Album de vers et de prose (Mallarmé)/Texte entier

Album de vers et de prose (Mallarmé)
Album de vers et de proseLibrairie Nouvelle ; Librairie Universelle (p. 1-12).



ALBUM DE VERS ET DE PROSE




VERS

LES FENÊTRES

Las du triste hôpital et de l’encens fétide
Qui monte en la blancheur banale des rideaux
Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide,
Le moribond, parfois, redresse son vieux dos,

Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture
Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
Les poils blancs et les os de sa maigre figure
Aux fenêtres qu’un beau rayon clair veut hâler.

Et sa bouche, fiévreuse et d’azur bleu vorace,
Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
Une peau virginale et de jadis ! encrasse
D’un long baiser amer les tièdes carreaux d’or.

Ivre, il vit, oubliant l’horreur des saintes huiles,
Les tisanes, l’horloge et le lit infligé,
La toux. Et quand le soir saigne parmi les tuiles,
Son œil, à l’horizon de lumière gorgé,

Voit des galères d’or, belles comme des cygnes,
Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
En berçant l’éclair fauve et riche de leurs lignes
Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir !

Ainsi, pris du dégoût de l’homme à l’âme dure,
Vautré dans le bonheur, où tous ses appétits
Mangent, et qui s’entête à chercher cette ordure
Pour l’offrir à la femme allaitant ses petits,


Je fuis et je m’accroche à toutes les croisées
D’où l’on tourne le dos à la vie et, béni,
Dans leur verre lavé d’éternelles rosées
Que dore le matin chaste de l’Infini,

Je me mire et me vois ange ! Et je meurs, et j’aime
— Que la vitre soit l’art, soit la mysticité —
À renaître, portant mon rêve en diadème,
Au ciel antérieur où fleurit la beauté !

Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise
Vient m’écœurer parfois jusqu’en cet abri sûr,
Et le vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher le nez devant l’azur.

Est-il moyen, ô Moi qui connais l’amertume,
D’enfoncer le cristal par le monstre insulté,
Et de m’enfuir, avec mes deux ailes sans plume,
— Au risque de tomber pendant l’éternité ?




LES FLEURS

Des avalanches d’or du vieil azur au jour
Premier, et de la neige éternelle des astres,
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,

Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes exilées
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées ;

L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair,
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu’un sang farouche et radieux arrose !

Et tu fis la blancheur sanglotante des lys
Qui, roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure,
À travers l’encens bleu des horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure !


Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs,
Notre dame, hosannah du jardin de nos limbes !
Et finisse l’écho par les célestes soirs,
Extase des regards, scintillement des nimbes !

Ô Mère qui créas, en ton sein juste et fort,
Calices balançant la future fiole,
De grandes fleurs avec la balsamique Mort
Pour le poëte las que la vie étiole.




BRISE MARINE

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe,
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend,
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant la mâture,
Lève l’ancre par une exotique nature !
Un Ennui, désolé pour les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !




SOUPIR

Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton œil angélique,
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’azur !
— Vers l’azur attendri d’Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie,
Et laisse, sur l’eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.




SAINTE

À la fenêtre recélant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,

Est la Sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie :

À ce vitrage d’ostensoir
Que frôle une harpe par l’Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange

Du doigt que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence.




QUATRE SONNETS

SONNET I

Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !

Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.


Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie,
Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s’immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.




SONNET II

Victorieusement fui le suicide beau
Tison de gloire, sang par écume, or, tempête !
Ô rire si là-bas une pourpre s’apprête
À ne tendre royal que mon absent tombeau

Quoi ! de tout cet éclat pas même le lambeau
S’attarde, il est minuit, à l’ombre qui nous fête
Excepté qu’un trésor présomptueux de tête
Verse son caressé nonchaloir sans flambeau

La tienne si toujours le délice ! la tienne
Oui seule qui du ciel évanoui retienne
Un peu de puéril triomphe en t’en coiffant

Avec clarté quand sur les coussins tu la poses
Comme un casque guerrier d’impératrice enfant
Dont pour te figurer, il tomberait des roses.




