Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/ODES
TROISIEME LIVRE
ODES.
I.
L’horreur froide qui m’espouvente.
L’effroy qui mon sang a chassé
Du lieu où il fut amassé,
En ma rage plus viollente
Prive de leur force mes yeux,
Et en tarissant ma parole
Espend la glace qui m’affole
Aux pointes de tous mes cheveux.
Ma raison à mon heur contraire
Courbe le col soubz le fardeau
Et ne me cherche qu’un tumbeau
Et un couteau pour me deffaire.
Il est temps de céder au sort :
Puisque le sort veult que je meure,
Je veux estancher à ceste heure
L’aspre soif qu’il a de ma mort.
J’ay trop essuié mon desastre,
J’ay trop le malheur esprouvé
Puisque je n’ay jamais trouvé
- La Fortune autre que marastre,
- J’ay trop languy en mon malheur,
- Et ceste main trop peu hardie
- A trop nourry ma malladie
- Pour la pauvreté de mon cueur.
Autant que d’abeilles bourdonnent
- En Hybla, autant de flambeaux,
- De sons, de spectacles nouveaux
- Mon oreille & mon oeil estonnent,
- Autant de forces du destin,
- Autant d’horreurs apareillees,
- Et d’Erynnes dechevelees
- Accourent pour estre à ma fin.
Ceste plainte mal assurée
- Et les mal asseurez propos
- Me font ilz craindre mon repos
- Et l’heure & la fin desiree ?
- Ha ! chetif où as-tu les yeux ?
- Pourquoy tardes-tu la vengeance
- De toy contre toy qui t’offence,
- Aimant le pis,fuiant le mieux ?
Ma fin est promptement suivie
- D’une longue félicité.
- N’est-ce pas une lascheté
- D’aimer mieux une amere vie
- Pour crainte d’une douce mort,
- Et pour la faute de courage,
- Faire un perpétuel naufrage
- Plus tost que d’aborder le port ?
Arriere de moy, vaine crainte,
- Ne m’empesche plus mon repos,
- Laisse moy rendre ce propos :
- Ma vie & mon envie esteinte,
- Promptement il fault secourir 121 ODES.
- La vie longue & languissante
- Que le malheur fait si dolente
- Par faute de savoir mourir.
Celuy qui dit que ceste rage
- Qui arme les sanglantes mains
- Encontre ses membres germains
- Est une faute de courage,
- Voulant mespriser [en] autruy
- Ce qu’il ne sait n’auseroit faire,
- II descouvre par le contraire
- Ce qui n'a garde d’estre en luy.
Or est-il [pas] temps que je face
- Ma vie & mon mal consommer.
- Qu’ensemble je face fumer
- Ma peine & mon sang par la place ?
- Un coup fera ternir mes yeux
- Tarira ma sueur & parole,
- Car c’est ainsi, ainsi que vole
- L’esprit de Diane aux bas-lieux.
- II.
Autant de fois comme j’essaie
- D’apaiser le sang de ma plaie,
- Mon sang bouillant de mille endroitz
- Boult & s’eschauffe autant de fois.
- Mais aussi lors que j’ay envie,
- Sans languir d’esteindre ma vie,
- La sauver des feuz des amours,
- Mon sang se rapaise tousjours.
Volunté dure & impuissante
- Soubz le pouvoir qui me tormente,
- Trahissant, mutinant mon cueur, 122 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.
Luy faisant jurer son malheur
- Qui me tuë et conserve l’ame,
- Qui esteint et nourrist ma flamme,
- Fais mon malheur, ce que je veux,
- Et change mes espritz en feux !
Mon ame n’est plus raisonnable,
- La folle et aveugle m’accable
- Et je me meurs sans estre espriz
- D’autres feuz que de mes espritz :
- Les fiers à ma misere jurent,
- J’ay perdu la vie et la voix
- Par ceux là par qui je vivois.
Ma conception s’est bandee
- A ma mort qu’elle a demandee
- Et avecq’ elle a fait venir
- Le jugement, le souvenir.
- O vous, parties divisees,
- Las ! vous courez malavisees,
- Serves ou vous servans d’un cueur
- Soudoié de vostre vaincueur !
Divine beauté que j’adore,
- Vous avez plus servy encore
- A rendre l’amour mon vaincueur
- Que mes espritz ny que mon cueur.
- Ils n’ont eu plus rien que des larmes
- En voiant flamboier pour armes
- Es mains de l’Amour indompté
- Vos graces et vostre beauté.
Comme d’une tranchante lame,
- De vos regards il m’osta l’ame
- Et en sa place il a remis
- Mille et mille feux ennemis ;
- Mon ame n’est plus que de braise 123 ODES.
- Qui proche de la mort s’apaise
- Et vivant recroist peu à peu,
- Car je n’ay vie que de feu.
L’Amour ne doit donques pas craindre
- Que son ardeur se puisse esteindre,
- Seullement il n’a pas permis
- Que le voulloir en moy fust mis.
- Ma rage & ma force m’entraine,
- Je n’ay souvenir que ma peine,
- Mon mal agréable & cuisant,
- Et rien autre ne m’est plaisant.
Commant pensez vous donc, Maitresse,
- Que le miserable qui laisse
- Son cueur, ses espritz enchantez
- Tousjours aux pieds de vos beautez,
- Puisque la memoire est partie
- De l’ame & l’ame de la vie,
- Sans de l’ame se desunir,
- Perdist de vous le souvenir ?
Mon martire & vostre puissance
- Ne sortent de ma souvenance :
- Je ne suis sans sentir & voir
- A mes despens vostre pouvoir.
- Pour Dieu, aiez pitié de l’ame
- Qui pour vous est changée en flame,
- Pleignez & secourez le cueur
- Qui pour vous n’est plus que rigueur !
Voilà comment en vostre absence,
- De l’immortelle souvenance
- De mes maux & de vos beautez
- Mes sens font bruslez, enchantez,
- Et contraintz, privez de la veuë,
- D’escrire cela qui me tue
- Et donner vie à mes espris 124 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- Par quelques essors de mes cris.
Car hors de vous quand j’ay envie
- Sans languir d’esteindre ma vie,
- La sauver des feux des amours,
- Mon sang se rapaise tousjours.
- Mais autant de fois que j’essaie
- D’apaiser le sang de ma plaie,
- Mon sang verse de mille endroits,
- Verse ma vie autant de ois.
- III.
L’astre qui reçoit sa lumière
- Et n’a tousjours la force entiere,
- Qui prend des javelotz ferrez
- Et de la chasse ses delices,
- Et qui reçoit pour sacrifices
- Cent & cent taureaux maffacrez,
Ceste grand’ lumiere seconde
- S’apelle l’autre ame du monde,
- Tesmoigne au front sa pureté :
- Sa face délicate & franche
- Ne reçoit couleur que la blanche
- Pour tesmoing de sa chasteté.
Je voy’ sa blancheur qui efface
- Les lis cuillés en vostre face
- Et le pasle teint argentin
- Qui se peult comparer encore
- Au ciel blanc, premier que l'Aurore
- Ait fait incarnat le matin.
Ceste blancheur là est la preuve
- De la pureté qui se treuve
- En vostre sein, en vostre sang,
- Et que le desir de vostre ame
- A senty sans toucher la flamme,
- Sans tache, l’amour pur & blanc.
La Lune en sa blancheur est belle,
- La face du Ciel qui est telle
- L’est aussi, mais huissez vostre œil
- A choisir le plus délectable,
- Car l’Aurore est plus agreable,
- Et plus que l’aube, le Soleil.
L’Aurore a voullu estre amie,
- Le Soleil cent fois en sa vie
- A senty les tretz amoureux,
- Sa clarté n’est cause premiere,
- D’Amour il reçoit sa lumiere,
- Comme il la donne aux autres deux.
Le Soleil à la lune ronde,
- L’Amour au Soleil & au monde
- Donnent la vie & la clarté :
- Il est beau qu’aiez, ce me semble,
- Et le soleil & vous ensemble
- Mesme cause à vostre beauté.
Vous aimez mieux, comme je pense,
- La pure que l’impure essence
- Et l’acomply que l’imparfait :
- La couleur blanche n’est pareille
- A la doree, à la vermeille,
- Ny en lustre, ny en l’effet.
Je ne dis pas que la Nature
- Vous creant st belle & st pure
- N’estoffa d’or vostre beauté,
- Mais ell’ est en lingot encore,
- Et si le feu ne la redore,
- Son vray lustre luy est osté.
Il n’y a point d’autre fournaize,
- D’autre orphevre, ny d’autre braize
- Que la flamme de l’amitié
- Pour mettre en lustre la nature
- Et la faire fi chere & pure
- Que son pris croistra de moitié.
Laissez travailler en vous mesme
- Cest ouvrier qui de pasle & blesme
- Paindra vostre lis de couleurs
- Qui feront de honte l’Aurore
- Se cacher & cacher encore
- Le Soleil, les astres, les fleurs.
Non, vous verrez fener la rose
- Quant vostre autre beauté declose
- Bravera le sein de Cloris :
- Les fleurs vermeilles périssantes,
- Mortes jalouses, languissantes,
- De despit perdront les espritz.
Le serf qui soubz vostre victoire
- Est enchainé pour vostre gloire,
Vous voiant surmonter ainsi
- Tant de captifz de mesmes armes,
- En plaisir changera ses larmes,
- En miel le fiel de foucy.
Je voy’ vostre premier esclave
- Qui de sa perte se fait brave
- Aiant pour compagnon les Cieux ;
- Ainsi au vaincu misérable
- La victoire est faite agreable
- Par le nom du victorieux.
Alors son amoureuse braise
- Ne sera que plaisir & qu’aise.
- Quant aiant poussé tant de vents
- Pour mettre le feu en vostre ame,
- Il en verra voller la flamme 127 ODES.
- Au gré de ses soupirs mouvants.
II n’avoit dressé son attente
- Que sur l'amour aspre & constante
- Dont son sens estoit anymé,
- Jugeant que son ardeur divine
- Sacageroit vostre poitrine
- Quant son cueur seroit consomé,
Et qu’alors vos ames pareilles
- Vous feront sentir les merveilles
- De deux cueurs unis en desir,
- Mais vous seulement pourez rendre,
- Quand vous voudrez, vos feuz en cendre
- Et vos attentes en plaisir.
- IV.
La preuve d’un’ amour non feinte
- Est lors qu’on cherist son ennuy,
- Et quant pour trop aimer autruy
- L’amour de soy mesme est efteinte.
Comment veux-tu, fiere Maistresse,
- Pour le comble de mes travaux
- Faisant deux contraires esgaux,
- Qu’en l'amour j’use de sagesse ?
Comment puis-je estre amant et sage,
- Me plaisant à me faire tort,
- Baisant le glaive de ma mort,
- Fuiant le bien pour le dommage,
Trouvant le miel amer & rude.
- Changeant en rage ma raison,
- Ma liberté en la prison
- D’une cruelle ingratitude ?
Ainsi tu semble la marastre 128 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
- D’Alcide le brave & le sort.
- Ne voullant, en le voulant mort,
- Rougir ses mains de son desastre,
Mais à chasque monstre terrible
- Qui mille hommes faisoit mourir,
- Elle l’envoioit conquerir
- La mort & l’honneur impossible.
Tu me veulx contraindre, inhumaine,
- Mettre la glace avecq' l'ardeur,
- T'aimer sans folie & fureur
- Pour m’acabler de ceste peine.
- Fay’ si tu veux de la marrie
- Que j’ayme furieusement :
- Je ne puis, Diane, en t’aimant
- Guerir de rage & de furie.
- V.
Heureux qui meurt par vostre veuë,
- Bien heureux qui ce bel œil tue :
- O douce mort, o doux ennuy !
- Mais bien heureux celui qui tire
- Sa vie d’un si doux martire,
- Qui aimant cest œil vit par luy !
Car vous portez l'ire & la joye
- Quand un de vos regars foudroye
- Celuy qui s’afronte à voz yeux :
- Ainsi que luy vostre œil m’acable
- Et bien que je sois agreable,
- Je n’en emporte rien de mieux.
Mais voulez vous, beauté divine,
- Que l’œil qui guerist & ruine
- Me luyse sans m’exterminer 129 ODES.
- Et que vous puissiez au contraire,
- Sans resjouir vostre adversaire,
- Le choisir pour le ruiner ?
Departez cest effect contraire
- De voz yeux, de bien & mal faire,
- En deux presens de Voz couleurs :
- Donnez à un amant volage
- Celles qui porteront dommage,
- Et à moy les autres faveurs.
Ce present portera vostre ire :
- Vous ferez comme Desjanire,
- Au lieu de chemise en couleurs
- Et ces faveurs seront encore
- Tels que la boiste de Pandore
- Qui regorgea tant de malheurs.
Alors vous aurez la puissance
- Du sallaire de la vengeance.
- Celle qui de mesme tourment
- Paie le fidelle & le traistre
- Fait que l’on ayme autant à estre
- Desloial que fidelle amant :
Car ces mignons font que j’enrage
- Quant, indignes d’avoir un gage,
- Sinon celuy là que j’ay dit,
- Ils parent leur lance legiere,
- Comme leurs cueurs sur la carriere,
- D’un present qui n’est pas maudit.
