Traduction par A.-F. d’Albert-Durade.
É. Dentu — H. Georg (tome Ip. 292-312).

CHAPITRE XXI

l’école du soir et le maître d’école

La maison de Bartle Massey était une de celles égrenées sur le bord d’un terrain communal que traversait la route de Treddleston. Adam l’atteignit un quart d’heure après avoir quitté la Grand’Ferme ; et lorsqu’il posa la main sur le loquet, il put voir par la fenêtre sans rideau qu’il y avait huit ou neuf têtes penchées sur les pupitres éclairés par de minces chandelles.

Il entra au moment d’une leçon de lecture, et Bartle Massey se contenta de le saluer de la tête en le laissant prendre place où il voulait. Il n’était point venu pour prendre une leçon, et son esprit était trop plein de ce qui le concernait personnellement, trop plein des deux dernières heures passées en compagnie d’Hetty, pour qu’il pût s’amuser de quelque livre en attendant que l’école fût terminée ; il s’assit donc dans un coin, pensant à tout autre chose qu’à ce qu’il voyait. C’était une répétition de ce qu’il avait souvent vu depuis bien des années ; il connaissait par cœur chaque arabesque des exemples d’écriture de la main de Bartle Massey, encadrés et suspendus au-dessus de la tête du maître d’école, dans le but de présenter à ses élèves un idéal de supériorité ; il connaissait le dos de tous les livres de la tablette courant le long du mur blanchi, au-dessus des crochets pour pendre les ardoises ; il savait exactement combien de grains avaient abandonné l’épi de maïs suspendu à la poutraison ; il avait pendant longtemps épuisé les ressources de son imagination à se figurer ce qu’avait pu être et comment avait pu croître cette touffe de varechs marins dans son élément natal ; mais de la place où il se trouvait, il lui était impossible de rien distinguer de la vieille carte d’Angleterre pendue au mur opposé, car le temps lui avait donné une couleur brun jaunâtre, semblable à celle d’un fromage fait à point. La scène intérieure lui était presque aussi familière que le cadre, car il n’y était point devenu indifférent par l’habitude ; même dans ce moment où ses propres pensées l’absorbaient, Adam se sentit pris de sympathie en voyant ces hommes rudes tenir la plume ou le crayon de leurs mains gênées, ou lutter avec humilité contre les difficultés de la lecture.

La section de lecture, composée pour le moment des trois élèves les plus arriérés, était placée sur le banc devant le pupitre du maître. Adam aurait pu le deviner rien qu’en voyant le visage de Bartle Massey, lequel regardait par-dessus ses lunettes qu’il avait poussées à l’extrémité de son nez, n’en ayant pas besoin pour le travail présent. Ce visage avait sa plus douce expression : les sourcils épais et grisonnants avaient pris l’angle le plus aigu de bienveillante compassion ; la bouche, ordinairement comprimée et faisant la lippe, était entr’ouverte, prête à pouvoir donner à l’instant un mot ou une syllabe à l’élève embarrassé. Cette expression douce offrait d’autant plus d’intérêt, que le nez du maître d’école, irrégulièrement aquilin et un peu jeté de côté, avait plutôt une apparence redoutable ; et, de plus, son front avait cette tension particulière qui fait toujours croire à un tempérament vif et impatient ; les veines bleues ressortaient comme des cordes sous cette peau jaune et transparente, et ce front intimidant n’était point adouci par une tendance à la calvitie, car des cheveux gris et crépus, coupés à la longueur d’environ un pouce, l’entouraient en rangs aussi serrés que jamais.

« Non, Bill, non, disait Bartle Massey, d’une voix douce, tandis qu’il faisait un signe amical à Adam, recommencez, et peut-être en viendrez-vous à savoir épeler ce que font d, r, y. C’est la même leçon que vous avez lue la semaine passée, vous savez. »

Bill était un jeune homme de vingt-quatre ans, excellent scieur de pierres, qui pouvait gagner d’aussi bons gages que tout autre individu de son âge et du même métier ; mais il trouvait que lire une leçon de mots d’une syllabe était une entreprise bien plus difficile que de venir à bout de la pierre la plus dure qu’il eut jamais eu à scier. Il se plaignait de ce que les lettres se ressemblaient tellement qu’on ne pouvait les distinguer l’une de l’autre, un tailleur de pierres n’ayant pas dans son travail à s’occuper d’aussi minimes différences que celles qui existent entre une lettre dont la queue est tournée en haut et celle qui l’a en bas. Mais Bill était fortement déterminé à apprendre à lire, et se fondait principalement sur deux raisons : la première était que Tom Hazelow, son cousin, qui pouvait lire couramment quoi que ce fût, écrit ou imprimé, lui avait envoyé une lettre de vingt milles de distance, pour lui dire comme il réussissait bien dans le monde, et qu’il avait une place d’inspecteur ; la seconde, que Jam Philips, qui sciait avec lui, avait appris à lire passé vingt ans ; et Bill considérait que ce qui pouvait être fait par un petit individu comme Jam Philips, pouvait bien l’être par lui-même, vu qu’il pourrait réduire Jam en poussière si les circonstances le demandaient. Aussi était-il là, son gros doigt posé sur trois mots à la fois, la tête un peu de côté, afin de mieux saisir de l’œil le mot qu’il fallait distinguer du groupe. La somme de connaissances que Bartle Massey devait posséder était quelque chose de si vaste et de si profond pour l’imagination de Bill, qu’il aurait à peine osé refuser de croire que le maître d’école eût quelque influence sur le retour régulier de la lumière du jour et les changements du temps.