SONNET III

Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos,
Il m’amuse d’élire avec le seul génie
Une ruine, par mille écumes bénie
Sous l’hyacinthe, au loin, de ses jours triomphaux.

Coure le froid avec ses silences de faulx,
Je n’y hululerai pas de vide nénie
Si ce très vierge ébat au ras du sol dénie
À tout site l’honneur du paysage faux.


Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale
Trouve en leur docte manque une saveur égale :
Qu’un éclate de chair humain et parfumant !

Le pied sur quelque guivre où notre amour tisonne,
Je pense plus longtemps peut-être éperdûment
À l’autre, au sein brûlé d’une antique amazone.




SONNET IV

Quand l’ombre menaça de la fatale loi
Tel vieux Rêve, désir et mal de mes vertèbres,
Affligé de périr sous les plafonds funèbres
Il a ployé son aile indubitable en moi,

Luxe, ô salle d’ébène où, pour séduire un roi,
Se tordent dans leur mort des guirlandes célèbres,
Vous n’êtes qu’un orgueil menti par les ténèbres
Aux yeux du solitaire ébloui de sa foi,

Oui, je sais qu’au lointain de cette nuit, la Terre
Jette d’un grand éclat l’insolite mystère
Sous les siècles hideux qui l’obscurcissent moins.

L’espace à soi pareil qu’il s’accroisse ou se nie
Roule dans cet ennui des feux vils pour témoins
Que s’est d’un astre en fête allumé le génie.





PROSE

PLAINTE D’AUTOMNE

Depuis que Maria m’a quitté pour aller dans une autre étoile — laquelle, Orion, Altaïr, et toi, verte Vénus ? — j’ai toujours chéri la solitude. Que de longues journées j’ai passées seul avec mon chat. Par seul, j’entends sans un être matériel et mon chat est un compagnon mystique, un esprit. Je puis donc dire que j’ai passé de longues journées seul avec mon chat et, seul, avec un des derniers auteurs de la décadence latine ; car depuis que la blanche créature n’est plus, étrangement et singulièrement j’ai aimé tout ce qui se résumait en ce mot : chute. Ainsi, dans l’année, ma saison favorite, ce sont les derniers jours alanguis de l’été, qui précèdent immédiatement l’automne, et dans la journée l’heure où je me promène est quand le soleil se repose avant de s’évanouir, avec des rayons de cuivre jaune sur les murs gris et de cuivre rouge sur les carreaux. De même la littérature à laquelle mon esprit demande une volupté triste sera la poésie agonisante des derniers moments de Rome, tant, cependant, qu’elle ne respire aucunement l’approche rajeunissante des Barbares et ne bégaie point le latin enfantin des premières proses chrétiennes.

Je lisais donc un de ces chers poëmes (dont les plaques de fard ont plus de charme sur moi que l’incarnat de la jeunesse) et plongeais une main dans la fourrure du pur animal, quand un orgue de Barbarie chanta languissamment et mélancoliquement sous ma fenêtre. Il jouait dans la grande allée des peupliers dont les feuilles me paraissent jaunes même au printemps, depuis que Maria a passé là avec des cierges, une dernière fois. L’instrument des tristes, oui, vraiment : le piano scintille, le violon ouvre à l’âme déchirée la lumière, mais l’orgue de Barbarie, dans le crépuscule du souvenir, m’a fait désespérément rêver. Maintenant qu’il murmurait un air joyeusement vulgaire et qui mit la gaîté au cœur des faubourgs, un air suranné, banal : d’où vient que sa ritournelle m’allait à l’âme et me faisait pleurer comme une ballade romantique ? Je la savourai lentement et je ne lançai pas un sou par la fenêtre de peur de me déranger et de m’apercevoir que l’instrument ne chantait pas seul.