Trempe la, ma Deesse humaine,
- Dedans la rive Stigienne
- Et dedans le sang d’un corbeau,
- Afin qu’il ruine & qu’il tue
- Celui qui portera en veuë
- Pour une faveur un cordeau.
Madame, que vostre œil delivre 130 LE PRIMTEMS DU SIEUR DAUBIGNÉ.
- L’autre vertu qui me fait vivre
- Aux gages de vostre amitié,
- Et que ma main en estant ceinte
- Ne tremble plus defsoubz la crainte
- De vostre imploiable pitié.
Ainsi quant la terre enyvree
- De pleurs remarque sa livrée
- Au bras du ciel plus gratieux,
- A trois couleurs a souvenance
- Que c’est l'escharpe d’alliance
- Et de la promesse des Dieux.
Appaisez les pleurs & la pluie
- Et les déluges de ma vie,
- Et nouez à trois neuz sur moy
- Une marque si Bien pliee
- Que jamais ne soit desnouee
- Q’avecques le neud de ma foy.
Alors sans varier, ma lance
- Puissante de vostre puissance
- Sur tous emportera l’honneur ;
- Sa mire sera vostre veuë,
- Ses chiffres le nom qui me tuë,
- Et son arreft vostre faveur.
- VI.
Ainsi l'Amour & la Fortune,
- Tous deux causes de mes douleurs,
- Donnent à mes nouveaux malheurs
- Leur force contraire et commune,
- Ainsi la Fortune & l’Amour
- D’une force unie et contraire
- Veullent advancer & distraire ODES. 131
- Mes rages & mon dernier jour.
Tous deux pour voller ont des aelles,
- Aveugles des yeux, des desirs,
- De tous deux les jeux, les plaisirs
- Sont paines & rages cruelles :
- Ilz ne s’abreuvent que de pleurs,
- N’aiment que les fers & les flammes,
- N’affligent que les belles ames,
- Ne blessent que les braves cueurs.
La Fortune est femme ploiable,
- L’Amour un despiteux enfant,
- L’une s’abaisse en triumphant,
- L’autre est vaincueur ìnsuportable,
- L’une de sa legereté
- Change au plaisir le grand desastre,
- Et l’autre n’a opiniastre
- Plus grand mal que la fermeté.
- VII
Soubs la tremblante courtine
- De ces bessons arbrisseaux,
- Au murmure qui chemine
- Dans ces gazouillans ruiffeaux,
Sur un chevet touffu esmaillé des couleurs
- D’un million de fleurs,
- A ces babillars ramages
- D’oisillons d’amour espris.
- Au flair des roses sauvages
- Et des aubepins floris,
Portez, Zephirs pillars sur mille fleurs trottans,
- L’haleine du Printemps.
- O doux repos de mes paines, 132 LE PRIMTEMS DU SIEUR 'DAUBIGNÉ.
- Bras d’yvoire pottelez,
- O beaux yeulx, claires fontaines
- Qui de plaistr ruiffelez,
O giron, doux suport, beau chevet esmaillé
- A mon chef travaillé !
- Vos doulceurs au ciel choisies,
- Belle bouche qui parlez,
- Sous vos levres cramoysies
- Ouvrent deux ris emperlez ;
Quel beaulme precieux flotte par les zephirs
- De vos tiedes fouspirs !
- Si je vis, jamais ravie
- Ne soit ceste vie icy,
- Mais si c’est mort, que la vie
- Jamais n’ait de moy soucy :
Si je vis, si je meurs, ô bien heureux ce jour
- En paradis d’amour !
- Eh bien ! je suis content de vivre
- Et ma peine est lors plus cruelle
- Quand plus d’elle je fuis delivre.
- Pourtant je vis de tout mon heur,
- C’est que ma joye est lors plus belle
- Plus je fais vivre ma douleur,
Plus ma peine accroist ma pensee,
- Me flatte, me plaist & m’atire ;
- Mais lors mon ame est courroucée
- Quand mon coeur s’estonne pour eux,
- Et quandje sens plus de martire
- Que je n’ay le cueur amoureux.
Vostre œil, vostre beaulté, Madame,
- A vaincu mes forces, de sorte
- Qu’au feu de l'amoureufe flamme
- Ma perte s’allume & s’estaint :
- En moy la mort se trouve morte 133 ODES.
- Et mon ame plus ne la craint.
Ainsi d’une cause si bonne
- Ma peine n’est plus inhumaine,
- Sinon quand moins votre œil m’en donne,
- Et pour la fin de mes ennuys
- L’ame est friande de ma peine,
- Le corps lassé dict : Je ne puis(1).
- VIII.
En voyant vostre beau pourquoy n’ay je pas veu,
- Pourquoy en vous craignant mon ame si craintive
- N’a cogneu que l’esclair d’une blancheur si vive
- N’estoit rien que neige, que feu ?
Que mon cueur perdit bien par les yeux la raison,
- Prenant la vie esclave & délassant la franche,
- Car il vit vostre gorge & fi belle & si blanche
- Qu’il en fit sa belle prison !
La neige vous siet bien, & non pas la froideur :
- Neige qui as couvert le sein de ma divine,
- Possede le dessus de sa blanche poitrine,
- Mais ne touche point jusqu’au cœur !
N’abandonne ce cœur, belle & vive clairté
- Qui rend de ce beau feu la blancheur vive & claire,
- Enclos ce qui me brusle & non ce qui m’esclaire,
- La flamme & non pas la beaulté.
Gorge de laict, mon œil de ta neige est friant,
___________________________________________________
1. Ces quatre dernieres strophes sont marquées à la marge du manuscrit d’une ligne, d’une sorte d’accolade. L’auteur veut-il dire : à supprimer ? On voudrait le croire, mais ce n’est là qu’une conjecture. Ce signe se retrouve encore devant quelques pages ou quelques strophes.
134 LE PRINTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.
- Beau feu, dans ce beau sein tiens les flammes enclozes.
- Malitieux Amour qui de lis & de rozes
- M’apreste la mort en riant.
- IX.
- Bergers qui pour un peu d’absence
- Avez le cueur si tost changé,
- A qui aura plus d’inconstance
- Vous avez, ce croi’ je, gagé,
- L’un leger & l’autre legere,
- Á qui plus volage sera :
- Le berger comme la bergère
- De changer se repentira.
L’un dit qu’en pleurs il se consume.
- L’autre pence tout autrement,
- Tous deux n’aiment que par coutume.
- N’aimant que leur contentement,
- Tous deux, comme la girouette,
- Tournent poussez au gré du vent,
- Et leur amour rien ne souhaitte
- Qu’à jouir & changer souvent.
De tous deux les caresses feintes
- Descouvrent leur cueur inconstant,
- Ils versent un millier de plaintes
- Et le vent en emporte autant ;
- Le menteur & la mensongere
- Gagent à qui mieux trompera !
- Le berger comme la bergere
- De changer se repentira.
Ils se suivent comme à la trace
- A changer sans savoir pourquoy :
- Pas un des deux l’autre ne passe ODES. 135
- D’amour, de constance & de foy.
- Tous les jours une amitié neufve
- Ces volages contentera,
- Aussi vous verrez à l’espreuve
- Que chacun s’en repentira.
De tous deus les promesses vaines
- Et les pleurs versez en partant
- N’ont plus duré que les haleines
- Qui de la bouche vont sortant :
- Chaquun garde son avantage
- A fausser tout ce qu’il dira,
- Et chaquun de ce faux langage
- A son tour se repentira.
- X.
Tristes amans, venez ouyr
- Un cueur prisonnier se jouyr
- Livré en sa chesne cruelle
- Par les yeux trop promptz et hardis,
- Mais sa prison n’est criminelle,
- [Car] il en faict son paradis.
Bien que soubz les loix d’un vainqueur
- Il souffre aux pieds d’un autre cueur,
- Qu’esclave & que serf on l’apelle,
- Il est fi doucement traité
- Et sa servitude est si belle
- Qu’il meprise la liberté.
Bien qu’il endure là dedans
- Mille & mille flambeaux ardans
- Qu’on voit à l’enfleure jumelle
- Qui s’enfle de ses doux soupirs,
Qu’il se met au rang des martirs.
D’un sein d’albastre si polly
Il voulut estre ensevelly,
Et en sa prison eternelle
Heureux il confine ses jours,
Chantant que sa prison est belle
Puisqu’il a de belles amours.
A. D.
XI.
Voilà une heure qui sonne !
Debout, laquais, qu’on me donne
Mon papier pour y vomir
Une odelette lirique
Qui me chatouille & me pique
Et m’empefche de dormir.
Chenu hault, Chenu en place.
Debout, marault, qu’on me face
Merveilles de cest outil :
Desrobe une flamme claire
Et un vulcan qui m’esclaire
Du ventre de ce fuzil.
Voi’ tu la trongne de l’homme
Volussien, voi’ tu comme
Il a un des ieux petit ?
L’amour chault qui me consomme
N’empesche à ce gentil homme
Le dormir ny l’apetit.
Metz là dessoubz ce gros livre :
Ce filz de putain est yvre !
Hai ! au pied recouche toy.
Qu’il se donne de malaise !
ODES. 137
- Va, que tu puisse à ton aise
- Dormir pour toy & pour moy.
Cependant que tu mignarde
- Une corde babillarde
- Du pouce & d’un autre doit,
- Je veus savoir de ma Muse
- Que jamais je ne refuse
- Que c’est qu’elle demandoit.
Fay’ que mes espritz fretillent
- Autant de coups que babillent
- Les tremblemens amoureux
- Qui folaftrent sur ta chorde :
- Mon second, ainsi mon ode
- Sera fille de nous deux.
Nicollas endort sa paine
- Et pousse avecq’ son halaine
- Ses affaires & l'ennuy
- De sa teste ensommeillée,
- Tandis ma Muse éveillée
- Se resouvenoit de luy.
Nicollas, j’aime & j’adore
- Quiconque ayme et qui honore
- Et les vers & les escritz
- Et les sciences aymees
- Qui feront leurs renommées
- Vivre autant que les efpritz
Je ne suis pas de la troupe
- Qui peult faire à plaine coupe
- Carroux du Nectar des cieux,
- Mais je contrefais leurs gestes
- Et pour ivrogner leurs restes
- Je porte un livre aprés eux.
Je congnois ma petitesse,
- Ce qui fait que je m'abaisse
- Sans trop avoir entrepris
- Si très penaull de mes fautes
- Que jamais les choses hautes
- Ne transportèrent mes escritz
Pendant que Ronsard le pere
- Renouvelle nostre mere
- Et que maint cher nourrisson
- Des filles de la Mémoire
- Sur le temps dresse sa gloire,
- Je barbouille à ma façon,
Et n’ayant rien que te dire,
- Je m’esveille pour escrire
- Sans autre disposition
- Que les premières pensees
- Que la nuit m’a tracassees
- En l’imagination.
Il est vrai, comme je pence,
- Si j’avois la patience
- D’estudier une heure au jour,
- Une heure seulement lire,
- J’acorderois bien ma lire
- A la guerre & à l’amour.
Jà dix ans & davantage,
- Dont je ne suis pas plus sage,
- Ne m’ont proffité de rien,
- Se sont escoulez à rire,
- C’est pourquoy l’on me peut dire
- Qu’il y paroift assez bien.
Encores si ma folie
- Entroit en melancholie
- Et, pour se faire priser,
- Vouloit devenir plus grave :
- Je sais bien faire le brave
- Pour m’en immortalizer.
ODES 139 .
Pour faire bruire une guerre
- Qu’eurent les filz de la Terre
- Contre les fouldres des Dieux,
- En mes termes de folie
- Je dirois qu’en Thessalie
- Ils escaladoient les Cieux.
[D']un alexandrin plein d’erres,
- De guerres & de tonnerres,
- Et d’un discours enragé
- Je peindrois bien une noise,
- Car je say qu’en vault la toise,
- Je n’en ay que trop mangé !
J’ay aidé, quoy que je die,
- A jouer la tragedie
- Des François par eux deffaitz ;
- Page, soldat, homme d’armes
- J’ay tousjours porté les armes
- Jusqu’à la septiesme paix.
A Dreux, bataille rangee.
- En Orléans assiegee, ;
- Laissant le dangier à part,
- Dans le camp & dans la ville
- J’apprins du soldat le stille
- Et les vocables de l’art.
Mais depuis avecq’ mon aage
- M’estant acreu le courage,
- Venu plus grand & plus fol.
- Jeune d’aage & de sens jeune,
- J’ay brusqué cinq ans fortune,
- L’arquebuze fur le col.
Puis j’en passay mon envie
- Et quittay l’infanterie
- Pour estre homme de cheval,
- Et, jamais las d’entreprendre, I40 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- Encor’ me falut aprendre
- Que c’est du combat naval.
Ma nature y fut mal faite,
- Ma gorge y fut tousjours nette,
- Encores vis je la mer
- Brusler trois fois en ma vie,
- Bransler de coups eftourdie
- Et les canons l'entamer.
L’ame servit la pratique
- Et l'art & la theorique,
- Et des fixes & du Nord
- J’enquerois mon astralabe
- Et le baston de l’Arabe
- De l’un & de l’autre bord.