L’homme assis à côté de Bill était un type très-différent ; c’était un fabricant de briques, méthodiste, qui, après avoir passé trente années de sa vie parfaitement satisfait de son ignorance, avait enfin pris de la religion, et avec elle le désir de lire la Bible. Mais pour lui aussi, étudier était une lourde besogne, et en se rendant à l’école ce soir-là, il avait demandé comme d’habitude, dans une prière spéciale, le secours de l’Esprit, puisqu’il avait entrepris cette tâche difficile pour le seul avantage de nourrir son âme, et d’avoir à sa disposition une plus grande quantité de passages et d’hymnes pour bannir les mauvais souvenirs et les tentations de vieilles habitudes, ou, dans un langage plus bref, le diable. Car le briquetier était un braconnier fameux, et on le soupçonnait, quoiqu’il n’y eût point de preuve évidente contre lui, d’avoir blessé à la jambe, d’un coup de fusil, un garde-chasse du voisinage. Quoi qu’il en fût, il est certain que peu de temps après cet événement, qui coïncidait avec l’arrivée d’un missionnaire prêcheur à Treddleston, on avait observé un grand changement chez le briquetier ; et bien qu’il fût encore connu dans le voisinage sous l’ancien sobriquet de Pierre-à-Soufre, il n’avait rien tant en horreur que d’avoir encore quelques relations avec cet élément de mauvaise odeur. C’était un individu à large poitrine et à tempérament chaud, ce qui lui rendait plus facile de se pénétrer d’idées religieuses que d’acquérir d’une manière sèche la connaissance plus humaine de l’alphabet. Même il avait déjà été un peu ébranlé dans sa résolution par un frère méthodiste qui lui avait assuré que souvent la lettre n’était qu’un obstacle à l’esprit, exprimant ainsi la crainte que Pierre-à-Soufre ne fût trop désireux du savoir qui élève au-dessus des autres.

Le troisième élève était un commençant qui promettait beaucoup plus. C’était un homme grand et mince, presque de l’âge de Pierre-à-Soufre, avec une figure très-pâle et les mains teintes en bleu foncé ; un teinturier qui, tout en plongeant de la laine filée à la maison et des jupons de vieilles femmes, s’était enflammé de l’ambition d’en apprendre beaucoup plus sur les curieux secrets de la couleur. Il avait déjà une grande réputation dans le district pour sa teinture, et il était désireux de découvrir quelque méthode par laquelle il pût diminuer le prix des teintes pourpre et écarlate. Le droguiste de Treddleston lui avait donné l’idée qu’il s’épargnerait beaucoup de travail et de dépense s’il pouvait apprendre à lire, et il avait commencé à donner ses heures de liberté à l’école du soir, bien décidé à ce que son petit moutard vînt à l’école de jour de M. Massey dès qu’il serait assez âgé.

C’était touchant de voir ces trois hommes faits, portant les traces de leurs rudes travaux, attentivement penchés sur leurs livres usés, et déchiffrant avec peine : « Le pré est vert, Le bois est sec, Le blé est mûr, » une leçon bien difficile à attaquer après des colonnes de mots seuls et se ressemblant tous, excepté par la première lettre. C’était absolument comme si trois animaux sauvages faisaient d’humbles efforts pour apprendre à devenir des créatures humaines. Cela touchait les fibres les plus tendres du cœur de Bartle Massey, et de grands enfants comme ceux-là étaient les seuls élèves pour lesquels il n’eût point d’épithètes sévères ou le ton impatient. Il n’était pas doué d’un caractère imperturbable, et dans les soirs d’étude musicale, évidemment la patience ne lui était pas une vertu facile ; mais ce soir, pendant qu’il regarde de dessus ses lunettes Bill Downes, le scieur de pierres, qui tourne la tête de côté avec un sentiment de découragement devant les lettres d, r, y, ses yeux ont l’expression la plus douce et la plus encourageante.

Après la classe de lecture, deux jeunes gens de seize à dix-neuf ans s’approchèrent avec des notes de factures imaginaires, qui avaient été inscrites sur leur ardoise, et qu’ils devaient calculer sur-le-champ, épreuve qu’ils supportèrent avec si peu de succès, que Bartle Massey, dont les yeux les avaient fixés d’un air de mauvais augure à travers ses lunettes pendant quelques minutes, éclata enfin sur un ton aigre et élevé, s’arrêtant entre chaque phrase pour frapper le plancher d’une canne noueuse qu’il tenait entre ses jambes.

