Traduction par A.-F. d’Albert-Durade.
É. Dentu — H. Georg (tome IIp. 31-42).

CHAPITRE XXV

LES JEUX

Le grand bal ne devait pas commencer avant huit heures ; mais, pour les jeunes gens et les jeunes filles qui désiraient danser sur le gazon ombragé avant ce moment, il y avait toujours de la musique prête ; car la bande du Cercle de l’Association n’était-elle pas capable de jouer d’excellentes gigues, des rondes et autres danses ? En outre, il y avait une grande bande de musiciens venus de Rosseter qui, avec leurs étonnants instruments à vent et leurs joues gonflées, étaient eux-mêmes un délicieux spectacle pour les petits garçons et les petites filles. Sans rien dire de Joshua Rann, qui dans une généreuse prévision avait apporté son violon avec lui, pour le cas où quelqu’un aurait le goût assez épuré pour préférer danser au son de cet instrument solo.

Lorsque le soleil eut abandonné le grand espace ouvert devant la maison, les jeux commencèrent. Il y avait naturellement des mâts bien savonnés à grimper pour les petits garçons et les jeunes gens ; des prix de course pour les vieilles femmes ; des courses dans des sacs, de lourds poids à soulever pour les vigoureux, des défis à des entreprises aussi ambitieuses que celle de faire le plus de chemin possible sur une seule jambe, — hauts faits pour lesquels il était généralement dit que Ben le Vif, étant le gaillard le plus souple et le plus élastique du pays, était sûr de l’emporter. Pour couronner le tout, il devait y avoir une course d’ânes, cette course la plus sublime de toutes, conduite d’après la grande idée socialiste, que, chacun devant encourager les ânes des autres, le plus têtu devait gagner le prix.

Bientôt après quatre heures, l’imposante vieille dame Irwine, avec son satin damassé, ses bijoux et ses dentelles noires, fut conduite par Arthur, et suivie par toute la société de famille, à son siège élevé sous la tente rayée, d’où elle devait délivrer les prix aux vainqueurs. La roide et cérémonieuse miss Lydia avait demandé de céder cette charge royale à la majestueuse vieille dame, et Arthur fut heureux de cette occasion de satisfaire le goût de sa marraine pour les dignités. M. Donnithorne, ce vieillard proprement soigné, finement parfumé et poudré, conduisait mademoiselle Irwine d’un air de pointilleuse et aigre politesse ; M. Gawaine amenait miss Lydia, paraissant indifférente et roide dans son élégant costume de soie fleur de pêcher ; venait enfin M. Irwine avec sa pâle sœur Anne. Il n’y avait pas d’autre ami de la famille invité ce jour-là, outre M. Gawaine ; le lendemain il devait y avoir un grand dîner pour les notabilités du voisinage ; mais en ce jour on ne s’occupait que de l’amusement des tenanciers.

Il y avait en face de la tente un fossé qui séparait le préau du parc ; mais on y avait établi un pont temporaire pour le passage des vainqueurs, et les groupes de gens debout ou assis sur des bancs s’étendaient des deux côtés de l’espace ouvert depuis la tente blanche jusqu’au fossé.

« Sur ma parole, c’est un joli coup d’œil, dit la vieille dame de sa voix profonde, quand elle fut assise et eut regardé cette scène brillante se détachant sur un fond vert sombre, et c’est probablement le dernier jour de fête que je verrai, à moins que vous ne vous mariiez promptement, Arthur. Mais ayez soin de prendre une charmante épouse, sinon j’aimerais mieux mourir avant de la voir.

— Vous êtes tellement difficile, marraine, dit Arthur, que je crains que mon choix ne puisse jamais vous satisfaire.

— Bon, je ne vous pardonnerai pas si elle n’est pas belle. Et je ne serai point apaisée par l’amabilité, qui est toujours l’excuse donnée pour la laideur des gens. Il ne faut pas qu’elle soit sotte ; cela n’irait jamais ; car vous avez besoin d’être tenu en bride, et une niaise ne pourrait le faire. Qui est ce grand jeune homme à figure douce, Dauphin ? Là-bas, — debout sans son chapeau et prenant tant de soin de cette vieille femme à côté de lui, — sa mère, naturellement. J’aime à voir cela.

