Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/ODES

TROISIEME LIVRE


ODES.


I.

L’horreur froide qui m’espouvente.
L’effroy qui mon sang a chassé
Du lieu où il fut amassé,
En ma rage plus viollente
Prive de leur force mes yeux,
Et en tarissant ma parole
Espend la glace qui m’affole
Aux pointes de tous mes cheveux.
Ma raison à mon heur contraire
Courbe le col soubz le fardeau
Et ne me cherche qu’un tumbeau
Et un couteau pour me deffaire.
Il est temps de céder au sort :
Puisque le sort veult que je meure,
Je veux estancher à ceste heure
L’aspre soif qu’il a de ma mort.
J’ay trop essuié mon desastre,
J’ay trop le malheur esprouvé
Puisque je n’ay jamais trouvé

120 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNE,
La Fortune autre que marastre,
J’ay trop languy en mon malheur,
Et ceste main trop peu hardie
A trop nourry ma malladie
Pour la pauvreté de mon cueur.

Autant que d’abeilles bourdonnent

En Hybla, autant de flambeaux,
De sons, de spectacles nouveaux
Mon oreille & mon oeil estonnent,
Autant de forces du destin,
Autant d’horreurs apareillees,
Et d’Erynnes dechevelees
Accourent pour estre à ma fin.

Ceste plainte mal assurée

Et les mal asseurez propos
Me font ilz craindre mon repos
Et l’heure & la fin desiree ?
Ha ! chetif où as-tu les yeux ?
Pourquoy tardes-tu la vengeance
De toy contre toy qui t’offence,
Aimant le pis,fuiant le mieux ?

Ma fin est promptement suivie

D’une longue félicité.
N’est-ce pas une lascheté
D’aimer mieux une amere vie
Pour crainte d’une douce mort,
Et pour la faute de courage,
Faire un perpétuel naufrage
Plus tost que d’aborder le port ?

Arriere de moy, vaine crainte,

Ne m’empesche plus mon repos,
Laisse moy rendre ce propos :
Ma vie & mon envie esteinte,
Promptement il fault secourir 121 ODES.
La vie longue & languissante
Que le malheur fait si dolente
Par faute de savoir mourir.

Celuy qui dit que ceste rage

Qui arme les sanglantes mains
Encontre ses membres germains
Est une faute de courage,
Voulant mespriser [en] autruy
Ce qu’il ne sait n’auseroit faire,
II descouvre par le contraire
Ce qui n'a garde d’estre en luy.

Or est-il [pas] temps que je face

Ma vie & mon mal consommer.
Qu’ensemble je face fumer
Ma peine & mon sang par la place ?
Un coup fera ternir mes yeux
Tarira ma sueur & parole,
Car c’est ainsi, ainsi que vole
L’esprit de Diane aux bas-lieux.
II.

Autant de fois comme j’essaie

D’apaiser le sang de ma plaie,
Mon sang bouillant de mille endroitz
Boult & s’eschauffe autant de fois.
Mais aussi lors que j’ay envie,
Sans languir d’esteindre ma vie,
La sauver des feuz des amours,
Mon sang se rapaise tousjours.

Volunté dure & impuissante

Soubz le pouvoir qui me tormente,
Trahissant, mutinant mon cueur, 122 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.

Luy faisant jurer son malheur

Qui me tuë et conserve l’ame,
Qui esteint et nourrist ma flamme,
Fais mon malheur, ce que je veux,
Et change mes espritz en feux !

Mon ame n’est plus raisonnable,

La folle et aveugle m’accable
Et je me meurs sans estre espriz
D’autres feuz que de mes espritz :
Les fiers à ma misere jurent,
J’ay perdu la vie et la voix
Par ceux là par qui je vivois.

Ma conception s’est bandee

A ma mort qu’elle a demandee
Et avecq’ elle a fait venir
Le jugement, le souvenir.
O vous, parties divisees,
Las ! vous courez malavisees,
Serves ou vous servans d’un cueur
Soudoié de vostre vaincueur !

Divine beauté que j’adore,

Vous avez plus servy encore
A rendre l’amour mon vaincueur
Que mes espritz ny que mon cueur.
Ils n’ont eu plus rien que des larmes
En voiant flamboier pour armes
Es mains de l’Amour indompté
Vos graces et vostre beauté.

Comme d’une tranchante lame,

De vos regards il m’osta l’ame
Et en sa place il a remis
Mille et mille feux ennemis ;
Mon ame n’est plus que de braise 123 ODES.
Qui proche de la mort s’apaise
Et vivant recroist peu à peu,
Car je n’ay vie que de feu.

L’Amour ne doit donques pas craindre

Que son ardeur se puisse esteindre,
Seullement il n’a pas permis
Que le voulloir en moy fust mis.
Ma rage & ma force m’entraine,
Je n’ay souvenir que ma peine,
Mon mal agréable & cuisant,
Et rien autre ne m’est plaisant.

Commant pensez vous donc, Maitresse,

Que le miserable qui laisse
Son cueur, ses espritz enchantez
Tousjours aux pieds de vos beautez,
Puisque la memoire est partie
De l’ame & l’ame de la vie,
Sans de l’ame se desunir,
Perdist de vous le souvenir ?

Mon martire & vostre puissance

Ne sortent de ma souvenance :
Je ne suis sans sentir & voir
A mes despens vostre pouvoir.
Pour Dieu, aiez pitié de l’ame
Qui pour vous est changée en flame,
Pleignez & secourez le cueur
Qui pour vous n’est plus que rigueur !

Voilà comment en vostre absence,

De l’immortelle souvenance
De mes maux & de vos beautez
Mes sens font bruslez, enchantez,
Et contraintz, privez de la veuë,
D’escrire cela qui me tue
Et donner vie à mes espris 124 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Par quelques essors de mes cris.

Car hors de vous quand j’ay envie

Sans languir d’esteindre ma vie,
La sauver des feux des amours,
Mon sang se rapaise tousjours.
Mais autant de fois que j’essaie
D’apaiser le sang de ma plaie,
Mon sang verse de mille endroits,
Verse ma vie autant de ois.
III.

L’astre qui reçoit sa lumière

Et n’a tousjours la force entiere,
Qui prend des javelotz ferrez
Et de la chasse ses delices,
Et qui reçoit pour sacrifices
Cent & cent taureaux maffacrez,

Ceste grand’ lumiere seconde

S’apelle l’autre ame du monde,
Tesmoigne au front sa pureté :
Sa face délicate & franche
Ne reçoit couleur que la blanche
Pour tesmoing de sa chasteté.

Je voy’ sa blancheur qui efface

Les lis cuillés en vostre face
Et le pasle teint argentin
Qui se peult comparer encore
Au ciel blanc, premier que l'Aurore
Ait fait incarnat le matin.

Ceste blancheur là est la preuve

De la pureté qui se treuve
En vostre sein, en vostre sang,
Et que le desir de vostre ame
A senty sans toucher la flamme,
Sans tache, l’amour pur & blanc.

La Lune en sa blancheur est belle,

La face du Ciel qui est telle
L’est aussi, mais huissez vostre œil
A choisir le plus délectable,
Car l’Aurore est plus agreable,
Et plus que l’aube, le Soleil.

L’Aurore a voullu estre amie,

Le Soleil cent fois en sa vie
A senty les tretz amoureux,
Sa clarté n’est cause premiere,
D’Amour il reçoit sa lumiere,
Comme il la donne aux autres deux.

Le Soleil à la lune ronde,

L’Amour au Soleil & au monde
Donnent la vie & la clarté :
Il est beau qu’aiez, ce me semble,
Et le soleil & vous ensemble
Mesme cause à vostre beauté.

Vous aimez mieux, comme je pense,

La pure que l’impure essence
Et l’acomply que l’imparfait :
La couleur blanche n’est pareille
A la doree, à la vermeille,
Ny en lustre, ny en l’effet.

Je ne dis pas que la Nature

Vous creant st belle & st pure
N’estoffa d’or vostre beauté,
Mais ell’ est en lingot encore,
Et si le feu ne la redore,
Son vray lustre luy est osté.

Il n’y a point d’autre fournaize,

D’autre orphevre, ny d’autre braize
Que la flamme de l’amitié
Pour mettre en lustre la nature
Et la faire fi chere & pure
Que son pris croistra de moitié.

Laissez travailler en vous mesme

Cest ouvrier qui de pasle & blesme
Paindra vostre lis de couleurs
Qui feront de honte l’Aurore
Se cacher & cacher encore
Le Soleil, les astres, les fleurs.

Non, vous verrez fener la rose

Quant vostre autre beauté declose
Bravera le sein de Cloris :
Les fleurs vermeilles périssantes,
Mortes jalouses, languissantes,
De despit perdront les espritz.

Le serf qui soubz vostre victoire

Est enchainé pour vostre gloire,

Vous voiant surmonter ainsi

Tant de captifz de mesmes armes,
En plaisir changera ses larmes,
En miel le fiel de foucy.

Je voy’ vostre premier esclave

Qui de sa perte se fait brave
Aiant pour compagnon les Cieux ;
Ainsi au vaincu misérable
La victoire est faite agreable
Par le nom du victorieux.

Alors son amoureuse braise

Ne sera que plaisir & qu’aise.
Quant aiant poussé tant de vents
Pour mettre le feu en vostre ame,
Il en verra voller la flamme 127 ODES.
Au gré de ses soupirs mouvants.

II n’avoit dressé son attente

Que sur l'amour aspre & constante
Dont son sens estoit anymé,
Jugeant que son ardeur divine
Sacageroit vostre poitrine
Quant son cueur seroit consomé,

Et qu’alors vos ames pareilles

Vous feront sentir les merveilles
De deux cueurs unis en desir,
Mais vous seulement pourez rendre,
Quand vous voudrez, vos feuz en cendre
Et vos attentes en plaisir.
IV.

La preuve d’un’ amour non feinte

Est lors qu’on cherist son ennuy,
Et quant pour trop aimer autruy
L’amour de soy mesme est efteinte.

Comment veux-tu, fiere Maistresse,

Pour le comble de mes travaux
Faisant deux contraires esgaux,
Qu’en l'amour j’use de sagesse ?

Comment puis-je estre amant et sage,

Me plaisant à me faire tort,
Baisant le glaive de ma mort,
Fuiant le bien pour le dommage,

Trouvant le miel amer & rude.

Changeant en rage ma raison,
Ma liberté en la prison
D’une cruelle ingratitude ?

Ainsi tu semble la marastre 128 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

D’Alcide le brave & le sort.
Ne voullant, en le voulant mort,
Rougir ses mains de son desastre,

Mais à chasque monstre terrible

Qui mille hommes faisoit mourir,
Elle l’envoioit conquerir
La mort & l’honneur impossible.

Tu me veulx contraindre, inhumaine,

Mettre la glace avecq' l'ardeur,
T'aimer sans folie & fureur
Pour m’acabler de ceste peine.
Fay’ si tu veux de la marrie
Que j’ayme furieusement :
Je ne puis, Diane, en t’aimant
Guerir de rage & de furie.
V.

Heureux qui meurt par vostre veuë,

Bien heureux qui ce bel œil tue :
O douce mort, o doux ennuy !
Mais bien heureux celui qui tire
Sa vie d’un si doux martire,
Qui aimant cest œil vit par luy !

Car vous portez l'ire & la joye

Quand un de vos regars foudroye
Celuy qui s’afronte à voz yeux :
Ainsi que luy vostre œil m’acable
Et bien que je sois agreable,
Je n’en emporte rien de mieux.

Mais voulez vous, beauté divine,

Que l’œil qui guerist & ruine
Me luyse sans m’exterminer 129 ODES.
Et que vous puissiez au contraire,
Sans resjouir vostre adversaire,
Le choisir pour le ruiner ?

Departez cest effect contraire

De voz yeux, de bien & mal faire,
En deux presens de Voz couleurs :
Donnez à un amant volage
Celles qui porteront dommage,
Et à moy les autres faveurs.

Ce present portera vostre ire :

Vous ferez comme Desjanire,
Au lieu de chemise en couleurs
Et ces faveurs seront encore
Tels que la boiste de Pandore
Qui regorgea tant de malheurs.

Alors vous aurez la puissance

Du sallaire de la vengeance.
Celle qui de mesme tourment
Paie le fidelle & le traistre
Fait que l’on ayme autant à estre
Desloial que fidelle amant :

Car ces mignons font que j’enrage

Quant, indignes d’avoir un gage,
Sinon celuy là que j’ay dit,
Ils parent leur lance legiere,
Comme leurs cueurs sur la carriere,
D’un present qui n’est pas maudit.