« Allons, vous voyez, vous ne vous en tirez pas mieux qu’il y a quinze jours ; et je vais vous dire pourquoi. Vous désirez apprendre à compter ; c’est bel et bon. Mais vous croyez que pour apprendre à compter vous n’avez rien de plus à faire que de venir ici et de faire des additions une heure ou deux, deux ou trois fois par semaine ; et pas plutôt vous avez remis vos casquettes et êtes sortis, que vous balayez le tout de votre esprit. Vous vous en allez en sifflant et vous ne vous inquiétez pas plus de ce que vous avez à apprendre que si vos têtes étaient des canaux par où doivent passer toutes sortes de débris ; et s’il y est entré quelque chose de bon, on est bien sûr que ça sera emporté bien vite. Vous croyez qu’on peut acquérir la science à bon marché, que vous viendrez et payerez à Bartle Massey dix sous par semaine, et qu’il vous rendra habile en chiffres sans que vous preniez la moindre peine ? Mais la science ne s’acquiert pas en payant dix sous, vous dirai-je ; si vous voulez connaître les chiffres, il faut les retourner dans votre tête et fixer vos pensées dessus. Il n’y a rien qu’on ne puisse pas additionner, car il n’y a rien qui ne représente un nombre en lui-même, même un imbécile. Vous pouvez vous dire : « Je suis un imbécile, et Jacques en est un autre ; donc si ma tête pèse quatre livres, et celle de Jacques trois livres trois onces et trois quarts, de combien de grains ma tête est-elle plus pesante que celle de Jacques ? Un homme qui mettrait son cœur à apprendre l’arithmétique se poserait en lui-même des nombres et les calculerait de tête ; en faisant des souliers, il compterait ses points par cinq, et mettrait un prix à ses points, par exemple, un demi-farthing, il verrait ainsi ce qu’il peut gagner d’argent dans une heure. Il se demanderait ensuite ce qu’il peut gagner dans un jour à ce taux ; et ensuite ce que dix ouvriers pourraient gagner en travaillant trois, ou vingt, ou cent ans à ce taux, et pendant ce calcul, son aiguille irait tout aussi vite que s’il laissait sa tête vide pour que le diable y danse. Mais le long et le court de tout ceci, c’est que je ne veux personne dans mon école du soir qui ne s’efforce d’apprendre ce qu’il vient étudier, aussi ardemment que s’il s’agissait de sortir d’un trou noir pour arriver au grand jour. Je ne renverrai personne parce qu’il est sans intelligence ; si Billy Taft l’idiot désirait apprendre quelque chose, je ne refuserais pas de le lui enseigner. Mais je ne perdrai pas mon savoir en le jetant à la tête de gens qui croient pouvoir en acheter avec dix sous et l’emporter comme ils feraient d’une once de tabac. Ainsi ne revenez jamais ici, si vous ne pouvez prouver que votre tête a travaillé, au lieu de croire que vous pouvez payer pour que ma tête travaille pour la vôtre. Voilà mon dernier mot. »

À cette dernière phrase, Bartle Massey donna un coup plus fort que jamais de sa canne noueuse sur le plancher, et les garçons tout penauds se levèrent pour se retirer avec un air de mauvaise humeur. Les autres élèves n’avaient heureusement à montrer que leurs cahiers d’écriture, à différents degrés d’avancement, depuis les simples traits jusqu’à la moulée ; et ces simples traits de plume, quoique détestables, exaspéraient Barthe beaucoup moins que de l’arithmétique fausse. Il fut un peu plus sévère que de coutume pour les Z de Jacob Storey, dont le pauvre garçon avait rempli une page, tous avec le haut tourné du mauvais côté, ayant le sentiment vague que quelque chose n’allait pas très-bien. Mais il donna pour excuse que c’était une lettre dont on n’avait presque jamais besoin, et il pensait qu’on l’avait seulement mise là « pour terminer l’alphabet, » quoique, selon lui, et cætera (&) aurait suffi sans cette lettre.

Quand tous les élèves eurent pris leur chapeau et dit leur « bonne nuit, » Adam, connaissant les habitudes du vieux maître, se leva et dit : « Dois-je éteindre les chandelles ?

— Oui, mon garçon, toutes, excepté celle-ci, que j’emporterai dans la maison ; et fermez la porte extérieure pendant que vous en êtes près, » dit Bartle, se servant de sa canne pour s’aider à descendre de son siège. Il ne fut pas plutôt en bas que la raison qui rendait la canne nécessaire devint évidente, — la jambe gauche était beaucoup plus courte que la droite. Mais le maître d’école était si actif malgré cette infirmité, qu’on la considérait à peine comme un malheur ; et si vous l’eussiez vu traverser la classe et monter l’escalier conduisant à sa cuisine, vous auriez peut-être compris comment les écoliers en faute sentaient quelquefois que son pas pouvait s’accélérer indéfiniment, et que lui et sa canne pouvaient les atteindre même dans leur course la plus rapide.