— Comment, ne le connaissez-vous pas, ma mère ? dit M. Irwine. Seth Bede, le frère d’Adam, — un méthodiste, un excellent sujet. Ce pauvre Seth a paru un peu abattu dernièrement : je pensais que c’était à cause du triste genre de mort de son père ; mais Joshua Rann m’a dit qu’il désirait se marier à cette douce petite méthodiste prêcheuse qui était ici il y a environ un mois, et je suppose qu’elle l’a refusé.

— Ah ! je me rappelle avoir entendu parler d’elle ; mais il y a ici une foule de gens que je ne connais pas, car ils ont grandi et ont changé depuis que j’avais l’habitude de me promener au milieu d’eux.

— Quelle excellente vue vous avez, dit le vieux M. Donnithorne, qui tenait un binocle devant ses yeux, pour voir l’expression de ce jeune homme d’aussi loin. Son visage n’est pour moi qu’une pâle tache sans détail. Mais je suppose que j’ai l’avantage sur vous quand nous en venons à regarder de près. Je puis lire une petite impression sans lunettes.

— Ah ! mon cher monsieur, vous avez commencé par avoir la vue très-courte, et ces yeux myopes durent le plus. J’ai besoin de très-fortes lunettes pour lire, mais aussi je crois que mes yeux deviennent de jour en jour meilleurs pour les objets éloignés. Je pense que si je pouvais vivre encore cinquante ans je serais aveugle pour tout ce qui serait visible pour les autres, comme un homme qui est au fond d’un puits et ne voit rien que les étoiles.

— Regardez, dit Arthur, les vieilles femmes sont prêtes à partir pour leur course maintenant. Pour laquelle pariez-vous, Gawaine ?

— Pour celle aux longues jambes, à moins qu’elles n’aient plusieurs courses à faire, car alors la petite plus alerte pourra gagner.

— Voilà les Poyser, ma mère, pas bien loin à droite, dit M. Irwine. Madame Poyser vous regarde. Faites-lui un signe de connaissance.

— Certainement, dit la vieille dame en faisant une gracieuse salutation à madame Poyser. Une femme qui m’envoie de si excellent fromage à la crème ne doit pas être négligée. Dieu me bénisse ! quelle grasse enfant elle tient sur ses genoux ! Mais quelle est cette jolie fille aux yeux noirs ?

— C’est Hetty Sorrel, dit miss Lydia Donnithorne, la nièce de Martin Poyser ; une jeune personne qui plaît et qui a très-bonne mine. Ma femme de chambre lui a enseigné de beaux ouvrages à l’aiguille, et elle m’a raccommodé quelques dentelles d’une manière très-recommandable…, très-recommandable.

— Mais elle demeure chez les Poyser depuis six ou sept ans, ma mère ; vous devez l’avoir vue, dit miss Irwine.

— Non, je ne l’ai jamais vue, mon enfant, au moins pas telle qu’elle est maintenant, dit madame Irwine, continuant à regarder Hetty. Bonne mine, vraiment ! Mais c’est une parfaite beauté ! Je n’ai rien vu d’aussi joli depuis mes jeunes années. Quel dommage qu’une telle fille soit jetée au milieu de fermiers, quand on en manque si terriblement dans de bonnes familles sans fortune ! Car je suis presque sûre, maintenant, qu’elle épousera quelque homme qui l’aurait trouvée tout aussi jolie, si elle avait des yeux ronds et des cheveux rouges. »

Arthur n’osa pas tourner les yeux du côté d’Hetty pendant que madame Irwine parlait d’elle. Il feignit de ne pas entendre et d’être occupé de quelque chose du côté opposé. Mais il la voyait facilement, sans la regarder ; il la Voyait encore embellie, parce qu’il entendait louer sa beauté, car l’opinion des autres, vous savez, était comme l’air natal pour les sentiments d’Arthur ; c’était l’air où ils poussaient le mieux et prenaient le plus de vigueur. Oui, elle était assez jolie pour tourner la tête de tout homme ; tout autre homme à sa place aurait agi et senti comme lui. Et la quitter, comme il l’avait déterminé, serait, après tout, une action dont il se rappellerait toujours avec orgueil.