Trempe la, ma Deesse humaine,

Dedans la rive Stigienne
Et dedans le sang d’un corbeau,
Afin qu’il ruine & qu’il tue
Celui qui portera en veuë
Pour une faveur un cordeau.

Madame, que vostre œil delivre 130 LE PRIMTEMS DU SIEUR DAUBIGNÉ.

L’autre vertu qui me fait vivre
Aux gages de vostre amitié,
Et que ma main en estant ceinte
Ne tremble plus defsoubz la crainte
De vostre imploiable pitié.

Ainsi quant la terre enyvree

De pleurs remarque sa livrée
Au bras du ciel plus gratieux,
A trois couleurs a souvenance
Que c’est l'escharpe d’alliance
Et de la promesse des Dieux.

Appaisez les pleurs & la pluie

Et les déluges de ma vie,
Et nouez à trois neuz sur moy
Une marque si Bien pliee
Que jamais ne soit desnouee
Q’avecques le neud de ma foy.

Alors sans varier, ma lance

Puissante de vostre puissance
Sur tous emportera l’honneur ;
Sa mire sera vostre veuë,
Ses chiffres le nom qui me tuë,
Et son arreft vostre faveur.
VI.

Ainsi l'Amour & la Fortune,

Tous deux causes de mes douleurs,
Donnent à mes nouveaux malheurs
Leur force contraire et commune,
Ainsi la Fortune & l’Amour
D’une force unie et contraire
Veullent advancer & distraire ODES. 131
Mes rages & mon dernier jour.

Tous deux pour voller ont des aelles,

Aveugles des yeux, des desirs,
De tous deux les jeux, les plaisirs
Sont paines & rages cruelles :
Ilz ne s’abreuvent que de pleurs,
N’aiment que les fers & les flammes,
N’affligent que les belles ames,
Ne blessent que les braves cueurs.

La Fortune est femme ploiable,

L’Amour un despiteux enfant,
L’une s’abaisse en triumphant,
L’autre est vaincueur ìnsuportable,
L’une de sa legereté
Change au plaisir le grand desastre,
Et l’autre n’a opiniastre
Plus grand mal que la fermeté.


VII

Soubs la tremblante courtine

De ces bessons arbrisseaux,
Au murmure qui chemine
Dans ces gazouillans ruiffeaux,

Sur un chevet touffu esmaillé des couleurs

D’un million de fleurs,
A ces babillars ramages
D’oisillons d’amour espris.
Au flair des roses sauvages
Et des aubepins floris,

Portez, Zephirs pillars sur mille fleurs trottans,

L’haleine du Printemps.
O doux repos de mes paines, 132 LE PRIMTEMS DU SIEUR 'DAUBIGNÉ.
Bras d’yvoire pottelez,
O beaux yeulx, claires fontaines
Qui de plaistr ruiffelez,

O giron, doux suport, beau chevet esmaillé

A mon chef travaillé !
Vos doulceurs au ciel choisies,
Belle bouche qui parlez,
Sous vos levres cramoysies
Ouvrent deux ris emperlez ;

Quel beaulme precieux flotte par les zephirs

De vos tiedes fouspirs !
Si je vis, jamais ravie
Ne soit ceste vie icy,
Mais si c’est mort, que la vie
Jamais n’ait de moy soucy :

Si je vis, si je meurs, ô bien heureux ce jour

En paradis d’amour !
Eh bien ! je suis content de vivre
Et ma peine est lors plus cruelle
Quand plus d’elle je fuis delivre.
Pourtant je vis de tout mon heur,
C’est que ma joye est lors plus belle
Plus je fais vivre ma douleur,

Plus ma peine accroist ma pensee,

Me flatte, me plaist & m’atire ;
Mais lors mon ame est courroucée
Quand mon coeur s’estonne pour eux,
Et quandje sens plus de martire
Que je n’ay le cueur amoureux.

Vostre œil, vostre beaulté, Madame,

A vaincu mes forces, de sorte
Qu’au feu de l'amoureufe flamme
Ma perte s’allume & s’estaint :
En moy la mort se trouve morte 133 ODES.
Et mon ame plus ne la craint.

Ainsi d’une cause si bonne

Ma peine n’est plus inhumaine,
Sinon quand moins votre œil m’en donne,
Et pour la fin de mes ennuys
L’ame est friande de ma peine,
Le corps lassé dict : Je ne puis(1).


VIII.


En voyant vostre beau pourquoy n’ay je pas veu,

Pourquoy en vous craignant mon ame si craintive
N’a cogneu que l’esclair d’une blancheur si vive
N’estoit rien que neige, que feu ?

Que mon cueur perdit bien par les yeux la raison,

Prenant la vie esclave & délassant la franche,
Car il vit vostre gorge & fi belle & si blanche
Qu’il en fit sa belle prison !

La neige vous siet bien, & non pas la froideur :

Neige qui as couvert le sein de ma divine,
Possede le dessus de sa blanche poitrine,
Mais ne touche point jusqu’au cœur !

N’abandonne ce cœur, belle & vive clairté

Qui rend de ce beau feu la blancheur vive & claire,
Enclos ce qui me brusle & non ce qui m’esclaire,
La flamme & non pas la beaulté.

Gorge de laict, mon œil de ta neige est friant,

___________________________________________________

1. Ces quatre dernieres strophes sont marquées à la marge du manuscrit d’une ligne, d’une sorte d’accolade. L’auteur veut-il dire : à supprimer ? On voudrait le croire, mais ce n’est là qu’une conjecture. Ce signe se retrouve encore devant quelques pages ou quelques strophes.

134 LE PRINTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.


Beau feu, dans ce beau sein tiens les flammes enclozes.
Malitieux Amour qui de lis & de rozes
M’apreste la mort en riant.
IX.
Bergers qui pour un peu d’absence
Avez le cueur si tost changé,
A qui aura plus d’inconstance
Vous avez, ce croi’ je, gagé,
L’un leger & l’autre legere,
Á qui plus volage sera :
Le berger comme la bergère
De changer se repentira.

L’un dit qu’en pleurs il se consume.

L’autre pence tout autrement,
Tous deux n’aiment que par coutume.
N’aimant que leur contentement,
Tous deux, comme la girouette,
Tournent poussez au gré du vent,
Et leur amour rien ne souhaitte
Qu’à jouir & changer souvent.

De tous deux les caresses feintes

Descouvrent leur cueur inconstant,
Ils versent un millier de plaintes
Et le vent en emporte autant ;
Le menteur & la mensongere
Gagent à qui mieux trompera !
Le berger comme la bergere
De changer se repentira.

Ils se suivent comme à la trace

A changer sans savoir pourquoy :
Pas un des deux l’autre ne passe ODES. 135
D’amour, de constance & de foy.
Tous les jours une amitié neufve
Ces volages contentera,
Aussi vous verrez à l’espreuve
Que chacun s’en repentira.

De tous deus les promesses vaines

Et les pleurs versez en partant
N’ont plus duré que les haleines
Qui de la bouche vont sortant :
Chaquun garde son avantage
A fausser tout ce qu’il dira,
Et chaquun de ce faux langage
A son tour se repentira.


X.

Tristes amans, venez ouyr

Un cueur prisonnier se jouyr
Livré en sa chesne cruelle
Par les yeux trop promptz et hardis,
Mais sa prison n’est criminelle,
[Car] il en faict son paradis.

Bien que soubz les loix d’un vainqueur

Il souffre aux pieds d’un autre cueur,
Qu’esclave & que serf on l’apelle,
Il est fi doucement traité
Et sa servitude est si belle
Qu’il meprise la liberté.

Bien qu’il endure là dedans

Mille & mille flambeaux ardans
Qu’on voit à l’enfleure jumelle
Qui s’enfle de ses doux soupirs,
Sa flamme & sa mort est si belle

Qu’il se met au rang des martirs.
D’un sein d’albastre si polly
Il voulut estre ensevelly,
Et en sa prison eternelle
Heureux il confine ses jours,
Chantant que sa prison est belle
Puisqu’il a de belles amours.
A. D.

XI.

Voilà une heure qui sonne !
Debout, laquais, qu’on me donne
Mon papier pour y vomir
Une odelette lirique
Qui me chatouille & me pique
Et m’empefche de dormir.
Chenu hault, Chenu en place.
Debout, marault, qu’on me face
Merveilles de cest outil :
Desrobe une flamme claire
Et un vulcan qui m’esclaire
Du ventre de ce fuzil.
Voi’ tu la trongne de l’homme
Volussien, voi’ tu comme
Il a un des ieux petit ?
L’amour chault qui me consomme
N’empesche à ce gentil homme
Le dormir ny l’apetit.
Metz là dessoubz ce gros livre :
Ce filz de putain est yvre !
Hai ! au pied recouche toy.
Qu’il se donne de malaise !

ODES. 137

Va, que tu puisse à ton aise
Dormir pour toy & pour moy.

Cependant que tu mignarde

Une corde babillarde
Du pouce & d’un autre doit,
Je veus savoir de ma Muse
Que jamais je ne refuse
Que c’est qu’elle demandoit.

Fay’ que mes espritz fretillent

Autant de coups que babillent
Les tremblemens amoureux
Qui folaftrent sur ta chorde :
Mon second, ainsi mon ode
Sera fille de nous deux.

Nicollas endort sa paine

Et pousse avecq’ son halaine
Ses affaires & l'ennuy
De sa teste ensommeillée,
Tandis ma Muse éveillée
Se resouvenoit de luy.

Nicollas, j’aime & j’adore

Quiconque ayme et qui honore
Et les vers & les escritz
Et les sciences aymees
Qui feront leurs renommées
Vivre autant que les efpritz

Je ne suis pas de la troupe

Qui peult faire à plaine coupe
Carroux du Nectar des cieux,
Mais je contrefais leurs gestes
Et pour ivrogner leurs restes
Je porte un livre aprés eux.

Je congnois ma petitesse,

Ce qui fait que je m'abaisse
Sans trop avoir entrepris
Si très penaull de mes fautes
Que jamais les choses hautes
Ne transportèrent mes escritz

Pendant que Ronsard le pere

Renouvelle nostre mere
Et que maint cher nourrisson
Des filles de la Mémoire
Sur le temps dresse sa gloire,
Je barbouille à ma façon,

Et n’ayant rien que te dire,

Je m’esveille pour escrire
Sans autre disposition
Que les premières pensees
Que la nuit m’a tracassees
En l’imagination.

Il est vrai, comme je pence,

Si j’avois la patience
D’estudier une heure au jour,
Une heure seulement lire,
J’acorderois bien ma lire
A la guerre & à l’amour.

Jà dix ans & davantage,

Dont je ne suis pas plus sage,
Ne m’ont proffité de rien,
Se sont escoulez à rire,
C’est pourquoy l’on me peut dire
Qu’il y paroift assez bien.

Encores si ma folie

Entroit en melancholie
Et, pour se faire priser,
Vouloit devenir plus grave :
Je sais bien faire le brave
Pour m’en immortalizer.

ODES 139 .

Pour faire bruire une guerre

Qu’eurent les filz de la Terre
Contre les fouldres des Dieux,
En mes termes de folie
Je dirois qu’en Thessalie
Ils escaladoient les Cieux.

[D']un alexandrin plein d’erres,

De guerres & de tonnerres,
Et d’un discours enragé
Je peindrois bien une noise,
Car je say qu’en vault la toise,
Je n’en ay que trop mangé !

J’ay aidé, quoy que je die,

A jouer la tragedie
Des François par eux deffaitz ;
Page, soldat, homme d’armes
J’ay tousjours porté les armes
Jusqu’à la septiesme paix.

A Dreux, bataille rangee.

En Orléans assiegee, ;
Laissant le dangier à part,
Dans le camp & dans la ville
J’apprins du soldat le stille
Et les vocables de l’art.

Mais depuis avecq’ mon aage

M’estant acreu le courage,
Venu plus grand & plus fol.
Jeune d’aage & de sens jeune,
J’ay brusqué cinq ans fortune,
L’arquebuze fur le col.

Puis j’en passay mon envie

Et quittay l’infanterie
Pour estre homme de cheval,
Et, jamais las d’entreprendre, I40 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Encor’ me falut aprendre
Que c’est du combat naval.

Ma nature y fut mal faite,

Ma gorge y fut tousjours nette,
Encores vis je la mer
Brusler trois fois en ma vie,
Bransler de coups eftourdie
Et les canons l'entamer.