Le moment où il parut à la porte de la cuisine avec sa chandelle à la main, de légères plaintes se firent entendre à côté de la cheminée, et une chienne brune et fauve, de cette race à l’air sage, à courtes jambes et au long corps, vint en rampant le long du plancher, remuant la queue et hésitant à chaque pas, comme si ses affections étaient péniblement divisées entre le panier au coin de la cheminée et son maître qu’il fallait bien accueillir.

« Eh bien, Vixen, eh bien ! comment vont les marmots ? » dit le maître d’école en se dirigeant à la hâte vers le coin de la cheminée et tenant la chandelle au-dessus du panier, où deux petits encore aveugles soulevèrent leur tête de leur lit de flanelle et de laine. Vixen ne put voir son maître même les regarder, sans une pénible agitation ; elle entra dans le panier, puis en ressortit l’instant après, et se conduisit avec une vraie extravagance féminine.

« Tiens, vous avez une famille, je vois, monsieur Massey ? dit Adam en souriant comme il entrait dans la cuisine. Comment cela se fait-il ? Je croyais que c’était contre la loi d’ici.

— Qu’y faire ? À quoi sert la loi quand un homme a été une fois assez stupide que de laisser entrer une femme dans sa maison ? dit Bartle en se détournant du panier avec quelque amertume. Il appelait toujours Vixen une femme, et semblait avoir tout à fait oublié que ce n’était qu’une expression figurée. Si j’avais su que Vixen était une femme, je n’aurais jamais empêché les garçons de la noyer ; mais, une fois que je l’ai eue dans les mains, j’ai été bien forcé de m’y attacher. Et maintenant, vous voyez ce qu’elle m’a apporté, — la trompeuse, l’hypocrite gueuse ; — Bartle dit ces derniers mots d’un ton d’aigre reproche en regardant Vixen, qui baissa la tête et tourna les yeux vers lui avec un vif sentiment de honte, — et elle a été forcée de se mettre au lit un dimanche, à l’heure de l’église. J’ai désiré bien souvent d’être un homme sanguinaire, afin de pouvoir de la même corde étrangler la mère et les petits.

— Je suis bien aise qu’il n’y ait pas eu une plus mauvaise cause pour vous empêcher de venir à l’église, dit Adam ; j’avais peur que vous ne fussiez malade pour la première fois de votre vie. Et j’étais particulièrement peiné de ne pas vous y voir hier.

— Ah ! mon garçon, je sais pourquoi, je sais bien pour quoi, dit Bartle s’approchant amicalement d’Adam, et posant la main sur l’épaule qui était presque au niveau de sa propre tête. Vous avez eu un rude bout de chemin. Mais j’espère que les temps vont être meilleurs pour vous. J’ai quelque chose de nouveau à vous dire. Mais il faut que je soupe auparavant, car j’ai faim, très-faim. Asseyez-vous, asseyez-vous. »

Bartle alla dans sa petite dépense et en sortit une excellente miche de pain de ménage, car c’était son seul excès, dans ces temps de cherté, que de manger du pain une fois par jour au lieu de gâteau d’avoine ; et il se justifiait en disant qu’un maître d’école avait surtout besoin de cervelle, et que le gâteau d’avoine profitait beaucoup plus aux os qu’au cerveau. Puis vint un morceau de fromage et une demi-pinte couronnée d’écume. Il plaça le tout sur la table en sapin qui était à côté de son grand fauteuil, au coin de la cheminée, avec le panier de Vixen d’un côté et de l’autre une tablette de fenêtre portant quelques livres empilés. La table de sapin était aussi propre que si Vixen eût été une excellente ménagère en tablier quadrillé ; il en était de même du plancher carrelé, de la vieille armoire de chêne, de la table et des chaises, qui, de nos jours, s’achèteraient à un prix élevé dans des maisons aristocratiques ; à cette époque de jambes d’araignée et de cupidons découpés, Bartle les avait acquises pour une vieille chanson, et elles étaient aussi dépourvues de poussière que des meubles pouvaient l’être à la fin d’une journée d’été.

« À présent, mon garçon, servez-vous, servez-vous. Nous ne parlerons pas d’affaires avant d’avoir soupé. Aucun homme ne peut être sage avec l’estomac vide. Mais, dit Bartle en se levant de nouveau, il faut que je donne aussi le souper à Vixen, que le ciel la confonde ! quoiqu’elle n’en doive rien faire que d’en nourrir ces babioles inutiles. C’est toujours ainsi avec les femmes ; — comme elles n’ont point de cerveau à nourrir, — toute leur nourriture se change en graisse ou en babouins. »

Il sortit de la dépense un plat de débris sur lesquels Vixen fixa instantanément les yeux, et sauta hors de son panier pour les lamper avec le plus de célérité possible.

« J’ai déjà soupé, monsieur Massey, dit Adam ; ainsi je vous regarderai faire votre repas. Je suis allé à la Grand’Ferme, où ils soupent toujours de bonne heure, vous savez ; ils ne travaillent pas tard comme vous.

