Adalbert et Mélanie

chez Billois (2 volumesp. --242).

ADALBERT

ET

MÉLANIE.

PAR S***. C***.


Mais si vous n’aimez point vous ne concevrez pas
Tous ces soulèvemens, ces craintes, ces combats,
Ce reflux orageux de sentimens contraires.

Zulime act. III, sc. I.

TOME PREMIER.

PARIS.

Chez Billlois, quai des Augustins, n°. 37.

An XI — 1802

ADALBERT
ET
MÉLANIE.




Adalbert, le jeune, l’aimable Adalbert, étoit à Paris depuis trois mois ; il y étoit venu pour une affaire importante et chère à son cœur ; mais le tourbillon de la capitale, l’avoit étourdi ; des succès de société l’avoient séduit et égaré, et lui faisoient oublier le véritable but de son voyage.

Il étoit occupé un matin, à lire un billet de madame de Linière ; billet tendre, charmant, et d’autant plus flatteur pour la vanité d’Adalbert, que madame de Linière étoit l’objet des vœux de tous les jeunes gens à la mode, et la femme dont on vantoit le plus la figure, les grâces, les talens et l’esprit. Tout entier à cette lecture, il ne s’étoit pas aperçu qu’on avoit ouvert sa porte, et qu’une jeune personne charmante aussi, mais vêtue comme la fille d’un simple artisan, étoit entrée dans sa chambre. Ces mots : C’est lui, c’est bien lui, prononcés avec précipitation et d’une voix altérée, attirèrent cependant son attention ; il se retourne, et n’a que le temps de recevoir dans ses bras l’inconnue qui s’y précipite et y tombe presque évanouie. Du plus grand étonnement il passe bientôt à la plus violente émotion : il a reconnu celle qui vient ainsi le surprendre. Il l’assied sur le fauteuil qui se trouve le plus près de lui, et n’a que la force de lui balbutier : Quoi, c’est vous ! sans obtenir d’autre réponse que des larmes et des soupirs. Adalbert, interdit, sembloit ne pouvoir en demander davantage ; il fixoit ses regards sur cette jeune personne en qui tout annonçoit le désespoir, et ils restèrent long-temps en silence l’un et l’autre, avant de pouvoir commencer une explication.

Mais pour comprendre cette scène et ce qui en fut la suite, il faut nécessairement reprendre de plus haut l’histoire d’Adalbert.

Ce jeune homme étoit né sans fortune, mais de parens respectables par eux-mêmes, et par leurs aïeux. Il entra de bonne heure au service, et son nom et quelques protections lui ayant procuré un rapide avancement, à vingt ans il étoit capitaine de dragons dans un des régimens les mieux composés de France. De l’exactitude et de l’intelligence le faisoit estimer de ses chefs, un caractère doux et conciliant le faisoit aimer de ses camarades, et de l’esprit et quelques talens agréables le faisoient rechercher dans la société. Pour achever de peindre Adalbert, nous devons dire, qu’avec tant de qualités aimables, il avoit ce genre de foiblesse, trop commun dans les jeunes gens, qui fait souvent dépendre leurs actions des circonstances et surtout des liaisons qu’ils doivent souvent au hasard.

Nous savons combien il est difficile à un jeune militaire d’échapper à ce désir d’être favorisé des femmes. De l’amour à la guerre, de la guerre à l’amour, il semble que ce soit toute son histoire ; aussi ces deux objets inspiroient-ils tous les rêves d’Adalbert, remplissoient-ils tous ses projets, absorboient-ils tous ses sentimens. Déjà plusieurs fois il s’étoit cru amoureux ; mais des liens formés uniquement par ce besoin d’attachement qu’éprouve toujours un jeune cœur, étoient promptement rompus, et trop souvent sacrifiés à cette funeste vanité, tant excitée de nos jours, qui consiste à en former sans cesse, pour ne tenir à aucun.

Entraîné par de pernicieux exemples, et par le dangereux esprit de son temps, Adalbert couroit donc déjà cette carrière où l’amour, bien loin d’être ce doux échange, ce doux partage, ce doux mélange des plus tendres comme des plus généreux sentimens, n’est plus que l’instrument de l’égoïsme et des viles passions qui en sont la suite ; n’inspire point ce désir si satisfaisant de tout immoler au bonheur de ce qu’on. aime ; et au contraire, ne fait connoître de jouissances, que d’immoler à d’odieuses prétentions, les infortunées dont on parvient à se faire aimer. Ce n’est plus à plaire que l’on cherche, c’est à corrompre. Ô femmes ! femmes ! et vous ne savez pas en faire la différence ?

Adalbert avoit cependant l’âme assez sensible pour revenir encore de son erreur, et sentir enfin que pour connoître les charmes de l’amour, il faut l’éprouver soi-même au moins autant qu’on le fait éprouver.

Voici à peu près quelles étoient les dispositions d’Adalbert, lorsque son régiment fut envoyé en garnison au Mans, ville assez grande, riche, et où depuis vingt ans on n’avoit pas vu de troupes. On sait quel effet produisoit alors dans une ville de province l’arrivée d’un régiment, surtout lorsqu’elle n’étoit point accoutumée à en voir, et surtout, lorsque c’étoit un régiment de dragons. Adalbert, qui n’avoit point de sémestre cette année-là, et qui, sur la réputation de la ville où il alloit, se promettoit bien de passer un hiver agréable, avoit pris des lettres de recommandation pour plusieurs personnes, et il en avoit entre autres pour le comte de Savigny, homme d’une grande naissance et d’une grande fortune, qui tenoit beaucoup à l’une et à l’autre ; mais qui d’ailleurs étoit rempli d’excellentes qualités, et passoit pour avoir la meilleure maison de toute la province. Il étoit veuf depuis quelques années, et une sœur, madame de la Suze, veuve aussi, conduisoit sa maison et servoit de guide à une fille unique qu’il adoroit.

Madame de la Suze, joignoit à un grand usage du monde un caractère extrêmement indulgent pour les foiblesses qu’elle y avoit continuellement remarquées ; elle n’avoit point d’enfant, et chérissoit sa nièce, comme si elle en avoit été la mère. Son frère avoit pour elle une véritable amitié ; il étoit de plus reconnoissant des soins qu’elle prenoit de sa maison, et particulièrement de sa fille chérie ; malgré cela la facilité de caractère qu’il lui connoissoit, faisoit qu’il n’accordoit pas une grande confiance à ses opinions, et elle savoit bien elle-même que pour les choses importantes elle n’avoit aucun empire sur son esprit ; elle tâchoit de se dédommager de cette petite humiliation en s’emparant de celui de sa nièce, et pour s’en assurer elle avoit pour cette jeune personne, une complaisance sans bornes. Mélanie, c’est ainsi que s’appeloit la fille du comte de Savigny, Mélanie avoit bien aussi tout ce qui pouvoit la justifier. Il étoit difficile de réunir plus d’agrémens extérieurs, et plus d’excellentes qualités du cœur ; elle auroit fait l’orgueil d’une mère, et madame de la Suze s’en attribuoit tous les sentimens.

Elle avoit dix-huit ans lorsqu’Adalbert arriva au Mans et fut présenté chez son père, à qui il étoit recommandé d’une manière si particulière, et par des personnes qui étoient d’un si grand poids auprès de lui, que le comte de Savigny le reçut bientôt comme un jeune homme qu’il jugeoit digne de toute son amitié. »

Quoiqu’Adalbert ne se fût pas défendu des travers des jeunes militaires de son âge, il connoissoit au moins le prix des convenances ; il savoit s’y conformer, et avoit l’excellent esprit, d’autant plus remarquable qu’il étoit plus rare, de rendre à la vieillesse ces égards que la nature devroit inspirer, quand l’ordre de la société ne les exigeroit pas. Le comte de Savigny s’en aperçut bientôt, et lui en sut tellement gré, qu’il redoubla d’empressement pour lui et l’attira chaque jour dans sa maison.

Ce que nous avons dit d’Adalbert fait déjà trembler pour Mélanie ; car on juge qu’il la voit souvent. Mais on sait qu’il est d’une naissance distinguée ; il peut espérer de l’avancement militaire ; il plaira à Mélanie, et le père prévenu en sa faveur consacrera des nœuds fortunés et légitimes. Hélas ! il ne faut pas l’espérer. Le comte de Savigny adore sa fille, mais il tient beaucoup à ses idées ; et celle qui lui est la plus chère, c’est de la voir une des plus grandes dames de France ; il y rêve sans cesse, et : il a déjà fait, pour y parvenir, plus d’une démarche, qui augmentent ses espérances d’y réussir. Il en a déjà parlé à Mélanie, et il ne sauroit même lui venir dans la pensée que rien puisse jamais la détourner de cette brillante perspective qui lui paroît le suprême bonheur.

Au bout d’un mois Adalbert étoit reçu chez le comte de Savigny avec ce genre de familiarité qu’auroit un pupille chez son mentor, ou un protégé chez un protecteur qui seroit flatté d’accorder la protection. Le comte de Savigny aimoit beaucoup à causer avec lui ; il le consultoit même, parce qu’Adalbert écoutoit de son côté avec une espèce de soumission les conseils que le comte ne lui épargnoit pas.

Madame de la Suze, qui, comme toutes les vieilles femmes aimoit mieux la jeunesse que ses contemporains, ne pouvoit manquer de raffoler d’Adalbert, qui avoit pour elle des attentions, auxquelles les autres jeunes gens ne l’avoient pas accoutumée.

Mélanie l’avoit trouvé fort aimable les premiers jours ; mais depuis quelques temps elle n’en disoit plus rien.

Quant aux sentimens d’Adalbert ; pour les pénétrer il suffit de lire ce qu’il écrivoit au chevalier de Mareuil, jeune homme très à la mode ; qui n’étoit pas son ami de cœur, mais qui étoit le confident de ses succès auprès des belles.