« Non, chère mère, dit M. Irwine, répondant à ses derniers mots, je ne puis vous accorder cela. Les gens du peuple ne sont pas tout à fait si niais que vous l’imaginez. L’homme le plus commun, qui possède une once de bon sens et de sentiment, voit très-bien la différence entre une femme charmante et délicate et une laide. Même un chien sent cette différence. L’homme peut n’être pas plus habile que le chien à expliquer cette influence que la beauté distinguée a sur lui, mais il la sent.

— Dieu me garde, Dauphin ! qu’est-ce qu’un vieux célibataire comme vous connaît à cela ?

— Oh ! c’est un des sujets sur lesquels les vieux célibataires sont plus sages que les hommes mariés, parce qu’ils ont le temps pour mieux examiner. Celui qui critique si habilement les femmes ne doit jamais entraver son jugement en donnant son nom à l’une d’elles. Mais, comme exemple de ce que je disais, cette jolie prêcheuse méthodiste, dont je vous parlais il y a un moment, m’a dit qu’elle avait prêché aux mineurs les plus rudes, et qu’ils ne l’avaient jamais traitée autrement qu’avec le plus grand respect et la plus grande bienveillance. La raison en est, sans qu’elle s’en doute, qu’il y a en elle beaucoup de tendresse, de distinction et de pureté. Une semblable femme apporte avec elle un « air du ciel, » auquel l’être le plus grossier n’est pas insensible.

— Voici un joli petit échantillon de femme ou fille qui vient recevoir un prix, je suppose, dit M. Gawaine. Ce doit être une de celles qui ont couru dans des sacs avant que nous vinssions. »

Ce « morceau de femme » était notre ancienne connaissance Bessy Cranage, autrement la Bess de Chad, qui arrivait très-essoufflée et les joues encore plus rouges qu’à l’ordinaire. Bessy, je suis fâché de le dire, avait repris goût à ses boucles d’oreilles depuis le départ de Dinah, et, de plus, s’était parée de toutes les petites élégances qu’elle avait pu se procurer. Quiconque eût pu lire dans le cœur de la pauvre Bessy, eût trouvé une ressemblance frappante entre ses petites espérances et inquiétudes et celles d’Hetty. L’avantage eût été peut-être du côté de Bessy en matière de sentiment. Mais aussi quelle différence dans leur extérieur ! Vous auriez été disposé à rudoyer Bess, tandis que vous auriez bien voulu embrasser Hetty.

Bessy avait eu la tentation de disputer cette course difficile, en partie par gaieté de jeunesse, en partie à cause du prix. Quelqu’un avait dit qu’il y aurait des manteaux et d’autres jolis vêtements, et elle s’approchait de la tente en s’éventant avec son mouchoir de poche, les yeux ronds étincelants de son triomphe.

« Voici le prix pour la première course en sac, dit miss Lydia, prenant un gros paquet sur la table où ils étaient tous, et le donnant à madame Irwine avant que Bessy arrivât, une excellente robe de bure et une pièce de flanelle.

— Vous n’avez pas pensé, je suppose, qu’une si jeune personne gagnerait la victoire, ma tante ? dit Arthur. Ne pourriez-vous pas trouver quelque autre chose pour cette jeune fille et garder cette affreuse robe pour quelqu’une des vieilles femmes ?

— Je n’ai acheté que des choses utiles et solides, dit miss Lydia, tout en ajustant sa propre dentelle ; je ne voudrais point encourager le goût de l’élégance chez de jeunes femmes de cette classe. J’ai un manteau écarlate ; mais il est pour la vieille femme qui gagnera. »

Ce discours de miss Lydia amena une expression presque moqueuse sur les traits de madame Irwine, qui regardait Arthur, tandis que Bessy s’approchait avec force révérences.

« C’est Bessy Cranage, chère mère, dit M. Irwine avec bonté, la fille de Chad Cranage. Vous vous rappelez Chad Cranage, le forgeron ?