— Je sais peu de chose de leurs heures, dit Bartle sèchement, en coupant son pain sans en redouter la croûte. C’est une maison où je vais rarement, quoique j’aime bien les garçons et que Martin Poyser soit un bon compère. Il y a pour moi trop de femmes dans cette maison : je déteste le son de leur voix ; c’est toujours pour faire de l’embarras ou pour criailler ; toujours de l’embarras ou de la criaillerie. Madame Poyser tient le haut bout comme un fifre, et quant aux jeunes filles, j’aimerais tout autant voir des larves. — Je sais ce qu’elles deviendront, — des moucherons piquants…, des moucherons piquants. Allons, prenez un peu de bière, mon garçon ; je l’ai tirée pour vous…, je l’ai tirée pour vous.

— Non, monsieur Massey, dit Adam, qui prenait le vieux tic de son ami plus au sérieux que de coutume, ne soyez pas si sévère pour les créatures que Dieu nous a données pour être nos compagnes. Un ouvrier s’en tirerait mal sans une femme pour soigner sa maison et sa nourriture, et pour arranger les choses proprement et confortablement.

— Ah, bast ! c’est le plus impudent mensonge auquel un homme sensé comme vous ait jamais cru, que de dire qu’une femme rende une maison confortable. C’est un conte qu’on a inventé, parce que les femmes sont là et qu’il faut bien leur trouver quelque chose à faire. Je vous dis qu’il n’y a pas une seule chose sous le soleil qu’un homme ne puisse faire mieux qu’une femme, excepté de porter des enfants, et encore le font-elles d’une manière si nonchalante, qu’il aurait mieux valu le laisser à faire aux hommes. Je vous dis qu’une femme vous fera cuire un pâté chaque semaine de sa vie, et ne saura pas voir que plus le four est chaud, plus vite le pâté est cuit. Je vous dis qu’une femme fera tous les jours votre soupe pendant vingt ans, et ne pensera jamais à mesurer la quantité de farine en proportion du lait, — un peu plus, un peu moins, pensera-t-elle, ne fait rien à la chose ; la soupe sera manquée de temps en temps ; si elle est mauvaise, ce sera parce qu’il y avait quelque chose dans la farine, ou quelque chose dans le lait, ou quelque chose dans l’eau. Regardez, moi, je fais moi-même mon pain, et il n’y a pas la plus petite différence entre une fournée et l’autre d’un bout à l’autre de l’année ; mais si j’avais une autre femme que Vixen dans la maison, je devrais prier le Seigneur à chaque fournée de me donner de la patience, si le pain en revenait lourd. Et, pour ce qui est de la propreté, ma maison est plus propre qu’aucune de celles de la commune, quoique la moitié de ces maisons fourmille de femmes. Le garçon de Will le boulanger vient m’aider une matinée, et nous faisons plus de nettoyage dans une heure, sans aucun embarras, qu’une femme n’en ferait en trois ; et pendant tout ce temps elle vous lancerait des seaux d’eau après les talons, et laisserait les pincettes au milieu de la chambre la moitié du jour pour vous faire casser la jambe contre. Ne me dites pas que Dieu ait fait de semblables créatures pour être nos compagnes. Je ne veux pas dire qu’il n’ait pas créé Ève pour être la compagne d’Adam dans le paradis, — il n’y avait point de dîner à mal apprêter là, et point d’autre femme pour caqueter et faire des sottises ; quoique vous voyiez quelle sottise elle a faite dès qu’elle en a eu l’occasion. Mais c’est une opinion impie et contre les Écritures que de dire qu’une femme est une bénédiction pour un homme à présent ; vous pourriez aussi bien dire que les serpents et les guêpes, les porcs-épics et les animaux sauvages sont une bénédiction, tandis que ce sont les maux qui appartiennent à notre état d’épreuves et qu’il est permis à l’homme de s’en tenir aussi loin que possible dans cette vie, espérant d’en être débarrassé pour toujours dans une autre. »

Bartle s’était tellement monté et irrité pendant sa diatribe, qu’il en avait oublié son souper et ne se servait de son couteau que pour frapper la table avec le manche. Mais, vers la fin, les coups devinrent si vifs et si répétés, et sa voix si colère, que Vixen sentit de son devoir de sauter hors du panier et d’aboyer à tout hasard.

« Silence, Vixen ! dit Bartle d’un ton grondeur, se tournant de son côté. Vous êtes comme le reste des femmes, plaçant toujours voire mot sans savoir pourquoi. »

Vixen retourna confuse dans le panier, et son maître continua de souper dans un silence qu’Adam ne voulut point rompre ; il savait que le vieillard serait de meilleure humeur quand il aurait terminé ce repas et allumé sa pipe. Adam était habitué à l’entendre parler ainsi ; mais il ne connaissait pas assez la vie passée de Bartle pour savoir si son opinion sur les agréments du mariage était fondée sur l’expérience. À cet égard, Bartle était muet, et personne ne savait même où il avait vécu avant les vingt années pendant lesquelles, heureusement pour les habitants du voisinage, il était fixé au milieu d’eux comme seul maître d’école. Si on faisait quelque question hasardée à ce sujet, Bartle répondait toujours : « Oh ! j’ai vu bien des endroits ; j’ai demeuré longtemps dans le Sud, » et les habitants du Loamshire auraient aussi vite pensé à demander le nom de quelque ville ou village en Afrique que dans « le Sud. »

« À présent, mon garçon, dit enfin Bartle, quand il eut bu son second gobelet d’ale et allumé sa pipe, à présent nous allons un peu causer. Mais, dites-moi d’abord si vous avez appris quelque nouvelle intéressante aujourd’hui.

