Calmann Lévy, éditeur (p. 155-294).


ADRIEN MALARET


I

— Ah ! c’est vraiment un garçon de mérite que ce petit Malaret, dit le président Mouilleron, en aspirant une prise de tabac.

— Est-ce d’un de mes administrés que vous parlez ? demanda le nouveau sous-préfet.

— Précisément un jeune homme qui fait honneur à l’arrondissement, répondit M. Grivet ; quant à moi…, si jamais l’occasion se présente de lui donner un coup de main…, quoique, après tout, ce soit un élève des jésuites… Enfin, il veut aller à Paris pour faire l’essai de ses inventions, et je lui donnerai trois mille francs, voilà !

Ce que disant d’un ton magistral et décidé, le banquier libéral posa ses cartes sur la table de jeu, et regarda le sous-préfet en face, d’un air qui voulait dire :

« Moi aussi, je suis une puissance à Château-Thierry. Moi, j’ai la puissance de l’argent, et, si je veux protéger le petit Malaret, je le protégerai, avec ou sans votre permission, monsieur le sous-préfet !

— Mais enfin apprenez-nous, je vous prie, monsieur le président, ce que c’est que cette merveille, s’écria madame la sous-préfète, — une petite femme coquette, mignonne et gentille, qui s’essayait à la diplomatie administrative sur le théâtre de Château-Thierry, en attendant une plus vaste scène.

— Madame, c’est un mathématicien fort distingué, quoiqu’il se soit presque élevé lui-même, et qu’il n’ait point été étudier à Paris. Voilà encore deux de ses élèves reçus à l’École polytechnique, et, certes, l’institution de l’abbé Bourdeillot n’était pas accoutumée à de pareils triomphes.

— Et vous dites que ce jeune homme s’est formé lui-même, presque sans le secours, d’aucun maître ? — Mais c’est prodigieux, cela ! car le programme de l’École polytechnique est devenu d’une difficulté vraiment effrayante… Je serais bien aise de le connaître ; il faut me le faire présenter, monsieur le président.

M. de Bravard le connaît et le reçoit quelquefois, avec l’abbé Bourdeillot, dit M. Mouilleron.

— Monsieur de Bravard, amenez donc mercredi Malaret au bal que madame de Nantia donne à l’occasion des fêtes de Juillet, puisque, en bon représentant du gouvernement, M. de Nantia veut connaître le savant de l’arrondissement.

Le personnage interpellé, qui faisait la partie du maire à une table voisine, se retourna.

— Oui, dit-il, Malaret est le répétiteur de mon fils ; il lui fait faire beaucoup de progrès… L’autre jour, j’ai surpris René qui lisait, dans le Dictionnaire de Montferrier, l’article des équations du troisième degré. Mais il ne va point dans le monde. Cependant, si monsieur le sous-préfet désire le voir…

— Quelle est sa famille, à ce jeune homme ?…

— Sa famille ?… hum ! reprit M. de Bravard, qui était le président de la Société philotechnique de Château-Thierry, et qui s’était institué le représentant et le champion de la noblesse du pays, on ne savait trop pourquoi ; — sa famille ?… — Sa mère est une Parengault, une cousine germaine de feu M. Parengault, le juge d’instruction.

— Eh ! mais elle est bien aussi un peu votre parente, monsieur le maire, par les Chauteaumet ?

— Oui, oui, elle est ma petite-cousine.

— Enfin, sa mère est de bonne famille bourgeoise ; mais son père a fait banqueroute autrefois. — C’était un Parisien ; il est mort, du reste.

— La pauvre madame Malaret est restée veuve à trente ans avec un enfant de dix ans sur les bras, reprit le président ; sa famille lui fait une rente viagère de six cents francs, juste de quoi ne pas mourir de faim. — C’est une femme bien estimable ! Elle brodait pour toutes les dames de la ville. Une vieille tante de madame Malaret a payé la pension de son fils chez l’abbé Bourdeillot. L’enfant était intelligent, il a profité des leçons de son maître. En fait de sciences exactes, il en sut bientôt plus que lui. Quand ses classes furent terminées, il resta dans la maison comme professeur. Il donne aussi en ville des répétitions aux élèves du collège. — Vraiment, avec lui, nos enfants font des prodiges ! Aussi, se le dispute-t-on. Voyez-vous combien il est agréable d’avoir ici un homme capable de mettre nos fils en état d’entrer directement à l’École polytechnique ? Je ne conçois pas comment vous voulez l’envoyer à Paris, monsieur Grivet !