Cela me donne courage
- De prendre un plus hault ouvrage
- Et d’essorer mes espris :
- Comme de trop entreprendre,
- On me peult aussi reprendre
- D’avoir trop peu entrepris.
J’ay encores eu umbrage,
- Tout ainsi qu'un vain nuage,
- Et des langues & des artz,
- Sans que je me veille rendre
- Ou impossible à reprendre.
- Ou parfait de toutes partz.
Celuy n’est parfait poete
- Qui n’a une ame parfaite,
- Et tous les ars tous entiers,
- Et qui pourroit en sa vie
- Gaigner l’enciclopedie
- Ou esprouver tous mestiers.
Baste ! j’escris pour me plaire :
- Si je ne puis satisfaire ODES 141.
- A un plus exact desir,
- Amusant pour entreprendre
- Quelque sot à me reprendre,
- Je me donne du plaisir.
J’ayme les badineries
- Et les folles railleries,
- Mais je ne veux pas avoir
- Pour veiller à la chandelle,
- La renommee immortelle
- D’un pedantesque savoir.
Nicollas, les ferpelettes,
- Tes vendangeurs, tes sornettes,
- Resonnent à mon gré mieux
- Que ces rimes deux fois nees
- Et ces frazes subornées
- D’un Petrarque ingenieux.
Car de quelle ame peut estre
- Ce que l’on fait deux fois naistre
- Par le faux pere aprouvé :
- Comme la poule pourmeme,
- Non le poulet qu’elle ameine,
- Mais celluy qu’elle a couvé.
C’est beaucoup de bien traduire,
- Mais c’est larcin de n’escrire
- Au dessus : traduction,
- Et puis on ne fait pas croire
- Qu’aux femmes & au vulgaire
- Que ce soit invention.
Ce n’est pour toucher personne,
- Mais ma Muse ne bordonne
- Ce que nous disions hier ;
- Si lisant tu t'esmerveille
- Que c’est tout cecy, je veille
- Et j’ay peur de m’ennuyer.
142 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.
Le dormir revenu presse
- Mes yeux pesans de paresse,
- Les pique & ferme à demy,
- Et la main esvanouie
- Du cousin est endormie
- Dessus son luth endormy.
- XII.
Au temps que la feile blesme
- Pourrist languissante à bas,
- J’allois esgarant mes pas
- Pensif, honteux de moy mesme,
- Pressant du pois de mon chef
- Mon menton sur ma poitrine,
- Comme abatu de ruine
- Ou d’un horrible meschef.
Après, je haussois ma veuë,
- Voiant, ce qui me deplaist,
- Gemir la triste foreft
- Qui languissoit toute nue,
- Veufve de tant de beautez
- Que les venteuses tempestes
- Briserent depuis les festes
- Jusqu’aux piedz acraventez
Où sont ces chesnes superbes.
- Ces grands cedres hault montez
- Quy pourrissent leurs beautez
- Parmy les petites herbes ?
- Où est ce riche ornement,
- Où sont ces espais ombrages
- Qui n’ont sçeu porter les rages
- D’un automne seulement ?
ODES 143.
Ce n’est pas la rude escorce
- Qui tient les trons verdissans :
- Les meilleurs, non plus puissans,
- Ont plus de vie & de force,
- Tesmoin le chaste laurier
- Qui seul en ce temps verdoie
- Et n’a pas esté la proie
- D’un yver fascheux & fier.
Quant aussi je considere
- Un jardin veuf de ses fleurs,
- Où sont ses belles couleurs
- Qui y florissoient naguère,
- Où si bien estoient choisis
- Les bouquets de fleurs my escloses,
- Où sont ses vermeilles rozes
- Et ses oillets cramoisis ?
J’ai bien veu qu’aux fleurs nouvelles,
- Quant la rose ouvre son sein,
- Le barbot le plus villain
- Ne ronge que les plus belles :
- N’ay je pas veu ses teins vers,
- La fleur de meilleure eslitte,
- Le lys & la margueritte,
- Se ronger de mille vers ?
Mais du myrrhe verd la feuille
- Vit tousjours & ne luy chault
- De vent, de froit, ny de chault,
- De ver barbot, ny abeille :
- Tousjours on le peut cuillir
- Au printemps de sa jeunesse,
- Ou quant l'yver qui le laisse
- Fait les autres envieillir.
Entre un milion de perles
- Dont les carquans sont bornez 144 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE
Et dont les chefz sont ornez De nos nymphes les plus belles, Une seulle j’ay trouvé Qui n’a tache, ne jaunisse, Ne obscurité, ne vice, Ni un gendarme engravé. J’ay veu parmi nostre France Mille fontaines d’argent, Où les Nymphes vont nageant Et y font leur demourance ; Mille chatouilleux Zephirs De mille plis les font rire : Là on trompe son martire D’un milion de plaisirs. Mais un aspit y barbouille, Ou le boire y est fiebvreux, Ou le crapault venimeux Y vit avecq’ la grenoille. O mal assise beauté ! Beauté comme mise en vente. Quand chascun qui se presente Y peut estre contenté ! J’ay veu la claire fontaine Où ces vices ne sont pas, Et qui en riant en bas Les clairs diamens fontaine (sic) Le moucheron seulement Jamais n’a peu boire en elle, Aussi sa gloire immortelle Florist immortellement. J’ay veu tant de fortes villes Dont les clochers orguilleux Percent la nuë et les cieux De piramides subtiles, 145 ODES.
- La terreur de l’univers,
- Braves de gendarmerie,
- Superbes d’artillerie,
- Furieuses en boulevers (sic) :
Mais deux ou trois fois la fouldre
- Du canon des ennemis
- A ses forteresses mis
- Les piedz contremont en pouldre :
- Trois fois le soldat vengeant
- L’yre des Dieux alumee,
- Horrible en sang, en fumee,
- La foulla, la sacageant.
Là n’a flory la justice,
- Là le meurtre ensanglanté
- Et la rouge cruauté
- Ont heu le nom de justice,
- Là on a brisé les droitz,
- Et la rage envenimee
- De la populace armée
- A mis soubz les pieds les loix.
Mais toy, cité bien heureuse
- Dont le palais favory
- A la justice cheri,
- Tu regne victorieuse :
- Par toy ceux là sont domtez
- Qui en l'impudique guerre
- Ont tant prosterné à terre
- De renoms & de beautez.
Tu vains la gloire de gloire.
- Les plus grandes de pouvoir,
- Les plus doctes de savoir,
- Et les vaincueurs de victoire,
- Les plus belles de beauté,
- La liberté par la crainte, 146 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- L'amour par l'amitié jointe.
- Par ton nom l'eternité.
- XIII.
- EPITALAME
Debout filles, qu’on s’appreste,
- L’Aurore leve la teste
- Pour espanouir le jour,
- Pour sacrer une journée
- A l'amour, à l'hymenee,
- Á l'hymenee, à l'amour !
Yo ! du jour l’aventuriere
- Saulte, folastre, legere,
- Sur son char doeillet, vermeil,
- J’ay ainsi Nimphe, ordonnée
- A l'amour, à l'hymennee
- Aussi belle, un sault pareil,
Tu n’as plus tost delaissee
- La place où la nuit passee
- Ton cors douillet a dormy,
- Au moins dormy, si ceste ame.
- Qui d’un bien present se pasme,
- Ne l'esveilloit à demy.
Du ciel astre de ta grâce
- Et du vermeil de ta face
- Le ciel mesme rougira,
- De tes beautez demy nues
- Jusqu’aux plus espaises nuës
- Un second jour reluira.
Ce taint qui ton front decore
- Nous servira bien d’aurore.
ODES 147.
- Et la clarté de ton œil
- Et tes temples encheries
- De feuz & de pierreries
- Feront cacher le soleil,
Car deux soleilz, ce me semble.
- Ne sauroient regner ensemble.
- Si d’un accord gratieux
- Tu ne prens icy ta place
- Pour laisser luire de grace
- Le blond Apollon es Cieux.
J’entens fraper à la porte
- Ton bien aimé qui t'aporte
- Le mot, l'effait d’un bon jour :
- Avecq’ ce bon jour, mignonne.
- Il ne ment point, il te donne
- Les fruitz d’himen & d’amour.
Io ! telle vermeille honte
- Ton beau visage surmonte
- Que les clairs nuages ont
- Quand ilz meuvent de leur place.
- Pour avoir feu face à face
- Du soleil l'or & le front.
Dieux ! que de beautez doublees,
- Que de vertus acouplees,
- Amant, cent fois bien heureux,
- Possedant telle maitresse !
- O bien heureuse Deesse
- Possedant tel amoureux !
Cependant que la journee.
- Est au combat destinee.
- Aux tournois, au bal, aux jeuz
- Et à tout bel exercice
- Ennemy mortel du vice,
Fi du repos paresseux ! 148 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Pendant que la fiere adresse
- D’un gendarme par la presse
- Met d’autres armes à bas.
- Cependant qu’un autre encore
- De belles cources honore
- Les lices & les combats,
Dames, donez quelque gage,
- Pour redoubler le courage
- Et les forces & les cueurs
- D’une autre muette bande
- Qui sans parler, vous demande
- Vos grâces & vos faveurs.
Ce pendant qu’à capriolles
- Voltigent les jambes folles
- Des amoureux sans repos,
- Et qu’on voit naistre en la place
- Ceux qui ont meilleure grâce
- Et ceux qui sont plus dispos,
Tandis que mille caresses
- Mille serfz, mille maitresses
- Ne font naufrage du temps.
- Les uns tristes se desolent,
- D’autres contens se consolent.
- Et aucuns ne perdent tems :
Des champions d’ymennee
- L’ame est ailleurs adonnée,
- Leurs deux yeux rompent le boys,
- Leurs esprits sont en carrière,
- Leur ame dance legere,
- Ilz discourent sans la voix.
Or quelque bal qui se trace,
- Quelque lice qui se face,
- La victoire de ce jour
- Est à celuy là donnee ODES 149.
- Qui es cendres d’himennee
- Consomm’ au jourdhuy l'amour.
C’est assez prouvé l'adresse,
- La vertu & gentillesse
- Et des cors & des espris :
- Au coucher, que la journée
- Trop longue est bien ordonnée
- A d’autres coups entrepris !
L’estoille du ciel plus claire
- Qui se couche la premiere
- Donne le plus de clarté,
- Et me semble, à voir sa face.
- Qu’une undelette se trace
- Sur le lis de fa beauté.
Je voy tremblotter sa bouche :
- Ha ! c’est qu’elle craint la touche
- De ce brave combatant :
- Si fault il les laisser faire,
- Crains tu un doux adversaire
- Qui te craint & t'aime tant ?
Tu te trompes, car tes larmes
- Ne font pas mourir ses armes,
- Ce beau vermeil et ce blanc
- Croissent son cueur et sa gloire
- Et il n’est belle victoire
- Que par la perte de sang.
Va t’en, Nimphe bienheurèe.
- Souffrir constante, asseuree,
- Par tel la plaie du jour
- Et la plaie d’himenee,
- A qui tu avois donnée
- L’autre plaie de l'amour.
150 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.
- XIV.
Non, non,je veux vivre autant
- Comme vivra ta rigeur,
- Mourir vaincueur & contant
- De ton yre & mon malheur.
Je ne crains pas que l'effort
- D’un dart me face mourir,
- Mais j’ay bien peur que la mort
- M’empesche de plus souffrir :
Car l'aigreur de ton courroux
- M’est plus douce que le miel.
- Et cela me semble doux
- Qui aux autres est du fiel.
Les injustes cruautez,
- Les jeux qui me font mourir,
- Les orguilleuses beautez
- Ne m’ont lassé de souffrir.
Soit le mal, ou soit le bien,
- Je l'aime en venant de toy :
- Ton yre n’emporte rien
- Qui ne soit trop doux pour moy.
Je succe le demourant
- De mes tourmans inhumains,
- Je me plais en endurant
- Les coups de tes blanches mains.
Mais pourtant retire un peu
- Tes poignans ensanglantez,
- Et fay’ plus durer le feu
- De tes douces cruautez.
Car je veux soufrir tousjours,
- Je ne vis que de douleurs : ODES 151.
- Que je baigne mes amours
- Dans les ruisseaux de mes pleurs !
Ceux qui lassez de souffrir
- Et lassez d’une beauté
- Se veullent faire mourir
- D’un courroux ensanglanté,
Ceux là n’ont jamais aimé
- Les maux & la passion,
- Ilz ont le doux estimé
- Et fuy l'affliction.
Car qui ayme pour joir
- D’un heureux contentement,
- II n’aime que son plaisir
- Et ne fuit que son tourment.
De soupirs & de douleurs
- L’amour nous esmeut le flanc,
- L'amour s’abreuve de pleurs
- Et soulle sa faim de sang,
Celuy qui aime le doux
- Et craint de gouster l'amer
- Et qui meurt pour un courroux,
- Comment pourroit-il aimer ?
Celuy là ayme le mieux
- Qui vit afin d’endurer,
- Sans esperance de mieux,
- Espérant sans esperer.
O amans ! fouz d’estimer
- Mourans pouvoir trouver mieux,
- Si vous souffrez pour aimer,
- Que peut la mort sur les Dieux ?