Adalbert au chevalier de Mareuil

« Tu le sais, mon cher chevalier, je suis condamné à passer l’hiver à mon régiment ; je t’ai promis de m’en venger sur quelques maris de la garnison où l’on nous envoyoit, et le ciel qui prend pitié de l’infortune, m’a préparé de quoi me confirmer dans ma résolution, en rendant l’exécution aussi agréable que je la suppose facile. Puisque je ne peux pas comme toi, passer tous mes hivers à Paris, rien de mieux, ne pouvoit m’arriver, que d’en passer un ici. Cette ville est fort riche, vingt maisons nous sont ouvertes, et toutes remplies de femmes qui sont transportées de voir leur société embellie, j’ose dire le mot, par de jeunes militaires, qui semblent n’être venus que pour s’occuper d’elles. Depuis plus de vingt ans on n’avoit point vu de troupes dans le pays, juge donc de l’effet que produit un habit vert quand il paroit dans les rues. Pas une de ces belles dames qui ne tressaille en nous voyant passer. On nous a avertis que les Manceaux sont chicaneurs, et que leur réputation à ce sujet est bien fondée ; mais je puis t’assurer que les époux du Mans sont-déjà jugés dans le cœur de leurs femmes, et que le petit procès que nous sommes venus leur intenter est déjà perdu sans retour : je ne jurerois pas même que quelques-uns n’aient déjà payés les dépens.

« Tu seras surpris, peut-être, que j’en sois à te faire une supposition, et que je ne parle pas avec plus d’assurance d’après moi-même. Comme nous ne croyons pas trop entre nous à notre discrétion, tu vas supposer qu’en ton absence, n’ayant pas de rival digne de moi, je me néglige, faute de cette noble émulation qui nous a animés dans tant d’occasions différentes. Je ne sais, mais je t’avoue que, tout en admirant nos belles plus que Normandes, je n’ai point éprouvé le désir de faire de grands efforts ; sans doute que je pense qu’ils ne sont pas nécessaires, ou que pour changer de méthode, je veux laisser au hasard le soin d’arranger tout de lui-même.

« Mais au moins, me diras-tu, tu as bien porté sur une de ces belles, quelques regards de préférence ? En vérité, je crois que non. Jusqu’à présent ma connoissance la plus intime est un homme de cinquante-cinq à soixante ans, qui m’accable d’amitiés ; qui d’ailleurs à une maison excellente, où il rassemble la meilleure compagnie de la ville, et où je puis passer ma vie, si je le veux. Il y a bien deux femmes dans la maison ; mais l’une approche cinquante ans, et l’autre en a à peine dix-huit, et pour des gens comme nous, qui ne donnons pas dans les extrêmes, l’une n’est plus, l’autre n’est pas encore. Mais on a tant d’égards pour moi, on me comble de tant de prévenances, que je ne saurois me refuser à l’empressement du comte de Savigny, c’est le nom du maître de cette maison. Je lui plais, et sais-tu bien que plaire à un homme âgé a peut-être de quoi flatter un jeune homme plus qu’on ne pense ; car je vois bien peu de jeunes gens y réussir ? Enfin, je ne sais pourquoi, mais je trouve beaucoup de charmes dans cette société ; je me crois presque un sage, quand j’ai causé quelque temps avec ce brave homme, qui me prend lui-même pour un Caton. Rien de si plaisant peut-être, que de voir mon air grave quand je lui parle, et l’air satisfait qu’il a quand je l’écoute. Ris tant que tu voudras de cette liaison ; je ne perds pas tout à cette complaisance ; il me dit des choses qui ont peut-être été répétées cent fois, mais que dans la vie que j’ai menée, je n’ai guère entendues, et dont on peut faire son profit. On aura beau dire, l’expérience est bonne à consulter. Je vois aussi qu’on me regarde comme un jeune homme unique, qu’on me considère, qu’on me vante ; je suis persuadé qu’il n’y a pas tant de duperie, que la plupart de nous le croient, à être ce qu’on appelle raisonnable, avant que l’âge y ait forcé.

« Mais je m’oublie ; c’est à Mareuil que je fais ces belles réflexions ! Tu vas faire mon épitaphe. Les succès que je te raconte, ne m’élèveront guère dans ton esprit, et c’est être mort au monde que de n’en avoir point d’autres à raconter. Eh bien ! parle-moi des tiens, et ne t’occupe de moi que pour te souvenir que je suis ton meilleur ami. »


Mareuil retrouvoit bien dans le commencement de cette lettre d’Adalbert, le ton ordinaire de leur correspondance ; mais la fin lui parut être un véritable amphigouri, ou cacher quelque mystère qu’Adalbert n’osoit pas avouer. Ce fut à cette dernière idée qu’il s’arrêta ; il soupçonna que cette fois Adalbert étoit pris lui-même, et bien sérieusement, puisqu’il n’en parloit pas, et ne se vantoit d’aucun succès. Mareuil lui répondit en conséquence par un persiflage où il retournoit, commentoit toutes les phrases de la lettre ; et finissoit par assurer son camarade que malgré la sévérité de ses principes, personne n’étoit plus compatissant que lui aux foiblesses humaines ; que la peur de perdre quelque chose dans son opinion, ne devoit pas l’arrêter dans une confidence qu’on voyoit clairement qu’il brûloit de faire, et qui serait reçue avec toute l’indulgence que l’on doit aux malheureux.

Il faut bien se garder de confondre l’indiscrétion, avec ce besoin d’épanchement qu’on éprouve quand le cœur est trop plein d’un sentiment ; quoique les effets en soient malheureusement quelquefois les mêmes, les causes en sont si différentes que le dernier vient d’un excès de sensibilité, et l’autre est la preuve qu’on n’en a point du tout. La réponse de Mareuil désespéra Adalbert ; il eut peur d’en avoir trop dit, et cependant il aurait voulu en dire davantage. Mais celui qui avoit été le confident de la vanité, ne pouvoit pas être le dépositaire des secrets du cœur. Heureusement que malgré ses erreurs, Adalbert n’étoit pas indigne d’avoir un ami fait pour remplir cette tâche délicate et si intéressante ; Mareuil n’eut donc plus que quelques détails insignifians, qu’on tâcha d’accommoder le mieux possible à sa manière de penser, afin de ne pas se perdre dans l’esprit d’un homme dont la réputation en imposoit parmi ses camarades, et Charleville, jeune homme moins agréable, mais doué des plus excellentes qualités, pour lequel Adalbert avoit une véritable amitié, devint bientôt le correspondant de confiance. Une partie de l’histoire que nous voulons raconter, se trouve dans leur correspondance dont nous allons rapporter tout ce qui n’est pas absolument étranger à cette histoire. Nous supprimons d’abord un lettre où Adalbert donne à son ami les détails que nous avons déjà donnés sur le comte de Savigny et sa famille ; et nous arrivons tout de suite à celle où il se décide à faire une entière confidence de la situation de son cœur.

Adalbert à Charleville.

Au Mans, le 18 Décembre 178°.

« Tu me trouves changé, mon cher Charleville ; tu as bien raison : je ne me reconnois plus moi-même. Tu m’en félicites sous quelques rapports, et sous d’autres tu en es inquiet : toutes tes réflexions sont justes, trop justes ! aussi quand je te lis ou quand je t’écris, je crois être en présence de la raison. À Lille, à Falaise, tu me reprochois ma légèreté, mon penchant pour les principes en crédit parmi nos jeunes camarades, et tu m’effraies maintenant sur ce qui me fait oublier, au moins pour le moment, ces principes que tu crois si coupables et si funestes. Eh bien ! passons condamnation sur ce que tu appelois les erreurs de ma tête ; mais laisse-moi céder aux doux sentimens de mon cœur. Si tu la connoissois cette Mélanie qui a renversé toutes mes idées ! tu ne pourrois te défendre au moins de beaucoup d’indulgence. Moi, former le projet de la séduire ! Est-ce que maintenant je fais des projets ? Depuis deux mois bientôt, je la vois presque tous les jours ; chaque matin je pense que je la verrai, chaque soir je pense que je l’ai vue, voilà toute mon histoire quand je ne suis pas auprès d’elle.

« Tu veux que je pense à l’avenir, quand ma pensée suffit à peine au présent. J’en appelle à toi-même, qui ne raisonne si bien, que parce que ta raison, au moins une fois à ma connoissance, a été aussi mise en défaut ; j’en appelle à toi, pour savoir si l’amour (eh bien, oui, l’amour, puisqu’il faut le dire) ; si l’amour peut voir autre chose dans l’avenir, que le bonheur d’être aimé : s’il n’en avoit pas l’espoir, ce seroit un amour bien malheureux ; s’il pouvoit cesser d’y penser, ce ne seroit plus de l’amour.

« Oui, tu sauras tout ; tout, jusqu’à mes plus secrètes pensées ; je suivrai tes conseils autant que je le pourrai. Je sais d’avance qu’ils seront toujours sages ; trop sages sans doute pour que je puisse toujours les suivre.

« Non, Mélanie ne connoît point mes sentimens ; du moins je n’ai pas à me reprocher une seule démarche faite exprès pour lui dévoiler le secret de mon cœur et pour chercher à lire dans le sien. Elle imite son père et sa tante, en me témoignant une confiance dont je ne voudrois pas abuser ; et qui n’est d’ailleurs, qu’une preuve ou de son innocence, ou du peu d’importance qu’elle met à notre liaison. Elle ne remarque pas même l’embarras que j’éprouve quelquefois auprès d’elle. Il y a deux jours, nous sommes restés seuls quelques minutes, du moins il n’y avait dans le salon qu’un enfant de trois ou quatre ans, qui appartient à quelqu’un de la maison. J’étois tout près d’elle, il m’a pris comme un tremblement, une violente agitation ; je ne distinguois plus rien, l’appartement me paroissoit une mer de feu ; je me suis éloigné, j’ai rencontré une chaise que j’ai renversée ; je suis presque tombé avec elle ; je l’ai redressée et je me suis assis dessus, sans savoir ce que je faisois. J’ai appelé l’enfant qui jouoit dans le salon ; je l’ai caressé ; je l’ai appelé peut-être dix fois par son nom. Il me regardoit et ne savoit pas ce que je lui voulois : hélas ! je ne lui voulois rien, le pauvre enfant ! On est rentré ; je n’avois rien dit que le nom de l’enfant. J’ai bien vu que Mélanie en étoit un peu surprise ; mais j’ai vu aussi qu’elle n’y comprenoit rien. »

Le même au même.