FRISSON D’HIVER

Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonne treize heures parmi ses fleurs et ses dieux, à qui a-t-elle été ? Pense qu’elle est venue de Saxe par les longues diligences, autrefois.

(De singulières ombres pendent aux vitres usées.)

Et ta glace de Venise, profonde comme une froide fontaine, en un rivage de guivres dédorées, qui s’y est miré ? Ah ! je suis sûr que plus d’une femme a baigné dans cette eau le péché de sa beauté : et peut-être verrais-je un fantôme nu si je regardais longtemps.

— Vilain, tu dis souvent de méchantes choses…

(Je vois des toiles d’araignées au haut des grandes croisées).

Notre bahut encore est très vieux : contemple comme ce feu rougit son triste bois ; les rideaux amortis ont son âge, et la tapisserie des fauteuils dénués de fard, et les anciennes gravures des murs, et toutes nos vieilleries ! Est-ce qu’il ne te semble pas, même, que les bengalis et l’oiseau bleu ont déteint avec le temps ?

(Ne songe pas aux toiles d’araignées qui tremblent en haut des grandes croisées).

Tu aimes tout cela et voilà pourquoi je puis vivre auprès de toi. N’as-tu pas désiré, ma sœur au regard de jadis, qu’en un de mes poëmes apparussent ces mots : « la grâce des choses fanées » ? Les objets neufs te déplaisent ; à toi aussi, ils font peur avec leur hardiesse criarde et tu te sentirais le besoin de les user, — ce qui est bien difficile à faire pour ceux qui ne goûtent pas l’action.

Viens, ferme ton vieil almanach allemand, que tu lis avec attention, bien qu’il ait paru il y a plus de cent ans et que les rois qu’il annonce soient tous morts et, sur l’antique tapis couché, la tête appuyée parmi tes genoux charitables dans ta robe pâlie, ô calme enfant, je te parlerai pendant des heures ; il n’y a plus de champs et les rues sont vides, je te parlerai de nos meubles…

Tu es distraite ?

(Ces toiles d’araignées grelottent en haut des grandes croisées).





LA GLOIRE

« La Gloire ! je ne la sus qu’hier, irréfragable, et rien ne m’intéressera d’appelé par quelqu’un ainsi.

» Cent affiches s’assimilant l’or incompris des jours, trahison de la lettre, ont fui, comme à tous confins de la ville, mes yeux au ras de l’horizon par un départ sur le rail traînés avant de se recueillir dans l’abstruse fierté que donne une approche de forêt en son temps d’apothéose.

» Si discord parmi l’exaltation de l’heure, un cri faussa ce nom connu pour déployer la continuité de cimes tard évanouies, Fontainebleau, que je pensai, la glace du compartiment violentée, du poing aussi étreindre à la gorge l’interrupteur : Tais-toi ! ne divulgue pas du fait d’un aboi indifférent l’ombre ici insinuée dans mon esprit, aux portières de wagons battant sous un vent inspiré et égalitaire, les touristes omniprésents vomis. Une quiétude menteuse de riches bois suspend alentour quelque extraordinaire état d’illusion, que me réponds-tu ? qu’ils ont, ces voyageurs, pour ta gare aujourd’hui quitté la capitale, bon employé vociférateur par devoir et dont je n’attends, loin d’accaparer une ivresse à tous départie par les libéralités conjointes de la Nature et de l’État, rien qu’un silence prolongé le temps de m’isoler de la délégation urbaine vers l’extatique torpeur de ces feuillages là-bas trop immobilisés pour qu’une crise ne les éparpille bientôt dans l’air ; voici, sans attenter à ton intégrité, tiens, une monnaie.

» Un uniforme inattentif m’invitant vers quelque barrière, je remets sans dire mot, au lieu du suborneur métal, mon billet.