Jamais l'amour ne perist,
- Et nostre malheur est tel
- Que l'amour loge en l’esprit.
- Et l'esprit est immortel.
152 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.
Doncq’ faire mourir le cueur
- Et faire l'ame endurer,
- C’est aider le malfaiteur
- Et l'innocent martirer.
- XV.
Tes yeux vaincueurs & languissans,
- Tes ris de perles florissans,
- Ta joue & ta bouche de rozes
- Me bruslent ainsi peu à peu
- Que sans les pleurs dont tu m'arroses,
- Je fusse en bluette de feu.
Je suis noie de tant de pleurs
- Que si tes yeux doux & vaincueurs,
- Si ta joue et ta bouche encore
- N’eussent espris de leurs flambeaux
- En moy le feu qui me devore,
- Je serois fondu en ruisseaux.
Ainsi tels remèdes cruels
- Font mes feux, mes pleurs immortels
- Las ! de quelle sorte d’offence
- Ay je peché pour tant souffrir ?
- Que ce soit peu de penitence
- Pour me faire une fois mourir.
- XVI.
Vous dites que je suis muable,
- Que je ne sers pas constemment,
- Comment pourrois je sur le sable
- Faire un asseuré fondement ?
ODES 153.
Vous babillez de ma froidure
- Et je suis de feu toutefois :
- Le feu est de telle nature
- Qu’il ne peut brusler sans le bois.
Comment voulez vous que je face ?
- Mon ardeur en vous trouve lieu,
- Le feu n’embrase point la glace,
- Mais la glace amortist le feu.
Tel est le bois, tell' est la flamme,
- Telle beauté & telle ardeur :
- Le cors est pareil à son ame,
- A la dame le serviteur.
Voulez vous donc savoir, rebelles,
- Qui a noie tant de chaleurs
- Et tant de vives étincelles ?
- Ce sont les ruisseaux de mes pleurs.
On se moque de ma misere
- Quant j’aime affectueusement,
- Et on me tourne à vitupere
- Quant je metz fin à mon torment.
[Vous] voudriez bien que j’aimasse
- Pour vous servir de passe temps,
- Vraiment vous auriez bonne grace,
- Friande, vous auriez bon temps.
Vous m’avez fait perdre courage
- D’aymer, en m’accablant d’ennuis :
- Ne blasmés donq’ point vostre ouvrage,
- Vous m’avez fait tel que je fuis.
- XVII.
A ce boix, ces pretz et cest antre
- Offrons les jeux, les pleurs, les sons, 154 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- La plume, les jeux, les chansons
- D’un poete, d’un amant, d’un chantre.
Lisez, prenez, enflez des trois,
- Muses, Nymphes & vous Echos
- Des bois, des pretz, & des rocs.
- Les vers, les larmes & la voix.
- XVIII.
Il te fault oublier, ma plume,
- Et ta nature & ta coutume,
- Et fault maugré toi desguisant
- Ceste douceur acoutumee.
- En bruire une ode envenimee
- Du bref yambe medisant.
Car tu n’espancherois ton yre
- Mesdisant que sur le mesdire,
- Dessus la fureur ton despit,
- Dessus le lion ta prouesse.
- Dessus le renard ta finesse
- Et ton venin sur un aspit.
Je me desplais quant par contrainte
- Il fault que ma peine soit teinte
- Au sang d’un venimeux serpent,
- Comme celuy qu’un crapaut fache,
- Quant des piedz la teste il luy cache,
- Il s’envenime en le crevant.
Pourtant si je hay le mesdire,
- Ce n’est pas, mesdisante, à dire
- Que tu mesdies impunement :
- On medit en louant le vice,
- Celuy qui blasme la justice
- Il mesdit aussi, car il ment.
ODES 155.
Ceste justice au ver de terre
- A permis de faire la guerre
- A celuy qui le va foulant.
- Moy je ne veux que la parolle
- Pour chastier un peu la folle
- Qui ne m’a fasché qu’en parlant.
Mon Dieu, quelle cruelle injure
- Cette petite creature
- Trouva aprés un bon repas !
- Soulle, yvre comme une chouette,
- Elle dit que j’estois un poete,
- Et je dis qu’elle ne l'est pas.
Mais encore luy veux j’aprendre
- Au moins, s’elle peut le comprendre,
- Comment on doibt nommer chacun.
- Et quant par le mestier on nomme
- Plus tost que par le nom un homme,
- Que ce soit pour le plus commun.
Je n’ay pas tousjours fait des carmes.
- J’ay esté soldat, homme d’armes,
- Enfurché sur un grand courcier
- Qui estonnoit tout un village.
- Tu me pensois plus d’adventage
- De gendarm’ ou arquebusier.
Puisque j’ay doncq' gaigné ma vie
- Pauvre soldat de compaignie,
- Tu pouvois, sans m’injurier
- D’une si trés piquante injure,
- Me baptiser, petite ordure,
- Argolet ou arquebouzier.
II eust esté plus convenable
- Faire d’une escurie estable,
- Et me reprochant le fumier
- De nostre royalle escurie, 156 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
- Dire que j’y gagne ma vie
- Et dire : Monsieur l'Escuier !
Mais si vulgairement on nomme
- Soit une fille, soit un homme,
- Par le mestier le plus certain,
- Dame ! il faudra que je t'appelle
- Ou madame la maquerelle,
- Ou pour te complaire, putain.
Tu as bien vescu quelque annee
- N’estant que fraîche abandonnée,
- Donnant de ton cors passe temps,
- Mais depuis ta seconde couche
- Que personne plus ne te touche.
- Tu produis à dix sept ans.
C’est sans injure & sans cholere,
- Je t’eusse bien nommé lingere,
- Car comme j'ayme bien les vers,
- Tu aimes bien la lingerie,
- Mais tu n’en gagnes pas ta vie
- Si bien que du luc à l’envers.
Tu pouvois nommer sans reproche
- Ce joueur de lut qui t’acroche
- Ou ce baladin qui ravit
- En te montrant ton pucelage
- Du nom dont chacun tire gage
- Et du mestier dequoy il vit.
- XIX.
D’une ame toute pareille
- Furent honorez nos cors,
- Car tu veille si je veille,
- Et j’ay sommeil si tu dors.
ODES 157.
Rien que la vertu n’assemble
- Et nos desirs & nos veux
- Qui ne soupirent ensemble
- Rien qui ne soit vertueux.
Une envie porte envie
- A ces deux conformitez
- Et ne peut rendre sa vie
- Pareille à nos voluntez.
La vertu nous a fait faire
- L’union qui luy desplaist,
- Si elle ayme son contraire,
- Vous pouvez pencer que c’est.
- XX.
Que je te plains, beauté divine !
- Ha ! que ta fortune est maligne,
- Ha ! que ton sort est malheureux,
- Ha ! qu’inhumains te sont les Cieux
- Et le destin qui vous assemble,
Le clair jour & la nuit ensemble.
- Le fier, le faux, l'aveugle sort
- Qui met la vie avecq’ la mort !
Enragée, aveugle Fortune
- Qui met ceste vieille importune
- Sur les tallons de ma beauté !
- Comme en un pais surmonté
- On met les garnisons cruelles,
- On y bastit des citadelles,
- Et de mille autres inventions
- On y fait mille extorsions.
Le jour t'est plain de fascherie
- Pour la fascheuse compagnie 158 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- De ce vieux serpent plain d’effroy
- Que tousjours on couple avec toy,
- Qui en grondant deffend ta porte
- Des pestes d’une alene forte.
- Sur le seuil de l'uis enbrené,
- Comme un vieux barbet enchaisné.
Ainsi tu es une Andromede,
- Et si je ne trouve remede
- Pour te delivrer, tu seras
- A tout jamais entre les bras
- De ce morce marin pressée,
- Mais je veux estre ton Persee
- Et faire ce monstre nouveau
- Trebucher un jour dedans l'eau.
Elle fait, mon ange dyvine,
- En ton cabinet sa cuisine
- Et fait d’un mesme cabinet
- Et sa cuisine & son retrait.
- Là vous voiez par ordonnance
- Chopines, jambons de Mayance,
- Formages et vous voiez là
- La quinte essance de cela.
Mais si tost que là nuit s’approche,
- L’ire, l’injure, le reproche
- Poussent du gosier son venin
- Parmy les vapeurs de son vin :
- Dans le lit lui fault la parolle,
- Les mains en sa profiterolle,
- Et en rottant neuf ou dix fois
- Finit le banquet & la vois.
Lors de poudre de cypre & d’ambre,
- En un petit coin de la chambre,
- Ma mignonne de doitz mignons
- Couvre ses cheveux fins & blons, ODES 159.
Et puis sitost qu’elle a mangée Sa cuillerette de dragée. Soupirant trois fois son malheur, Par force aproche son horreur. Là, ma vieille truie endormie Croise la place de ma mye. Et a dessus son oreiller Son cul qu’on ne peut reveiller : L’horreur de l’une & l’autre fesse Fait fi grand peur à ma maitresse Qu’elle choisist en quelque coin Son adventage le plus loin. Elle veille avecq’ son martire, Et son petit cueur lui soupire Et dit en destournant son œil : Ce n’est pas icy mon pareil. L’autre charrette mal graissee Ronfle & n’a rien en sa pensee Que les vins [ou] mauvais ou bons. Les cervelais ou les jambons. Or tout cela n’est rien encore Qui ne voit au point de l’aurore, Si tost que le jour est venu, Dormir l’un & l’autre corps nu : L’un à qui par trop la nuit dure Des piedz pousse la couverture, L’autre par l’indigestion Tormente sa collation. La douce blancheur de ma mye, Et non son ame est endormye, Et le plus souvent ses cheveux Sont desployés sur les linceux, Flottans à tressettes blondes, Comme au gré des zephirs les ondes.
160 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- Et ne souffrent d’autres odeurs
- Que celles du baume & des fleurs.
L’autre a la perruque taigneuse
- D’une acquence faryneuse,
- Un combat dessus & dessoubz
- De punaises avecq’ les pous :
- Tout grouille & tout cela s’assemble,
- Et tout ce gros amas resemble
- Au poil d’un vieux barbet croté,
- Au fruit d’un serpent avorté.
Qui voit les yeux de ma mignonne,
- Lorsque sa paupière besonne
- Et ses petis bors bien couvers
- Les fait désirer estre ouvers,
- Qui voit sa bouche vermellette,
- De ses dens la blanche rangette,
- Tout cela ne semble point mal
- Aux perles dessoubz le coural.
Auprés les paupieres fermées
- De la vieille où les araignées
- Ont fait leurs nidz depuis le soir,
- On a l'odeur de l'entonnoir
- De sa gueule pasle & pourrie
- Que mille chancres ont fletrie,
- Et la chassie de ses yeux.
- Et l’egout de son nez morveux.
Considèrez pour un martire
- Un petit teton qui soupire.
- Qui s’enflant repousse orguilleux
- De deux bons pouces les linceux,
- Une main s’estend my fermee
- Sur la cuisse la mieux aymee,
- Et dedans l'entre deux du sein
- Se loge une autre blanche main.
ODES 161.
- Pour oreiller on voit la beste
- Qui met un testin soubz sa teste,
- Qui grouille ainsi en se mouvant
- Qu’une cornemuze sans vent,
- Sur la peau de l’autre tetace
- Un matin se couche en la place.
- Et en sort pour le paindre tout
- Un flus d’apostume du bout.
Ma fillette monstre sa hanche,
- Et un peu de sa cuisse blanche
- Plus que lis, que neige & satin.
- Et ses tetons sur le malin
- Ont passé le bout de sa couche.
- Helas ! qui retiendra sa bouche.
- Pour en la trompant doucement
- Le baiser cent fois en dormant !
Ce cul ridé à ma maîtresse
- Imprime, touchant à sa fesse,
- Mille coches en un monceau
- De gringuenaudes de pourceau
- Grousses comme grosses fumées,
- Mille mouches empoisonnees,
- Et le plus patient esprit
- Y mettroit le feu par despit.
Mais ma mignonne cache encore
- Ce que je cache & que j’honore,
- Et qui, sans nommer, est au flanc
- Environné de cotton blanc,
- Comme un petit bouton de roze
- Non encor à demy descloze.
- Mais j’en parle sans avoir seu,
- Elle mesme ne l'a pas veu,
Ouy bien les barbes entrassees,
- Et mille peaux repetassees, 162 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- Et je ne sais quoy de couleur
- De vieux codinde en sa chaleur.
- Une plaie et une savatte
- De boyaux pendant, une ratte
- Et deux feuilles rouges de chous
- Qui luy barbouillent les genous.
Fuions, la villaine ha voymie
- Sa gorge auprès de mon amie
- Où un amas rouge de vin
- Fait baller la chair & le pain
- Comme un porceau dedans la bouë :
- Là dedans la vieille se joue,
- Et en la mesme sauce qu’on met
- En Allemagne un vieux brochet.
C’est ainsi que fortune assemble
- La Gorgonne & Venus ensemble.
- Ainsi le miserable sort
- Melle la vie avecq’ la mort.
- Que je te plains, beauté divine
- Et que ta fortune est maligne !
- Ah, qu’inhumains te sont les Cieux !