— Non, dit Adam, rien dont je me souvienne.

— Ah ! ils le tiendront secret, ils le tiendront secret, je pense. Mais je l’ai découvert par hasard, et c’est quelque chose qui peut vous concerner, Adam, ou bien je ne sais pas distinguer un pied carré d’un pied cube. »

Ici Bartle aspira et rejeta gravement et avec rapidité une suite de bouffées de fumée, regardant Adam avec attention. Les hommes impatients et causeurs n’ont jamais la moindre idée de conserver leur pipe allumée par des aspirations douces et mesurées ; ils la laissent tout près de s’éteindre et ensuite la punissent de cette négligence. Il dit enfin :

« Satchell a eu une attaque de paralysie. Je l’ai appris du jeune homme qu’ils ont envoyé à Treddleston chercher le docteur, avant sept heures ce matin. Il a bien dépassé la soixantaine, vous savez ; c’est beaucoup s’il s’en remet.

— Eh bien, dit Adam, je crois qu’il y aurait plus de joie que de tristesse dans la paroisse, s’il était emporté. Ça été un individu égoïste, médisant, faux ; mais, après tout, il n’a fait à personne autant de mal qu’au vieux chevalier. Au reste, c’est le chevalier lui-même qui est à blâmer d’avoir fait un factotum d’un imbécile de cette espèce, et cela pour épargner la dépense d’un intendant convenable pour surveiller le domaine. Il a beaucoup plus perdu par le mauvais aménagement des bois que ne lui auraient coûté deux intendants. S’il est mis de côté, il faut espérer qu’il sera remplacé par un homme meilleur ; mais je ne vois pas en quoi cela peut me concerner.

— Mais je le vois, mais moi je le vois ! dit Bartle, et d’autres le voient aussi. Le capitaine devient majeur, — vous savez ça aussi bien que moi, — et on s’attend à ce qu’il ait un peu mieux voix au chapitre. Je sais, et vous aussi, quel serait le désir du capitaine à l’égard des bois, s’il y avait une bonne occasion de faire quelque changement. Il a dit devant assez bon nombre de témoins qu’il vous en donnerait la direction, s’il en avait le pouvoir. Eh bien, Carrol, le valet de chambre de M. Irwine, l’a entendu parler ainsi au pasteur, il y a peu de jours. Carrol est entré un moment, pendant que nous fumions nos pipes samedi soir chez Casson, et il nous a raconté cela ; et toutes les fois que quelqu’un dit de vous quelque bonne parole, le pasteur est prêt à l’appuyer, j’en puis répondre. On n’a pas mal causé là-dessus chez Casson, je puis vous le dire ; les uns ou les autres ont eu leur mot sur votre compte, car si des ânes se mettent à chanter, vous savez de reste quelle sera la chanson.

— Mais est-ce qu’ils ont parlé de cela devant M. Burge ? dit Adam, ou bien n’était-il pas là samedi ?

— Oh ! il était parti avant que Carrol n’entrât, et Casson, qui veut toujours conduire les gens, vous savez, prétendait que Burge était l’homme qui devait avoir la direction des bois. « Un homme solide, disait-il, avec une expérience de près de soixante ans, ce serait très-bien qu’Adam Bede agît sous sa direction ; mais on ne peut supposer que le chevalier nomme un jeune homme comme Adam, quand il en a sous la main de plus âgés et de supérieurs ! — Mais, dis-je, c’est une jolie idée que vous avez là, Casson. C’est ça : Burge est l’homme qui achètera du bois ; voudriez-vous mettre les bois entre ses mains et le laisser faire ses propres marchés ? Je crois que vous ne laissez pas vos pratiques inscrire ce qu’elles ont bu, n’est-ce pas ? Et quant à l’âge, c’est la qualité du liquide qui en fait la valeur. On sait très-bien qui est la cheville ouvrière de rétablissement de Jonathan Burge. »

— Je vous remercie de votre bonne intention, monsieur Massey, dit Adam. Mais, avec tout cela, Casson avait en partie raison cette fois. Il y a peu de probabilité à ce que le vieux chevalier consente jamais à m’employer ; je l’ai offensé il y a environ deux ans, et il ne m’a jamais pardonné.

— Bah ! comment cela ? Vous ne m’en avez rien dit.