Le 26 Décembre.

« Pourquoi, mon ami, pourquoi ta lettre n’est-elle pas arrivée deux jours plutôt ? peut-être ne serois-je pas maintenant livré à une inquiétude mortelle, et presque à des regrets. Elle sait tout, j’ai osé rompre le silence, ou plutôt j’ai osé écrire ; et c’est au moment où je venois de hasarder cette démarche, que j’ai reçu tes réflexions sévères sur les chagrins que mes assiduités pouvoient préparer à une jeune personne dont je ne saurois obtenir la main. Ce sont les intérêts de Mélanie que tu parois défendre ; ah ! que tu sais bien trouver le plus puissant moyen pour m’engager à réfléchir, et je te remercie de croire qu’il suffit pour m’y forcer. Mais, mon ami, ne puis-je donc combler l’intervalle que le sort semble avoir mis entre Mélanie et moi ? Il est vrai que la différence de nos fortunes est énorme ; mais ma naissance est égale à la sienne ; je suis jeune, et j’ai lieu d’espérer de l’avancement militaire. Tu m’as vu quelquefois négliger mon métier, et m’en laisser distraire par des liaisons frivoles ; mais je suis maintenant le meilleur officier du régiment ; mon plan est fait ; capitaine à vingt ans, ne puis-je pas être colonel avant. trente ? Ah ! si la guerre venoit ! Mon ami, je t’en prie, ne détruit pas cette chimère. J’ai fait, un grand pas ; laisse-moi quelques rêves pour le justifier. À des yeux moins prévenus que les tiens, je trouverois bien d’autres motifs pour cette justification. Si je te disois que j’ai surpris dix fois ses regards attachés sur moi ; que lorsque sa tante fait mon éloge, ce qui lui arrive souvent, il me semble qu’elle rougit toujours ; si je te disois……

« Jeudi dernier nous avons fait une très-longue promenade ; vers la fin Mélanie paroissant fatiguée, madame de la Suze lui a dit de prendre mon bras. Elle a obéi en hésitant, et pour cette fois, je suis bien sûr qu’elle a rougi beaucoup. Notre major donnoit le bras à la tante ; ils sont restés un peu en arrière, et nous sommes arrivés quelques minutes avant eux. Jusque-là notre conversation avoit été assez insignifiante, au moins en apparence ; mais en attendant sa tante, je ne sais pourquoi il m’est venu dans l’idée de lui dire que ma compagnie alloit vraisemblablement être détachée, ce qui m’éloigneroit du Mans. Quoi, vous partez, monsieur Adalbert ! s’est-elle écriée en joignant ses deux mains, comme si elle m’avoit imploré. Non, mon ami, tu n’as jamais entendu un accent semblable à celui dont elle a prononcé, quoi, vous partez, monsieur Adalbert ! La tante nous a rejoint alors, et la manière empressée dont sa nièce est allée vers elle, ne m’a laissé aucun doute qu’on avoit à me cacher un peu de confusion. Et tu voudrois que je l’eusse entendue de sang-froid ! Je l’ai quittée ; je suis revenu chez moi ; j’ai passé une partie de la nuit à rêver, à prendre cent résolutions extravagantes ; j’ai passé l’autre à écrire à Mélanie ; à lui écrire mille folies qu’elle ne verra jamais, qu’elle ne pourroit pas voir. J’ai conservé un seul billet de quelques lignes, je l’ai relu le lendemain avant d’aller chez le comte de Savigny, chez qui je dînois ; je l’ai déchiré ; j’en ai écrit un autre que j’ai déchiré encore ; enfin, j’en ai écrit un troisième que j’ai emporté avec moi. En abordant Mélanie, j’ai senti que je rougissois, comme si j’avois eu déjà quelques reproches à me faire. J’ai pensé au billet que j’avois dans ma poche, et mon embarras a redoublé. Nous n’étions pas seuls, je me suis éloigné d’elle et me suis remis un peu en causant de choses indifférentes avec le comte de Savigny, madame de la Suze et d’autres personnes qui étoient du dîner. On s’est mis à table, mais le souvenir du billet ne me quittoit pas ; il est impossible qu’on ne se soit pas aperçu de mes distractions perpétuelles. En apportant ce billet, je n’avois point de projet bien décidé, et plus j’y pensois, et plus il sembloit que je craignisse de m’arrêter à aucun. Après dîner on est allé se promener dans le jardin, qui est fort grand et contient plusieurs bosquets. Dans un détour, nous nous sommes trouvés, Mélanie et moi, séparés de toute la compagnie ; sans réfléchir davantage, je lui ai présenté le terrible billet. Son premier mouvement a été de le prendre, sans savoir ce que cela vouloit dire ; mais mon air décontenancé, ne pouvoit manquer de lui causer au moins de la surprise ; elle l’a remarqué ; elle s’est déconcertée à son tour, elle a hésité ; mais son incertitude même ne lui a pas permis de refuser. Je la vois encore ouvrant sa main, en la retirant cependant un peu ; les yeux fixés sur la mienne qui s’avançoit à mesure que la sienne se retiroit. Elles se sont enfin rencontrées ces deux mains ! Mais, monsieur Adalbert…… a balbutié Mélanie. Le papier étoit déjà dans ses doigts qui se replioient doucement. Ses yeux se sont portés dessus, et puis elle m’a regardé sans rien dire. Un importun s’est approché ; il a bien fallu qu’elle cachât le billet ; sans cela, je suis sûr qu’elle me l’eût rendu. Je ne l’ai pas revue depuis, je n’ai pas osé la revoir ; j’ai fait dire ce matin que j’étois incommodé. Ne va pas croire que ce soit une de ces ruses que tu m’as reprochées quelquefois. Des ruses avec Mélanie ! quand je le voudrois, mon esprit est-il assez libre pour rien calculer ? Crois que si je n’étois pas entraîné, je n’eusse pas fait une démarche que tu vas condamner, et que je condamne assez moi-même, puisque que depuis deux jours, j’éprouve des tourmens que je ne pourrois supporter, s’ils devoient durer longtemps. »

Le même au même.

Le 29 Décembre.

« Je l’ai revue, mon ami. Après t’avoir écrit ma dernière lettre, ne pouvant supporter l’agitation où je me trouvois, je suis parti pour la Flèche, où j’ai été chercher quelques distractions, en visitant l’école militaire ; en causant avec tous les professeurs, et m’occupant de choses qui n’ont guère de rapports avec la passion qui me tourmente. Je n’ai cependant mis que deux jours à faire cette petite course. J’étois à peine de retour que le comte de Savigny est entré chez moi. Te le dirai-je sa vue m’a fait trembler. Mais il m’a bientôt rassuré par des plaisanteries sur l’incommodité que je lui avois fait annoncer, comme me retenant dans ma chambre ; et prenant un ton ironique : — Vous revenez de plus loin que vous n’avez voulu me le faire dire, mais enfin vous voilà rétabli au moins pour quelque temps ; et vous ne pouvez vous dispenser de venir me voir aujourd’hui, a-t-il ajouté d’un air plus sérieux ; car ma pauvre Mélanie est toute malade ; c’est nous qui véritablement n’avons pas pu sortir depuis quatre jours. Pressé de retourner auprès de sa chère fille, il est parti sans attendre ma réponse ; il m’a serré la main, en me disant, nous Comptons sur vous pour ce soir.

« Je suis resté absorbé dans mes réflexions. Mélanie malade ! son père me supposant quelque intrigue ! par conséquent bien loin de pénétrer mes véritables sentimens ; sa fille n’avoit point parlé, je devois être tranquille sur ce point ; elle étoit cependant profondément affectée de ma déclaration, puisque Sa santé en étoit altérée ; mais dans quel sens en étoit-elle affectée ? Comment ne pas saisir la moindre apparence pour croire ce qu’on désire ; dès lors J’ai cru…… j’ai bien de là peine à ne pas m’abandonner encore à cette délicieuse pensée.

« Écoute le récit de notre entrevue :

« J’ai trouvé Mélanie avec-son père et sa tante ; celle-ci m’a fait des reproches obligeans sur mon absence, en y ajoutant des détails sur la santé de sa nièce qui leur avoit causé pendant deux jours quelque inquiétude. Mélanie, qui avoit d’abord gardé le silence, a interrompu sa tante assez vivement, pour assurer que ce n’étoit rien. J’ai fait une assez forte chute, a-t-elle dit, la tête a porté, et j’en suis encore tout étourdie. Oh ! non, Mélanie, ce n’est pas à la tête que le coup a dû porter ! Je n’avois pas encore osé la regarder ; j’ai jeté les yeux sur elle, j’ai rencontré les siens ; elle a rougi. Sans trop savoir ce que je disois, je lui ai demandé si la tête lui faisoit encore mal. Un peu dans ce moment, m’a-t-elle répondu, avec le ton le plus doux ; mais j’espère que”cela passera.

« Rassuré par l’accueil que je recevois, je me suis assis tout près d’elle, et je l’ai peu quittée de toute la soirée. Tu crois peut-être que j’espérois recevoir une réponse… Ne suppose pas que j’aie été capable de faire l’injure à Mélanie, d’en avoir eu seulement la pensée. Mais cette réponse ne pouvoit-elle pas s’échapper malgré elle de ses yeux ? Je dois te l’avouer, je l’épiois jusque dans le moindre de ses gestes. Sans beaucoup de prévention ne pouvois-je pas interpréter favorablement cette maladie ? N’étoit-ce pas déjà une réponse ? Mélanie paroissoit le sentir ; à chaque détail que sa tante me faisoit, je voyois son embarras augmenter : cette bonne tante n’a pas voulu me laisser rien ignorer ; elle ne se doute pas du plaisir qu’elle m’a causé.