- Ah, qu’inhumains te sont les Dieux !
- XXI.
Ceulx là qui aiment la louange
- Se verront louez par eschange,
- Mais je n’ayme pas à louer
- Les langues qui ont estimee
- Plus que la dextre renommee
- La gauche & ne font qu’en jouer.
Or, mesdifante, toutes celles
- Qui ont eschapé tes querelles ODES 163.
- Et tant de propos odieux
- Se banderont pour ma deffence.
- C’est cela qui fait que je pence
- N’avoir pas beaucoup d’envieux.
Je n’epeluche point la vie
- De ma desloyale ennemie,
- Les ruses de ses jeunes jours,
- L’impudence de sa jeunesse.
- Et son renom point je ne blesse
- Pour escrire [ici] ses amours.
Je ne me plains pas de grand chose,
- Seulement d’une rage enclose
- Elle mesdit pour se jouer,
- Mentant & flattant elle cause
- Et diffame ceulx là sans cause
- Qui mentiroient pour la louer.
Parmy les vertueuses croissent
- Ses vices, & plus nous paroissent
- Aisés à voir et clairs à l'œil
- Soubz les beautez qu’elle frequente.
- Car la charogne est plus puante
- Tant plus on la met au soleil.
Je dis qu’elle n’en suit encore
- La troupe qu’elle déshonore
- De ses vices & de ses moeurs,
- Parmi les vertus vicieuse
- Où elle se fait venimeuse
- Comme un serpent entre les fleurs.
Je dirois bien qu’elle ruine,
- Qu’elle tuë de medecyne
- Ses germes, & que plus d’un coup
- Trompons aprés estre trompée
- E1l' a en jument eschapee
- Donné un coup de pied au loup.
164 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Je me plains de quoy la traitresse
- Enchante & fasche ma maitresse
- De propos & d’un air punais.
- Ses propos me mettent en haine
- Et des pestes de son allaine
- Elle luy fait boucher le nez.
Mais ne l'escoute plus, mignonne,
- Car le desplaisir que te donne
- Une si mal plaisante odeur
- Ne blesse tant que sa parolle :
- L’une jusqu’à l'ame t'affolle
- Et l’autre ne passe le cueur.
Qui ne croirait à voir sa face
- Et l’effrontement de sa grace
- Le bon naturel de son cueur :
- La nature l'a fait camuse,
- Et veult dire pour son excuse
- Que c’est son nez qui est moqueur.
Les beaux cors ont des ames belles
- Et les nourrissent toutes telles
- Que les descouvre le dehors,
- Hors mis ton ame desguisee,
- Car elle est plus cautérisee
- Et plus infecte que le cors.
Et ta mensonge & ton mesdire
- Et tout le mal que tu peux dire
- Ne peuvent troubler mes espritz :
- Fai’ donc du pis que tu puis faire,
- Ta louange m’est vitupere,
- Je suis prisé par ton mespris.
ODES 165.
- XXII.
Marroquin, pour te faire vivre,
- J’avois entassé un gros livre
- Envenimé d’un gros discours
- De tes chaleurs, de tes amours,
- Et par tes aages impudiques
- Arrangé tes fureurs saphiques.
- Là je contois que ton berceau
- A peine fut jamais puceau,
- L’horoscope de ta naissance,
- Les passe temps de ton enfance,
- Comme on faisait, quant tu criois,
- Changer en un rire ta vois
- Au branle gay d’une chopine,
- A voir chaucher une gesyne,
- La chienne et le chien enbesez,
- Deux poux l’un l’autre entassez.
- Jamais tu n’estois resjouie
- Q’en contemplant la vilenie,
- Une cane soubz un canard,
- Une oy’ envezee d’un jard.
- Puis je contois au second aage
- Le segond progrès de ta rage.
- Comme à six & sept & huit ans,
- Tous les garçons petis enfans
- Tordans autour du doit leurs guilles.
- Fourgonnilloient tes espondrilles.
- Trois ans aprez en un garet
- Tu leur fis un haran sauret
- Ou un monstre presque semblable,
- Et puys pour te rendre agréable,
- Comment tu fis ton marroquin
- Paroistre de loin chevrotin.
- Qu’en trois cens sortes de mesnage
- Tu revendis ton pucelage,
- Que tu seuz à trois cens gascons
- Le vendre de trois cens façons.
- Et depuis croissant ton courage
- Et ta chaleur ainsi que l’aage,
- Tu estallois ton marroquin,
- Tirant du noble & du coquin
- Le plaisir & la recompence.
- Je n’oubliois pas ta prudence
- Qui est de vendre ta beauté
- Autant que tu as achaté
- Le blanc chez un apoticaire,
- Et prenant autant pour le faire,
- Mais puis aprez, avecq’ le temps
- Diminua ce passe temps.
- Tu enrageais alors que l’aage
- T’afoiblist le cors, non la rage,
- Les attraitz, & non la chaleur,
- T’osta les amans, non le cueur.
- Au lieu de louer ton bagage.
- Te força de prendre à louage,
- Et te fit en mordant tes doits
- Acheter ce que tu vendois.
- Je n’oublioys que qui se joue
- A toy & se frotte à ta jouë,
- Il se leve blanc & beau filz,
- Et je contois comme tu fis
- Un autre chauve de la teste
- Emporter du poil de la beste
- En luy donnant de tes cheveux.
- Et à un vieillard chaleureux
ODES 167.
- Tu fis grand profit, ce me semble,
- Alors que vous frottans ensemble
- Lors qu’il n’avoit plus que deux dans,
- Tu luy en crachas trois dedans.
- Je contois que j’ay ouy dire
- Que tu pleures, que tu soupire,
- Que tu gemis, que tu te plains,
- Esprouvant les faitz des humains.
- Je fais là un héraclitique
- Et un discours philosophique,
- Puis je conclus qu’aiant gousté
- Des hommes l’imbecilité,
- Tu pleures sur la creature
- Et sur les defaux de nature.
- Enfin je fis dire à mes vers
- Ta brave defcent' aux Enfers,
- Que tu voulus payer la barque
- Comme d’une letre de marque
- Et ofrant ton cas à Caron,
- Mais luy du plat d’un aviron
- Te bailla tel coup fur la fesse
- Qu’il te jeta hors de la presse,
- Puis alors tout l’Enfer qui voit
- Qu’une grand’ putain arrivoit
- Court en gros, chaqu’un se depesche
- Comme à la marchandise fresche.
- Tout l’Enfer sur toy fut lassé,
- Tout fut recreu, tout harassé,
- Et tout à la fin de la dance
- Fut boir' au fleuve d’oubliance,
- Car au combat reiteré
- Chaqu’un se sentit altéré,
- Et chaqu’un perdit la memoire,
- Hormis maroquin qui pour boire I68 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
- Ne pouvoit son train oublier.
- Mais Radamant la fit noyer :
- Marroquin fut demy noyee
- Avant sa chaleur oubliee.
- Il y a mille autres discours
- De tes salles chaudes amours.
- J’avoys imité l'Enéide.
- Les nommans Maroquineide,
- Mais lorsque ce livre fut fait
- Chacun le trouva si infait
- Les vocables d’art si estranges,
- Que j’ay enterré tes louanges,
- Et n’estant plus semblable à moy
- Ores je m’en excuse à toy
- Et je t’advise que mon aage
- M’a fait moins heureux & plus sage,
- Et si ce n’estoit que je veux
- Que des filles les chastes yeux
- Ne s’offencent lisans mon livre,
- A jamais je ferois revivre
- D’ords d'impudiques discours
- Tes ords, impudiques amours.
- XXIII.
Mignonnes, venez chanter,
- Race du grand Jupiter,
- Et d’un mignardelet stille
- Louans mon jardin fertille,
- Mon fertille jardinet,
- De mes pleurs le cabinet.
- Qui tous les matins aporte
- Apetis de toute sorte ODES 169.
- Et qui ne peut desnier
- Ses fruitz à son jardinier.
- Là florissent entassees
- Mille bizarres pensees,
- Qui de nuantes couleurs
- Naissent de mesmes humeurs,
- Là les incarnattes roses
- Ouvrent leurs beautez descloses,
- Là florissent les oeilletz
- Cramoisis & vermeilletz,
- Là prend acroiffance & vie
- La violette, encholie,
- Marjolenne, tims, persilz,
- Les romarins, les soucilz,
- L’aspic et les violettes,
- Et les pommes d’amourettes,
- Et l'herbe qui au soleil
- Tourne & retourne son oeil.
- Mais tu n’as rien de sauvage,
- Petit jardin mon ouvrage,
- Tu as de toute façon
- De salades, le creson,
- Serfeuil, laithuez pommees,
- Pimprenelles, sicourees.
- Il n’y a, comme je croy.
- Plaisir qui ne soit en toy,
- Petit jardin qui arroses
- Tes groseliers & les rozes
- De ce petit ruisselet
- Murmurant, argentelet,
- De ceste unde cristaline
- Qui trotte, fuit & chemine
- Et s’eschappe entre les fleurs,
- Et aroze les couleurs 170 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
- Des allées droites, unies,
- De telles perles garnies,
- Comme des astres le ciel.
- Voiez là la mouche à miel
- Qui vivant à sa coutume.
- Bourdonnant, pille & escume
- La fleur, la feuille laissant,
- Et puis essorere en repassant
- Ses elles d’or sur la feille.
- Là, di je, se paist l'abeille
- De tim & boy la rosee.
- Là, la vigne, l’espousee
- De l'hormeau se fait courber
- Et du soleil destourner
- Vient la chaleur de sa branche :
- L’hormeau soubz elle se panche,
- Et s’accolant de leur bras
- Font cent mille amoureux las.
- Puis j’entens dans leurs umbrages
- Les doux chans, les doux langages
- De mille mignardz oiseaux,
- Citoiens de ces rameaux.
- Ces doux chans & ces umbrages,
- Ces umbres & ces ramages
- Au coing de mon jardinet
- Font un petit cabinet.
- C’est là dessoubz que je donne
- Rendez vous à ma mignonne,
- C’est là dessoubz que nos bras
- Font d’autres amoureux las,
- D’autres prises amoureuses,
- Des unions plus heureuses
- Que ne sont les rameaux pris
- De vignes & leurs maris.
ODES 171.
- Là nostre amoureux langage
- Nous plaist plus que le ramage
- De ces musiciens oiseaux
- Qui sont là nos maquereaux.
- Je cueille mieux que l'abeille
- La fleur en laissant la feille,
- Là d’un éternel baiser
- Puisse ma bouche arroser
- D’une plus douce rozee
- Que la fleur n’est arrosee,
- Là les ruisseaux de nos pleurs
- Mouillent les vives couleurs
- De la beauté qui fait honte
- Aux fleurs & les fleurs surmonte.
- Au paradis de son teint.
- Comme en mon jardin est paint
- Un beau printemps de fleurettes.
- Les oeilletz, les violettes.
- Les roses & les boutons
- Fleurissent sur ses tetons :
- Là, je cuille l'encholie
- Qui martirise ma vie.
- J’y prens, j’y metz mon soucy,
- La pensée y est aussi.
- L’herbe au soleil s’y espreuve,
- Car tousjours mon oeil se treuve
- Suivant ma dame & son oeil.
- De mon humeur le soleil.
- Douces fleurs espanouies,
- Que mes amours & vos vies.
- Vos beautés & mon amour
- Ne soient fenez en un jour !
172 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
- XXIV.
Petit livre, le mignon,
- Le filz et le compagnon
- De ton maistre, petit livre
- Qui dedans toy fais revivre
- De ton maistre les amis.
- Souffre que mon nom soit mis
- En ce coin pour tesmoignage
- Que mon cueur y est en gage.
- Si ton maiftre avoit soucy
- D'or et de perles aussi,
- Ce que le nocher mandie
Des costez chaux de l’Indie
- Eust esclaté promptement :
- J’eusse mis un diamant
- Pour parer ta couverture.
- Ton maistre, de sa nature,
- Ayme mieux les vers, aussi
- J’ay escrit tes vers icy,
- Et par ces vers je engage
- Plus d’amour que de langage.
Escris tu quelle arrogance
- À ce Moecenne des ars,
- Circuy de toutes pars
- Des soleilz de nostre France ?
- Pence comme il sera beau
- Apres la voix doux coulante
- Du cigne qui sa mort chante
- Oyr l'enroué corbeau.
Ceux qui ont tousjours leur table
- Plaine de vivre plaisans, ODES 173.
- Qui ont de tourtes, de faisans
- Et d’embroisie aimable.
- Commant trouveroient ilz bon
- Les viandes du village.
- Les fruits aigres, le laitage,
- Le bouquet sur le janbon ?
Pourquoy non ? tout ainsi comme
- Les perdus faschent noz Roys
- Qui vont aux chams quelquefois
- Manger les choux du bonhomme.
- Tu seras doncq’ aisement
- Pa là, ma muse, estimee
- Et au moins seras aimee
- Par le simple changement.
- XXV.
POUR UNE MOUCHE SUR LE FRONT DE [DIANE].
Tout ce qui naist des elemens,
- Tous animaux sont esportez
- À faire croistre mes tourmens,
- Comme ils accroissent vos beautez ?