» Obéi pourtant, oui, à ne voir que l’asphalte s’étaler nette de pas, car je ne peux encore imaginer qu’en ce pompeux octobre exceptionnel ! du million d’existences étageant leur vacuité en tant qu’une monotonie énorme de capitale dont va s’effacer ici la hantise avec le coup de sifflet sous la brume, aucun furtivement évadé que moi n’ait senti qu’il est, cet an, d’amers et lumineux sanglots, mainte indécise flottaison d’idée désertant les hasards comme des branches, tel frisson et ce qui fait penser à un automne sous les cieux.

» Personne et, les bras de doute envolés comme qui porte aussi un lot d’une splendeur secrète, trop inappréciable trophée pour paraître ! mais sans du coup m’élancer dans cette diurne veillée d’immortels troncs au déversement sur un d’orgueils surhumains (or ne faut-il pas qu’on en constate l’authenticité ?) ni passer le seuil où des torches consument, dans une haute garde, tous rêves antérieurs à leur éclat répercutant en pourpre dans la nue l’universel sacre de l’intrus royal qui n’aura eu qu’à venir : j’attendis, pour l’être, que, lent et repris du mouvement ordinaire, se réduisit à ses proportions d’une chimère puérile emportant du monde quelque part, le train qui m’avait là déposé seul. »




LE NÉNUPHAR BLANC

J’avais beaucoup ramé, d’un grand geste net et assoupi, les yeux au dedans fixés sur l’entier oubli d’aller, comme le rire de l’heure coulait alentour. Tant d’immobilité paressait que frôlé d’un bruit inerte où fila jusqu’à moitié la yole, je ne vérifiai l’arrêt qu’à l’étincellement stable d’initiales sur les avirons mis à nu, ce qui me rappela à mon identité mondaine.

Qu’arrivait-il, où étais-je ?

Il fallut, pour voir clair en l’aventure, me remémorer mon départ tôt, ce Juillet de flamme, sur l’intervalle vif entre ses végétations dormantes d’un toujours étroit et distrait ruisseau, en quête des floraisons d’eau et avec un dessein de reconnaître l’emplacement occupé par la propriété de l’amie d’une amie, à qui je devais improviser un bonjour. Sans que le ruban d’aucune herbe me retînt devant un paysage plus que l’autre chassé avec son reflet en l’onde par le même impartial coup de rame, je m’étais échoué dans quelque touffe de roseaux, terme mystérieux de ma course, au milieu de la rivière : où tout de suite élargie en fluvial bosquet, elle étale un nonchaloir d’étang plissé des hésitations à partir qu’a une source.

L’inspection détaillée m’apprit que cet obstacle de verdure en pointe sur le courant, masquait l’arche unique d’un pont prolongé, à terre, d’ici et de là, par une haie clôturant des pelouses. Je me rendis compte. Simplement le parc de Madame… l’inconnue à saluer.

Un joli voisinage, pendant la saison, la nature d’une personne qui s’est choisi retraite aussi humidement impénétrable ne pouvant être que conforme à mon goût. Sûr, elle avait fait de ce cristal son miroir intérieur, à l’abri de l’indiscrétion éclatante des après-midis ; elle y venait et la buée d’argent glaçant des saules ne fut bientôt que la limpidité de son regard habitué à chaque feuille.

Toute je l’évoquais lustrale.

Courbé dans la sportive attitude où me maintenait de la curiosité, comme sous le silence spacieux de ce que s’annonçait l’étrangère, je souris au commencement d’esclavage dégagé par une possibilité féminine : que ne signifiaient pas mal les courroies attachant le soulier du rameur au bois de l’embarcation, comme on ne fait qu’un avec l’instrument de ses sortilèges.

— « Aussi bien une quelconque… » allais-je terminer.

Quand un imperceptible bruit, me fit douter si l’habitante du bord hantait mon loisir, ou inespérément le bassin.

Le pas cessa, pourquoi ?