« Tu penses bien que d’ailleurs on m’a fort peu parlé. J’avois moi-même des distractions perpétuelles ; mais heureusement que le père, la tante et deux ou trois indifférens qui étoient là n’ont pas laissé languir la conversation, et m’ont permis de m’absorber dans la plus attachante des occupations, celle de contempler ce qu’on aime.

« La soirée a fini. Jamais soirée ne m’a paru si courte ; et jamais cependant la maison du comte de Savigny n’a été plus morne et plus triste. J’avois gagné la porte du salon, j’étois près de sortir, lorsque je me suis retourné, et j’ai vu que Mélanie avoit les yeux fixés sur moi. Elle les a baissés promptement ; mais je l’avois assez vu pour en emporter le souvenir. Ne te moque pas de moi, mon ami, quand je te raconte de si petites choses. L’histoire la plus intéressante du monde, celle qui tient une grande place dans toutes les autres, l’histoire de l’amour, ne tire tout son charme que de ces petits événemens.

« Rentré chez moi, j’ai écrit à Mélanie. Ah ! calme ta sévérité ; c’est à son ombre que j’écris ; elle ne lira point, ou du moins elle ne lira pas de sitôt ces pages brûlantes qu’elle m’inspire. Tous les soirs, je lui consacre une heure ; la dernière heure de ma journée. Mais crois-tu que ce soit la seule qui soit pour elle. Hélas ! elle remplit encore toutes les autres. Cet hélas ! m’échappe malgré moi ; tu sentiras tout ce qu’il veut dire. »

Le même au même.

Le 10 Janvier.

« Tu m’as bien grondé, mon ami ; je m’y attendois ; et avant de recevoir ton sermon, je m’étois rendu encore plus coupable ; j’avois encore écrit à Mélanie. Mais maintenant je ne mérite plus : que ta pitié, je suis assez puni. En vain je cherche à m’abuser par quelques frivoles apparences, dès que je veux réfléchir, tout me prouve que Mélanie ne partage pas mes sentimens, qu’elle réprouve ma conduite, et que je ne dois qu’à sa douceur et à sa prudence, si mon audace reste un mystère entre elle et moi.

« Au moment où je t’écrivois ma dernière lettre, je me livrois à la plus folle espérance ; les jours suivans elle n’a fait qu’augmenter. L’embarras que je remarquois dans Mélanie toutes les fois que je lui parlois ou que je me trouvois auprès d’elle ; le soin même qu’elle sembloit prendre pour m’éviter, j’interprétois tout en ma faveur. Je n’ai point hésité à lui écrire encore une fois ; mais c’étoit seulement pour lui donner des conseils, et l’engager à ne plus avoir avec moi cet air gêné, qui pouvoit entraîner des remarques dangereuses.

« Je croyois être bien sûr de sa bonne volonté, néanmoins, j’ai porté ce billet trois jours sur moi avant de le lui remettre ; chaque fois que j’en trouvois l’occasion, une timidité inconcevable me retenoit ; enfin je l’ai surmontée, et me trouvant un moment auprés d’elle, j’ai osé lui dire : Belle Mélanie, je ne vous demande point de réponse à ce que j’ai eu la hardiesse de vous déclarer ; mais pour votre intérêt même, j’aurois beaucoup de choses à vous expliquer ; j’ai encore osé vous écrire ; pardonnez-le-moi, et permettez…… Alors, je lui ai présenté mon billet sans que personne pût le voir. Mais elle s’est levée brusquement sans le prendre, en me disant à demi-voix : Je vous ai répondu, monsieur ; dès que j’en trouverai l’occasion je vous donnerai ma réponse ; et puis elle s’est éloignée, me laissant dans une perplexité difficile à rendre.

« Le contraste de la promesse et du ton dont on venoit de me la faire, ne me permettoit ni de m’arrêter à des idées agréables, ni de les rejeter entièrement. Je ne savois si je devois désirer ou craindre cette réponse ; mais la crainte a paru prévaloir dans mon esprit ; car loin de chercher à amener cette occasion dont on m’avoit parlé, toute la soirée, sans m’en rendre raison, j’ai évité tout ce qui pouvoit me rapprocher trop de Mélanie. Une réponse : d’elle avoit été, si j’ose m’exprimer ainsi, au-delà de ma pensée ; j’étois près de la recevoir ; et il me sembloit que je n’y pourrois trouver que trop de faveur ou pas assez.

« L’heure s’approchoit où l’on alloit se séparer ; j’allois partir, presque bien aise que cette occasion demandée ne se fût pas présentée, lorsque le comte de Savigny m’a prié d’attendre, parce qu’il avoit quelque chose à me dire. Cette prière, le ton froid de Mélanie, que je pouvois croire ironique, tout à frappé mon esprit ; je suis resté confondu et n’ai pas douté, que le père lui-même ne dût me remettre la funeste réponse promise par la fille.

« Mon inquiétude n’a pas été de longue durée ; il ne s’agissoit que d’un bal que le comte doit donner ; il vouloit me demander une note sur tous les officiers du régiment qu’il veut inviter ; et comme il désiroit avoir leurs noms et leurs demeures, il a dit à Mélanie de m’apporter du papier et de l’encre. Elle a obéi assez lentement. Quand je J’ai vue rentrer dans le sallon, apportant tout ce qu’il falloit pour écrire, je suis allé au-devant d’elle, pour lui éviter au moins une partie du chemin. En voulant prendre le papier, je me suis apercu qu’elle trembloit ; c’étoit plus qu’il n’en falloit pour me rappeler la réponse ; elle l’avoit dans une de ses mains, et comme nous étions assez loin de son père et de sa tante, quoiqu’elle y ait mis toute la maladresse possible, j’ai pu la prendre sans inconvénient. Je l’ai serrée bien vite ; et après avoir écrit la liste demandée, et que je n’ai pas faite sans quelques distractions, j’ai couru chez moi, où je suis resté cependant assez longtemps sans oser même regarder cet écrit qui sembloit devoir décider de mon sort. Enfin j’ai jeté les yeux dessus en le dépliant, car il n’étoit pas cacheté : quelle a été ma confusion, en ne trouvant que mon propre billet qu’on me rendoit ! Je n’ai d’abord vu absolument que lui, et j’en étois humilié ; cependant à force de le retourner, j’ai remarqué au bas quelques mots qui n’étoient pas de mon écriture. Je les ai parcourus avidement ; les voici : Je ne sais ce qui a pu me mériter le chagrin que doit me faire un semblable billet ; je ne sais et ne cherche pas à savoir quelle a pu être l’intention de celui qui l’a écrit ; je voudrois pouvoir ignorer qui il est ; mais j’espère qu’il m’aidera à oublier son injure.

« Ce peu de mots est bien désespérant ; mais encore vaut-il mieux que si elle n’avoit rien écrit du tout. Mélanie ne m’aime pas ; mais rien n’annonce son mépris. J’ai été un imprudent ; tu me juges plus sévèrement encore ; je dois peut-être me féliciter de ne pouvoir séduire celle dont je pourrois causer le malheur. Voilà, mon ami, ce que me dit ma raison ; mais C’est quand je t’écris seulement qu’elle reprend sur moi quelque empire. De la raison quand la plus violente des passions vous maîtrise ! Je la combat sérieusement cette passion, et je crois que je ne fais que l’irriter. Ce n’est pas à résister à nos penchans que les exemples que nous avons eus sans cesse sous les yeux, ont pu instruire notre jeunesse. Jusqu’ici, je n’imaginois pas même d’autre bonheur que de les satisfaire ; mon ami, pardonne : mais je suis neuf encore à ce genre de combat.

« Cette Mélanie est toujours présente à ma pensée ; je cherche à lui trouver des défauts ; je cherche dans les termes de sa réponse des motifs pour la voir au moins avec froideur. J’y veux trouver de l’arrogance ; et s’il y a de la bonté, une bonté insultante pour un infortuné à qui l’on veut faire sentir qu’il n’est pas fait pour de si hautes prétentions : je m’arrête souvent à cette idée, elle m’accable. D’autres fois je me flatte encore ; je commente chaque expression ; il n’y a pas jusqu’à quelques lettres mal formées que je ne cherche à interpréter autrement que le sens ne l’indique.

« Je ne la revois plus qu’avec embarras ; et même quand je parle au père, à la tante, il me semble toujours qu’ils vont me faire quelques reproches. Pour Mélanie, elle paroît avoir pris son parti sur l’obligation où elle est de me voir souvent auprès d’elle ; elle me parle toujours avec cette douceur qui respire dans tout ce qu’elle fait ; d’ailleurs elle me parle si rarement ! mais point d’humeur ; tous les simptômes de l’indifférence. Elle cause souvent avec Asselin, dont tu connois la fatuité. Je ne vois rien en lui qui soit bien dangereux ; mais il est assez présomptueux pour mettre de l’importance à la manière dont on le traite : j’en suis outré !

« C’est après demain que ce grand bal doit avoir lieu. Je t’en promets le récit. Il faudra bien danser avec Mélanie. Elle n’oseroit pas me refuser. Je la verrai près de moi, je sentirai sa main dans la mienne ; ô douce illusion ! Qu’on la paye cher cette illusion ! c’est un brouillard qui se dissipe si vite ! et ce n’est pas un jour serein qui le suit, c’est l’orage. »


Le même au même.

Le 18 Janvier.

« Je ne te raconterai point ce qui s’est passé au bal ; je n’y suis point allé. La veille j’ai revu Mélanie, et pour la dernière fois jusqu’à aujourd’hui. Je lui ai trouvé ce jour-là, un ton si léger, et si peu digne d’elle, surtout en parlant à cet insupportable Asselin, que j’en. ai été navré. J’ai juré de rompre un lien aussi dangereux que déplacé ; en la quittant, je lui ai dit, dans le fond de mon cœur, le dernier adieu. Elle à disparu pour jamais. Quand je la reverrai, car il faudra bien la revoir, je serai calme, froid ; je forcerai mon cœur au sommeil. Je ne lui parlerai plus ; car ce ne sera pas lui parler que de lui dire ces froides politesses que les convenances arracheront de ma bouche. La Mélanie que je rencontrerai dans ce monde importun, ne sera plus rien pour moi. Mais son image reste dans mon cœur ; et ses traits m’abuseront peut-être encore quelquefois ; je croirai retrouver celle que j’aime ; mais non, celle que j’aime est perdue pour moi.