L’ame servit la pratique

Et l'art & la theorique,
Et des fixes & du Nord
J’enquerois mon astralabe
Et le baston de l’Arabe
De l’un & de l’autre bord.

Cela me donne courage

De prendre un plus hault ouvrage
Et d’essorer mes espris :
Comme de trop entreprendre,
On me peult aussi reprendre
D’avoir trop peu entrepris.

J’ay encores eu umbrage,

Tout ainsi qu'un vain nuage,
Et des langues & des artz,
Sans que je me veille rendre
Ou impossible à reprendre.
Ou parfait de toutes partz.

Celuy n’est parfait poete

Qui n’a une ame parfaite,
Et tous les ars tous entiers,
Et qui pourroit en sa vie
Gaigner l’enciclopedie
Ou esprouver tous mestiers.

Baste ! j’escris pour me plaire :

Si je ne puis satisfaire ODES 141.
A un plus exact desir,
Amusant pour entreprendre
Quelque sot à me reprendre,
Je me donne du plaisir.

J’ayme les badineries

Et les folles railleries,
Mais je ne veux pas avoir
Pour veiller à la chandelle,
La renommee immortelle
D’un pedantesque savoir.

Nicollas, les ferpelettes,

Tes vendangeurs, tes sornettes,
Resonnent à mon gré mieux
Que ces rimes deux fois nees
Et ces frazes subornées
D’un Petrarque ingenieux.

Car de quelle ame peut estre

Ce que l’on fait deux fois naistre
Par le faux pere aprouvé :
Comme la poule pourmeme,
Non le poulet qu’elle ameine,
Mais celluy qu’elle a couvé.

C’est beaucoup de bien traduire,

Mais c’est larcin de n’escrire
Au dessus : traduction,
Et puis on ne fait pas croire
Qu’aux femmes & au vulgaire
Que ce soit invention.

Ce n’est pour toucher personne,

Mais ma Muse ne bordonne
Ce que nous disions hier ;
Si lisant tu t'esmerveille
Que c’est tout cecy, je veille
Et j’ay peur de m’ennuyer.

142 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.

Le dormir revenu presse

Mes yeux pesans de paresse,
Les pique & ferme à demy,
Et la main esvanouie
Du cousin est endormie
Dessus son luth endormy.
XII.

Au temps que la feile blesme

Pourrist languissante à bas,
J’allois esgarant mes pas
Pensif, honteux de moy mesme,
Pressant du pois de mon chef
Mon menton sur ma poitrine,
Comme abatu de ruine
Ou d’un horrible meschef.

Après, je haussois ma veuë,

Voiant, ce qui me deplaist,
Gemir la triste foreft
Qui languissoit toute nue,
Veufve de tant de beautez
Que les venteuses tempestes
Briserent depuis les festes
Jusqu’aux piedz acraventez

Où sont ces chesnes superbes.

Ces grands cedres hault montez
Quy pourrissent leurs beautez
Parmy les petites herbes ?
Où est ce riche ornement,
Où sont ces espais ombrages
Qui n’ont sçeu porter les rages
D’un automne seulement ?

ODES 143.

Ce n’est pas la rude escorce

Qui tient les trons verdissans :
Les meilleurs, non plus puissans,
Ont plus de vie & de force,
Tesmoin le chaste laurier
Qui seul en ce temps verdoie
Et n’a pas esté la proie
D’un yver fascheux & fier.

Quant aussi je considere

Un jardin veuf de ses fleurs,
Où sont ses belles couleurs
Qui y florissoient naguère,
Où si bien estoient choisis
Les bouquets de fleurs my escloses,
Où sont ses vermeilles rozes
Et ses oillets cramoisis ?

J’ai bien veu qu’aux fleurs nouvelles,

Quant la rose ouvre son sein,
Le barbot le plus villain
Ne ronge que les plus belles :
N’ay je pas veu ses teins vers,
La fleur de meilleure eslitte,
Le lys & la margueritte,
Se ronger de mille vers ?

Mais du myrrhe verd la feuille

Vit tousjours & ne luy chault
De vent, de froit, ny de chault,
De ver barbot, ny abeille :
Tousjours on le peut cuillir
Au printemps de sa jeunesse,
Ou quant l'yver qui le laisse
Fait les autres envieillir.

Entre un milion de perles

Dont les carquans sont bornez 144 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE

Et dont les chefz sont ornez De nos nymphes les plus belles, Une seulle j’ay trouvé Qui n’a tache, ne jaunisse, Ne obscurité, ne vice, Ni un gendarme engravé. J’ay veu parmi nostre France Mille fontaines d’argent, Où les Nymphes vont nageant Et y font leur demourance ; Mille chatouilleux Zephirs De mille plis les font rire : Là on trompe son martire D’un milion de plaisirs. Mais un aspit y barbouille, Ou le boire y est fiebvreux, Ou le crapault venimeux Y vit avecq’ la grenoille. O mal assise beauté ! Beauté comme mise en vente. Quand chascun qui se presente Y peut estre contenté ! J’ay veu la claire fontaine Où ces vices ne sont pas, Et qui en riant en bas Les clairs diamens fontaine (sic) Le moucheron seulement Jamais n’a peu boire en elle, Aussi sa gloire immortelle Florist immortellement. J’ay veu tant de fortes villes Dont les clochers orguilleux Percent la nuë et les cieux De piramides subtiles, 145 ODES.

La terreur de l’univers,
Braves de gendarmerie,
Superbes d’artillerie,
Furieuses en boulevers (sic) :

Mais deux ou trois fois la fouldre

Du canon des ennemis
A ses forteresses mis
Les piedz contremont en pouldre :
Trois fois le soldat vengeant
L’yre des Dieux alumee,
Horrible en sang, en fumee,
La foulla, la sacageant.

Là n’a flory la justice,

Là le meurtre ensanglanté
Et la rouge cruauté
Ont heu le nom de justice,
Là on a brisé les droitz,
Et la rage envenimee
De la populace armée
A mis soubz les pieds les loix.

Mais toy, cité bien heureuse

Dont le palais favory
A la justice cheri,
Tu regne victorieuse :
Par toy ceux là sont domtez
Qui en l'impudique guerre
Ont tant prosterné à terre
De renoms & de beautez.

Tu vains la gloire de gloire.

Les plus grandes de pouvoir,
Les plus doctes de savoir,
Et les vaincueurs de victoire,
Les plus belles de beauté,
La liberté par la crainte, 146 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
L'amour par l'amitié jointe.
Par ton nom l'eternité.
XIII.
EPITALAME

Debout filles, qu’on s’appreste,

L’Aurore leve la teste
Pour espanouir le jour,
Pour sacrer une journée
A l'amour, à l'hymenee,
Á l'hymenee, à l'amour !

Yo ! du jour l’aventuriere

Saulte, folastre, legere,
Sur son char doeillet, vermeil,
J’ay ainsi Nimphe, ordonnée
A l'amour, à l'hymennee
Aussi belle, un sault pareil,

Tu n’as plus tost delaissee

La place où la nuit passee
Ton cors douillet a dormy,
Au moins dormy, si ceste ame.
Qui d’un bien present se pasme,
Ne l'esveilloit à demy.

Du ciel astre de ta grâce

Et du vermeil de ta face
Le ciel mesme rougira,
De tes beautez demy nues
Jusqu’aux plus espaises nuës
Un second jour reluira.

Ce taint qui ton front decore

Nous servira bien d’aurore.

ODES 147.

Et la clarté de ton œil
Et tes temples encheries
De feuz & de pierreries
Feront cacher le soleil,

Car deux soleilz, ce me semble.

Ne sauroient regner ensemble.
Si d’un accord gratieux
Tu ne prens icy ta place
Pour laisser luire de grace
Le blond Apollon es Cieux.

J’entens fraper à la porte

Ton bien aimé qui t'aporte
Le mot, l'effait d’un bon jour :
Avecq’ ce bon jour, mignonne.
Il ne ment point, il te donne
Les fruitz d’himen & d’amour.

Io ! telle vermeille honte

Ton beau visage surmonte
Que les clairs nuages ont
Quand ilz meuvent de leur place.
Pour avoir feu face à face
Du soleil l'or & le front.

Dieux ! que de beautez doublees,

Que de vertus acouplees,
Amant, cent fois bien heureux,
Possedant telle maitresse !
O bien heureuse Deesse
Possedant tel amoureux !

Cependant que la journee.

Est au combat destinee.
Aux tournois, au bal, aux jeuz
Et à tout bel exercice
Ennemy mortel du vice,

Fi du repos paresseux ! 148 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

Pendant que la fiere adresse

D’un gendarme par la presse
Met d’autres armes à bas.
Cependant qu’un autre encore
De belles cources honore
Les lices & les combats,

Dames, donez quelque gage,

Pour redoubler le courage
Et les forces & les cueurs
D’une autre muette bande
Qui sans parler, vous demande
Vos grâces & vos faveurs.

Ce pendant qu’à capriolles

Voltigent les jambes folles
Des amoureux sans repos,
Et qu’on voit naistre en la place
Ceux qui ont meilleure grâce
Et ceux qui sont plus dispos,

Tandis que mille caresses

Mille serfz, mille maitresses
Ne font naufrage du temps.
Les uns tristes se desolent,
D’autres contens se consolent.
Et aucuns ne perdent tems :

Des champions d’ymennee

L’ame est ailleurs adonnée,
Leurs deux yeux rompent le boys,
Leurs esprits sont en carrière,
Leur ame dance legere,
Ilz discourent sans la voix.

Or quelque bal qui se trace,

Quelque lice qui se face,
La victoire de ce jour
Est à celuy là donnee ODES 149.
Qui es cendres d’himennee
Consomm’ au jourdhuy l'amour.

C’est assez prouvé l'adresse,

La vertu & gentillesse
Et des cors & des espris :
Au coucher, que la journée
Trop longue est bien ordonnée
A d’autres coups entrepris !

L’estoille du ciel plus claire

Qui se couche la premiere
Donne le plus de clarté,
Et me semble, à voir sa face.
Qu’une undelette se trace
Sur le lis de fa beauté.

Je voy tremblotter sa bouche :

Ha ! c’est qu’elle craint la touche
De ce brave combatant :
Si fault il les laisser faire,
Crains tu un doux adversaire
Qui te craint & t'aime tant ?

Tu te trompes, car tes larmes

Ne font pas mourir ses armes,
Ce beau vermeil et ce blanc
Croissent son cueur et sa gloire
Et il n’est belle victoire
Que par la perte de sang.

Va t’en, Nimphe bienheurèe.

Souffrir constante, asseuree,
Par tel la plaie du jour
Et la plaie d’himenee,
A qui tu avois donnée
L’autre plaie de l'amour.

150 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.

XIV.

Non, non,je veux vivre autant

Comme vivra ta rigeur,
Mourir vaincueur & contant
De ton yre & mon malheur.

Je ne crains pas que l'effort

D’un dart me face mourir,
Mais j’ay bien peur que la mort
M’empesche de plus souffrir :

Car l'aigreur de ton courroux

M’est plus douce que le miel.
Et cela me semble doux
Qui aux autres est du fiel.

Les injustes cruautez,

Les jeux qui me font mourir,
Les orguilleuses beautez
Ne m’ont lassé de souffrir.

Soit le mal, ou soit le bien,

Je l'aime en venant de toy :
Ton yre n’emporte rien
Qui ne soit trop doux pour moy.

Je succe le demourant

De mes tourmans inhumains,
Je me plais en endurant
Les coups de tes blanches mains.

Mais pourtant retire un peu

Tes poignans ensanglantez,
Et fay’ plus durer le feu
De tes douces cruautez.

Car je veux soufrir tousjours,

Je ne vis que de douleurs : ODES 151.
Que je baigne mes amours
Dans les ruisseaux de mes pleurs !

Ceux qui lassez de souffrir

Et lassez d’une beauté
Se veullent faire mourir
D’un courroux ensanglanté,

Ceux là n’ont jamais aimé

Les maux & la passion,
Ilz ont le doux estimé
Et fuy l'affliction.

Car qui ayme pour joir

D’un heureux contentement,
II n’aime que son plaisir
Et ne fuit que son tourment.

De soupirs & de douleurs

L’amour nous esmeut le flanc,
L'amour s’abreuve de pleurs
Et soulle sa faim de sang,

Celuy qui aime le doux

Et craint de gouster l'amer
Et qui meurt pour un courroux,
Comment pourroit-il aimer ?

Celuy là ayme le mieux

Qui vit afin d’endurer,
Sans esperance de mieux,
Espérant sans esperer.

