à la Mecque et une ascension au Mont Sinai, nous abordons à Jaffa et nous nous acheminons pieusement vers la Ville Sainte. Notre dévotion satisfaite dans chacun de ces pèlerinages divins où l’humanité ne cessera d’aller s’agenouiller. Bethléem, Jérusalem, Nazareth.

Là fut son berceau, là sa tombe !

nous reprenons la mer et faisons escale dans ces ports, délabrés aujourd'hui, qui éblouissaient le monde ancien par l'éclat de leur renommée et le faste de leur opulence : Tyr, Sidon, Antioche.

Contournant la massive péninsule de l'Asie-Mineure, nous faisons halte à Éphèse, à Brousse, à Trébizonde. L’Arménie nous captive un instant par les glorieuses traditions que chacune de ses bourgades revendique avec un juste orgueil. Puis nous passons en Perse et en Mésopotamie où les fils de Saint-Vincent de Paul et de Saint-Dominique nous offrent successivement l'hospitalité. Là encore que de souvenirs s'attachent à toutes les pierres du chemin : ici Babel ; là Ninive et Sémiramis, plus loin, Babylone et Nabuchodonosor.

Nous arrivons l’Inde. Les pages de l’Album déroulent sous nos yeux toutes les merveilles architecturales de cette terre célèbre où saint Thomas l'apôtre et François Xavier, qui l’évangélisèrent à l’aurore du christianisme et au XVIe siècle, ont, dans les missionnaires de nos jours, de si vaillants successeurs. Dans les hautes terres au pied de l’Himalaya, nous trouvons les Capucins. Aux trois angles de la péninsule brahmanique, à Bombay et à Mangalore, au Maduré, à Calcutta, les Jésuites tiennent haut et ferme le drapeau sacré ; le long des côtes ou au centre s’échelonnent les légions des Carmes, des Pères du Saint-Esprit, des Missions Étrangères de Londres, de Milan, de Paris, et les Salésiens d’Annecy. À Ceylan, les Oblats font face à trois ennemis à la fois : aux gourous de Brahma, aux bonzes de Bouddha et aux marabouts de Mahomet.

En arrière de cette première ligne, nous retrouvont encore les Missions Étrangères de Paris, implantées depuis deux siècles dans l'Indo-Chine qu'elles possèdent presque tout entière. ; un septième seulement du territoire est partagé entre les Dominicains et les Missions Étrangères de Milan. Là les tombes des martyrs sont à peine fermées et partout sont encore visibles les traces des dernières persécutions.

Nous voilà aux portes du Céleste Empire. Trop grand pour former l’apanage d’une seule société, il a été partagé entre cinq : au nord et au centre, les Lazaristes et les humbles et héroïques Franciscains, qui, dès 1307 ; donnaient à Péking son premier archevêque ; à l’ouest, les Dominicains et les Jésuites, fondateurs des florissantes missions du XVIe siècle ; enfin à l’est et au sud, les Missions Étrangères qui ont encore la part du lion, car elles occupent plus du tiers de la superficie de la Chine. Après un coup d’œil sur les immenses et mornes territoires du Kan-sou et de la Mongolie confiés aux missionnaires belges, nous traversons la Mandchourie et la sauvage péninsule coréenne et nous abordons aux îles brillantes qui composent l’empire du Mikado.

L’Océan Pacifique ouvre devant nous ses horizons infinis. Nous nous élançons sur ses grandes eaux à la recherche des archipels que les Cook et les La Pérouse découvraient il y a cent ans et nous saluons aux Sandwich, aux Marquises, à Tahiti, à Samoa, aux Fidji, à la Nouvelle-Calédonie les fils des PP. Coudrin et Colin,enseignant et célébrant dans les doux idiomes océaniens les grandeurs et les miséricordes de Dieu. La Nouvelle-Guinée nous montre les premières fondations des Pères d’Issoudun. L’Australie et la Nouvelle-Zélande, nées d’hier à la foi, se couvrent d’églises, de chapelles, d’écoles, de maisons religieuses, prélude d’une floraison d’œuvres catholiques plus admirable encore.

Dans les vastes solitudes qui s’étendent de l’Alaska à la Baie d’Hudson, nous visitons ensuite les missionnaires belges du diocèse de Vancouver et les Pères Oblats de l’Athabaska, de Saint-Albert et de Saint- Boniface. Nous admirons la brillante cour épiscopale groupée autour du cardinal archevêque de Québec. Puis, à la suite de Mgr Lorrain, nous explorons les abords de la baie de James. Du Canada aux États-Unis la transition est insensible. Chacun des provinces métropolitaines de la grande république d'Outre-Atlantique nous retient un instant. De là, effleurant les Antilles, nous traversons les Guyanes, et arrivons à cette Patagonie barbare et redoutée où les enfants de dom Bosco sèment, sous la visible bénédiction de la Providence divine, le grain de senevé évangélique.




Grâce au zèle des apôtres dont nous venons de parcourir en tous sens le domaine spirituel, nous comptons donc des frères dans toutes les races, chez tous les peuples, parmi les nations de toutes langues, ex omnibus gentibus, et tribubus, et linguis. Grâce aux missionnaires, nous avons trouvé partout des enfants de la grande famille catholique. Le Dieu que nous adorons dans nos cathédrales, eux, les pauvres indigènes de la Guinée ou de la Polynésie, ils l'adorent, agenouillées au pied d'un humble autel, dans le creux des rochers ou l'épaisseur des forêts. Grâce aux ouvriers de l'apostolat, ils adhèrent de bouche et de cœur aux même dogmes que nous, ils participent à la même victime et ils recevront dans la vie future la même récompense ! Unus Christus, una fides, unum baptisma.


  1. Né à Castelmoro d'Asti (Piémont), le 15 août 1815, Dom Bosco, dès l'année 1841, accueillait le premier de ces milliers d'enfants délaissés, auxquels sa charité sacerdotale a généreusement donné le pain de l'âme et du corps et qui lui fourni les mille religieux et missionnaires de sa Congrégation de Saint-François de Sales. Aujourd'hui, le saint prêtre compte plus de soixante-douze maisons dirigées par ses religieux.