- Voiés vous ceste mouche noire
- Qui croist, en aprochant tousjours
- Son ebenne de vostre yvoire,
- Et vos beautez & mes amours.
Si tost que vostre blanche main
- La dechasse de vostre front,
- Elle s’enleve & puis se sont
- Tout aussi tost sur vostre sein,
- C’est vostre indissible puissance
- Qui la rend sensible & la point.
174 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.
- Donnant l’ame & la congnoissance
- Mesme aux choses qui n’en ont point.
Ainsi vos beaux tretz s’acroissans
- Vous feront suivre puis aprés
- Aux mons, aux rocz & aux forestz.
- Aux flotz & aux vens fremissans.
- Mais voiez vous encor la mouche
- Qui m’enbrasant pour son plaisir,
- S’est reposé sur vostre bouche.
- Donnant jalouzie & dezir.
Ha ! ma Diane, je me plains
- De ce que trop vous supportez :
- Où sont ces affligeantes mains
- Qui punissent mes privautez ?
- Pourquoy ne bruslez-vous son aesle,
- Si ce n’est que vous aimez mieux
- Ce feu là pour moy que pour elle,
- Ce feu bruslant de voz beaux yeux ?
Je croy' que voiant arriver
- Le froid qui lui donne la mort,
- Elle pense bastir un fort
- Sur vostre sein pour son yver :
- Pour Dieu, chasssez-la, ma mignonne.
- Pour Dieu, mignonne, chaffez-la,
- Ou je meurs si on ne me donne
- Autant de crédit que cela.
Ou bien sans vous y amuser,
- II me semble qu’il sera mieux.
- Si vous fermiez un peu les yeux,
- Que je la chasse d un baizer.
- Je sers bien plus à vostre gloire
- Que la mouche à vostre grandeur,
- Car je vous fais avoir vicìoire
- Du temps, elle d’une couleur.
ODES.
- XXVI.
Ainsi puissent tous les jours
- Vos beaux & nouveaux amours,
- De fleurs nouvelles & belles,
- Flammes belles & nouvelles,
- Douces & aigres douleurs,
- De riz, de jeuz & de pleurs,
- Mille peurs, mill' algarades,
- De mille claires oeillades,
- Et mille mignardz propos,
- Mignarder vostre repos !
- Fonlebon, je porte envie
- Au doux soucy de ta vie :
- Anne, je tenvye aussy
- Ton doux amoureux soucy.
- Les plaisirs de vostre braise
- Et les flammes de vostre aise,
- Vos impatiens desirs,
- L’atente de vos plaisirs
- Font que d’un pareil martire
- L’un & l’autre cueur soupire.
- Hastez donc, hastez vos jours
- O mignardez les amours,
- Qu’en trop long printemps l'attente
- De l'aymant & de l'aymante
- Ne fleurissent les desirs
- Sans tirer fruit des plaisirs.
- Fonlebon, Anne ma mye
- T’est plus chere que ta vie,
- Que ton cueur & ton amour,
- Que tes yeux et que ton jour.
176 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
- Fonlebon, sois luy fidelle,
- Tu n’es pas trompé en elle :
- Anne t’ayme cent fois mieux
- Que ton cueur, ne que tes yeux.
- Ainsi, de flammes nouvelles,
- De fleurs nouvelles & belles.
- Vos beaux & nouveaux amours
- Puisent croistre tous les jours !
- XXVII.
J'ay le sang escumeux attaint
- D’un mal qui pourtant n’est pas feint
- Et s’il vient d’une cause feinte.
- Ma jalousie en croist tousjours,
- Et alume une flamme sainte
- De vos feintes saintes amours.
J'ayme sans beaucoup de soucy,
- Je viens furieux et transy :
- L’amour libre et la jalousie
- Qui flatte, qui brusle les cueurs
- Et de Pandore et de Thelie
- Me presse d’aise & de rigueurs.
Pandolphe en bruslant enflamme,
- Et sans martire bien aime.
- La beauté que tu sers t’adore,
- Et tu peus à ton gré choisir
- En ta Thelie, en ta Pandore
- Le libre & le geenné plaisir.
Douces geennes & libertez
- De deux cueurs efpris enchantez,
- Tu as, o douce et fiere envie,
- Fierement, doucement espris ODES 177.
- Et de Pandore & de Thelie
- Les beaux cors et les beaux espritz.
Vostre Pandolphe est par vous fait
- Accomply, divin & parfaict,
- Et en le voulant tel congnoistre,
- Vos jugemens, vos passions
- Aussi accomply le font estre
- En heur, comme en perfections.
Pandolphe, je brusle envieux
- De la louange, & de mes yeux
- Flamboie la rage & l'envie.
- Mais la louange n’est plus rien,
- L’amour de Pandore & Thelye
- Sont le seul & souverain bien.
Pandolphe parfait & heureux,
- Vertueux, aimé beaucoup mieux
- Que toutes les vertus ensemble
- Ne vallent, tu en es doué,
- Mais ton heur d’estre aimé me semble
- Plus que celuy d’estre loué.
Mon esprit sent un dur combat,
- Mon cueur contre luy se debat,
- Voici une dispute estrange,
- Car l'esprit est ambitieux :
- Que pourroit-il souhaitter mieux
- Sur le parfait de la louange ?
L’amour de la louange esprit
- Si furieusement l'esprit,
- Que son amour est plus parfaite ;
- Or pour apaiser leur douleur
- Il est force que je souhaitte
- Le merite aussi bien que l'heur.
Encor' ne sai' je que choisir
- De ce beau furieux desir, 178 LE PRINTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE,
- De ceste douce jalousie.
- De la feinte & sainte fureur
- Qui bruslant devora Thalye,
- Ne vient que de force de cueur :
Ou si en estant bien aymé,
- Enflammant sans estre enflammé
- D’une rage qui me devore,
- Asservissant, non asservy,
- II vault bien mieux aymer Pandore,
- La ravir sans estre ravy.
La prison a tant de beauté
- Et si douce est la liberté,
- Je suis si friant de martire
- Et j’ayme tant le franc plaisir
- Je ne puis que je ne desire
- Posseder le tout fans choisir.
Ainsi, Dames, vous avez fait
- En l’amour souhait si parfait,
- Que l'immortel qui voudroit dire
- Et poindre un immortel desir
- Ne peult plus que quant je defire
- Estre Pandolphe, puis mourir.
- XXVIII.
Non, je n’ayme pas le pesant,
- Mais bien le leger, le luisant :
- Je me sens assez de courage
- Pour voulloir & pour voller mieux,
- Et mon esprit qui est volage
- Volle tousjours vers les Cieux (sic).
Je desdagne ce gros fardeau
- De la terre pesante et d’eau ODES 179.
- Et encor’ ce qui sent la terre :
- Je volle hault, j’ay en mespris
- Ceste masse qui fait la guerre
- Aux beaux & volages efpritz.
Quant le chaos fut demeslé,
- Tout le pesant fut devalé
- Au centre, les serpens, la peste,
- Les enfers, le vice, les maux :
- Le doux, le subtil fut celeste
- Et volla dans les lieux plus haux.
Le Ciel, pais de nos espritz,
- Les aiant à voller apris
- Au lieu où ilz ont prins naissance,
- Les fait vivre icy estrangers :
- Comme legere est leur substance
- Ilz sont volages & legers.
Les efpritz qui ont moins du cors
- Et moins du pesant sont plus fortz :
- Le cors qui est le plus terrestre
- Et plus pesant n’est plus maison
- Propre à Pesprit & ne peult estre
- Rien que sa fascheuse prison.
Toute vertu est née aux Cieux ;
- Tout cela qui est vicieux
- Recongnoist la terre pour mere,
- Checun son pareil elisant :
- Toute vertu est donc legere,
- Tout vice constant & pesant.
Confiderez encor’ un peu
- Que nos ames ne sont que feu
- Qui est plus leger que les flammes,
- Les flammes ne peuvent aller
- Au Ciel, au vray pais des ames,
- Que laissant le cors pour voller.
180 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Vous voiez les cors animez
- De braves espritz consommez,
- Et ceux qui ont moins de substance,
- De chair & de pois envieux
- Ont des espritz de telle essance
- Qu’ils fouillent le secret des Cieux.
La constance est absurdité,
- La céleste légèreté
- Change la saison morne & blesme :
- Je preuve cela par les fleurs.
- Par moy, peult estre par vous mesme,
- Qui n’avons en terre que pleurs.
Bien qu’au contraire m’estimant
- Immobile, endurcy amant,
- Comme huit ans le pourroit dire,
- Vous avez bien voulu choisir
- Ce paradoxe pour en rire,
- Je le deffendz pour mon plaisir.
- XXIX.
Celuy là qui a congneue
- Ta grâce & ta beauté neue
- Est forcé de desirer,
- Qu’ainsi comme elle est prisee,
- Elle fust aussi aisee
- A ensuivre qu’admirer.
Ta gloire s’est emplumee
- Des pannes de renommée
- Pour efcumer l’univers,
- Dorant le plis de ses aelles
- Et ses beautez non pareilles
- Et sa gorge de mes vers.
ODES 181.
Tu n’as besoin que je loue,
- Tu n’as besoin que je voue
- A toy mes vers, mes esprits
- Car ta vertu n’est pas telle
- Qu’elle ne soit immortelle
- Sans l'aide de mes escritz.
Je te loue & yeux eslire
- Ce fubject pour en bien dire,
- Mais non selon l'argument,
- Et je n’en crains repentance,
- Sinon que par l'ignorance
- Je parle trop froidement.
Ne trouve pourtant estrange,
- Si tu voiois que la louange
- Que je t'ay voulu voüer
- Ne monstre que le courage
- D’un esprit assez volage
- Est leger pour te louer.
Que me sert, cruellement belle,
- Que me sert, doucement cruelle.
- Ton euil doux en ses cruautez,
- Le fiel foubz le miel de ta grace,
- Si tu descoches de ta face
- Aultant de mortz que de beautez!.
Ta main doucement me repoulce,
- Et ta parolle encores plus douce
- Glace mon cueur en l'enflammant :
- Tu me refuses sans cholere,
- Et en riant de ma priere
- Tu me fais mourir doucement.
Mais fiere quant tu me repousse,
- Ta vois & si rude & si douce
- De ton courroux monstre l'effort,
- Ainsi qu’un juge impitoiable 182 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ,
- Qui apelle un pauvre coupable
« Mon filz » en le jugeant à mort.
- Ton ris, ainsi qu’une eau riante
- M’embrase d’une soif ardente
- Où rien que mon espoir ne boit,
- Et alors tu me trompes comme
- On fait un enfant d’une pomme
- En ne lui laissant que le doit.
Ainsi la mer nous espouvente
- D’une impitoiable tourmente
- Qu’elle cachoit dessoubz un ris.
- Tu fais mentir mon esperance
- Comme l’arbre qui trop s’advance
- Et fleurist sans porter les fruitz.
Ne gaste, en riant inhumaine,
- Les fruitz demy meurs de ma peine
- Et l'espoir de mon amitié,
- Ne me fois plus si gratieufe,
- Mais d’une face rigoreufe
- Fay’ moi congnoiflre ta pitié.
Ne me ris plus pour me destruire,
- Mais me fais heureux sans me rire,
- Car, ma Déesse, j’ayme mieux
- Voiant fy" sentant le contraire,
- Recevoir un ouy en collere
- Qu’un nenny d’un oeil gratieux.
- XXX.
Je vous ai dit que les chaleurs
- Du Ciel sont celles de ma vie,
- Et que de l'ame de mes pleurs
- Naissent les causes de la pluie, ODES 183.
- De mes feuz, commettes mouvans,
- De mes humeurs sont les nuages,
- De mes soupirs viennent les rages
- Des esclairs, des fouldres, des vans :
Il pleut comme vous pouvez voir,
- Des excremens de ma tristesse.
- Ce n’est pour couvrir mon devoir,
- Ne pour m’excuser de promesse,
- Qu’il m’est force de demourer
- Privé du bien de vostre veuë
- Tant que j’aye crevé la nuë
- Et que je sois las de pleurer.
En pleurant il me semble mieux
- De m’excuser & vous escrire :
- Je ne veux vous monstrer les yeux
- Que rians pour vous faire rire,
- Mes pleurs me deplaisent dequoy
- Ilz nuisent à vostre mesnage,
- Mes larmes vous portent dommage
- Et vous nuisent assez sans moy.
- XXXI.
La douce, agreable Cybelle
- Du doux Avril se faisoit belle.
- Esmaillant de mille couleurs
- Et embaumant de mille fleurs
- Et de mille beautez descloses
- D’oielletz cramoisis & de roses
- Un verger d’amour en son sein,
- Et pilloit de sa blanche main
- Sur l’Esté, sur Ceres l'heureuse,
- L’espic, la glenne planteureuse, 184 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
- Rehaussant son beau sein paré
- De l’or & du jaune doré,
- Coulleur de Cibelle amiable,
- Coulleur à Phebus agreable :
- Et puis quant l'automne est venu,
- Cuillant le riche revenu,
- Les rentes que luy doit Pommone,
- Encore elle pare l'autonne.
- Le printemps a heu les desirs
- Et l'autonne prend les plaisirs,
- C’est lors qu’elle presse & agence
- Aux cornes de son abondance
- Un million de fruitz pressez
- De sa blanche main agencez.