Subtil secret des pieds qui vont, viennent, conduisent l’esprit où le veut la chère ombre enfouie en de la batiste et les dentelles d’une jupe affluant sur le sol comme pour circonvenir du talon à l’orteil, dans une flottaison, cette initiative ; par quoi la marche s’ouvre, tout au bas et les plis rejetés en traîne, une échappée, de sa double flèche savante.

Connaît-elle un motif à sa station, elle-même la promeneuse : et n’est-ce, moi, tendre trop haut la tête, pour ces joncs à ne dépasser et toute la mentale somnolence où se voile ma lucidité, que d’interroger jusque-là le mystère !

— « À quel type s’ajustent vos traits, je sens leur précision, Madame, interrompre chose installée ici par le bruissement d’une venue, oui ! ce charme instinctif d’en-dessous que ne défend pas contre l’explorateur la plus authentiquement nouée, avec une boucle en diamant, des ceintures. Si vague concept se suffit ; et ne transgresse point le délice empreint de généralité qui permet et ordonne d’exclure tous visages, au point que la révélation d’un (n’allez point le pencher, avéré, sur le furtif seuil où je règne) chasserait mon trouble, avec lequel il n’a que faire. »

Ma présentation, en cette tenue de maraudeur aquatique, je la peux tenter, avec l’excuse du hasard.

Séparés, on est ensemble : je m’immisce à de sa confuse intimité, dans ce suspens sur l’eau où mon songe attarde l’indécise, mieux que visite, suivie d’autres, ne l’autorisera. Que de discours oiseux en comparaison de celui que je tins pour n’être pas entendu, faudra-t-il, avant de retrouver aussi intuitif accord que maintenant, l’ouïe au ras de l’acajou vers le sable entier qui s’est tu !

La pause se mesure au temps de ma détermination.

Conseille, ô mon rêve, que faire.

Résumer d’un regard la vierge absence éparse en cette solitude et, comme on cueille, en mémoire d’un site, l’un de ces magiques nénuphars clos qui y surgissent tout à coup, enveloppant de leur creuse blancheur un rien, fait de songes intacts, du bonheur qui n’aura pas lieu et de mon souffle ici retenu dans la peur d’une apparition, partir avec tacitement, en déramant peu à peu, sans du heurt briser l’illusion ni que le clapotis de la bulle visible d’écume enroulée à ma fuite ne jette aux pieds survenus de personne la ressemblance transparente du rapt de nom idéale fleur.

Si, attirée par un sentiment d’insolite, elle a paru, la Méditative ou la Hautaine, la Farouche, la Gaie, tant pis pour cette indicible mine que j’ignore à jamais ! car j’accomplis selon les règles la manœuvre : me dégageai, virai et je contournais déjà une ondulation du ruisseau, emportant comme un noble œuf de cygne, tel que n’en jaillira le vol, mon imaginaire trophée, qui ne se gonfle d’autre chose sinon de la vacance exquise de soi qu’aime, l’été, à poursuivre, dans les allées de son parc, toute dame, arrêtée parfois et longtemps, comme au bord d’une source à franchir ou de quelque pièce d’eau.

Stéphane Mallarmé.




BIBLIOGRAPHIE

Stéphane MALLARMÉ, né à Paris, le 18 mars 1842.

POÉSIE

Les Poésies de Stéphane Mallarmé photogravées sur le manuscrit définitif, en 9 fascicules, — 1887. — Librairie de la Revue Indépendante

PROSE

Traduction des poèmes d’Edgar Poe (sous presse).

À PART :

L’Après-Midi d’un Faune, édition originelle avec illustrations de Manet, — 1876 — Édition courante, à la librairie de la Revue Indépendante, 1887


Le Corbeau (d’Edgar Poe) traduction, avec illustrations de Manet, 1874.


Le reste dans des publications diverses dont la nomenclature est faite par la Revue Indépendante


Directeur littéraire : ALBERT de NOCÉE
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Librairie Nouvelle. Bruxelles, 2, boulevard Anspach, 2.
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