« Aye pitié de mon extravagance ; je suis malade, fort malade, et depuis huit jours je n’ai pas quitté ma chambre. On renonce plus difficilement, je crois, à des chimères qu’à des réalités. L’effort est pénible. C’est peut-être à lui, je dois en convenir, que je dois l’altération de ma santé. Le jour même de ce bal, je me suis trouvé si incommodé, que J’ai senti que je n’y ferois qu’une bien triste figure, et j’y ai renoncé. Le comte de Savigny, avec son empressement ordinaire, est venu me voir le lendemain, et me témoigner tous ses regrets. Il a peut-être cru m’en donner en exaltant beaucoup sa fête ; mais il a ajouté que Mélanie n’avoit jamais paru si belle, que tout le monde en avoit été enchanté ; et dans les dispositions où je me trouve, je ne puis qu’être enchanté moi-même de n’avoir pas eu à partager cette admiration.

« Huit jours, je n’ose pas dire de calme, mais de repos, n’ont rendu mes forces, et non-seulement je suis en état de sortir, mais on me conseille de le faire. Le comte, qui prend souvent avec moi, pour ainsi dire le ton de l’autorité paternelle, m’a ordonné de venir au plutôt passer toute une journée chez lui, pour changer d’air ; demain, après demain au plus tard, il faudra bien lui obéir ; juge du trouble que me cause la seule idée de l’entrevue ! Je suis quelquefois tenté de me brouiller avec le père, pour m’ôter toute communication avec la fille ; mais ce seroit trop manquer aux égards que je dois à un homme respectable sous tous les rapports, qui ma comblé de politesses et même d’amitié. Il faut que je me livre à tous les inconvéniens de ma situation ; je n’ai plus à craindre, au resté, que Mélanie devienne la complice de mes folles pensées. »


Le même au même.

Le 21 Janvier.

« Elle est passée, cette journée, à tant de titre, digne d’envie. Toujours jolie, toujours intéressante au delà de ce qu’on peut penser ! Comment ne pas chercher à la voir ? En vain la rose est entourée d’épines. Point d’étrangers, point d’Asselin, rien ne lui faisoit oublier son véritable caractère, celui d’une douceur aimable et décente. Elle m’a témoigné quelque intérêt, bien peu sans doute ; elle met tant de grâces à tout ce qu’elle fait, que j’aurois pu me tromper sur cet intérêt, car il m’étoit impossible de ne pas l’évaluer beaucoup.

« Nous nous sommes peu parlé ; mais consolé par sa seule présence, j’ai plutôt éprouvé auprès d’elle de la mélancolie que du chagrin. Elle sembloit triste aussi ; ce qui m’a nécessairement rappelé, combien elle étoit gaie, il y a dix ou douze jours, en causant avec Asselin. Eh bien, croirois-tu que j’ai été tenté d’interpréter favorablement ce contraste ? Mais que m’importe ? ne sais-je pas qu’il seroit aussi dangereux d’être aimé, qu’il est affreux de ne pas l’être ?


Le même au même.

Le 23 Février.

Plus d’un mois s’est écoulé depuis ma dernière lettre ; je n’ai pas eu la force de t’écrire. Je suis mécontent de moi, d’elle, de tout le monde. Je forme chaque jour cent résolutions qui se détruisent les unes les autres ; et la seule chose qui s’exécute, sans que je l’aye résolue, c’est d’aller tous les jours revoir cette Mélanie, que pour mon bonheur, pour son repos peut-être, je devrois fuir, et dont tout semble contribuer à me rapprocher. Je ne cherche pas les occasions de la voir ; du moins je n’en ai pas la volonté ; eh, bien ! je ne sais par quelle combinaison il se fait que nous nous rencontrons partout. Cependant qu’éprouvons-nous l’un auprès de l’autre ? de l’embarras. Moi, par une suite de cette délicatesse qui étoit bien dans mon cœur, mais que tu y as fortifié encore, et qui combat sans cesse jusqu’aux idées auxquelles il me semble maintenant qu’est attaché mon bonheur. Mélanie, je ne sais quel sentiment l’agite. On diroit que ma présence la fatigue. Si elle ne m’évite pas, elle évite mon entretien. Pendant ce Carnaval j’ai beaucoup dansé avec elle ; il étoit impossible qu’il en fût autrement ; à peine me disoit-elle quatre mots dans tout le temps d’une contre-danse. Sa politesse extrême me glace, et arrête toujours tout ce que je voudrois lui dire. Quelquefois je serois tenté de croire qu’elle n’a quelques égards pour moi, qu’à cause de son père qui me comble toujours d’amitié. D’autres fois je me laisse aller à des idées bien différentes et bien dangereuses. Pardonne, mon sévère ami, est-on toujours maître de ses pensées ? D’ailleurs ce n’est pas maintenant que je m’y arrête.

» Allant, il y a quelques jours, voir la tante, j’ai trouvé la nièce toute seule dans le sallon. J’en ai été presque effrayé ; moi, effrayé d’être seul avec…… Ah ! plains ton malheureux ami ! Elle a paru n’être pas bien tranquille elle-même ; elle a balbutié quelques mots sur sa solitude, et puis m’a reçu comme on reçoit un étranger. J’ai pris aussi un ton indifférent : dieux ! que les hommes ont de façons de mentir ! Nous avons causé beau temps, nouvelles ; nous avons agité tous ces grelots dont l’ennui se sert pour chasser le silence. Je ne veux pas dire que je m’ennuyois ; mais j’étois fatigué de ne rien dire de ce que, j’aurois voulu dire. Sans cesse je levois les yeux sur cette charmante figure ; j’osois quelquefois les y arrêter ; alors je ne disois plus rien : il y auroit eu trop de contraste entre mes paroles et ma pensée. Elle avoit un petit bouquet à la main ; elle s’en amusoit, sans doute pour s’occuper de quelque chose, et en l’agitant, elle l’a laissé tomber. Je ne me suis point empressé de le ramasser ; elle a paru long-temps hésiter à le faire elle-même, et comme si ses doigts avoient eu besoin d’agitation, elle a saisi un bout de ruban pour remplacer le bouquet. Il restoit toujours à terre ; ses yeux se fixoient quelquefois dessus ; le miens : aussi : il sembloit que cette chute étoit un événement : il sembloit qu’elle vouloit me dire : Pourquoi le laissez-vous là ? : il seroit mieux dans ma main, peut-être même dans la vôtre. Cette dernière idée m’a frappée ; je l’ai ramassé ; mais je ne le lui ai pas rendu. Elle n’a pas eu l’air d’y faire attention ; elle a continué de tourner et de retourner son ruban, et moi, comme par sympathie, j’ai tourné et retourné le bouquet. Madame de la Suze est enfin arrivée. Je n’ai pas voulu mettre sous ses yeux mon trophée ; car ma pauvre tête rêvoit déjà la victoire ; je l’ai posé sur une fenêtre qui étoit tout près de moi, avec le : projet bien formé de l’emporter. Mais comme si Mélanie avoit deviné ma pensée, à peine en ai-je été éloigné, qu’elle est allée le reprendre. J’ai cru qu’elle vouloit le garder, et alors j’y eusse renoncé sans peine ; mais non, un moment après, comme si elle eût fait quelques réflexions fâcheuses, elle l’a jeté, avec une espèce de dédain, par cette même fenêtre où je l’avois laissé. Sa tante lui a demandé pourquoi elle jetoit ses fleurs. C’est qu’elles sont fanées, a-t-elle répondu, en rougissant un peu cependant ; sans doute parce qu’elle sentoit bien tout ce que l’application pouvoit avoir d’odieux pour moi. J’ai bien trouvé moyen de lui faire apercevoir que je trouvois son procédé fort mauvais ; elle a fait comme on fait toujours quand on a tort, elle a pris de l’humeur ; et cette petite circonstance, qui d’abord m’avoit charmé, nous a conduits, je crois, à être tout-à-fait brouillés.

» Depuis ce jour, sa politesse a redoublé à un point qui me désole. Pas une apparence de cet aimable abandon qui m’a fait passer de si doux momens, pendant les premiers mois de mon séjour auprès d’elle. Momens perfides qui m’ont entraîné si loin que je ne puis plus retrouver de tranquillité !

» J’éprouve un découragement qui m’épouvante. Il semble qu’il n’est plus de bonheur pour moi, que je ne doive pas même en espérer ; et en même temps mon imagination me peint ce bonheur auquel je ne puis atteindre, de manière à redoubler mes regrets, à ne pouvoir supporter l’idée d’y renoncer, à m’irriter contre les obstacles, à faire naître, malgré moi, là résolution de les vaincre.

» Quelquefois seul, dans le silence de la nuit, je m’abîme dans de profondes réflexions ; ou bien je me laisse aller à des rêves séduisans, qui absorbent, qui changent mon existence. Quels rêves ! je vois cette Mélanie sensible, tendre ; j’obtiens le plus doux aveu. Vain prestige ! Une horloge sonne et me réveille ; le son d’une cloche suffit pour détruire ma félicité. Je reviens à la triste réalité. J’entends sonner toutes les heures, et jamais celle de mon bonheur. Ah ! Mélanie ! celle-là, si jamais elle arrive, ton cœur doit la frapper contre le mien !

» Pardonne, encore une fois, par : donne mon délire. Laisse-le-moi, il m’est cher, quoique je le condamne. Si je pouvois encore faire de ces rêves consolans, fasse le ciel que je ne me réveille jamais ! «


Le même au même.

Le 3 Mars.