— Oh ! une niaiserie. J’avais fait le cadre d’un écran pour miss Liddy ; elle est toujours occupée à quelque broderie, vous savez, et elle m’avait donné des ordres particuliers à l’égard de cet écran ; il y avait eu autant de discours et de mesures prises que si c’eût été les plans d’une maison. Toutefois c’était un gentil ouvrage, et j’étais bien aise de le faire pour elle ; mais vous savez que ces petites choses ornementées prennent considérablement de temps. J’y travaillais seulement à mes heures libres, souvent tard dans la nuit, et je fus obligé d’aller à Treddleston nombre de fois pour des petits clous de cuivre ou autres garnitures ; je tournai les petits pommeaux et les pieds, et je sculptai les reliefs, d’après un modèle, aussi joliment que possible. J’en fus très-satisfait quand ce fut terminé. Lorsque je le portai au château, miss Liddy me fit dire de l’entrer dans son salon, afin de me donner ses directions sur la manière de monter son ouvrage, — une très-belle broderie, Jacob et Rachel s’embrassant au milieu des brebis, comme une peinture, — et le vieux chevalier était assis dans le salon aussi, car il se tient beaucoup avec elle. Bien ! elle fut excessivement satisfaite de l’écran et désira en savoir le prix. Je ne parlai pas à la légère, vous savez que ce n’est pas mon usage ; j’avais fait mon calcul très-juste, quoique je n’eusse pas préparé de note, et je répondis une livre et treize schellings. C’était le prix des fournitures et de mon travail, mais rien de trop pour cet ouvrage. Le vieux chevalier leva les yeux à ce chiffre, lorgna l’écran à sa manière et dit : « Une livre treize schellings pour une mauvaise machine comme ça ! Lydia, ma chère, si vous voulez dépenser votre argent à de telles choses, pourquoi ne les achetez-vous pas à Rosseter, au lieu de payer double pour un travail grossier fait ici ? Ce n’est pas un ouvrage à donner à faire à un charpentier comme Adam. Donnez-lui une guinée, et pas davantage. » Miss Liddy, je suppose, crut ce qu’il lui disait, avec ça qu’elle n’aime pas trop elle-même se séparer de son argent ; c’est une bonne femme dans le fond, mais elle a été élevée sous la main de son frère. Elle commença alors à hésiter, sa bourse à la main, et devint aussi rouge que son ruban. Mais je la saluai et dis : « Non, je vous remercie, madame ; je vous ferai présent de l’écran, si vous le permettez. J’ai demandé le juste prix de mon ouvrage, et je sais qu’il est bien fait ; je sais aussi, en demandant pardon à Son Honneur, que vous ne pourriez trouver à Rosseter un semblable écran à moins de deux guinées. Je vous donnerai bien volontiers mon ouvrage ; j’y ai employé mon temps à moi, et personne n’a rien à y voir ; mais si je suis payé, je ne puis accepter moins que le prix que j’ai demandé, parce que ce serait dire que j’ai demandé plus que ce qui était juste. Avec votre permission, madame, j’ai l’honneur de vous saluer. » Je saluai et sortis avant qu’elle eût le temps de rien dire de plus, car elle restait debout, tenant sa bourse, ayant l’air assez sot. Je n’avais point l’intention de manquer de respect, et je parlais aussi poliment que je le pus ; mais je ne puis accorder à personne le droit de m’accuser d’avoir voulu le surfaire. Dans la soirée, le laquais m’apporta la livre treize schellings pliés dans du papier. Mais, depuis lors, j’ai vu très-clairement que le vieux chevalier ne peut me souffrir.

— C’est assez probable, c’est assez probable, dit Bartle d’un air convaincu. Le seul moyen de le ramener serait de lui montrer où se trouve son intérêt, et c’est ce que le capitaine peut faire…, ce que le capitaine peut faire.

— Non, je ne sais trop, dit Adam ; le chevalier est assez fin, mais il faut quelque chose de plus que de la finesse chez les gens pour leur faire voir où se trouvera leur intérêt à la longue. Il leur faut quelque conscience et quelque croyance à ce qui est bien ou mal, comme je le vois assez clairement. Vous ne pourriez peut-être jamais amener le vieux chevalier à croire qu’il pourrait tout autant gagner en allant son droit chemin que par des ruses et des détours. Puis, outre cela, je n’ai pas grand désir de travailler sous lui ; je ne voudrais pas avoir à me disputer avec aucun gentilhomme, et surtout avec un gentilhomme de plus de quatre-vingts ans, et je sais que nous ne pourrions pas être longtemps d’accord. Si le capitaine était maître du domaine, ce serait tout différent ; il a de la conscience et le désir de bien faire, et j’aimerais mieux travailler pour lui que pour toute autre personne au monde.