— Oui, certainement, dit madame Irwine. Eh bien, Bessy, voici votre prix, d’excellentes choses chaudes pour l’hiver. Je suis sûre que vous avez eu bien de la peine pour les gagner par la chaleur d’aujourd’hui. »

Les lèvres de Bessy se comprimèrent en voyant cette laide et lourde robe, qui paraissait si chaude et désagréable, dans cette journée de juillet, et était une si vilaine chose à porter. Elle fit de nouvelles révérences, sans lever les yeux, avec un tremblement croissant vers les coins de sa bouche et se retira.

« Pauvre fille ! dit Arthur, je crois qu’elle est désappointée. J’aurais désiré que ce fût quelque chose de plus à son goût.

— Elle a l’air d’une jeune personne hardie, observa miss Lydia, et n’a rien que je voulusse encourager. »

Arthur résolut, à part lui, de faire à Bessy présent de quelque argent avant la fin de la journée, afin qu’elle pût s’acheter quelque chose qui lui plût davantage. Mais elle, qui ne se doutait point de la consolation qui lui était réservée, sortit de l’espace découvert où on pouvait la voir depuis la tente, et, jetant l’odieux paquet sous un arbre, se mit à pleurer au milieu des sourires moqueurs des petits garçons. Elle fut aperçue dans cette situation par la discrète matrone, sa cousine, qui ne perdit pas de temps pour venir à elle, après avoir remis son bambin aux soins de son mari.

« Qu’est-ce qui vous prend ? dit Bess, la matrone, en relevant le paquet et l’examinant. Vous vous êtes trop échauffée, je gage, en courant pour ce prix de fous. Et voilà qu’ils vous ont donné une quantité de bonne bure et de flanelle, comme on aurait pu en donner avec justice à celles qui ont eu le bon sens de s’abstenir d’une telle sottise. Vous devriez bien me garder un peu de cette bure pour habiller mon garçon ; vous n’avez jamais eu mauvais cœur, Bessy ; je ne l’ai jamais dit de vous.

— Vous pouvez bien tout prendre, pour ce que je m’en soucie, dit Bess, la jeune, avec un mouvement de mauvaise humeur, en commençant à essuyer ses larmes et à se remettre.

— Dieu, je pourrai m’en arranger, puisque vous tenez à vous en débarrasser, » dit la cousine désintéressée, s’éloignant rapidement avec le paquet, de peur que Bess Chad ne changeât d’avis.

Mais cette fille aux bonnes joues était douée d’une élasticité d’esprit qui la préservait de tout chagrin rongeur, et, quand arriva la grande course à ânes, sa tristesse se perdit tout à fait dans le délicieux plaisir d’essayer par ses sifflements de stimuler l’âne qui restait en arrière, tandis que les garçons employaient l’argument des bâtons. Mais la force de volonté de l’âne consiste à adopter le sens inverse des arguments employés, ce qui, tout bien considéré, demande autant de ténacité que de s’y conformer, et ledit âne prouva la supériorité de son intelligence, en devenant complètement immobile, au moment où les coups pleuvaient le plus dru. Grandes furent les acclamations de la foule, et rayonnant le sourire de Bill Downes, le scieur de pierres, et l’heureux cavalier de cet animal supérieur, qui restait calme et les jambes roides au milieu de son triomphe.