- Et puis, quant l’yver plain de glace
- Pence triumpher de sa face.
- Massacrant l'honneur de la branche,
- Elle prend une robe blanche
- Plus belle que les prez floris,
- De plus d’esclat que les espis,
- Et lors en pais elle s’adonne
- A gouster les fruitz de l'autonne,
- Et deffoubz sa blanche beauté
- Joist du chault labeur d’esté,
- Et en pais sent la joissance
- Du printemps & de l'esperance.
- Toute blancheur, tout ornement
- S’acompare à son vestement.
- Son Saturne, plus froid que glace,
- Fronçant le moisy de sa face,
- Gratte d’ongles crochuz & longs
- Les crasses de ses gros sillons.
- Le vieillard ne peult faire chere
- A la belle Opis, nostre mere, ODES 185.
- Et elle d’un oeil desdaigneux
- Tourne le dos au rechigneux,
- Espanouifsant à la veuë
- Du beau soleil sa beauté nue,
- Luy fait voller mille soupirs
- Dessus les aelles des Zephirs.
- Cependant que Saturne assemble
- La teste & les genoux ensemble
- Et autour du feu se plaignant,
- Regarde tout en rechignant,
- Apollo à la barbe blonde
- Visite la beauté du monde,
- Donne à la terre ses beaux jours,
- Croist ses beautez de ses amours,
- Luy donne de mille estincelles
- Ses feuz, ses chaleurs naturelles,
- Prend la moitié de son ennuy.
- II est son ame, elle de luy
- Qui recongnoissant bien les choses,
- Luy ouvre son beau sein de roses
- Et en loier de ses chaleurs
- Luy offre du baume & des fleurs.
- Elle le retire & desguife,
- Lorsqu’il se fait pasteur d’Amphrise,
- Et pour le fouldre descoché
- En son sein elle l'a caché.
- Puis le soleil anime encore
- Les perles que la nuit adore,
- Offrant mille & vingt deux feuz
- A la belle Ops & à ses yeux,
- Nez à la servir, à luy plaire.
- De là vient mainte nuit plus claire
- Qui favorise leurs amours
- Et qui incline par leurs cours l86 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.
- Ses humeurs de leur influances
- Et favorise leur semences
- De leur vapeurs, de leur beauté.
- D’Ops vient leur cause de clarté
- Et recoivent l'humeur montee
- Par la voie blanche laitee.
- Apollo chante force vers
- Sur gaillards subgectz & divers
- Où il contoit ses mignardises.
- Son espoir & ses entreprises,
- Et fait sur son luth tous les jours
- Babiller ses douces amours :
- Et la terre produit la plante
- Dont lors que sa victoire chante,
- Pour ses armes & pour ses vers
- Il se pare de rameaux vers ;
- Le soleil quant le temps la tuë,
- La fait revivre de sa veuë.
- Toutes les Déités un jour
- Prenoient plaisir à cest amour :
- Les Dieux aiment les armonies
- Et aiment les beautez ! unies.
- Ilz virent en un tableau feint
- Que Phebus le docte avoit peint
- Saturne qui trembloit la fiebvre.
- On luy fait bien des piedz de chevre,
- Mais tout est permis au pinceau,
- II mit les cornes au chapeau.
- Tous les Dieux se prindrent à rire
- Quant Saturne fut un Satire,
- Luy disant :"tu as de ton filz
- Cela qu’à ton père tu fis.
- Le vieillard blapheme de rage,
- Et resolu en cocuage ODES 187
_______________________________________________________________
- Souffre que Cibelle se vange
- De ce que ses enfans il mange.
- PAUSE.
- La douce et blanche Cibelle
- Se pare de nege et faict belle
- De perles de cristal, d’atours
- Pour recommencer les amours
- De l'œil et de l'ame du monde.
- D’Apollon à la barbe blonde,
- D’Apollon qui veut de nouveau
- Marier son beau chef rousseau
- A sa Cibelle delaissée
- Par son Saturne reglacee.
- Au lieu des glaçons rigoureux,
- De mille rayons mille feux
- Sont d’elle honorés et l'adorent,
- La rechauffent et la redorent.
- Dessus la perle l’or est beau,
- Dessus la nege le flambeau,
- L’or qui plus or au feu se treuve,
- Le cueur qui au danger se preuve
- Et se faict plus beau peu à peu.
- La foy d’or et la foy de feu
- Plaisent à la belle Cibelle,
- Et pour ceste couleur si belle
- Apollon luy a consacré
- Son beau chef de jaune doré.
- PAUSE.
- Alors Cibelle va pleurant,
- La terre lors se va mourant
- Quand une epesse et noire nue
- Luy oste du soleil la vuë,
188 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE. _______________________________________________________________
- Et alors le triste soleil
- Obscurcit le feu de son œil
- Quand le deuil d’une epesse nue
- Oste la terre de sa vue.
- Le teint de Cibelle est plus beau
- Aux rays du soleil son flambeau.
- Apollon n’a sa face belle
- Qu’en voiant sa chere Cibelle :
- De tous deux les feux, les amours,
- Font des deux les clairs & beaux jours.
- Quand la riche et belle Cibelle
- Montre sa face riche et belle.
- Apollon clair est bienhureux
- Qui de Cibelle est amoureux :
- Cibelle belle est bienhureuse
- Lorsque d’Apollon amoureuse,
- Elle voit le feu, l’or et l'œil
- De son cher, cler et beau soleil.
- Jamais donq’ ne vienne l'autonne
- Qui toutes les fleurs ébourgeonne
- Et jamais ne puisse arriver
- Le frilleux, le facheux yver,
- Mais tousjours un printemps fleurisse
- Qui tant de fleurs epanouisse ;
- L’un et l’autre soit contenté
- Des fleurs d’un éternel été.
- Toutefois en yver encore
- Le soleil Cibelle redore,
- Apollon faict de sa clarté
- D’autonne et d’yver un été.
- Que jamais la nuict tenebreuse
- De leur bien ne soit envieuse,
- Mais tousjours le clair et beau jour
- Soit amoureux de leur amour !
ODES. 189
________________________________________________________________
- Pourtant des rayons de sa face
- Apollon perce yver et glace
- Et pourtant ce soleil reluit
- Au plus noir de la noire nuict.
- Et la belle en la nuict plus brune
- Voit dans le miroir de la lune
- Le clair & le parfaict amour
- De son soleil et de son jour.
- Apollon en la lune bleme
- Remire aussy sa face mesme
- [En] la terrestre obscurité
- De sa chere & douce beauté.
- Jamais l’amour n’est éclipsée
- De l’un’ et de l’autre pensée.
- Calmez pour jamais leur ennuis,
- Yvers froidz et vous noires nuictz,
- Et à leur amour favorable
- Ouvrez un printemps delectable :
- Jouissent leur saintes amours
- Des chauds estés et des beaux jours !
- XXXII.
Premier que d’aborder les Cieux
- Et d’acoster le front des Dieux,
- L’Alcide purgé par la flamme
- Quitta ça bas tout le mortel,
- Et quant il n’eut plus rien de tel
- Estonna les Cieux de son ame.
J’ay bruslé au feu de vos yeux
- Ce que l’homme et le vicieux
- Se réservoient en moy de reste.
- Adoncje volle de mon cueur 190 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
____________________________________________________________
- Porté d’une sainte fureur
- Au plus hault de vostre celeste.
Mon esprit comme ensevely
- S’emancipe et enorguilly
- Contre le Ciel brise la creste,
- Et repurgé de vos beaux yeux.
- Vole aussi haut que les haultz Cieux
- Et voit sous ses piedz la tempeste.
- PAUSE.
Mais comme le fier qui son œil
- Aux raions brillans du soleil
- Demi nu dédaigneux affronte,
- Le voit et si ne le voit pas.
- Forcé de laisser choir en bas
- Le front et le nez à sa honte :
Hardi, emerveillé je voy
- L’infiny et ne say de quoy
- Je suis docte et j’aprins encore,
- Plain d’un zelle devotieux,
- J’admire le secret des Dieux
- Et sans comprendre je l'adore.
Quel esclat de divinité,
- Quel raion doré de beauté !
- L’esprit honoré de la face,
- Comme la face des espritz,
- Sont tous les poins qui m’ont surpris
- De l'infiny de vostre grace.
- PAUSE.
Pourtant à voz esclairs dorés
- Tous mes sens planent essorez
- D’une vollee autre qu’humaine :
- Des aisles de vostre beauté ODES 191.
- Le Ciel est de moy surmonté,
- Comme vostre grace me meine :
Ma force s’esclave soubz vous
- Et le service m’est si doux
- Que mon heur je ne puis comprendre.
- Vous m’epurez ainsi que l’or :
- Ne souffrez que vostre tresor
- Par trop de feu se mette en cendre !
De vous vient mon mal ou mon bien,
- Ou je puis ou je ne puis rien,
- Par vous ou j’enlève ou j’aterre
- Ma vie aux haultz ou aux bas lieux,
- Pour vous je volle dans les Cieux
- Ou je traîne le ventre à terre.
- XXXIII.
Aux rocqs venimeux, crevassez,
- Où les tortillons amassez
- De viperillons parricides
- Grouillent en leurs fentes humides,
- L’Envie loge &fait dedans
- Craquer & seigner de ses dens
- Mille couleuvres etripees,
- Dedans l'eau de l’oubly trempees,
- Et les crapaux jaunes & noirs,
- Les rages & les desespoirs
- La bourrellent & la substantent,
- La nourrissent & la tourmentent.
- Ces fruitz, ses bourreaux inhumains,
- L’apaisent des peaux de ses mains
- Qu’elle déchire, qu’elle tire
- En s'affamant de son martire, 192 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- Conservant jusqu’au fons des os
- Sa moelle en son triste repos.
- Le Soubçon, la Doute & la Crainte
- En l’obscur la tiennent contrainte.
- La vie & la vertu souvent
- Luy deffendent l'air & le vent,
- Et l’empeschent qu’elle ne sorte,
- Mais la Mort luy ouvre la porte,
- Renferme la Crainte au dedans
- Et donne pour curee aux dens
- Venimeuses & affamées
- Des plus entieres renommees,
- Des belles âmes, des bons cueurs.
- Des beaux esprits & des valleurs
- Dont la maigre Peste friande
- Fait son poison & sa viande.
- Aussi tost son cueur enragé
- Crevé comme’ il en a mangé.
- Son estommac qui n’a coutume
- De dévorer que l'apostume,
- Le froid venin & les fureurs,
- Appelle poison les douceurs.
- Quant, changeant ce qui l'a nourrie,
- Elle oste la cause à sa vie,
- Car la douceur luy est venin.
- Du temps que le mortel divin
- Immortel démon et terrestre
- A peu par ses enfants paroistre.
- Pour contre le vice tortu
- Les équiper de sa vertu,
- Tant qu’un mesdisant miserable
- A veu le pere redoutable
- Duquel l’esprit pareil au cueur
- Estoit sur son siecle vaincueur : ODES 193
- Alors les enfans de Jodelle
- Couvers de l'umbre de son aelle
- Ont pleu & résisté aux Grans.
- Les doctes, confuz ignorans,
- Ont hay, chery ceste race
- Et a leur agréable audace
- Les filz pour le pere cheris.
- Le père parut par les filz
- Lesquels en vie & sans envie
- Reserroient la langue ennemie
- Morce & remorce par ses dens
- Aux rocqs crevassez & dedans
- Grouilloient ces ames venimeuses,
- Ces vieilles pestes rechigneuses
- De qui les gros cueurs endurcis
- Estoient les rochers obscurcis ;
- Les serpens de l’Envie mesme
- N’estoient rien que leur rage mesme.
- Mais si tost que Jodelle est mort,
- Voicy la canaille qui sort,
- Et voicy la troupe ennemie
- De mille langues de l’Envie
- Qui fuians de l'obscurité,
- Arrachent au lion dompté
- Estendu mort dessus la terre
- La barbe, & luy font telle guerre
- Que les petits chiens au sanglier
- Qui les faisoit fuir yer.
- Ainsi je me plains, Charbonnières,
- Que ceux qui adoroient nagueres
- Le Pindare de noz François
- S’arment de l’or de son harnois,
- Et au lieu de fondre de larmes
- Font un triumphe de ses armes.
194 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNÉ.
- Je deviens plus maigre d’ennuy
- Que la maigre Envie au jour dhuy
- Qui au lieu des roches obscures
- Abite les montagnes pures,
- L’honneur de l'isle de Phocis,
- Et rend ses espris obscurcis,
- Tant que son cueur qui n’a coutume
- De ne manger rien qu’apostume
- Aiant devoré ses douceurs,
- Les trouve poisons & fureurs,
- N’aiant le logis qu’il demande,
- Changeant en poison sa viande.
- Le mal par le temps crèvera,
- Et ceste race trouvera
- Amis de la race & du père,
- Apres toy, docte Cherbonniere,
- Mille plumes & mille fers
- Qui feroient rentrer aux Enfers
- L’Envye & aux fentes humides,
- Pour des vipereaux parricides
- Manger les tortillons lassez
- Aux rocqz venimeux, crevassez.
- XXXIV.