O amans ! fouz d’estimer

Mourans pouvoir trouver mieux,
Si vous souffrez pour aimer,
Que peut la mort sur les Dieux ?

Jamais l'amour ne perist,

Et nostre malheur est tel
Que l'amour loge en l’esprit.
Et l'esprit est immortel.

152 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.

Doncq’ faire mourir le cueur

Et faire l'ame endurer,
C’est aider le malfaiteur
Et l'innocent martirer.
XV.

Tes yeux vaincueurs & languissans,

Tes ris de perles florissans,
Ta joue & ta bouche de rozes
Me bruslent ainsi peu à peu
Que sans les pleurs dont tu m'arroses,
Je fusse en bluette de feu.

Je suis noie de tant de pleurs

Que si tes yeux doux & vaincueurs,
Si ta joue et ta bouche encore
N’eussent espris de leurs flambeaux
En moy le feu qui me devore,
Je serois fondu en ruisseaux.

Ainsi tels remèdes cruels

Font mes feux, mes pleurs immortels
Las ! de quelle sorte d’offence
Ay je peché pour tant souffrir ?
Que ce soit peu de penitence
Pour me faire une fois mourir.
XVI.

Vous dites que je suis muable,

Que je ne sers pas constemment,
Comment pourrois je sur le sable
Faire un asseuré fondement ?

ODES 153.

Vous babillez de ma froidure

Et je suis de feu toutefois :
Le feu est de telle nature
Qu’il ne peut brusler sans le bois.

Comment voulez vous que je face ?

Mon ardeur en vous trouve lieu,
Le feu n’embrase point la glace,
Mais la glace amortist le feu.

Tel est le bois, tell' est la flamme,

Telle beauté & telle ardeur :
Le cors est pareil à son ame,
A la dame le serviteur.

Voulez vous donc savoir, rebelles,

Qui a noie tant de chaleurs
Et tant de vives étincelles ?
Ce sont les ruisseaux de mes pleurs.

On se moque de ma misere

Quant j’aime affectueusement,
Et on me tourne à vitupere
Quant je metz fin à mon torment.

[Vous] voudriez bien que j’aimasse

Pour vous servir de passe temps,
Vraiment vous auriez bonne grace,
Friande, vous auriez bon temps.

Vous m’avez fait perdre courage

D’aymer, en m’accablant d’ennuis :
Ne blasmés donq’ point vostre ouvrage,
Vous m’avez fait tel que je fuis.
XVII.

A ce boix, ces pretz et cest antre

Offrons les jeux, les pleurs, les sons, 154 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
La plume, les jeux, les chansons
D’un poete, d’un amant, d’un chantre.

Lisez, prenez, enflez des trois,

Muses, Nymphes & vous Echos
Des bois, des pretz, & des rocs.
Les vers, les larmes & la voix.
XVIII.

Il te fault oublier, ma plume,

Et ta nature & ta coutume,
Et fault maugré toi desguisant
Ceste douceur acoutumee.
En bruire une ode envenimee
Du bref yambe medisant.

Car tu n’espancherois ton yre

Mesdisant que sur le mesdire,
Dessus la fureur ton despit,
Dessus le lion ta prouesse.
Dessus le renard ta finesse
Et ton venin sur un aspit.

Je me desplais quant par contrainte

Il fault que ma peine soit teinte
Au sang d’un venimeux serpent,
Comme celuy qu’un crapaut fache,
Quant des piedz la teste il luy cache,
Il s’envenime en le crevant.

Pourtant si je hay le mesdire,

Ce n’est pas, mesdisante, à dire
Que tu mesdies impunement :
On medit en louant le vice,
Celuy qui blasme la justice
Il mesdit aussi, car il ment.

ODES 155.

Ceste justice au ver de terre

A permis de faire la guerre
A celuy qui le va foulant.
Moy je ne veux que la parolle
Pour chastier un peu la folle
Qui ne m’a fasché qu’en parlant.

Mon Dieu, quelle cruelle injure

Cette petite creature
Trouva aprés un bon repas !
Soulle, yvre comme une chouette,
Elle dit que j’estois un poete,
Et je dis qu’elle ne l'est pas.

Mais encore luy veux j’aprendre

Au moins, s’elle peut le comprendre,
Comment on doibt nommer chacun.
Et quant par le mestier on nomme
Plus tost que par le nom un homme,
Que ce soit pour le plus commun.

Je n’ay pas tousjours fait des carmes.

J’ay esté soldat, homme d’armes,
Enfurché sur un grand courcier
Qui estonnoit tout un village.
Tu me pensois plus d’adventage
De gendarm’ ou arquebusier.

Puisque j’ay doncq' gaigné ma vie

Pauvre soldat de compaignie,
Tu pouvois, sans m’injurier
D’une si trés piquante injure,
Me baptiser, petite ordure,
Argolet ou arquebouzier.

II eust esté plus convenable

Faire d’une escurie estable,
Et me reprochant le fumier
De nostre royalle escurie, 156 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Dire que j’y gagne ma vie
Et dire : Monsieur l'Escuier !

Mais si vulgairement on nomme

Soit une fille, soit un homme,
Par le mestier le plus certain,
Dame ! il faudra que je t'appelle
Ou madame la maquerelle,
Ou pour te complaire, putain.

Tu as bien vescu quelque annee

N’estant que fraîche abandonnée,
Donnant de ton cors passe temps,
Mais depuis ta seconde couche
Que personne plus ne te touche.
Tu produis à dix sept ans.

C’est sans injure & sans cholere,

Je t’eusse bien nommé lingere,
Car comme j'ayme bien les vers,
Tu aimes bien la lingerie,
Mais tu n’en gagnes pas ta vie
Si bien que du luc à l’envers.

Tu pouvois nommer sans reproche

Ce joueur de lut qui t’acroche
Ou ce baladin qui ravit
En te montrant ton pucelage
Du nom dont chacun tire gage
Et du mestier dequoy il vit.
XIX.

D’une ame toute pareille

Furent honorez nos cors,
Car tu veille si je veille,
Et j’ay sommeil si tu dors.

ODES 157.

Rien que la vertu n’assemble

Et nos desirs & nos veux
Qui ne soupirent ensemble
Rien qui ne soit vertueux.

Une envie porte envie

A ces deux conformitez
Et ne peut rendre sa vie
Pareille à nos voluntez.

La vertu nous a fait faire

L’union qui luy desplaist,
Si elle ayme son contraire,
Vous pouvez pencer que c’est.
XX.

Que je te plains, beauté divine !

Ha ! que ta fortune est maligne,
Ha ! que ton sort est malheureux,
Ha ! qu’inhumains te sont les Cieux
Et le destin qui vous assemble,

Le clair jour & la nuit ensemble.

Le fier, le faux, l'aveugle sort
Qui met la vie avecq’ la mort !

Enragée, aveugle Fortune

Qui met ceste vieille importune
Sur les tallons de ma beauté !
Comme en un pais surmonté
On met les garnisons cruelles,
On y bastit des citadelles,
Et de mille autres inventions
On y fait mille extorsions.

Le jour t'est plain de fascherie

Pour la fascheuse compagnie 158 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
De ce vieux serpent plain d’effroy
Que tousjours on couple avec toy,
Qui en grondant deffend ta porte
Des pestes d’une alene forte.
Sur le seuil de l'uis enbrené,
Comme un vieux barbet enchaisné.

Ainsi tu es une Andromede,

Et si je ne trouve remede
Pour te delivrer, tu seras
A tout jamais entre les bras
De ce morce marin pressée,
Mais je veux estre ton Persee
Et faire ce monstre nouveau
Trebucher un jour dedans l'eau.

Elle fait, mon ange dyvine,

En ton cabinet sa cuisine
Et fait d’un mesme cabinet
Et sa cuisine & son retrait.
Là vous voiez par ordonnance
Chopines, jambons de Mayance,
Formages et vous voiez là
La quinte essance de cela.

Mais si tost que là nuit s’approche,

L’ire, l’injure, le reproche
Poussent du gosier son venin
Parmy les vapeurs de son vin :
Dans le lit lui fault la parolle,
Les mains en sa profiterolle,
Et en rottant neuf ou dix fois
Finit le banquet & la vois.

Lors de poudre de cypre & d’ambre,

En un petit coin de la chambre,
Ma mignonne de doitz mignons
Couvre ses cheveux fins & blons, ODES 159.

Et puis sitost qu’elle a mangée Sa cuillerette de dragée. Soupirant trois fois son malheur, Par force aproche son horreur. Là, ma vieille truie endormie Croise la place de ma mye. Et a dessus son oreiller Son cul qu’on ne peut reveiller : L’horreur de l’une & l’autre fesse Fait fi grand peur à ma maitresse Qu’elle choisist en quelque coin Son adventage le plus loin. Elle veille avecq’ son martire, Et son petit cueur lui soupire Et dit en destournant son œil : Ce n’est pas icy mon pareil. L’autre charrette mal graissee Ronfle & n’a rien en sa pensee Que les vins [ou] mauvais ou bons. Les cervelais ou les jambons. Or tout cela n’est rien encore Qui ne voit au point de l’aurore, Si tost que le jour est venu, Dormir l’un & l’autre corps nu : L’un à qui par trop la nuit dure Des piedz pousse la couverture, L’autre par l’indigestion Tormente sa collation. La douce blancheur de ma mye, Et non son ame est endormye, Et le plus souvent ses cheveux Sont desployés sur les linceux, Flottans à tressettes blondes, Comme au gré des zephirs les ondes.

160 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

Et ne souffrent d’autres odeurs
Que celles du baume & des fleurs.

L’autre a la perruque taigneuse

D’une acquence faryneuse,
Un combat dessus & dessoubz
De punaises avecq’ les pous :
Tout grouille & tout cela s’assemble,
Et tout ce gros amas resemble
Au poil d’un vieux barbet croté,
Au fruit d’un serpent avorté.

Qui voit les yeux de ma mignonne,

Lorsque sa paupière besonne
Et ses petis bors bien couvers
Les fait désirer estre ouvers,
Qui voit sa bouche vermellette,
De ses dens la blanche rangette,
Tout cela ne semble point mal
Aux perles dessoubz le coural.

Auprés les paupieres fermées

De la vieille où les araignées
Ont fait leurs nidz depuis le soir,
On a l'odeur de l'entonnoir
De sa gueule pasle & pourrie
Que mille chancres ont fletrie,
Et la chassie de ses yeux.
Et l’egout de son nez morveux.

Considèrez pour un martire

Un petit teton qui soupire.
Qui s’enflant repousse orguilleux
De deux bons pouces les linceux,
Une main s’estend my fermee
Sur la cuisse la mieux aymee,
Et dedans l'entre deux du sein
Se loge une autre blanche main.

ODES 161.

Pour oreiller on voit la beste
Qui met un testin soubz sa teste,
Qui grouille ainsi en se mouvant
Qu’une cornemuze sans vent,
Sur la peau de l’autre tetace
Un matin se couche en la place.
Et en sort pour le paindre tout
Un flus d’apostume du bout.

Ma fillette monstre sa hanche,

Et un peu de sa cuisse blanche
Plus que lis, que neige & satin.
Et ses tetons sur le malin
Ont passé le bout de sa couche.
Helas ! qui retiendra sa bouche.
Pour en la trompant doucement
Le baiser cent fois en dormant !

Ce cul ridé à ma maîtresse

Imprime, touchant à sa fesse,
Mille coches en un monceau
De gringuenaudes de pourceau
Grousses comme grosses fumées,
Mille mouches empoisonnees,
Et le plus patient esprit
Y mettroit le feu par despit.

Mais ma mignonne cache encore

Ce que je cache & que j’honore,
Et qui, sans nommer, est au flanc
Environné de cotton blanc,
Comme un petit bouton de roze
Non encor à demy descloze.
Mais j’en parle sans avoir seu,
Elle mesme ne l'a pas veu,

Ouy bien les barbes entrassees,

Et mille peaux repetassees, 162 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Et je ne sais quoy de couleur
De vieux codinde en sa chaleur.
Une plaie et une savatte
De boyaux pendant, une ratte
Et deux feuilles rouges de chous
Qui luy barbouillent les genous.

Fuions, la villaine ha voymie

Sa gorge auprès de mon amie
Où un amas rouge de vin
Fait baller la chair & le pain
Comme un porceau dedans la bouë :
Là dedans la vieille se joue,
Et en la mesme sauce qu’on met
En Allemagne un vieux brochet.