J’ai besoin, mon ami, de causer avec toi. Je suis toujours dans un abattement qui te feroit pitié ; mais j’éprouve un certain Charme à t’en parler, à m’en accuser, pour ainsi dire, devant toi. Quels terribles et singuliers effets produit donc cette funeste passion que je semblois ne devoir jamais connoître ainsi ! Je ne regrette point le temps où tu m’appelois un mauvais sujet, quoique je fusse cependant bien plus tranquille, et sans doute plus heureux ; je ne saurois rien regretter du passé, je suis tout entier au présent, et souvent je me perds dans l’avenir, où mon imagination va, malgré moi, saisir quelques traits de consolation, quand la tourmente est trop forte. Les contradictions les plus étranges sont rassemblées dans ma tête. Je déteste le sentiment que j’éprouve ; je ne vois que des chagrins à sa suite ; et il me semble que mon existence entière en dépend, que le perdre seroit plus cruel que de perdre la vie ; que s’il me manquoit il me resteroit un vide que rien ne pourroit remplir. Je ne suis plus rien par moi-même, je ne suis quelque chose que par cette violente affection qui semble me faire vivre hors de moi. Mélanie est bonne, elle aime la vertu ; eh bien ! je tâche d’être bon, j’épie les occasions de faire quelques actions vertueuses. Si elle étoit méchante, si une mauvaise action pouvoit lui être agréable ! je crois que je ne l’aimerois pas ; mais si je l’aimois…… pourrois-je répondre de ne pas chercher à suivre tous ses penchans ? Tu n’as rien à craindre sous ce rapport pour ton ami ; chercher à plaire à Mélanie, c’est prendre l’obligation de travailler à devenir meilleur. Au moins si la cause est dangereuse, peut-être il m’en restera quelques bons effets. Je crois que je vaux mieux ; et quel fruit m’en revient-il ? Tu voudrois que je me défendisse jusqu’à l’espérance ; hélas ! elle est bien morte dans mon cœur : la réflexion, car je réfléchis aussi quelquefois, la détruit aussitôt que le besoin de l’éprouver la fait naître : alors je tombe dans cet apathie qui tue jusqu’à la pensée ; il semble que je n’existe plus ; ou que l’existence n’est plus qu’un pénible fardeau. Je me demande quelquefois si la vie est un bienfait. Aujourd’hui je suis bien persuadé qu’elle nous est donné pour notre malheur ; et si Mélanie venoit encore d’une voix touchante, me dire : Quoi, vous partez monsieur Adalbert ! que je serois loin d’en avoir la même idée ! Mais il est des momens où elle m’est insupportable, où je bénirois le coup qui pourroit la terminer. Quand je pense que des milliers, des millions d’êtres semblent être plus malheureux que moi, je ne conçois pas comment ils peuvent se décider à continuer de vivre ainsi. La vie est courte sans doute, mais ce n’est pas sur le nombre des années qu’il faut la calculer. Qu’une nuit paroît longue à la douleur qui veille ! Un rapide bonheur, une lente infortune, voilà l’histoire de la vie. Un jour de félicité passe comme un éclair, et si son souvenir reste encore, ce n’est que pour rendre plus sensible les chagrins qui le suivent. Dix ans de bien-être ne sauroient compenser dix ans de malheurs : les uns sont des jours, les autres sont des siècles ; et quel est l’homme qui a plus de jours heureux que de jours de souffrances ? La vie n’est donc pas un bienfait ? Ah ! Mélanie, il ne tiendroit qu’à toi de me faire dire le contraire : oh ! jugement humain !



Le même au même.

Le 12 Mars.

» Puissances du ciel ! j’avois une âme pour la douleur, donnez-m’en une pour la félicité ! Comment oser le dire ? et comment pouvoir le taire ? Gronde-moi, gronde-moi maintenant, tu n’as plus à me plaindre. Et je m’étonnois qu’on pût supporter les maux de la vie ! Ce courage ne reste pas toujours sans récompense. Oui, mon ami, depuis deux jours je suis heureux ; heureux ! je crois que je donnerois la moitié de mon bonheur, que je serois encore le plus heureux mortel de la terre. Mais comment te parler de ce bonheur que je ne puis contenir, quand je ne puis le faire sans t’avouer l’horrible indiscrétion à qui je le dois ? Je rougis encore en y pensant.

» Tu as vu par ma dernière, la situation de mon cœur. La conduite de Mélanie n’étoit pas propre à l’adoucir ; la présence de son père pouvoit seule l’engager à me traiter avec bienveillance ; dès que nous n’étions pas devant lui, elle évitoit même de me parler. Ce que je remarquois en elle, ce qui sembloït en quelque sorte me venger, mais ce dont je cherchois inutilement à pénétrer la cause, c’étoit un fond de tristesse, qui depuis deux mois perçoit dans toutes ses actions. Asselin, dont je t’ai parlé, et qui continue à lui faire la cour, n’avoit guère plus que moi l’avantage de l’égayer, malgré ses calembours et son pantalonage, qui obtiennent partout, comme de juste, de grands succès dans la société des compatriotes de Scarron[1]. Madame de la Suze qui s’en étoit aperçu, l’attribuoit à la perte d’une amie d’enfance, morte depuis peu à Vendôme, et j’avois fini par adopter cette opinion.

» Vendredi dernier, le comte de Savigny donna un grand dîner, dont j’ai été, comme de coutume. Il y avoit beaucoup de femmes, et comme le temps étoit assez beau, avant le dîner on se mit à courir dans les jardins. Mélanie étoit de la promenade. Je cherchois à rejoindre un groupe dont elle faisoit partie, et qui serpentoit dans les allées d’un bosquet percé à l’anglaise, lorsque j’aperçus par terre un porte-feuille, que sans doute une des promeneuses venoit de laisser tomber. Mon premier mouvement fut de le ramasser, et le second de demander à qui il appartenoit. Mais, pardonne, j’avoue combien je fus coupable, un démon de curiosité, ou plutôt le soupçon qu’il pouvoit appartenir à Mélanie, m’arrêta. Au lieu de rejoindre les dames, je retournai sur mes pas ; dès que je me vis bien seul, j’ouvris le portefeuille ; et cette indiscrétion, que le ciel autoit dû punir, a été la source d’une félicité qu’il faut connoître pour la concevoir ! C’étoit bien le porte-feuille de Mélanie ; je tremblois en faisant ce coupable examen ; je me le reprochois ; mais il n’est pas de puissance sur la terre qui eût pu m’en empêcher. Des lettres de jeunes parentes, d’amies ; des vers de fêtes pour le père, pour la tante, voilà à-peu-près ce qui le remplissoit. J’étois près de le refermer, lorsque je trouvai encore un billet écrit de la main même de Mélanie. Les premiers mots me frappèrent ; je lus : c’étoit mon billet ! c’étoit ce billet rendu si cruellement, dont elle avoit gardé une copie ! Dieux ! que devins-je à cette découverte ? Mais ce n’est pas tout : au bas de cette copie faite avec le plus grand soin et la plus grande exactitude, elle avoit écrit ces mots : Pauvre Mélanie ! jamais, jamais ! il n’y faut pas penser ! c’en est fait, point de bonheur pour toi.

» Baiser mille fois cet écrit précieux, le serrer dans mon sein, refermer le porte-feuille, et courir après celle qui l’avoit, perdu, ce fut l’affaire d’un moment. Mes forces étoient doublées, j’aurois franchi le jardin en une seconde. Je devois avoir l’air d’un extravagant ; je ne sais comment on ne s’aperçut pas de mon désordre. J’avois le portefeuille à la main ; je ne sais pas trop ce que je dis pour raconter que je venois de le trouver ; mais ce que je dis n’avoit certainement pas le sens commun. Mélanie le reconnut bien vite, et le reprit en me remerciant. Je m’étois déjà assez remis pour remarquer son inquiétude d’avoir risqué une perte semblable ; car je ne crois pas qu’alors il lui vint une autre idée. On ne rentra que pour se mettre à table, ainsi elle n’eut pas le temps de s’instruire de mon infidélité, et je suis persuadé qu’elle n’y pensa même pas. Mais pendant tout le dîner, où je me trouvois placé près d’elle, je fus dans une telle agitation qu’il lui fut impossible de ne pas la remarquer. Il est probable qu’elle conçut quelques soupçons ; car à peine on se leva de table, qu’elle sortit.

Au bout d’une demi-heure, sa tante, ne la voyant pas revenir, fut la chercher ; mais elle revint bientôt elle-même, toute seule, apporter à la compagnie les excuses de sa nièce qui s’étoit trouvée subitement incommodée d’une violente migraine. La douleur est si forte, ajouta la bonne tante, qu’elle en pleure. Puis baissant la voix, elle dit à deux vieilles dames dont je n’étois pas loin : Il y a un peu de vapeurs ; depuis la mort de son amie, je m’en aperçois : mais jamais elle n’a été comme elle est aujourd’hui.

» Que ne pouvois-je voler à l’appartement de Mélanie, tomber à ses pieds, essuyer ses larmes, lui demander mille fois pardon d’un crime dont j’avois bien de la peine à me repentir ! J’écoutois la tante, je recueillois jusqu’au moindre mot ; je n’avois pas la hardiesse de faire une question ; j’étois comme un criminel devant qui on parle d’un forfait qu’il a commis, qui craint de perdre une seule parole de ce qu’on en dit ; mais qui craint en même temps qu’on ne le devine.

» Cet événement dérangea toute l’assemblée ; le comte de Savigny avoit bien vite couru vers sa fille ; madame de la Suze y alloit à chaque instant. Quoique je fisse là une très-sotte figure, qu’heureusement on ne remarquoit pas, je ne pouvois me décider à sortir. Chaque fois que madame de la Suze revenoit, elle rapportoit quelques détails ; et les plus insignifians étoient encore d’un grand intérêt pour moi.

» On se sépara de bonne heure, et je revins chez moi, emportant sur mon cœur un trésor bien cher, puisqu’il étoit payé par les larmes de Mélanie.