— Bon, bon, mon garçon, si une bonne chance frappe à votre porte, ne mettez pas la tête à la fenêtre pour lui dire d’aller à ses affaires, voilà tout. Il vous faut apprendre à vous tirer de pair et impair dans la vie aussi bien que dans l’arithmétique. Je vous le dis à présent, comme je vous le disais il y a dix ans, quand vous avez gourmé le jeune Mike Holdsworth, parce qu’il voulait faire passer un schelling faux, avant que vous sussiez s’il le faisait en plaisantant ou sérieusement, vous êtes trop prompt, trop fier et trop enclin à montrer les dents aux gens dont les idées ne cadrent pas avec les vôtres. Il n’y a pas de mal à moi à être un peu bouillant et roide du dos : je suis un vieux maître d’école et ne désirerai jamais me percher plus haut ; mais à quoi servirait tout le temps que j’ai employé à vous enseigner à écrire, à faire des plans et arpenter, si vous ne vous poussez pas dans le monde et si vous ne montrez pas aux gens qu’il y a quelque avantage à avoir une tête sur vos épaules, au lieu d’un turneps ? Avez-vous l’intention de lever le nez à la moindre occasion, parce qu’il se trouve quelque légère odeur dont personne ne s’aperçoit, excepté vous ? Ce serait une idée aussi ridicule à vous que de croire qu’une femme peut donner du confortable à un ouvrier. Ça n’a pas le sens commun…, pas le sens commun ! Laissez cela aux imbéciles qui n’ont jamais pu aller plus loin qu’une simple addition. C’est une assez simple addition effectivement ! Ajoutez une sottise à une autre sottise, et dans six années de temps six sottises de plus, c’est toujours la même dénomination, grosses ou petites ne changent rien à la somme ! »

Pendant cette très-chaude exhortation au calme et à la modération, la pipe s’était éteinte et Bartle donna la dernière force à son discours en frottant furieusement une allumette contre le chenet, après quoi il souffla d’un air fier et déterminé en fixant toujours ses yeux sur Adam, qui s’efforçait de ne pas rire.

« Il y a beaucoup de bon sens dans ce que vous dites, monsieur Massey, dit Adam, dès qu’il se sentit tout à fait sérieux, comme toujours. Mais vous m’accorderez que je ne dois pas me mêler de bâtir en l’air sur des chances qui n’arriveront peut-être jamais. Ce que j’ai à faire, c’est de travailler, aussi bien que je le pourrai, avec les outils et les matériaux que j’ai sous la main. Si une bonne chance s’offre à moi, je penserai à ce que vous m’avez dit ; mais jusque-là je n’ai rien à faire qu’à me confier à mes propres mains et à mon propre cerveau. Je roule dans ma tête un projet pour entreprendre avec Seth un petit travail d’ébénisterie et gagner ainsi une ou deux livres supplémentaires. Mais il se fait tard maintenant ; il sera bien près de onze heures avant que je sois à la maison, et il se peut que ma mère se tienne éveillée dans son lit ; elle est plus agitée que d’habitude pour le moment. Aussi je vous souhaite le bonsoir.

— Bien, bien ; nous irons jusqu’à la porte avec vous, — c’est une belle nuit, dit Bartle en prenant sa canne. » Vexin fut aussitôt sur ses jambes, et, sans rien dire de plus, tous les trois sortirent à la clarté des étoiles, et marchèrent à côté des rangées de pommes de terre de Bartle jusqu’à la petite porte.

« Venez à la leçon de musique vendredi soir, si vous le pouvez, mon garçon, dit le vieillard en fermant la porte après Adam et s’appuyant dessus.

— Oui, oui, dit Adam en se dirigeant vers la route. » Il était le seul objet en mouvement sur ce vaste terrain communal. Les deux ânes gris que l’on pouvait voir devant les buissons poudreux étant aussi tranquilles que des blocs de pierre ou que le toit de la petite chaumière aux murs de terre, un peu plus loin. Bartle suivit de l’œil la figure qui marchait jusqu’à ce qu’elle disparût dans l’obscurité, tandis que Vixen était retournée deux fois à la maison en courant pour lécher ses petits.

« Oui, oui, murmura le maître d’école quand Adam disparut ; vous vous en allez en marchant d’un pas résolu…, d’un pas résolu ; mais vous ne seriez pas devenu ce que vous êtes si le vieux boiteux Bartle n’avait mis du sien en vous. Le veau le plus fort a besoin de quelque chose à sucer. Il y a bon nombre de ces gros et lourds gaillards qui n’auraient jamais connu leur abécé si Bartle Massey ne s’était trouvé là. Bien, bien, Vixen, folle créature, qu’y a-t-il ? qu’y a-t-il ? Il faut que je rentre, n’est-ce pas ? Je ne pourrai plus suivre ma volonté ? Et ces petits, que pensez-vous que j’en puisse faire quand ils seront deux fois plus gros que Vous ? — car je suis sûr que le père est ce gros terrier de Will le boulanger ; — n’est-ce pas, eh ! rusée gueuse ? » (Ici Vixen mit sa queue entre ses jambes et courut en avant dans la maison. On touche quelquefois à des sujets qu’une femme bien élevée doit savoir ignorer.)

« Mais à quoi sert de parler à une créature qui a des marmots ? continua Bartle ; elle n’a point de conscience…, point de conscience ; elle s’est toute convertie en lait. »