- Au feu des chastes amours
- Qui n’ont fin qu’avec les jours,
- Ma premiere ardeur s’alume
- Et ma premiere coutume
- De brusler heureusement
- Au feu d’un heureux torment
- S’esveille & s’est augmentee
- A la fureur tormentee.
ODES 195
- Tormentee heureusement
- De Laval, heureux amant,
- Qui lorsqu’il sent son courage
- Brusler une chaste rage,
- Son esprit chaste enflammé
- Bien aimer ettre aimé,
- Immole à son Ysabelle,
- A sa dame chaste & belle.
- Les fruitz de ses premiers jours,
- De beaux & chastes amours.
- Avecq’ luy me prend envye
- De brusler l'ame & la vie
- Au chaste feu amoureux,
- Pour comme luy estre heureux.
- Laval, tu es miserable
- Si une rigeur t'acable,
- Laval, je voy’ ton malheur
- Si tu ploie à la rigueur :
- Mais aussi, chaste Ysabelle,
- Si tu veux estre cruelle,
- Tu maudiras ta rigeur
- Comme Laval son malheur :
- Mais si l'amour vous assemble,
- Vous estes heureux ensemble.
- Laval, tu es bien heureux,
- Si, chastement amoureux,
- Tu brufles d’un chaste zelle
- Ta belle & chaste Yzabelle,
- Si voz communes rigueurs
- Unissent aussi voz cueurs :
- Ysabelle bien heureuse
- Si comme chaste amoureuse,
- D’un feu chaste & amoureux,
- Tu sais Laval bien heureux, 196 LE PRIMTEMS DU SIEUR DAUBIGNÉ.
- Si tu veux rendre les armes
- A ses pitoiables larmes.
- Bienheureux si vous aimés
- Tous deux chastes enflammez,
- Si que la Parque envieuse
- Ne sera tant rigoreuse
- Que de desunir vos cueurs
- Bruslez de chastes rigeurs.
- Vostre amour florisse telle
- Que Zerbin & qu’Yzabelle,
- Et pareilz de chasteté,
- Et semblables en beauté :
- Mais la fin ne soit semblable
- A la couple misérable,
- Misérable heureusement,
- De l’un & de l’autre amant !
- XXXV.
Qui vouldra voir comme l'injure
- Qui vient diviser la nature
- Par la nature se refait,
- Comment le naturel parfait
- Ne trouve rien de si extreme
- Qu’il n’ait le remede en soy mesme.
- Que sans luy on espere en vain
- A l’artifice de la main :
- D’autre costé comme nature
- Sans’l'art ne sauroit faire cure,
- Que de nature l'imparfait
- Par l'art seulement se refait,
- Et que l’art au danger extreme
- Fait autant que nature mesme, ODES 197.
- Que sans luy l'effait des humains
- N’enfante que des songes vains,
- Qu’[il] lize pour se satisfaire
- Le paradoxe & son contraire
- Voy’ appuier la nouveauté
- D’une docte subtilité
- Par les raisons & la science.
- Par nature & l’experiance,
- Et dire contre le nouveau
- Le docte, le subtil, le beau :
- Puis à l’un & l’autre contraire
- Par tant de raisons satisfaire
- Que la nature des humains
- Et des ars ne demeurent vains,
- Que l’art soit la nature extreme
- Et la nature soit l’art mesme,
- De l’un & l’autre l’imparfait
- Par l’un & l’autre soit refait,
- L’art soit suffisant à la cure
- Et suffisante la nature.
- XXXVI.
Mignonne, pourquoy donnes-tu
- Á l'Amour la celeste grace
- Et tous les beaux traictz de ta face
- Dont cet enfant m’a combatu ?
- Si tu me prestes ta faveur,
- Le vaincu sera le vainqueur.
Des dars qui partent de tes yeux.
- De leur belle flamme divine
- II m’a transpercé la poitrine
- Et bruslé le cueur amoureux : 198 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
- Mais si tu me preste faveur.
- Le vaincu sera le vaincqueur.
II n’eust sceu ravir mon repos
- Et le desrober par l'oreille,
- S’il n’eust emprunté la merveille
- Et le charme de tes propos :
- Si tu me prestois ta faveur,
- Le vaincu seroit le vaincqueur.
De quoy eust-il faict tant de neuds
- A m’enchesner pour son esclave,
- Si tu ne l'eusse rendu brave
- Des tresses de tes longs cheveux ?
- Et si n’eust eu ceste faveur,
- Le vaincu seroit le vaincqueur.
Qu’eust pu faire cest inhumain,
- Dequoy eust-il dressé sa gloire
- Sans emprunter ta main d’yvoire,
- L’yvoire de ta blanche main ?
- Sy elle n’eust ravy mon cueur,
- Le &c..........................
Tout le pis est que c’est à luy
- Qu’il a sa victoire estoffee
- Le galant bastit son troffee,
- Des faictz & des forces d’autruy
- Et ne croit que sans ta faveur
- Le &c...........................
Reprans tes yeux & tes cheveux.
- Tes propos & ta main d’yvoire
- Et je combatray pour ta gloire.
- Et si je surmonte, je veux
- Monstrer que c’est par ta faveur
- Que le &c.......................
ODES 199
- XXXVII.
Où va cest enchesné avec ce brave port ?
- On le treisne à la mort.
Comment est-ce qu’ainsi joyeux il s’y convie ?
- II n’aymoit pas sa vie.
Quel juge si cruel haste son dernier jour ?
- L’mpitoyable Amour.
- De quel crime si grand peult-il estre blasmé ?
- C’est d’avoir trop aymé.
De quel genre de mort veult-on punir ce vice ?
- Le feu est son suplyce.
O juge trop cruel, o trop cruel tormant !
- O myserable amant !
Mais de quoy sont les poins du prisonnier liez ?
- De cheveux déliez.
D’où doit sortir le feu qui le tue & l’enflamme ?
- Des beaux yeux de sa dame.
O amour pitoyable, o torment gratieux !
- O amant bien heureux !
- XXXVIII.
- Veux tu que je sacrifie
A ton ombre mon corps, t’immolant tous les jours
- Ma vye aprés ta vye ?
- Ton corps qui est sans ame
N'est plus corps, mais un ombre, & l’esprit des amours
- Est sa vye & sa flamme.
- Donq’ aprés la mort tiene
Tu brisas l’union de mon ame & de moy,
- Et ta fin est la miene,
- L’ame avec moy ravie
Mieux qu’un corps oublieux veut maintenir sa foy :
- Son amour est fa vye.
- Mon ame divisée
D’un volontaire joug s’esclave soubs tes fers,
- De son corps epouzee.
11 est fa moytié chere La veux-tu arracher aux amours des Enfers,
- Et la rendre adultere ?
- Veux-tu qu’aprés ta vye,
Aux Champs Elisiens elle aime autre que moy
- Où elle est asservye,
- Que la mort desunisse
Nos veux, nos cueurs, nos sens, ma promesse & ta foy,
- Afin que tour périsse ?
- Je ne suis point muable :
J’atacheray mon corps à suivre sa moitié
- Et chercher son semblable.
- Vien donq’ aux rives creuses,
Vien voler avec moy des aisles d’amitié
- Aux ombres bienhureuses.
- XXXIX.
- L.C. — Bon jour, petit enfant. A. — Bonjour.
- L. C — Qui es-tu mon mignon ? A. — Amour.
- L. C. — Amour ! où est la connaissance
- Et l’effort de mes tristes yeux ?
A. — Tu ne m’as pas connu, me voyant sans puissance,
- Sans carquois et sans arc, sans fleches & sans feux.
- L. C. — Mais qui t’enchesne icy ? A. — Le Sort.
- L. C. — Que pleures-tu ainsy ? A. — La Mort.
- L. C. — La Mort ! et je cherche mon ame
- Par les horreurs des noirs tombeaux.
A. — Ton ame est là dedans qui soubs la froide lame
- Bayse le corps qui vif luy donna tant de morts.
- L.C. — Que trouveray-je là ? A.-Un corps.
- L. C. — Qui ayme mon ame ? A.-Les morts !
- L. C. — Les morts ! elle meurt insensee,
- Tandis que sans elle je meurs.
A. — Va &fais qu’au retour l’amytié soit cassee
- Qui de ses chesnons d’or m’enchesn’ à ses malheurs.
- XL
- VISION FUNEBRE DE SUSANE.
- O spectre gratieux,
Nuict, favorable mere à mes tristes pensees,
- Qui tire mes rideaux ? Un messager des Cieux :
- Plus d’amours que de peurs en mon ame tracees
- Ont reveillé mes yeux.
202 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.
- Encor espouvanté
- L’œil que tu as surpreins d’une si douce guere
- Voyt les lignes & traits d’un visage gasté,
- Et bien qu’il n’y paroist que les os & la fièvre
- II y voit ta beauté.
- Car de toy le plus beau
- Est vif & ne pouvoit se perdre avecq’ la vie,
- Ton bel œil en la mort est encor un flambeau :
- Mon ame en te suyvant se plaist ensevelye
- Dans le poudreux tombeau.
- Mon ame en te suyvant se plaist ensevelye
- Ayes de moy pitié.
- Doux esprit de doux corps, si l'amoureuse flame
- Est vive aprés la mort en ta chere moytié :
- Tu voy entre les os & les cendres mon ame
- Animer l'amytié.
- Vien ma bouche arouzer
- Tout en feu ,de desirs, de soupirs asechee,
- Bouche qui de baisers souloit apreivoizer
- Mes amours voletanz, & leur donner bechee
- Au moins d’un froid baiser.
- En vain des mains je veux
- Prendre ce vent leger, cest ombre & ce nuage :
- Ame fuyarde, tourne encore ces beaux yeux,
- Tourne à mes cris piteux l'oreille & le visage,
- Pour entendre ces voeuz.
- Tourne à mes cris piteux l'oreille & le visage,
- J’aracheray mon oeil
- S’il voyt une beauté, mon coeur s’il la defire,
- Je banys mon esprit s’il veut quitter le dueil,
- Mon ame, si mon ame un seul soupir souspire
- En baizant le cercueil.
- A quoy cet euil qui luit
- S’il ne m’aproche ? à quoy ces bras s’ils ne m’accolent ?
- Helàs ! elle s’eslogne & s’enleve & s’en fuit,
- Pareill' aux vens légers & aux songes qui volent
- Au vague de la nuit !
- XLI.
- INVECTIVE D’IMPATIENCE D’AMOUR.
- Astres paresseux, dormez vous ?
- Hastez voz ambles, vieilles Heures,
- Que je ne pique voz demeures
- Des aiguillons de mon courroux.
- Courez au secours de l'amant,
- Tournez le sable ou au moins l’urne,
- Bastardes du coqu Saturne
- Qui vous fit yvre ou en dormant.
- Vous volez la nuict & le jour
- Quand la Mort par vous est servie.
- Vous serviez à regret ma vie,
- N’ayant point d’aelles pour l'Amour,
- Rien n’est au brave combatant
- Si fascheux q’une longue treve,
- Il n’y eut jamais nuict si breve,
- Jamais un jour ne dura tant !
- Volans impatiens Amours,
- Phebus vous apelle en justice,
- Car il dit que c’est son office
- D’abreger ou croistre les jours.
- Mais qu’est ce qui peut retarder
- Des Cieux la course mesuree ?
- Cachez la beauté desiree,
Tout s’amuse à la regarder.
Au contraire que de ses yeux
Le Soleil puysse voir la belle :
Luy pensant coucher avec elle
S’ira coucher en amoureux.
Aussi fait-il tour à rebours
L'Equateur dedans le Tropique,
Je le sens au chaut qui me pique,
Aux courtes nuitz & aux longs jours.
XLII.
Dieu des armées, o combien à gré me sont
Tes sacrés pavillons, comme le ceur me fond,
Tout mon sens me tressault quand tu me fais venir
De ton temple le souvenir.
Dieu qui des osillons la demeur’ as trouvé,
L’hirondelle à l'abrit ses petiz a couvé.
Ou fais tu de ce temps, Roy de l'eternité,
Les autelz de la sainteté.
O qu’eureux àjamays est & sera celuy
Qui en Dieu seulement cherche le fort apuy,
Pour en luy cheminant passer avanturé
Des meuriers le val altéré.
D’un trés riche labeur les puis y cavera
Q’un dous ciel pluvieu sur le coup emplira
Pour marcher résolus d’ardeur & paffion
Content arriver en Sion.
Des Cieux, ton siege haut, escoute nous & fays
Ton serf portier heureux en ton heureux palays :
Mieulx vault la seule clef des cabinetz de Dieu
Qu’un hoftel riche en autre lieu.
Car Dieu, nostre secours est l'appui singulier
Des siens, c’est luy qui est un soleil, un bouclier !
C’est lui seul qui unit par son éternité
Les splendeurs à la seureté.
Ouy, nostre Empereur est fort bouclier, haut soleil,
Soit pour l’humble defendre, ou resveiller son œil,
Gloire & grace donner : bref trés heureux, je crois,
Quiconque est appuyé de toi !
Lecteur, pour m'excuser qu’est ce
Que je pourrois dire ? — Rien.
Si j’allègue ma jeunesse,
Tu diras : je le vois bien !