Adresse à Sa Majesté britannique la priant de restituer le statut légal de la langue française dans le Parlement de la Province du Canada


À la Très Excellente Majesté de la Reine
1845


TRÈS GRACIEUSE SOUVERAINE,

Nous, les fidèles et loyaux sujets de Votre Majesté, les Communes du Canada, assemblées en Parlement provincial, prenons respectueusement la liberté de renouveler auprès de Votre Majesté, l’expression de notre dévouement à la personne et au Gouvernement de Votre Majesté, et d’exposer : ―

Que sachant apprécier les avantages que nous retirons de la sollicitude et de la protection de Votre Majesté, et dont cette Chambre espère que nous pourrons jouir longtemps sous l’autorité paternelle de Votre Majesté, il sera toujours du devoir de cette Chambre de soumettre à la très gracieuse considération de Votre Majesté, les matières qui peuvent avoir auprès d’aucune classe de sujets de Votre Majesté, la tendance de diminuer le contentement que Votre Majesté désire, cette Chambre en a l’assurance, voir régner dans toutes les parties de ses domaines.

Que le français est la langue maternelle d’une classe très nombreuse des sujets de Votre Majesté, et cette province ; Que de fait, la grande masse de ceux qui composent cette classe ne parlent pas d’autre langue ; Que c’est dans cette langue que la plus grande partie de leurs lois et leurs livres de jurisprudence sont écrits, et que se traitent les affaires journalières qu’ils transigent entre eux ; Que c’est la seule langue dans laquelle ils puissent invoquer les bénédictions du ciel sur eux et sur tout ce qui leur est cher ; Qu’une langue aussi indispensable à une aussi forte portion du peuple fidèle de Votre Majesté, ne peut, dans notre opinion, être regardée comme une langue étrangère par leur Souveraine, lorsqu’ils s’en servent.

Que les prédécesseurs royaux de Votre Majesté placèrent sur le même pied les langues des deux grandes classes des sujets de Votre Majesté en cette Province, les traitant tous à cet égard avec une égale justice et leur donnant le même avantage.

Que ce principe fut constamment maintenu jusqu’à la passation de l’Acte qui unit ces Provinces.

Que cette Chambre ne met pas en doute que les meilleures intentions et les meilleurs motifs n’aient animé ceux qui décrétèrent la disposition par laquelle il fut déclarée : ―

« Que tous les writs, proclamations, instruments pour sommer et convoquer le Conseil législatif et l’Assemblée législative de la Province du Canada, et pour les proroger et dissoudre, et tous writs de sommation et d’élection, et tous writs et instruments publics quelconques se rapportant aux dits Conseil législatif et Assemblée législative, ou l’un ou l’autre, et tous rapports sur tels writs et instruments, et tous journaux, entrées et procédés écrits ou imprimés, de nature quelconque, des dits Conseil législatif et Assemblée législative et de chacun d’eux respectivement, et tous procédés, écrits ou imprimés, et rapport de Comités des dits Conseil législatif et Assemblée législative respectivement, seront dans la langue anglaise seulement. »

Mais que dans la première Session même de la Législature sous l’opération de l’Acte ci-dessus, il devint indispensable de traduire en français tous documents et pièces publics. Et à moins de réduire au silence une partie des Représentants du peuple, les débats n’eurent et ne pouvaient avoir lieu sans l’usage de cette langue ; Que dans les Cours de justice et les procédés judiciaires elle s’est trouvée d’une égale nécessité après comme avant l’Union, et que dans tous les rapports ordinaires de la vie elle est d’un usage aussi étendu que jamais.

Que la seule distinction qui existe, c’est que la langue française ne peut être la langue légale des actes parlementaires, ―distinction de peu d’importance peut-être en elle-même, de nature à ne produire aucun résultat avantageux dans les sentiments ni les habitudes de ceux qui la parlent, ―mais provoquant chez eux un sentiment défavorable à la paix et à la tranquillité de la Province, en autant que cette proscription limitée de leur langue semble comporter, quoique sans intention, l’imputation d’une distinction défavorable à leur égard.

Que mus par le désir d’unir tous les cœurs, en cette Province, dans une même affection pour la personne de Votre Majesté, et dans un même appui de son Gouvernement, nous prions humblement Votre Majesté de faire disparaître cette cause de mécontentement ; et de recommander au Parlement impérial de révoquer la partie de la loi qui lui a donné naissance, assurant Votre Majesté que cette démarche sera accueillie par le peuple canadien de Votre Majesté, comme une nouvelle marque de la sollicitude paternelle de Votre Majesté pour son bien-être.