» Le lendemain, c’étoit avant-hier, je n’ai pas pu me dispenser d’aller savoir de ses nouvelles. On ne recevoit pas ; et quoique cette consigne soit rarement pour moi, je n’ai pas demandé d’explication, et me suis contenté de savoir que Mademoiselle étoit toujours incommodée, cependant sans aucun danger de maladie. Hier, lorsque j’y suis retourné, la porte n’étoit pas encore ouverte pour tout le monde, mais on m’a dit positivement qu’on avoit ordre de me laisser entrer ; et je n’avois aucun prétexte honnête pour m’y refuser. Peins-toi mon embarras, qui redoubloit de la seule idée de celui que j’allois causer à Mélanie. Si j’avois dû la trouver seule, la calmer, obtenir un pardon qu’elle trouveroit peut-être doux à accorder, j’eusse été transporté ; mais la revoir pour la première fois après un événement qui changeoit en quelque sorte notre existence, la revoir en présence de son père, de sa tante, les avoir pour témoins de ce choc de sentimens que nous ne pourrions peut-être pas maîtriser, c’étoit ce qui ne pouvoit manquer de me causer une violente inquiétude. Je ne savois comment j’oserois lui demander de ses nouvelles à elle-même : cette seule demande renfermoit tant de choses ! Enfin, j’entrai cependant ; il n’y avoit absolument que la famille, ce qui n’étoit pas propre à me rassurer. Pour donner à Mélanie le temps de se remettre, j’ai prolongé le plus possible mes complimens à madame de la Suze et au comte ; celui-ci m’en a donné le moyen, en me grondant de ce que je n’étois pas entré la veille. J’ai balbutié beaucoup de choses à ce sujet, puis je me suis avancé lentement vers la malade, et j’ai balbutié bien davantage quelques mots de santé, de migraine. On me répondoit presqu’aussi gauchement, lorsqu’heureusement la tante a pris elle-même la parole, pour m’expliquer heure par heure, minute par minute tout ce qu’avoit éprouvé sa nièce, ne se doutant pas que, sur ce sujet, elle en savoit bien moins que moi.

» J’ai bien vu que Mélanie souffroit de tous ces détails, et j’ai tâché de les abréger en ramenant la conversation sur autre chose. Il m’auroit été assez difficile de la soutenir, si le comte, qui me chérit particulièrement parce que je sais l’écouter, n’en eût bientôt fait tous les frais. Un domestique est venu l’interrompre en lui disant qu’il étoit demandé dans son cabinet ; il est sorti, et madame de la Suze l’a suivi en lui criant : Attendez, attendez, je sais ce que c’est ; de sorte que je suis resté seul avec Mélanie. Je me suis approché d’elle, et du ton le plus suppliant, je lui ai dit : Me pardonnerez-vous ? — Ah ! monsieur Adalbert, m’a-t-elle répondu, je ne l’aurois jamais cru. J’avois si bonne opinion de vous ! trop bonne !…… (ses yeux se sont remplis de larmes) J’espère que vous me rendrez…… À ces mots les sanglots ont étouffé sa voix. J’ai osé prendre sa main. Au nom du ciel, calmez-vous, lui ai-je dit ; on peut rentrer à chaque instant ; je ferai tout pour mériter mon pardon. J’entendois déjà sa tante qui revenoit. Je l’ai encore conjurée de se remettre. Dans mon effusion je crois que j’ai serré sa main dans la mienne. Elle n’a pas eu le temps d’y faire attention, ni de me faire une nouvelle demande ; elle a promptement essuyé ses yeux. Madame de la Suze étoit déjà dans le salon, que son mouchoir étoit encore sur sa figure. En me levant je me suis placé entre elles deux, de manière à lui donner le temps de réparer ce désordre qui me ravissoit. Le comte est aussi rentré ; il est venu quelques affidés de la maison ; et après avoir fait une assez triste partie avec la tante, je suis revenu chez moi, où j’ai passé le reste de ma soirée à écrire à Mélanie tout ce que je puis trouver de plus touchant pour lui prouver que je n’ai pas tort, et qu’elle doit bien me pardonner une faute dont mon bonheur est la suite. Rien de si aisé maintenant que de lui donner ce billet, puisqu’elle s’attend que je lui rendrai l’autre. Comment résister à l’occasion ? Je tâche de m’y résoudre cependant ; je ne sais ce que je veux. Tes leçons m’effrayent ; mais tu dois croire que ma situation m’entraîne encore plus. Ce qu’il y a de certain, c’est que je ne rendrai pas ce gage que m’est plus cher que la vie. Mais peut-être aurai-je la force de ne pas lui donner mon nouveau billet.

Que ne te dois-je pas de la confiance que je puis prendre en toi ! Quelle douceur je trouve à déposer mes plus secrètes pensées dans le sein d’un ami sûr ! Avec toi, je crois n’être que confiant et point indiscret. Avec tout autre, l’intérêt de Mélanie m’a appris à être discret ; tu serois content au moins de la sévère circonspection que je m’impose. J’en vais redoubler maintenant. La vanité ne sauroit se mêler. au sentiment pur qu’elle m’inspire. Ce n’est pas de ces succès qui n’ont de prix que parleur éclat, que je cherche auprès d’elle, c’est le vrai bonheur.


Le même au même.

Le 24 Mars.

Quel changement quelques mots peuvent apporter dans les rapports qui lient deux êtres faits pour s’aimer ! Les sentimens de Mélanie et les miens étoient sans doute les mêmes il y a quinze jours ; mais ils sembloient être arrêtés dans leur cours ; l’obstacle qui les séparoit a été tout à coup détruit ; aujourd’hui ils se confondent ; nos cœurs ont maintenant le privilége de s’entendre, et nous pouvons déjà parler ce langage que l’amour n’apprend qu’à ceux qui sont dignes de ses plus grandes faveurs. Ce n’est pas que Mélanie se livre sans réserve et bien volontairement à ce penchant qui doit nous attacher l’un à l’autre pour la vie ; ses combats sont perpétuels. Je ne puis les ignorer ; et point de doute qu’ils n’ajoutent un charme de plus à tout ce que j’éprouve de bonheur.

» Je la vois presque tous les jours ; mais il s’en passe beaucoup où je ne puis lui dire un seul mot de tendresse. Sans être fort gênée par son père et sa tante, elle est assujettie aux règles de bienséances sagement établies pour les demoiselles d’un certain rang ; et elle n’est pas d’un caractère à méconnoître aisément ses devoirs. Il est vrai que malgré toute sa retenue, je trouve toujours bien le moyen de lui dérober quelques signes d’intelligence, qui me suffisent pour être sûr que je vis dans son souvenir. Croirois-tu que je n’ai pas donné le billet dont je t’ai parlé dans ma dernière lettre ? Je n’ai pas voulu abuser de la facilité que j’avois à le faire. Singulier scrupule, me diras-tu, quand je ne renonce pas…… Barbare, tu voudrois… Le temps viendra peut-être assez tôt où il faudra réfléchir ; laisse-moi, laisse-moi encore à toutes mes illusions !

» La migraine a passé, parce qu’il n’y a point de regrets et de maladie qui tiennent contre le temps, quand on ne doit pas en mourir. Il ne lui est resté qu’une teinte de mélancolie, qui la rend encore plus intéressante, surtout pour celui qui croit en être cause. Chaque fois qu’elle m’a parlé sans témoin, elle m’a renouvelé la demande de la copie précieuse, et chaque fois je lui ai peint si fortement le prix que j’attachois à sa possession, que je l’ai vue bien près de ne plus insister ; cependant je n’ai pu obtenir son aveu pour la garder ; elle a résisté à toutes mes prières, et a toujours traité mon procédé comme indigne de pardon. Mais elle n’a pas cherché à nier la valeur de ces mots écrits de sa main ; du moins elle n’a pas osé me faire la moindre réflexion à ce sujet, et son silence veut tout dire. Je ne l’ai guère entretenue seule que de très-courts momens ; et dans de cas-là, dès qu’on se voit près d’être interrompu, on hasarde toujours davantage ; c’est une espèce de-dédommagement de la gêne de cette situation ; et puis on est sûr que le dernier mot que l’on se permet, ne sera pas contredit, qu’il restera dans la mémoire de celle à qui on l’adresse ; comme elle ne peut vous répondre, on arrange sa réponse comme l’on veut, et on ne la suppose pas affligeante. Depuis huit jours, que de réponses je me suis faites à moi-même pour Mélanie ! Que sais-je ! elle en avoueroit peut-être bien quelques-unes : je m’arrête avec délices sur cette pensée.

Quelquefois-cependant elle me supplie avec tant de grâces de lui rendre l’imprudente copie, que je suis tenté de céder à sa demande ! Au fond elle m’estime trop, pour craindre que j’en abuse ; et sous aucun rapport, je suis bien loin aussi, de vouloir en abuser, ni même, si je me décidois à la lui rendre, de lui faire acheter ce sacrifice de ma part, par quelques autres de la sienne. Je le lui avois promis en quelque sorte, aussi m’accuse-t-elle non-seulement d’être indiscret, mais encore : de manquer à ma parole. Mais tu sens que tout cela amène des discussions ; je suis grondé ; je me condamne, je m’humilie ; et puis il faut bien rejeter tous ses torts sur la véritable cause, sur cette cause qui porte avec soi l’excuse de tout ; c’est un prétexte tout naturel d’en parler ; et quoiqu’on ne veuille pas écouter, il faut bien qu’on entende. On est bien mécontente de ma conduite ; mais après l’horrible imprudence, on sent qu’on a tout mérité. Ce n’est pas qu’on n’ait bien voulu me faire entendre, que s’il étoit vrai qu’un peu d’amitié eût existé en ma faveur, je détruisois maintenant sans retour ce sentiment, que d’ailleurs on avoit mille raisons de ne pas écouter. Conçois-tu, mon ami, le charme de ces petites querelles, où l’on est si content de se fâcher ; où l’on ne s’entend jamais mieux qu’en disant tout le contraire de ce qu’on pense ? Elles ne se renouvellent pas souvent, parce que, comme je l’ai dit, les occasions sont rares, et toujours de courte durée ; mais à chaque fois, il semble que je prends quelque avantage ; je m’enhardis à dire quelque chose de plus ; et j’ai presque persuadé que lorsqu’on ne pouvoit douter qu’on ne fût aimé, ou pouvoit bien se l’entendre dire.