C’est ainsi que fortune assemble

La Gorgonne & Venus ensemble.
Ainsi le miserable sort
Melle la vie avecq’ la mort.
Que je te plains, beauté divine
Et que ta fortune est maligne !
Ah, qu’inhumains te sont les Cieux !
Ah, qu’inhumains te sont les Dieux !
XXI.

Ceulx là qui aiment la louange

Se verront louez par eschange,
Mais je n’ayme pas à louer
Les langues qui ont estimee
Plus que la dextre renommee
La gauche & ne font qu’en jouer.

Or, mesdifante, toutes celles

Qui ont eschapé tes querelles ODES 163.
Et tant de propos odieux
Se banderont pour ma deffence.
C’est cela qui fait que je pence
N’avoir pas beaucoup d’envieux.

Je n’epeluche point la vie

De ma desloyale ennemie,
Les ruses de ses jeunes jours,
L’impudence de sa jeunesse.
Et son renom point je ne blesse
Pour escrire [ici] ses amours.

Je ne me plains pas de grand chose,

Seulement d’une rage enclose
Elle mesdit pour se jouer,
Mentant & flattant elle cause
Et diffame ceulx là sans cause
Qui mentiroient pour la louer.

Parmy les vertueuses croissent

Ses vices, & plus nous paroissent
Aisés à voir et clairs à l'œil
Soubz les beautez qu’elle frequente.
Car la charogne est plus puante
Tant plus on la met au soleil.

Je dis qu’elle n’en suit encore

La troupe qu’elle déshonore
De ses vices & de ses moeurs,
Parmi les vertus vicieuse
Où elle se fait venimeuse
Comme un serpent entre les fleurs.

Je dirois bien qu’elle ruine,

Qu’elle tuë de medecyne
Ses germes, & que plus d’un coup
Trompons aprés estre trompée
E1l' a en jument eschapee
Donné un coup de pied au loup.

164 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

Je me plains de quoy la traitresse

Enchante & fasche ma maitresse
De propos & d’un air punais.
Ses propos me mettent en haine
Et des pestes de son allaine
Elle luy fait boucher le nez.

Mais ne l'escoute plus, mignonne,

Car le desplaisir que te donne
Une si mal plaisante odeur
Ne blesse tant que sa parolle :
L’une jusqu’à l'ame t'affolle
Et l’autre ne passe le cueur.

Qui ne croirait à voir sa face

Et l’effrontement de sa grace
Le bon naturel de son cueur :
La nature l'a fait camuse,
Et veult dire pour son excuse
Que c’est son nez qui est moqueur.

Les beaux cors ont des ames belles

Et les nourrissent toutes telles
Que les descouvre le dehors,
Hors mis ton ame desguisee,
Car elle est plus cautérisee
Et plus infecte que le cors.

Et ta mensonge & ton mesdire

Et tout le mal que tu peux dire
Ne peuvent troubler mes espritz :
Fai’ donc du pis que tu puis faire,
Ta louange m’est vitupere,
Je suis prisé par ton mespris.

ODES 165.

XXII.

Marroquin, pour te faire vivre,

J’avois entassé un gros livre
Envenimé d’un gros discours
De tes chaleurs, de tes amours,
Et par tes aages impudiques
Arrangé tes fureurs saphiques.
Là je contois que ton berceau
A peine fut jamais puceau,
L’horoscope de ta naissance,
Les passe temps de ton enfance,
Comme on faisait, quant tu criois,
Changer en un rire ta vois
Au branle gay d’une chopine,
A voir chaucher une gesyne,
La chienne et le chien enbesez,
Deux poux l’un l’autre entassez.
Jamais tu n’estois resjouie
Q’en contemplant la vilenie,
Une cane soubz un canard,
Une oy’ envezee d’un jard.
Puis je contois au second aage
Le segond progrès de ta rage.
Comme à six & sept & huit ans,
Tous les garçons petis enfans
Tordans autour du doit leurs guilles.
Fourgonnilloient tes espondrilles.
Trois ans aprez en un garet
Tu leur fis un haran sauret
Ou un monstre presque semblable,
Et puys pour te rendre agréable,
Comment tu fis ton marroquin
Paroistre de loin chevrotin.
Qu’en trois cens sortes de mesnage
Tu revendis ton pucelage,
Que tu seuz à trois cens gascons
Le vendre de trois cens façons.
Et depuis croissant ton courage
Et ta chaleur ainsi que l’aage,
Tu estallois ton marroquin,
Tirant du noble & du coquin
Le plaisir & la recompence.
Je n’oubliois pas ta prudence
Qui est de vendre ta beauté
Autant que tu as achaté
Le blanc chez un apoticaire,
Et prenant autant pour le faire,
Mais puis aprez, avecq’ le temps
Diminua ce passe temps.
Tu enrageais alors que l’aage
T’afoiblist le cors, non la rage,
Les attraitz, & non la chaleur,
T’osta les amans, non le cueur.
Au lieu de louer ton bagage.
Te força de prendre à louage,
Et te fit en mordant tes doits
Acheter ce que tu vendois.
Je n’oublioys que qui se joue
A toy & se frotte à ta jouë,
Il se leve blanc & beau filz,
Et je contois comme tu fis
Un autre chauve de la teste
Emporter du poil de la beste
En luy donnant de tes cheveux.
Et à un vieillard chaleureux

ODES 167.

Tu fis grand profit, ce me semble,
Alors que vous frottans ensemble
Lors qu’il n’avoit plus que deux dans,
Tu luy en crachas trois dedans.
Je contois que j’ay ouy dire
Que tu pleures, que tu soupire,
Que tu gemis, que tu te plains,
Esprouvant les faitz des humains.
Je fais là un héraclitique
Et un discours philosophique,
Puis je conclus qu’aiant gousté
Des hommes l’imbecilité,
Tu pleures sur la creature
Et sur les defaux de nature.
Enfin je fis dire à mes vers
Ta brave defcent' aux Enfers,
Que tu voulus payer la barque
Comme d’une letre de marque
Et ofrant ton cas à Caron,
Mais luy du plat d’un aviron
Te bailla tel coup fur la fesse
Qu’il te jeta hors de la presse,
Puis alors tout l’Enfer qui voit
Qu’une grand’ putain arrivoit
Court en gros, chaqu’un se depesche
Comme à la marchandise fresche.
Tout l’Enfer sur toy fut lassé,
Tout fut recreu, tout harassé,
Et tout à la fin de la dance
Fut boir' au fleuve d’oubliance,
Car au combat reiteré
Chaqu’un se sentit altéré,
Et chaqu’un perdit la memoire,
Hormis maroquin qui pour boire I68 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Ne pouvoit son train oublier.
Mais Radamant la fit noyer :
Marroquin fut demy noyee
Avant sa chaleur oubliee.
Il y a mille autres discours
De tes salles chaudes amours.
J’avoys imité l'Enéide.
Les nommans Maroquineide,
Mais lorsque ce livre fut fait
Chacun le trouva si infait
Les vocables d’art si estranges,
Que j’ay enterré tes louanges,
Et n’estant plus semblable à moy
Ores je m’en excuse à toy
Et je t’advise que mon aage
M’a fait moins heureux & plus sage,
Et si ce n’estoit que je veux
Que des filles les chastes yeux
Ne s’offencent lisans mon livre,
A jamais je ferois revivre
D’ords d'impudiques discours
Tes ords, impudiques amours.


XXIII.

Mignonnes, venez chanter,

Race du grand Jupiter,
Et d’un mignardelet stille
Louans mon jardin fertille,
Mon fertille jardinet,
De mes pleurs le cabinet.
Qui tous les matins aporte
Apetis de toute sorte ODES 169.
Et qui ne peut desnier
Ses fruitz à son jardinier.
Là florissent entassees
Mille bizarres pensees,
Qui de nuantes couleurs
Naissent de mesmes humeurs,
Là les incarnattes roses
Ouvrent leurs beautez descloses,
Là florissent les oeilletz
Cramoisis & vermeilletz,
Là prend acroiffance & vie
La violette, encholie,
Marjolenne, tims, persilz,
Les romarins, les soucilz,
L’aspic et les violettes,
Et les pommes d’amourettes,
Et l'herbe qui au soleil
Tourne & retourne son oeil.
Mais tu n’as rien de sauvage,
Petit jardin mon ouvrage,
Tu as de toute façon
De salades, le creson,
Serfeuil, laithuez pommees,
Pimprenelles, sicourees.
Il n’y a, comme je croy.
Plaisir qui ne soit en toy,
Petit jardin qui arroses
Tes groseliers & les rozes
De ce petit ruisselet
Murmurant, argentelet,
De ceste unde cristaline
Qui trotte, fuit & chemine
Et s’eschappe entre les fleurs,
Et aroze les couleurs 170 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Des allées droites, unies,
De telles perles garnies,
Comme des astres le ciel.
Voiez là la mouche à miel
Qui vivant à sa coutume.
Bourdonnant, pille & escume
La fleur, la feuille laissant,
Et puis essorere en repassant
Ses elles d’or sur la feille.
Là, di je, se paist l'abeille
De tim & boy la rosee.
Là, la vigne, l’espousee
De l'hormeau se fait courber
Et du soleil destourner
Vient la chaleur de sa branche :
L’hormeau soubz elle se panche,
Et s’accolant de leur bras
Font cent mille amoureux las.
Puis j’entens dans leurs umbrages
Les doux chans, les doux langages
De mille mignardz oiseaux,
Citoiens de ces rameaux.
Ces doux chans & ces umbrages,
Ces umbres & ces ramages
Au coing de mon jardinet
Font un petit cabinet.
C’est là dessoubz que je donne
Rendez vous à ma mignonne,
C’est là dessoubz que nos bras
Font d’autres amoureux las,
D’autres prises amoureuses,
Des unions plus heureuses
Que ne sont les rameaux pris
De vignes & leurs maris.

ODES 171.

Là nostre amoureux langage
Nous plaist plus que le ramage
De ces musiciens oiseaux
Qui sont là nos maquereaux.
Je cueille mieux que l'abeille
La fleur en laissant la feille,
Là d’un éternel baiser
Puisse ma bouche arroser
D’une plus douce rozee
Que la fleur n’est arrosee,
Là les ruisseaux de nos pleurs
Mouillent les vives couleurs
De la beauté qui fait honte
Aux fleurs & les fleurs surmonte.
Au paradis de son teint.
Comme en mon jardin est paint
Un beau printemps de fleurettes.
Les oeilletz, les violettes.
Les roses & les boutons
Fleurissent sur ses tetons :
Là, je cuille l'encholie
Qui martirise ma vie.
J’y prens, j’y metz mon soucy,
La pensée y est aussi.
L’herbe au soleil s’y espreuve,
Car tousjours mon oeil se treuve
Suivant ma dame & son oeil.
De mon humeur le soleil.
Douces fleurs espanouies,
Que mes amours & vos vies.
Vos beautés & mon amour
Ne soient fenez en un jour !

172 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

XXIV.

Petit livre, le mignon,

Le filz et le compagnon
De ton maistre, petit livre
Qui dedans toy fais revivre
De ton maistre les amis.
Souffre que mon nom soit mis
En ce coin pour tesmoignage
Que mon cueur y est en gage.
Si ton maiftre avoit soucy
D'or et de perles aussi,
Ce que le nocher mandie

Des costez chaux de l’Indie

Eust esclaté promptement :
J’eusse mis un diamant
Pour parer ta couverture.
Ton maistre, de sa nature,
Ayme mieux les vers, aussi
J’ay escrit tes vers icy,
Et par ces vers je engage
Plus d’amour que de langage.

Escris tu quelle arrogance

À ce Moecenne des ars,
Circuy de toutes pars
Des soleilz de nostre France ?
Pence comme il sera beau
Apres la voix doux coulante
Du cigne qui sa mort chante
Oyr l'enroué corbeau.

Ceux qui ont tousjours leur table

Plaine de vivre plaisans, ODES 173.
Qui ont de tourtes, de faisans
Et d’embroisie aimable.
Commant trouveroient ilz bon
Les viandes du village.
Les fruits aigres, le laitage,
Le bouquet sur le janbon ?

Pourquoy non ? tout ainsi comme

Les perdus faschent noz Roys
Qui vont aux chams quelquefois
Manger les choux du bonhomme.
Tu seras doncq’ aisement
Pa là, ma muse, estimee
Et au moins seras aimee
Par le simple changement.


XXV.

POUR UNE MOUCHE SUR LE FRONT DE [DIANE].