— Voilà bien l’égoïsme de la petite ville dans toute sa naïveté, mon cher président ! — Comment ! ce jeune homme, qui ne cesse d’étudier depuis quinze ans, qui a fait, à ce qu’il paraît, des découvertes admirables dans la mécanique et la chimie, vous voulez le conserver sous cloche dans le grenier de la veuve Malaret ! vous voulez priver la France de son génie, et lui de la gloire qui lui est due, tout cela parce qu’il donne des leçons de mathématiques à votre neveu ! Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/177 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/178 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/179 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/180 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/181 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/182 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/183 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/184 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/185 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/186 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/187 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/188 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/189 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/190 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/191 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/192 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/193 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/194 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/195 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/196 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/197 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/198 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/199 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/200 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/201 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/202 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/203 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/204 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/205 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/206 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/207 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/208 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/209 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/210 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/211 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/212 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/213 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/214 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/215 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/216 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/217 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/218 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/219 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/220 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/221 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/222 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/223 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/224 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/225 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/226 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/227 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/228 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/229 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/230 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/231 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/232 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/233 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/234 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/235 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/236 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/237 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/238 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/239 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/240 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/241 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/242 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/243 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/244 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/245 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/246 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/247 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/248 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/249 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/250 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/251 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/252 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/253 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/254 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/255 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/256 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/257 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/258 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/259 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/260 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/261 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/262 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/263 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/264 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/265 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/266 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/267 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/268 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/269 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/270 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/271 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/272 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/273 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/274 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/275 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/276 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/277 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/278 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/279 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/280 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/281 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/282 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/283 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/284 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/285 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/286 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/287 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/288 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/289 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/290 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/291 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/292 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/293 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/294 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/295 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/296 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/297 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/298 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/299 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/300 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/301 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/302 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/303 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/304 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/305 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/306 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/307 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/308 Page:Cadiot - Une femme romanesque Adrien Malaret L Exemple.pdf/309

Adrien n’attendit pas la fin de la phrase :

— Est-ce possible ! s’écria-t-il.

Et il quitta sa mère comme un fou et s’élança sur son cheval encore bridé et sellé. Une demi-heure après, il était à Blangy aux genoux de Thérèse et dans les bras du général.

Il ne les quitta que le soir, à la nuit tombante. Tant qu’il fut en vue des fenêtres, il ne cessa point de se retourner en agitant son mouchoir. La grille franchie et l’obscurité venue, il mit son cheval au pas et s’abandonna à cette ivresse délicieuse qui s’empare du cœur, après que les transports de la joie sont passés. Il lui semblait voyager dans le pays des fées et aspirer le bonheur par tous les pores. La splendeur d’une belle nuit, la douceur printanière de la brise qui agitait les branches, le mouvement régulier du cheval, tout aidait à cette voluptueuse extase. Tout à coup, ce mouvement cessa, comme si l’animal s’arrêtait pour une halte accoutumée. Adrien regarda autour de lui et aperçut la tourbière à quelques pas.

— Voilà pourtant où j’ai failli mourir athée ! pensa-t-il.

Les larmes emplirent ses yeux, il descendit de cheval, s’agenouilla.

Lorsque, en arrivant aux Mureaux, il raconta tout à mademoiselle Parengault, la vieille fille se dressa plus vigoureusement que jamais sur son séant pour s’écrier :

— Es-tu fou ? — tu veux te marier ? Mais, mon cher Adrien, je ne puis supporter chose pareille ! te marier !… mais c’est m’abandonner… me laisser mourir ! Car, si tu te maries, c’est pour aller avec ta femme… pour quitter le pays sans doute !… Et moi, que deviendrai-je ?… Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !… Je n’y consentirai jamais… n’y compte pas au moins !

— Ma tante, je me marierai, mais je vous quitterai le moins possible, dit Adrien d’une voix si ferme que les paroles expirèrent sur les lèvres de la vieille fille.

Elle leva les yeux vers Adrien, qui était debout, et lut sur son visage une résolution inébranlable. Alors elle se troubla, et comprit que le moment était venu pour elle de céder, parce qu’Adrien ne céderait plus. Elle reprit en balbutiant :

— Après cela, mon enfant, si tu y tiens absolument, il faudra bien que je consente… je ne veux pas te rendre malheureux, moi… J’ai toujours été bonne pour toi, rends-moi cette justice… Ton mariage me fait de la peine ; mais enfin… bah !… si tu ne t’en vas pas… Allons, allons, quitte cette figure… Je m’accoutumerai à ta femme !

Le mariage se fit un mois après.

Thérèse consentit, de bien bon cœur, à passer toute l’année à la campagne pour ne pas affliger mademoiselle Ursule.

Elle y serait encore sans doute, si une attaque d’apoplexie n’avait pas enlevé la vieille fille, qui entrait gaillardement dans sa quatre-vingt-septième année.

Pendant les derniers mois qu’il a passés chez sa tante, Adrien, encouragé par sa femme et par le général, a travaillé avec succès à ses études sur l’application de la pesanteur comme force motrice.

À propos de sa belle découverte, le général lui disait un jour :

— À présent, mon cher ami, étudiez, inventez, faites construire des modèles. Vous êtes riche, ne devenez pas inutile. — Mais, pour Dieu ! ne prenez pas de brevets, n’exploitez pas vos inventions. Faites-vous gratis le bienfaiteur de l’humanité, en les jetant dans le domaine public. — Cela vous vaudra, au siècle prochain, l’estime de ceux qui sauront votre nom, et peut-être une récompense en paradis… — Et, d’ailleurs, en attendant, n’est-ce pas une joie que de jeter sa création dans le monde intellectuel ?