Arthur avait préparé lui-même les prix pour les hommes et fit le bonheur de Bill au moyen d’un superbe couteau de poche, fourni d’assez de lames et accessoires pour mettre un homme à l’aise dans une île déserte. Il revenait à peine de la tente, avec son prix à la main, quand on commença à comprendre que Ben le Vif se proposait d’amuser la société, avant que les grandes gens allassent dîner, par une représentation impromptue et gratuite, savoir : un solo dansant, dont l’idée principale était, sans aucun doute, empruntée ; mais le danseur devait la développer d’une manière si particulière et si compliquée, que personne ne pourrait se refuser à en louer l’originalité. L’orgueil que Ben le Vif mettait à sa danse, — talent qui produisait grand effet à la veillée annuelle, — n’avait eu besoin que d’être légèrement excité par un excès de bonne ale, pour le convaincre que la haute société serait très-frappée de son exécution chorégraphique, et il avait été positivement encouragé dans cette idée par Joshua Rann, lequel disait qu’il n’y avait que justice à faire quelque chose pour plaire au jeune chevalier, en retour de tout ce qu’il avait fait pour eux. Vous serez d’autant moins surpris de cette opinion chez un aussi grave personnage, quand vous saurez que Ben avait prié M. Rann de l’accompagner de son violon, et Joshua était parfaitement sûr que, si la danse n’était pas grand’chose, la musique la ferait passer. Adam, qui se trouvait sous l’une des grandes tentes où ce plan se discutait, dit à Ben qu’il ferait mieux de ne pas se rendre ridicule, remarque qui décida immédiatement Ben ; il ne renoncerait pas à quoi que ce soit, parce que Adam avait l’air de le blâmer.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? qu’est-ce ? dit le vieux M. Donnithorne. Est-ce quelque chose que vous ayez arrangé, Arthur ? Voilà le clerc qui vient avec son violon et un gaillard alerte avec un bouquet à la boutonnière.

— Non, dit Arthur ; je n’en sais rien. Par Jupiter, il va danser ! C’est un des charpentiers, j’ai oublié son nom pour le moment.

— C’est Ben Cranage, Ben le Vif, comme ils l’appellent, dit M. Irwine ; un vrai poisson délié, je pense. Anne, ma chère, je crois que ce raclement de violon est trop pour vous ; vous êtes fatiguée. Laissez-moi vous reconduire à la maison, pour vous reposer jusqu’au dîner. »

Miss Anne se leva avec plaisir et le bon frère l’emmena, tandis qu’éclataient les premiers accords de Joshua sur l’air de la Cocarde blanche, duquel il comptait passer à une suite d’airs, par une variété de transitions que son oreille juste lui avait enseigné à exécuter vraiment avec quelque habileté. Il eût été exaspéré, s’il avait su que l’attention générale était trop complètement absorbée par la danse de Ben pour que personne s’occupât beaucoup de musique.

Avez-vous jamais vu un véritable villageois anglais exécuter un solo de danse ? Peut-être n’avez-vous vu qu’un villageois de ballet, souriant comme un gai paysan en terre cuite, avec la hanche gracieusement contournée et d’engageants mouvements de tête. Cela ressemble autant à la réalité que la valse « oiseau » ressemble au chant des oiseaux. Ben le Vif se gardait bien de sourire ; il avait l’air aussi sérieux qu’un singe dansant, aussi sérieux que s’il eût été un naturaliste expérimentateur, cherchant à s’assurer par lui-même du degré de secousses et de la variété des angles que pouvaient supporter les membres humains.

Pour excuser les rires immodérés partant de la tente rayée, Arthur battait continuellement des mains et criait : « Bravo ! » Mais Ben avait un autre admirateur dont les yeux suivaient tous ses mouvements avec une sérieuse gravité qui égalait la sienne propre. C’était Martin Poyser, assis sur un banc, tenant Tommy entre ses jambes.

« Que penses-tu de ça ? dit-il à sa femme. Il va aussi juste avec la musique que s’il était fait d’horlogerie. J’étais un assez bon danseur moi-même quand j’étais plus léger, mais je n’ai jamais pu saisir la mesure de l’air aussi bien que ça. »

— De quoi que soient faits ses membres, cela est assez indifférent suivant moi, répondit madame Poyser. Il a l’étage supérieur bien assez vide, autrement il ne pourrait jamais se démener et trépigner de cette manière, comme une enragée sauterelle, pour se faire voir aux gens du monde. Ils en rient à mort, à ce que je vois.

— Bien, bien, tant mieux, s’il les amuse, dit M. Poyser, qui ne prenait pas facilement le mauvais côté des choses. Mais ils s’en vont maintenant se mettre à table, je suppose. Voulons-nous un peu nous promener et voir ce que fait Adam Bede ? Il a la surveillance sur la boisson et autres choses. Je ne pense pas qu’il se soit beaucoup amusé. »