Tout ce qui naist des elemens,

Tous animaux sont esportez
À faire croistre mes tourmens,
Comme ils accroissent vos beautez ?
Voiés vous ceste mouche noire
Qui croist, en aprochant tousjours
Son ebenne de vostre yvoire,
Et vos beautez & mes amours.

Si tost que vostre blanche main

La dechasse de vostre front,
Elle s’enleve & puis se sont
Tout aussi tost sur vostre sein,
C’est vostre indissible puissance
Qui la rend sensible & la point.

174 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.

Donnant l’ame & la congnoissance
Mesme aux choses qui n’en ont point.

Ainsi vos beaux tretz s’acroissans

Vous feront suivre puis aprés
Aux mons, aux rocz & aux forestz.
Aux flotz & aux vens fremissans.
Mais voiez vous encor la mouche
Qui m’enbrasant pour son plaisir,
S’est reposé sur vostre bouche.
Donnant jalouzie & dezir.

Ha ! ma Diane, je me plains

De ce que trop vous supportez :
Où sont ces affligeantes mains
Qui punissent mes privautez ?
Pourquoy ne bruslez-vous son aesle,
Si ce n’est que vous aimez mieux
Ce feu là pour moy que pour elle,
Ce feu bruslant de voz beaux yeux ?

Je croy' que voiant arriver

Le froid qui lui donne la mort,
Elle pense bastir un fort
Sur vostre sein pour son yver :
Pour Dieu, chasssez-la, ma mignonne.
Pour Dieu, mignonne, chaffez-la,
Ou je meurs si on ne me donne
Autant de crédit que cela.

Ou bien sans vous y amuser,

II me semble qu’il sera mieux.
Si vous fermiez un peu les yeux,
Que je la chasse d un baizer.
Je sers bien plus à vostre gloire
Que la mouche à vostre grandeur,
Car je vous fais avoir vicìoire
Du temps, elle d’une couleur.

ODES.

XXVI.

Ainsi puissent tous les jours

Vos beaux & nouveaux amours,
De fleurs nouvelles & belles,
Flammes belles & nouvelles,
Douces & aigres douleurs,
De riz, de jeuz & de pleurs,
Mille peurs, mill' algarades,
De mille claires oeillades,
Et mille mignardz propos,
Mignarder vostre repos !
Fonlebon, je porte envie
Au doux soucy de ta vie :
Anne, je tenvye aussy
Ton doux amoureux soucy.
Les plaisirs de vostre braise
Et les flammes de vostre aise,
Vos impatiens desirs,
L’atente de vos plaisirs
Font que d’un pareil martire
L’un & l’autre cueur soupire.
Hastez donc, hastez vos jours
O mignardez les amours,
Qu’en trop long printemps l'attente
De l'aymant & de l'aymante
Ne fleurissent les desirs
Sans tirer fruit des plaisirs.
Fonlebon, Anne ma mye
T’est plus chere que ta vie,
Que ton cueur & ton amour,
Que tes yeux et que ton jour.

176 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

Fonlebon, sois luy fidelle,
Tu n’es pas trompé en elle :
Anne t’ayme cent fois mieux
Que ton cueur, ne que tes yeux.
Ainsi, de flammes nouvelles,
De fleurs nouvelles & belles.
Vos beaux & nouveaux amours
Puisent croistre tous les jours !
XXVII.

J'ay le sang escumeux attaint

D’un mal qui pourtant n’est pas feint
Et s’il vient d’une cause feinte.
Ma jalousie en croist tousjours,
Et alume une flamme sainte
De vos feintes saintes amours.

J'ayme sans beaucoup de soucy,

Je viens furieux et transy :
L’amour libre et la jalousie
Qui flatte, qui brusle les cueurs
Et de Pandore et de Thelie
Me presse d’aise & de rigueurs.

Pandolphe en bruslant enflamme,

Et sans martire bien aime.
La beauté que tu sers t’adore,
Et tu peus à ton gré choisir
En ta Thelie, en ta Pandore
Le libre & le geenné plaisir.

Douces geennes & libertez

De deux cueurs efpris enchantez,
Tu as, o douce et fiere envie,
Fierement, doucement espris ODES 177.
Et de Pandore & de Thelie
Les beaux cors et les beaux espritz.

Vostre Pandolphe est par vous fait

Accomply, divin & parfaict,
Et en le voulant tel congnoistre,
Vos jugemens, vos passions
Aussi accomply le font estre
En heur, comme en perfections.

Pandolphe, je brusle envieux

De la louange, & de mes yeux
Flamboie la rage & l'envie.
Mais la louange n’est plus rien,
L’amour de Pandore & Thelye
Sont le seul & souverain bien.

Pandolphe parfait & heureux,

Vertueux, aimé beaucoup mieux
Que toutes les vertus ensemble
Ne vallent, tu en es doué,
Mais ton heur d’estre aimé me semble
Plus que celuy d’estre loué.

Mon esprit sent un dur combat,

Mon cueur contre luy se debat,
Voici une dispute estrange,
Car l'esprit est ambitieux :
Que pourroit-il souhaitter mieux
Sur le parfait de la louange ?

L’amour de la louange esprit

Si furieusement l'esprit,
Que son amour est plus parfaite ;
Or pour apaiser leur douleur
Il est force que je souhaitte
Le merite aussi bien que l'heur.

Encor' ne sai' je que choisir

De ce beau furieux desir, 178 LE PRINTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE,
De ceste douce jalousie.
De la feinte & sainte fureur
Qui bruslant devora Thalye,
Ne vient que de force de cueur :

Ou si en estant bien aymé,

Enflammant sans estre enflammé
D’une rage qui me devore,
Asservissant, non asservy,
II vault bien mieux aymer Pandore,
La ravir sans estre ravy.

La prison a tant de beauté

Et si douce est la liberté,
Je suis si friant de martire
Et j’ayme tant le franc plaisir
Je ne puis que je ne desire
Posseder le tout fans choisir.

Ainsi, Dames, vous avez fait

En l’amour souhait si parfait,
Que l'immortel qui voudroit dire
Et poindre un immortel desir
Ne peult plus que quant je defire
Estre Pandolphe, puis mourir.
XXVIII.


Non, je n’ayme pas le pesant,

Mais bien le leger, le luisant :
Je me sens assez de courage
Pour voulloir & pour voller mieux,
Et mon esprit qui est volage
Volle tousjours vers les Cieux (sic).

Je desdagne ce gros fardeau

De la terre pesante et d’eau ODES 179.
Et encor’ ce qui sent la terre :
Je volle hault, j’ay en mespris
Ceste masse qui fait la guerre
Aux beaux & volages efpritz.

Quant le chaos fut demeslé,

Tout le pesant fut devalé
Au centre, les serpens, la peste,
Les enfers, le vice, les maux :
Le doux, le subtil fut celeste
Et volla dans les lieux plus haux.

Le Ciel, pais de nos espritz,

Les aiant à voller apris
Au lieu où ilz ont prins naissance,
Les fait vivre icy estrangers :
Comme legere est leur substance
Ilz sont volages & legers.

Les efpritz qui ont moins du cors

Et moins du pesant sont plus fortz :
Le cors qui est le plus terrestre
Et plus pesant n’est plus maison
Propre à Pesprit & ne peult estre
Rien que sa fascheuse prison.

Toute vertu est née aux Cieux ;

Tout cela qui est vicieux
Recongnoist la terre pour mere,
Checun son pareil elisant :
Toute vertu est donc legere,
Tout vice constant & pesant.

Confiderez encor’ un peu

Que nos ames ne sont que feu
Qui est plus leger que les flammes,
Les flammes ne peuvent aller
Au Ciel, au vray pais des ames,
Que laissant le cors pour voller.

180 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

Vous voiez les cors animez

De braves espritz consommez,
Et ceux qui ont moins de substance,
De chair & de pois envieux
Ont des espritz de telle essance
Qu’ils fouillent le secret des Cieux.

La constance est absurdité,

La céleste légèreté
Change la saison morne & blesme :
Je preuve cela par les fleurs.
Par moy, peult estre par vous mesme,
Qui n’avons en terre que pleurs.

Bien qu’au contraire m’estimant

Immobile, endurcy amant,
Comme huit ans le pourroit dire,
Vous avez bien voulu choisir
Ce paradoxe pour en rire,
Je le deffendz pour mon plaisir.
XXIX.

Celuy là qui a congneue

Ta grâce & ta beauté neue
Est forcé de desirer,
Qu’ainsi comme elle est prisee,
Elle fust aussi aisee
A ensuivre qu’admirer.

Ta gloire s’est emplumee

Des pannes de renommée
Pour efcumer l’univers,
Dorant le plis de ses aelles
Et ses beautez non pareilles
Et sa gorge de mes vers.

ODES 181.

Tu n’as besoin que je loue,

Tu n’as besoin que je voue
A toy mes vers, mes esprits
Car ta vertu n’est pas telle
Qu’elle ne soit immortelle
Sans l'aide de mes escritz.

Je te loue & yeux eslire

Ce fubject pour en bien dire,
Mais non selon l'argument,
Et je n’en crains repentance,
Sinon que par l'ignorance
Je parle trop froidement.

Ne trouve pourtant estrange,

Si tu voiois que la louange
Que je t'ay voulu voüer
Ne monstre que le courage
D’un esprit assez volage
Est leger pour te louer.

Que me sert, cruellement belle,

Que me sert, doucement cruelle.
Ton euil doux en ses cruautez,
Le fiel foubz le miel de ta grace,
Si tu descoches de ta face
Aultant de mortz que de beautez!.

Ta main doucement me repoulce,

Et ta parolle encores plus douce
Glace mon cueur en l'enflammant :
Tu me refuses sans cholere,
Et en riant de ma priere
Tu me fais mourir doucement.

Mais fiere quant tu me repousse,

Ta vois & si rude & si douce
De ton courroux monstre l'effort,
Ainsi qu’un juge impitoiable 182 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ,
Qui apelle un pauvre coupable

« Mon filz » en le jugeant à mort.

Ton ris, ainsi qu’une eau riante
M’embrase d’une soif ardente
Où rien que mon espoir ne boit,
Et alors tu me trompes comme
On fait un enfant d’une pomme
En ne lui laissant que le doit.

Ainsi la mer nous espouvente

D’une impitoiable tourmente
Qu’elle cachoit dessoubz un ris.
Tu fais mentir mon esperance
Comme l’arbre qui trop s’advance
Et fleurist sans porter les fruitz.

Ne gaste, en riant inhumaine,

Les fruitz demy meurs de ma peine
Et l'espoir de mon amitié,
Ne me fois plus si gratieufe,
Mais d’une face rigoreufe
Fay’ moi congnoiflre ta pitié.

Ne me ris plus pour me destruire,

Mais me fais heureux sans me rire,
Car, ma Déesse, j’ayme mieux
Voiant fy" sentant le contraire,
Recevoir un ouy en collere
Qu’un nenny d’un oeil gratieux.
XXX.

Je vous ai dit que les chaleurs

Du Ciel sont celles de ma vie,
Et que de l'ame de mes pleurs
Naissent les causes de la pluie, ODES 183.
De mes feuz, commettes mouvans,
De mes humeurs sont les nuages,
De mes soupirs viennent les rages
Des esclairs, des fouldres, des vans :

Il pleut comme vous pouvez voir,

Des excremens de ma tristesse.
Ce n’est pour couvrir mon devoir,
Ne pour m’excuser de promesse,
Qu’il m’est force de demourer
Privé du bien de vostre veuë
Tant que j’aye crevé la nuë
Et que je sois las de pleurer.

En pleurant il me semble mieux

De m’excuser & vous escrire :
Je ne veux vous monstrer les yeux
Que rians pour vous faire rire,
Mes pleurs me deplaisent dequoy
Ilz nuisent à vostre mesnage,
Mes larmes vous portent dommage
Et vous nuisent assez sans moy.
XXXI.

