Adresse aux amis de l’humanité

Adresse aux amis de l’humanité
par la Société des amis des Noirs, sur le plan de ses travaux. Lue au Comité, le 4 juin 1790
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ADRESSE
AUX AMIS DE L’HUMANITÉ ;

PAR LA SOCIÉTÉ
DES AMIS DES NOIRS,
SUR LE PLAN DE SES TRAVAUX.
Lue au Comité, le 4 juin 1790, et imprimée par son ordre.


La société des amis des noirs a annoncé, dans sa seconde adresse à l’assemblée nationale, le serment que tous ses membres avoient fait, de ne point interrompre leurs travaux, que la traite des noirs ne fût abolie et l’esclavage adouci.

Pour remplir cet objet sacré, la société croit devoir adopter un plan de travail, propre à répandre dans le public des lumières si vives sur cette matière, que personne ne puisse résister à la conviction. On ne connoît point assez généralement et les faits, et les raisonnemens, et les calculs. On se laisse séduire, entraîner par une vieille routine et par les sophismes d’un intérêt mal entendu. Il faut attaquer régulièrement et cette routine, et cet intérêt ; il faut détruire toutes les objections, et ne laisser aucun doute.

On a dû remarquer que la plupart des objections faites par les armateurs et les planteurs tomboient sus l’état de l’Afrique, sur le physique et le moral des nègres, sur le sort dont ils jouissoient dans les colonies, sur les conséquences fâcheuses qui résulteroient, pour leur commerce, de l’abolition de la traite, sur l’impossibilité d’amener graduellement l’abolition de l’esclavage.

Pour embrasser cet amas d’objections, de manière qu’aucune ne puisse échapper, la société divise ses recherches et ses travaux en six branches ;

1o. Tableau de l’Afrique ;

2o. Tableau de la traite des noirs ;

3o. État des noirs esclaves dans les îles ;

4o. État des colonies, et conséquences pour leur commerce de l’abolition de la traite ;

5o. De l’état des esclaves chez les anciens et parmi les nations européennes actuelles ;

6o. Méthode pour amener graduellement et avec fruit l’abolition de l’esclavage.

Cinq membres de la société ont entrepris cette tâche immense. Chacun se dévoue à en exploiter une branche, d’après un plan commun de travail.

Sur chacune, on consulte tous les voyageurs, tous les auteurs, toutes les dépositions faites et au conseil privé, et au parlement d’Angleterre.

Lorsque toutes les recherches seront finies, lorsque chaque partie sera épuisée, alors le soin de la rédaction de tous les matériaux sera confié à un seul membre, afin qu’il puisse y mettre cet ensemble, cette unité si nécessaires dans un ouvrage où tout doit être enchaîné, pour opérer la conviction.

Il en résultera un tableau général de faits, de raisonnemens, de calculs, qui, n’étant pas trop volumineux, et qui cependant offrant ce qu’il y a de plus essentiel, instruira le public et pourra servir de base aux décisions futures, soit de l’assemblée nationale, si elle peut entamer la discussion de cette matière, soit à la législation qui lui succédera.

On ne peut fixer le temps où cet ouvrage pourra paroître. Comme la société désire avec le plus vif empressement de répandre la lumière par-tout et d’accélérer la décision qu’exige l’humanité, on doit bien penser que ses membres ne perdront pas un moment pour remplir son vœu.

Indépendamment de ce grand travail, la société se propose de publier incessamment :

1o. Le discours que devoit prononcer M. Mirabeau l’ainé à la séance du 8 mars, et dont il a bien voulu lui faire présent.

2o. Le compte de tous les travaux de la société, depuis son origine jusqu’à ces derniers temps.

3o. Le recueil de toutes les lettres, mémoires et pièces particulières qui, depuis cette époque, ont paru dans les journaux, et qui méritent d’être recueillis.

4o. La description d’un vaisseau négrier, avec une explication en françois.

5o. Série de questions sur la traite et l’esclavage, proposées à ceux qui ont voyagé ou résidé en Afrique et dans les colonies.

La société ose se flatter que ce plan de travail, non-seulement obtiendra le suffrage des vrais amis de l’humanité et de la liberté, c’est-à-dire, de ceux qui ne demandent pas la liberté pour eux et des chaînes pour les autres, mais encore que tous la seconderont dans cette vaste entreprise. Elle se flatte que les voyageurs, les académies, les gens de lettres, et généralement tous ceux qui ont des lumières et des connoissances sur cette matière, voudront bien les lui fournir, et elle s’empressera d’en profiter. Afin de les mettre à portée de le faire méthodiquement, elle va imprimer la série de questions dont il est parlé ci-dessus. Quant à ceux qui n’ont pas de connoissances, mais qui veulent et peuvent être utiles à l’humanité, ils doivent seconder la société par leurs souscriptions. C’est par de semblables souscriptions que la société de Londres a pu faire face à des dépenses qui ont monté jusqu’à présent à plus de 200,000 livres.

On ne peut, en effet, éclairer les esprits, sans repandre, sans prodiguer les livres, et l’impression des livres est coûteuse, tandis que la vente en devient de jour en jour plus difficile. Si l’on veut donc que l’erreur se dissipe, que le bien se fasse, c’est en distribuant la lumière gratuitement au public. Mais pour le faire, il faut que les amis de l’humanité, qui jouissent d’une certaine fortune, en consacrent quelques légères portions. L’esprit de liberté amenant à sa suite l’esprit public ou la générosité, pour les entreprises patriotiques, nous ne doutons point que les secours ne deviennent abondans. La société d’Angleterre a ouvert une souscription libre ; nous imiterons sa conduite, et nous renoncerons à la règle qu’on s’étoit prescrite à l’origine de cette société. Les souscriptions seront donc illimitées. On y mettra son nom, ou on le cachera : la volonté ne sera point gênée. Tous les six mois, on publiera, comme en Angleterre, la liste des dons et leur emploi. C’est le moyen d’exciter la confiance et d’encourager l’esprit public.

Si la nation angloise demande presqu’unanimement l’abolition de la traite, on ne doit ce sublime concert qu’à la discussion publique depuis trois ans, qu’à la profusion des écrits. Le même effet aura bien plutôt lieu parmi nos concitoyens, dont l’humanité, la sensibilité, n’ont pas d’ailleurs à combattre de si grands intérêts. Nous pouvons assurer avec une confiance consolante, que depuis la tempête excitée par l’intrigue au mois de mars dernier, l’opinion de la société acquiert par-tout des prosélites, et c’est évidemment le produit des bons ouvrages qu’elle a distribués depuis. Ne cessons donc de les multiplier, et la cause de l’humanité l’emportera.

Arrêté que cette adresse sera imprimée, publiée le plus que possible dans tous les journaux, envoyée aux académies, clubs politiques, sociétés, etc.

Arrêté que tous les amis de l’humanité et de la liberté, sont invités à seconder les travaux de la société, soit par leurs lumières, soit par leurs souscriptions.

Les mémoires et les souscriptions doivent être adressés à M. le Page, trésorier, au comité de la société des amis des noirs, n°. 5, rue Favart, où se tient le comité le vendredi de chaque semaine, à 5 heures du soir.

Signé, Pétion de Villeneuve, président.
Brissot de Warville, secrétaire.