Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Consolation à Mlle de Saint-Germain

CONSOLATION
A MADEMOISELLE DE SAINT-GERMAIN
POUR LA MORT DE MADAME DE SAINT-ANGEL


Ces esclairs obscurcis d’un nuage de larmes
Qui coule de tes yeux,
Ces pleurs versez en vain qui cachent tant de flammes
Qui couvent tant de feux :

Ces feux, ces deux soleils nous desrobent leur face
Pour voiler tes ennuis,
Et au lieu du beau jour, le Ciel en sa disgrace
Nous donne mille nuis.

Ce serain obscurci sa clarté nous refuse,
Cest’ aer si gracieux

Qui meslé de nos sons, de nos chansons amuse
L’oreille des Dieux.

Ta perte, ta pitié pour quelque temps excuse
Ta douleur & tes pleurs,
Mais craignons que quelcun se vengeant ne t’accuse
De feindre ces douleurs.

Ils diront : Et à quoy servent ces vaines plaintes
Qu’enfin il faut finir ?
Belle, cessant tes pleurs, de ces cendres esteintes
Esteins le souvenir.

Ainsi rends de tes yeux la clarté desiree,
Descouvre tes beaux feux,
Et de ce doux serain la faveur esperee
Fais sentir à nos yeux,

Heureux de voyr encor aprés un long orage
Ce soleil desiré,
Plus heureux de trouver aprez un long naufrage
Un rivage asseuré !

Tu te plains, mais ce cœur que ta passion meine
Ne reçoit changement :
Changeons donc cett’ humeur qui pour sembler humaine
Pleure inhumainement.

Car c’est pleurer ainsi, puisque l’amour extreme
Que tu sens de plus fort
Te faict plaindre le bien d’une joye supreme
Acquise par sa mort :

Ou tu es trop humain, amour qui veux qu’on cede
A ce qu’on ne doibt pas,

Et qui force tes sens de chercher un remede
Où il n’y en a pas.

Ces larmes & ces cris ne la font point revivre
Estant morte icy bas,
Ny par eux tu ne puis rendre ton cœur delivre
De si cruels debats.

Tu les nommes cruels, renouvelant la playe
Sans la pouvoir guerir,
Te laissant à tousjours le seul plaisir pour paye
De desirer perir ;

Et perir tu ne puis, car ta peine plus forte
Est changee en plaisir :
Ton plaisir est pleurer & ton ame mi-morte
N’a que ce seul desir.

Tu dis que nul ne pense amoindrissant l’offence
Amoindrir mon malheur,
Car finissant tes cris, de plaindre son absence
Je n’aurois le bonheur :

Plainte qui chasque fois à tes yeux la renvoye
Esblouis de leur deuil,
Plainte qui te fait voyr ton aimee & ta joye
Enfermee au cerceuil.

Mais son ame est au ciel qui n’estant point humaine
Triumphe pour tousjours,
Triumphante au bonheur d’une vie certaine
D’avoyr parfaict son cours.

Donq’ que ton corps descende en la mort ténébreuse
Pour y voyr sa moitié,

Monte ton ame au Ciel plus bell’ & plus heureuse
Parfaire l’amitié.

Ainsi, Belle, reçois ta vie avec sa vie,
Ta mort avec sa mort,
Et non plus en vivant soubz la mortell’ envie
Ne plains son heureux sort.

Ne prefere le bien d’une vie mortelle
A l’eternel séjour,
Ne mesprise le bien d’une vie eternelle
Pour ne l’avoyr qu’un jour.

Elle vivoit là bas en une terre estrange
Soubz le sort envieux,
Elle changea son nom & son ame en St. Ange,
Changeant la terre aux Cieux.

Fuyez, tiedes souspirs, & reprenez ces flammes
Qui decoroient ses yeux ;
Vos deux corps sont ça bas, & vos plus belles ames
Sont au Ciel glorieux.