La douce, agreable Cybelle

Du doux Avril se faisoit belle.
Esmaillant de mille couleurs
Et embaumant de mille fleurs
Et de mille beautez descloses
D’oielletz cramoisis & de roses
Un verger d’amour en son sein,
Et pilloit de sa blanche main
Sur l’Esté, sur Ceres l'heureuse,
L’espic, la glenne planteureuse, 184 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Rehaussant son beau sein paré
De l’or & du jaune doré,
Coulleur de Cibelle amiable,
Coulleur à Phebus agreable :
Et puis quant l'automne est venu,
Cuillant le riche revenu,
Les rentes que luy doit Pommone,
Encore elle pare l'autonne.
Le printemps a heu les desirs
Et l'autonne prend les plaisirs,
C’est lors qu’elle presse & agence
Aux cornes de son abondance
Un million de fruitz pressez
De sa blanche main agencez.
Et puis, quant l’yver plain de glace
Pence triumpher de sa face.
Massacrant l'honneur de la branche,
Elle prend une robe blanche
Plus belle que les prez floris,
De plus d’esclat que les espis,
Et lors en pais elle s’adonne
A gouster les fruitz de l'autonne,
Et deffoubz sa blanche beauté
Joist du chault labeur d’esté,
Et en pais sent la joissance
Du printemps & de l'esperance.
Toute blancheur, tout ornement
S’acompare à son vestement.
Son Saturne, plus froid que glace,
Fronçant le moisy de sa face,
Gratte d’ongles crochuz & longs
Les crasses de ses gros sillons.
Le vieillard ne peult faire chere
A la belle Opis, nostre mere, ODES 185.
Et elle d’un oeil desdaigneux
Tourne le dos au rechigneux,
Espanouifsant à la veuë
Du beau soleil sa beauté nue,
Luy fait voller mille soupirs
Dessus les aelles des Zephirs.
Cependant que Saturne assemble
La teste & les genoux ensemble
Et autour du feu se plaignant,
Regarde tout en rechignant,
Apollo à la barbe blonde
Visite la beauté du monde,
Donne à la terre ses beaux jours,
Croist ses beautez de ses amours,
Luy donne de mille estincelles
Ses feuz, ses chaleurs naturelles,
Prend la moitié de son ennuy.
II est son ame, elle de luy
Qui recongnoissant bien les choses,
Luy ouvre son beau sein de roses
Et en loier de ses chaleurs
Luy offre du baume & des fleurs.
Elle le retire & desguife,
Lorsqu’il se fait pasteur d’Amphrise,
Et pour le fouldre descoché
En son sein elle l'a caché.
Puis le soleil anime encore
Les perles que la nuit adore,
Offrant mille & vingt deux feuz
A la belle Ops & à ses yeux,
Nez à la servir, à luy plaire.
De là vient mainte nuit plus claire
Qui favorise leurs amours
Et qui incline par leurs cours l86 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.
Ses humeurs de leur influances
Et favorise leur semences
De leur vapeurs, de leur beauté.
D’Ops vient leur cause de clarté
Et recoivent l'humeur montee
Par la voie blanche laitee.
Apollo chante force vers
Sur gaillards subgectz & divers
Où il contoit ses mignardises.
Son espoir & ses entreprises,
Et fait sur son luth tous les jours
Babiller ses douces amours :
Et la terre produit la plante
Dont lors que sa victoire chante,
Pour ses armes & pour ses vers
Il se pare de rameaux vers ;
Le soleil quant le temps la tuë,
La fait revivre de sa veuë.
Toutes les Déités un jour
Prenoient plaisir à cest amour :
Les Dieux aiment les armonies
Et aiment les beautez ! unies.
Ilz virent en un tableau feint
Que Phebus le docte avoit peint
Saturne qui trembloit la fiebvre.
On luy fait bien des piedz de chevre,
Mais tout est permis au pinceau,
II mit les cornes au chapeau.
Tous les Dieux se prindrent à rire
Quant Saturne fut un Satire,
Luy disant :"tu as de ton filz
Cela qu’à ton père tu fis.
Le vieillard blapheme de rage,
Et resolu en cocuage ODES 187

_______________________________________________________________

Souffre que Cibelle se vange
De ce que ses enfans il mange.
PAUSE.
La douce et blanche Cibelle
Se pare de nege et faict belle
De perles de cristal, d’atours
Pour recommencer les amours
De l'œil et de l'ame du monde.
D’Apollon à la barbe blonde,
D’Apollon qui veut de nouveau
Marier son beau chef rousseau
A sa Cibelle delaissée
Par son Saturne reglacee.
Au lieu des glaçons rigoureux,
De mille rayons mille feux
Sont d’elle honorés et l'adorent,
La rechauffent et la redorent.
Dessus la perle l’or est beau,
Dessus la nege le flambeau,
L’or qui plus or au feu se treuve,
Le cueur qui au danger se preuve
Et se faict plus beau peu à peu.
La foy d’or et la foy de feu
Plaisent à la belle Cibelle,
Et pour ceste couleur si belle
Apollon luy a consacré
Son beau chef de jaune doré.
PAUSE.
Alors Cibelle va pleurant,
La terre lors se va mourant
Quand une epesse et noire nue
Luy oste du soleil la vuë,

188 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE. _______________________________________________________________

Et alors le triste soleil
Obscurcit le feu de son œil
Quand le deuil d’une epesse nue
Oste la terre de sa vue.
Le teint de Cibelle est plus beau
Aux rays du soleil son flambeau.
Apollon n’a sa face belle
Qu’en voiant sa chere Cibelle :
De tous deux les feux, les amours,
Font des deux les clairs & beaux jours.
Quand la riche et belle Cibelle
Montre sa face riche et belle.
Apollon clair est bienhureux
Qui de Cibelle est amoureux :
Cibelle belle est bienhureuse
Lorsque d’Apollon amoureuse,
Elle voit le feu, l’or et l'œil
De son cher, cler et beau soleil.
Jamais donq’ ne vienne l'autonne
Qui toutes les fleurs ébourgeonne
Et jamais ne puisse arriver
Le frilleux, le facheux yver,
Mais tousjours un printemps fleurisse
Qui tant de fleurs epanouisse ;
L’un et l’autre soit contenté
Des fleurs d’un éternel été.
Toutefois en yver encore
Le soleil Cibelle redore,
Apollon faict de sa clarté
D’autonne et d’yver un été.
Que jamais la nuict tenebreuse
De leur bien ne soit envieuse,
Mais tousjours le clair et beau jour
Soit amoureux de leur amour !
       ODES.                       189                                             

________________________________________________________________

Pourtant des rayons de sa face
Apollon perce yver et glace
Et pourtant ce soleil reluit
Au plus noir de la noire nuict.
Et la belle en la nuict plus brune
Voit dans le miroir de la lune
Le clair & le parfaict amour
De son soleil et de son jour.
Apollon en la lune bleme
Remire aussy sa face mesme
[En] la terrestre obscurité
De sa chere & douce beauté.
Jamais l’amour n’est éclipsée
De l’un’ et de l’autre pensée.
Calmez pour jamais leur ennuis,
Yvers froidz et vous noires nuictz,
Et à leur amour favorable
Ouvrez un printemps delectable :
Jouissent leur saintes amours
Des chauds estés et des beaux jours !
XXXII.

Premier que d’aborder les Cieux

Et d’acoster le front des Dieux,
L’Alcide purgé par la flamme
Quitta ça bas tout le mortel,
Et quant il n’eut plus rien de tel
Estonna les Cieux de son ame.

J’ay bruslé au feu de vos yeux

Ce que l’homme et le vicieux
Se réservoient en moy de reste.
Adoncje volle de mon cueur 190 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

____________________________________________________________

Porté d’une sainte fureur
Au plus hault de vostre celeste.

Mon esprit comme ensevely

S’emancipe et enorguilly
Contre le Ciel brise la creste,
Et repurgé de vos beaux yeux.
Vole aussi haut que les haultz Cieux
Et voit sous ses piedz la tempeste.
PAUSE.

Mais comme le fier qui son œil

Aux raions brillans du soleil
Demi nu dédaigneux affronte,
Le voit et si ne le voit pas.
Forcé de laisser choir en bas
Le front et le nez à sa honte :

Hardi, emerveillé je voy

L’infiny et ne say de quoy
Je suis docte et j’aprins encore,
Plain d’un zelle devotieux,
J’admire le secret des Dieux
Et sans comprendre je l'adore.

Quel esclat de divinité,

Quel raion doré de beauté !
L’esprit honoré de la face,
Comme la face des espritz,
Sont tous les poins qui m’ont surpris
De l'infiny de vostre grace.
PAUSE.

Pourtant à voz esclairs dorés

Tous mes sens planent essorez
D’une vollee autre qu’humaine :
Des aisles de vostre beauté ODES 191.
Le Ciel est de moy surmonté,
Comme vostre grace me meine :

Ma force s’esclave soubz vous

Et le service m’est si doux
Que mon heur je ne puis comprendre.
Vous m’epurez ainsi que l’or :
Ne souffrez que vostre tresor
Par trop de feu se mette en cendre !

De vous vient mon mal ou mon bien,

Ou je puis ou je ne puis rien,
Par vous ou j’enlève ou j’aterre
Ma vie aux haultz ou aux bas lieux,
Pour vous je volle dans les Cieux
Ou je traîne le ventre à terre.
XXXIII.

Aux rocqs venimeux, crevassez,

Où les tortillons amassez
De viperillons parricides
Grouillent en leurs fentes humides,
L’Envie loge &fait dedans
Craquer & seigner de ses dens
Mille couleuvres etripees,
Dedans l'eau de l’oubly trempees,
Et les crapaux jaunes & noirs,
Les rages & les desespoirs
La bourrellent & la substantent,
La nourrissent & la tourmentent.
Ces fruitz, ses bourreaux inhumains,
L’apaisent des peaux de ses mains
Qu’elle déchire, qu’elle tire
En s'affamant de son martire, 192 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Conservant jusqu’au fons des os
Sa moelle en son triste repos.
Le Soubçon, la Doute & la Crainte
En l’obscur la tiennent contrainte.
La vie & la vertu souvent
Luy deffendent l'air & le vent,
Et l’empeschent qu’elle ne sorte,
Mais la Mort luy ouvre la porte,
Renferme la Crainte au dedans
Et donne pour curee aux dens
Venimeuses & affamées
Des plus entieres renommees,
Des belles âmes, des bons cueurs.
Des beaux esprits & des valleurs
Dont la maigre Peste friande
Fait son poison & sa viande.
Aussi tost son cueur enragé
Crevé comme’ il en a mangé.
Son estommac qui n’a coutume
De dévorer que l'apostume,
Le froid venin & les fureurs,
Appelle poison les douceurs.
Quant, changeant ce qui l'a nourrie,
Elle oste la cause à sa vie,
Car la douceur luy est venin.
Du temps que le mortel divin
Immortel démon et terrestre
A peu par ses enfants paroistre.
Pour contre le vice tortu
Les équiper de sa vertu,
Tant qu’un mesdisant miserable
A veu le pere redoutable
Duquel l’esprit pareil au cueur
Estoit sur son siecle vaincueur : ODES 193
Alors les enfans de Jodelle
Couvers de l'umbre de son aelle
Ont pleu & résisté aux Grans.
Les doctes, confuz ignorans,
Ont hay, chery ceste race
Et a leur agréable audace
Les filz pour le pere cheris.
Le père parut par les filz
Lesquels en vie & sans envie
Reserroient la langue ennemie
Morce & remorce par ses dens
Aux rocqs crevassez & dedans
Grouilloient ces ames venimeuses,
Ces vieilles pestes rechigneuses
De qui les gros cueurs endurcis
Estoient les rochers obscurcis ;
Les serpens de l’Envie mesme
N’estoient rien que leur rage mesme.
Mais si tost que Jodelle est mort,
Voicy la canaille qui sort,
Et voicy la troupe ennemie
De mille langues de l’Envie
Qui fuians de l'obscurité,
Arrachent au lion dompté
Estendu mort dessus la terre
La barbe, & luy font telle guerre
Que les petits chiens au sanglier
Qui les faisoit fuir yer.
Ainsi je me plains, Charbonnières,
Que ceux qui adoroient nagueres
Le Pindare de noz François
S’arment de l’or de son harnois,
Et au lieu de fondre de larmes
Font un triumphe de ses armes.

194 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNÉ.

Je deviens plus maigre d’ennuy
Que la maigre Envie au jour dhuy
Qui au lieu des roches obscures
Abite les montagnes pures,
L’honneur de l'isle de Phocis,
Et rend ses espris obscurcis,
Tant que son cueur qui n’a coutume
De ne manger rien qu’apostume
Aiant devoré ses douceurs,
Les trouve poisons & fureurs,
N’aiant le logis qu’il demande,
Changeant en poison sa viande.
Le mal par le temps crèvera,
Et ceste race trouvera
Amis de la race & du père,
Apres toy, docte Cherbonniere,
Mille plumes & mille fers
Qui feroient rentrer aux Enfers
L’Envye & aux fentes humides,
Pour des vipereaux parricides
Manger les tortillons lassez
Aux rocqz venimeux, crevassez.
XXXIV.


Au feu des chastes amours
Qui n’ont fin qu’avec les jours,
Ma premiere ardeur s’alume
Et ma premiere coutume
De brusler heureusement
Au feu d’un heureux torment
S’esveille & s’est augmentee
A la fureur tormentee.

ODES 195

Tormentee heureusement
De Laval, heureux amant,
Qui lorsqu’il sent son courage
Brusler une chaste rage,
Son esprit chaste enflammé
Bien aimer ettre aimé,
Immole à son Ysabelle,
A sa dame chaste & belle.
Les fruitz de ses premiers jours,
De beaux & chastes amours.
Avecq’ luy me prend envye
De brusler l'ame & la vie
Au chaste feu amoureux,
Pour comme luy estre heureux.
Laval, tu es miserable
Si une rigeur t'acable,
Laval, je voy’ ton malheur
Si tu ploie à la rigueur :
Mais aussi, chaste Ysabelle,
Si tu veux estre cruelle,
Tu maudiras ta rigeur
Comme Laval son malheur :
Mais si l'amour vous assemble,
Vous estes heureux ensemble.
Laval, tu es bien heureux,
Si, chastement amoureux,
Tu brufles d’un chaste zelle
Ta belle & chaste Yzabelle,
Si voz communes rigueurs
Unissent aussi voz cueurs :
Ysabelle bien heureuse
Si comme chaste amoureuse,
D’un feu chaste & amoureux,
Tu sais Laval bien heureux, 196 LE PRIMTEMS DU SIEUR DAUBIGNÉ.
Si tu veux rendre les armes
A ses pitoiables larmes.
Bienheureux si vous aimés
Tous deux chastes enflammez,
Si que la Parque envieuse
Ne sera tant rigoreuse
Que de desunir vos cueurs
Bruslez de chastes rigeurs.
Vostre amour florisse telle
Que Zerbin & qu’Yzabelle,
Et pareilz de chasteté,
Et semblables en beauté :
Mais la fin ne soit semblable
A la couple misérable,
Misérable heureusement,
De l’un & de l’autre amant !
XXXV.

Qui vouldra voir comme l'injure

Qui vient diviser la nature
Par la nature se refait,
Comment le naturel parfait
Ne trouve rien de si extreme
Qu’il n’ait le remede en soy mesme.
Que sans luy on espere en vain
A l’artifice de la main :
D’autre costé comme nature
Sans’l'art ne sauroit faire cure,
Que de nature l'imparfait
Par l'art seulement se refait,
Et que l’art au danger extreme
Fait autant que nature mesme, ODES 197.
Que sans luy l'effait des humains
N’enfante que des songes vains,
Qu’[il] lize pour se satisfaire
Le paradoxe & son contraire
Voy’ appuier la nouveauté
D’une docte subtilité
Par les raisons & la science.
Par nature & l’experiance,
Et dire contre le nouveau
Le docte, le subtil, le beau :
Puis à l’un & l’autre contraire
Par tant de raisons satisfaire
Que la nature des humains
Et des ars ne demeurent vains,
Que l’art soit la nature extreme
Et la nature soit l’art mesme,
De l’un & l’autre l’imparfait
Par l’un & l’autre soit refait,
L’art soit suffisant à la cure
Et suffisante la nature.
XXXVI.

Mignonne, pourquoy donnes-tu

Á l'Amour la celeste grace
Et tous les beaux traictz de ta face
Dont cet enfant m’a combatu ?
Si tu me prestes ta faveur,
Le vaincu sera le vainqueur.

Des dars qui partent de tes yeux.

De leur belle flamme divine
II m’a transpercé la poitrine
Et bruslé le cueur amoureux : 198 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Mais si tu me preste faveur.
Le vaincu sera le vaincqueur.

II n’eust sceu ravir mon repos

Et le desrober par l'oreille,
S’il n’eust emprunté la merveille
Et le charme de tes propos :
Si tu me prestois ta faveur,
Le vaincu seroit le vaincqueur.

De quoy eust-il faict tant de neuds

A m’enchesner pour son esclave,
Si tu ne l'eusse rendu brave
Des tresses de tes longs cheveux ?
Et si n’eust eu ceste faveur,
Le vaincu seroit le vaincqueur.

Qu’eust pu faire cest inhumain,

Dequoy eust-il dressé sa gloire
Sans emprunter ta main d’yvoire,
L’yvoire de ta blanche main ?
Sy elle n’eust ravy mon cueur,
Le &c..........................

Tout le pis est que c’est à luy

Qu’il a sa victoire estoffee
Le galant bastit son troffee,
Des faictz & des forces d’autruy
Et ne croit que sans ta faveur
Le &c...........................

Reprans tes yeux & tes cheveux.

Tes propos & ta main d’yvoire
Et je combatray pour ta gloire.
Et si je surmonte, je veux
Monstrer que c’est par ta faveur
Que le &c.......................

ODES 199

XXXVII.

Où va cest enchesné avec ce brave port ?

On le treisne à la mort.

Comment est-ce qu’ainsi joyeux il s’y convie ?

II n’aymoit pas sa vie.

Quel juge si cruel haste son dernier jour ?

L’mpitoyable Amour.
De quel crime si grand peult-il estre blasmé ?
C’est d’avoir trop aymé.

De quel genre de mort veult-on punir ce vice ?

Le feu est son suplyce.

O juge trop cruel, o trop cruel tormant !

O myserable amant !

Mais de quoy sont les poins du prisonnier liez ?

De cheveux déliez.

D’où doit sortir le feu qui le tue & l’enflamme ?

Des beaux yeux de sa dame.

O amour pitoyable, o torment gratieux !

O amant bien heureux !
XXXVIII.
Veux tu que je sacrifie

A ton ombre mon corps, t’immolant tous les jours

Ma vye aprés ta vye ?
Ton corps qui est sans ame

N'est plus corps, mais un ombre, & l’esprit des amours

Est sa vye & sa flamme.


Donq’ aprés la mort tiene

Tu brisas l’union de mon ame & de moy,

Et ta fin est la miene,
L’ame avec moy ravie

Mieux qu’un corps oublieux veut maintenir sa foy :

Son amour est fa vye.
Mon ame divisée

D’un volontaire joug s’esclave soubs tes fers,

De son corps epouzee.

11 est fa moytié chere La veux-tu arracher aux amours des Enfers,

Et la rendre adultere ?
Veux-tu qu’aprés ta vye,

Aux Champs Elisiens elle aime autre que moy

Où elle est asservye,
Que la mort desunisse

Nos veux, nos cueurs, nos sens, ma promesse & ta foy,

Afin que tour périsse ?
Je ne suis point muable :

J’atacheray mon corps à suivre sa moitié

Et chercher son semblable.
Vien donq’ aux rives creuses,

Vien voler avec moy des aisles d’amitié

Aux ombres bienhureuses.


XXXIX.
L.C. — Bon jour, petit enfant. A. — Bonjour.
L. C — Qui es-tu mon mignon ? A. — Amour.
L. C. — Amour ! où est la connaissance
Et l’effort de mes tristes yeux ?

A. — Tu ne m’as pas connu, me voyant sans puissance,

Sans carquois et sans arc, sans fleches & sans feux.
L. C. — Mais qui t’enchesne icy ? A. — Le Sort.
L. C. — Que pleures-tu ainsy ? A. — La Mort.
L. C. — La Mort ! et je cherche mon ame
Par les horreurs des noirs tombeaux.

A. — Ton ame est là dedans qui soubs la froide lame

Bayse le corps qui vif luy donna tant de morts.
L.C. — Que trouveray-je là ? A.-Un corps.
L. C. — Qui ayme mon ame ? A.-Les morts !
L. C. — Les morts ! elle meurt insensee,
Tandis que sans elle je meurs.

A. — Va &fais qu’au retour l’amytié soit cassee

Qui de ses chesnons d’or m’enchesn’ à ses malheurs.
XL
VISION FUNEBRE DE SUSANE.
O spectre gratieux,

Nuict, favorable mere à mes tristes pensees,

Qui tire mes rideaux ? Un messager des Cieux :
Plus d’amours que de peurs en mon ame tracees
Ont reveillé mes yeux.

202 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.

Encor espouvanté
L’œil que tu as surpreins d’une si douce guere
Voyt les lignes & traits d’un visage gasté,
Et bien qu’il n’y paroist que les os & la fièvre
II y voit ta beauté.


Car de toy le plus beau
Est vif & ne pouvoit se perdre avecq’ la vie,
Ton bel œil en la mort est encor un flambeau :
Mon ame en te suyvant se plaist ensevelye
Dans le poudreux tombeau.
Ayes de moy pitié.
Doux esprit de doux corps, si l'amoureuse flame
Est vive aprés la mort en ta chere moytié :
Tu voy entre les os & les cendres mon ame
Animer l'amytié.
Vien ma bouche arouzer
Tout en feu ,de desirs, de soupirs asechee,
Bouche qui de baisers souloit apreivoizer
Mes amours voletanz, & leur donner bechee
Au moins d’un froid baiser.
En vain des mains je veux
Prendre ce vent leger, cest ombre & ce nuage :
Ame fuyarde, tourne encore ces beaux yeux,
Tourne à mes cris piteux l'oreille & le visage,
Pour entendre ces voeuz.
J’aracheray mon oeil
S’il voyt une beauté, mon coeur s’il la defire,
Je banys mon esprit s’il veut quitter le dueil,
Mon ame, si mon ame un seul soupir souspire
En baizant le cercueil.
A quoy cet euil qui luit
S’il ne m’aproche ? à quoy ces bras s’ils ne m’accolent ?
Helàs ! elle s’eslogne & s’enleve & s’en fuit,
Pareill' aux vens légers & aux songes qui volent
Au vague de la nuit !


XLI.


INVECTIVE D’IMPATIENCE D’AMOUR.
Astres paresseux, dormez vous ?
Hastez voz ambles, vieilles Heures,
Que je ne pique voz demeures
Des aiguillons de mon courroux.
Courez au secours de l'amant,
Tournez le sable ou au moins l’urne,
Bastardes du coqu Saturne
Qui vous fit yvre ou en dormant.
Vous volez la nuict & le jour
Quand la Mort par vous est servie.
Vous serviez à regret ma vie,
N’ayant point d’aelles pour l'Amour,
Rien n’est au brave combatant
Si fascheux q’une longue treve,
Il n’y eut jamais nuict si breve,
Jamais un jour ne dura tant !
Volans impatiens Amours,
Phebus vous apelle en justice,
Car il dit que c’est son office
D’abreger ou croistre les jours.
Mais qu’est ce qui peut retarder
Des Cieux la course mesuree ?
Cachez la beauté desiree,

Tout s’amuse à la regarder.
Au contraire que de ses yeux
Le Soleil puysse voir la belle :
Luy pensant coucher avec elle
S’ira coucher en amoureux.
Aussi fait-il tour à rebours
L'Equateur dedans le Tropique,
Je le sens au chaut qui me pique,
Aux courtes nuitz & aux longs jours.


XLII.

Dieu des armées, o combien à gré me sont
Tes sacrés pavillons, comme le ceur me fond,
Tout mon sens me tressault quand tu me fais venir
De ton temple le souvenir.
Dieu qui des osillons la demeur’ as trouvé,
L’hirondelle à l'abrit ses petiz a couvé.
Ou fais tu de ce temps, Roy de l'eternité,
Les autelz de la sainteté.
O qu’eureux àjamays est & sera celuy
Qui en Dieu seulement cherche le fort apuy,
Pour en luy cheminant passer avanturé
Des meuriers le val altéré.
D’un trés riche labeur les puis y cavera
Q’un dous ciel pluvieu sur le coup emplira
Pour marcher résolus d’ardeur & paffion
Content arriver en Sion.
Des Cieux, ton siege haut, escoute nous & fays
Ton serf portier heureux en ton heureux palays :
Mieulx vault la seule clef des cabinetz de Dieu
Qu’un hoftel riche en autre lieu.
Car Dieu, nostre secours est l'appui singulier

Des siens, c’est luy qui est un soleil, un bouclier !
C’est lui seul qui unit par son éternité
Les splendeurs à la seureté.
Ouy, nostre Empereur est fort bouclier, haut soleil,
Soit pour l’humble defendre, ou resveiller son œil,
Gloire & grace donner : bref trés heureux, je crois,
Quiconque est appuyé de toi !




Lecteur, pour m'excuser qu’est ce
Que je pourrois dire ? — Rien.
Si j’allègue ma jeunesse,
Tu diras : je le vois bien !