» Décide à présent s’il est possible de renoncer aisément à tant de bonheur. Mareuil se moqueroit bien de ce bonheur, qu’il est loin de me croire susceptible de goûter, parce qu’il me juge par lui ; notre ancienne liaison et les années que nous avons passées ensemble, pouvant bien d’ailleurs l’y autoriser. Je te parle de lui, parce qu’il est décidé qu’il ne rejoindra pas ce printemps ; les officiers à la suite ayant la permission de faire leur service dans tous les régimens de leur arme indifféremment, il m’a mandé qu’il iroit à Melun, pour s’éloigner le moins possible de cette capitale, théâtre digne du rôle qu’il aime à jouer. Et toi, mon cher Charleville, tu vas rester dans ton Auvergne, au sein de ta famille, où tes goûts sages te font vraiment trouver le bonheur. Qu’il m’auroit £té doux de te faire voir celle que tu plains, en me plaignant aussi ! Ta sévérité me trouveroit digne au moins d’une bien grande indulgence. Je continuerai de t’en parler ; tu me gronderas. Eh bien ! ne te lasse pas de me donner tes prudentes leçons ; je ne saurois les suivre maintenant ; mais peut-être un jour ne seront-elles pas perdues. »


Le même au même.

Le 6 Avril.

» Le sacrifice est fait ; j’ai rendu cet écrit où je pouvois lire à chaque instant un aveu que j’eusse payé de la moitié de ma vie. Mais cet aveu reste gravé dans mon cœur, il y est en traits ineffaçables ; et peut-être il l’est de même dans celui de Mélanie. Point de conditions : avec elle, ce seroit une indignité ! Si elle a tant désiré le ravoir, ce n’est peut-être que pour le conserver, et sa demande ne seroit-elle pas alors une nouvelle faveur ? Si vous ne voulez pas me le rendre, m’a-t-elle dit la dernière fois, brûlez-le ; je m’en rapporte à vous, pourvu que vous me donniez votre parole de le faire. Moi détruire le gage où elle a voulu sans doute réunir l’expression de nos sentimens. Non, chère Mélanie, je le déposerai dans vos mains, afin que vous pensiez sans cesse que vous avez prononcé vous-même sur nos destinées. Je le lui ai rendu. Je lui ai seulement montré quelque crainte qu’en me privant d’un bien qui m’étoit si cher, ce ne fût aussi m’ôter toutes les occasions qui depuis quinze jours me procuroient le plaisir de causer au moins quelquefois avec elle. Vous vous trompez, m’a-t-elle répondu. Ah ! si vous vouliez me promettre d’oublier… Bien loin d’éviter ces occasions, je serois bien aise de les trouver. Mais, monsieur Adalbert, réfléchissez vous-même…… malgré vos torts, je m’en rapporte à vous…

» J’ai bien entendu ce qu’elle vouloit dire ; que de douceur et de raison en même temps dans ce peu de mots ! Je n’ai pu m’empêcher de soupirer ; et je crois qu’elle a eu bien de la peine à ne pas y répondre. Nous étions vers une fenêtre, faisant semblant de regarder dans la rue ; elle s’est penchée en détournant la tête, et j’ai apercu une larme couler sur sa joue. Dis-moi d’où vient cette jouissance cruelle que l’on trouve dans ce signe de douleur ! Moi, jouir du chagrin de Mélanie ! C’est que dans ce chagrin on soupçonne qu’il y a quelque chose d’attachant pour ceux mêmes qui l’éprouvent. Cette bizarre et inexplicable passion vous fait trouver un certain plaisir à être malheureux. Nous sommes restés peut-être un quart-d’heure toujours l’un auprès de l’autre, sans pouvoir rien dire davantage. Tout nous défendoit d’exprimer nos véritables sentimens ; on n’a de ressources alors que le silence qui exprime tout ce qu’on veut. Elle a senti sans doute le danger de cette espèce de méditation, où le cœur va bien loin ; elle m’a quitté tout à coup ; et, après avoir dit quelques mots à sa tante, elle est sortie du salon, pour aller, je l’espère, remettre dans le portefeuille, ce dangereux billet qui a peut-être décidé pour jamais de son sort et du mien.

» Depuis elle m’a tenu religieusement parole ; et si elle n’a pas cherché à augmenter le peu d’occasions que nous avons de causer librement, du moins elle ne les a point évitées, Quand je dis causer librement, c’est-à-dire sans qu’on nous entende ; car nous ne sommes peut-être jamais plus embarrassés ; mais à travers cet embarras, il perce quelques traits qui ne manquent guère leur effet, et que cette disposition même rend plus sensibles : c’est l’éclair au milieu de la nuit. Un langage de convention s’est déjà établi entre nous. Le résumé de quelques mots et de mille monosyllabes, c’est qu’on m’estime tout particulièrement, qu’on m’aime même presque comme un frère, et qu’on a senti un vif regret en réfléchissant que l’on ne devoit jouir de ma société que peu de temps, qu’après cela tout nous sépareroit sans doute pour toujours. Voilà ce qui a rendu. si indulgent pour mon imprudence ; car ce n’est plus qu’une imprudence. Je parle sur le même ton. J’ai la plus tendre amitié pour celle que je voudrois bien aussi regarder comme ma sœur ; mais je rejette bien loin l’idée d’une cruelle séparation. J’espère d’abord, je suis sûr, que mon régiment restera longtemps ; et puis il est mille circonstances que j’entrevois, et que d’ailleurs je saurai bien amener pour ne pas m’éloigner d’elle. Elle me répond par un sourire mélancolique, et par un mouvement de tête négatif. Je tâche de la persuader ; je n’y parviens pas ; mais je vois combien elle désireroit pouvoir l’être.

» En y mettant ainsi beaucoup de circonspection, j’aperçois combien je gagne chaque jour dans son esprit, et que j’obtiens de plus en plus sa confiance. Elle me sait gré de n’abuser en rien de l’avantage terrible qu’elle m’a donné sur elle ; de conserver, soit auprès d’elle, soit aux yeux du public, la même réserve, èt peut-être d’en avoir redoublé. Cette conduite mesurée la soulage ; elle y croit voir la justification de son penchant, et la preuve satisfaisante que la cause n’en est pas indigne. Ce penchant dangereux s’en augmente sans doute ; et c’est là ce que tu me reproches dans toutes tes lettres. Je dois l’avouer, je suis coupable, bien coupable ; car tu m’éclaires sans cesse, et je sens toute la solidité de tes raisons. Mais une seule minute passée auprès de Mélanie, suffit pour détruire l’effet de deux heures de réflexions les plus sensées. Vouloir auprès d’elle former la résolution de ne plus l’aimer, c’est vouloir renverser l’ordre de la nature. Notre séparation est inévitable ; elle n’arrivera que trop tôt : alors, comme rien n’est durable, Mélanie m’oubliera ; cette idée est bien cruelle ! mais je la conçois ; et je ne conçois pas comment je pourrai l’oublier. »


Le même au même.

Le 18 Avril.

» Nous avons eu un si beau temps toute cette semaine, que notre société décida, il y a trois jours, que nous irions passer une journée à Funée, jolie maison de campagne à trois quarts de lieues de la ville, située sur les bords de la petite rivière d’Huisne, et appartenant à un des plus riches particuliers d’ici. La partie a eu lieu hier. Le comte de Savigny, madame de la Suze et par conséquent Mélanie en étoient, comme tu le penses bien. Il s’y est trouvé, je crois, plus de trente personnes. Le temps étoit superbe ; c’étoit un vrai jour de printemps. On est arrivé de bonne heure, et tout de suite on s’est répandu dans des bosquets et des prairies qui entourent de beaux jardins. La plus agréable jeunesse étoit là ; dix ou douze jeunes demoiselles, toutes jolies, formoient la plus charmante réunion. C’étoit un coup-d’œil ravissant que de les voir tour-à-tour dispersées, ou formant le plus joli groupe. Mélanie les surpassoit toutes en grâces, en beauté ; sa taille élégante se faisoit surtout remarquer, et je croyois voir Calypso entourée de ses nymphes. Je la regardois avec complaisance, tandis que le maître de la maison, avec qui je me promenois très-sagement, me montroit en détail sa propriété, m’en expliquoit les avantages, les agrémens, et croyoit que je voyois tout, tandis que je ne voyois que Mélanie.

» L’idée seule d’être à la campagne porte avec soi un esprit de liberté qui agit sur tous les sentimens ; je me livrois aux miens avec plus de vivacité ; il me sembloit que Mélanie étoit moins soumise à de sévères devoirs, qu’elle étoit aussi plus libre ; et si elle étoit plus libre, elle étoit plus à moi. En suivant de loin nos gentilles promeneuses ma pensée erroit ainsi dans ce vague délicieux qu’on ne sauroit définir, et qui fait goûter un bonheur véritable, quoiqu’il ne porte sur aucune réalité.

» Toute la matinée, nous avons cependant été séparés ; les vieilles femmes sont restées sur une terrasse ou dans la partie des jardins qui avoisinent le plus la maison ; les jeunes, comme je viens de le dire, ont étendu leur promenade beaucoup plus loin, et les hommes de tous les âges ont parcouru une grande étendue des dépendances de notre Amphitrion. Mais l’heure du dîner a rappelé et a confondu tout le monde. On étoit très-disposé à la gaieté, et la maîtresse de la maison, femme d’un certain âge, qui n’en aime pas moins encore le plaisir dont elle n’a jamais été l’ennemie, a tout mis en usage pour l’augmenter, On a beaucoup ri pendant le dîner, et en sortant de tablé on n’a pensé qu’à s’amuser. On a arrangé quelques parties pour les mamans ; et les jeunes, à l’aide d’un assez mauvais violon, dont nous avons joué Asselin et moi tour à tour, se sont mises à danser. Cependant, comme on avoit beaucoup couru le matin, on n’a pas soutenu long-temps la danse, et pour s’occuper, on a proposé de jouer des petits jeux où l’on donne des gages ; jeux si innocens que les baisers y deviennent des pénitences ! Nous n’osions pas cependant infliger une semblable peine ; mais une maman qui n’est pas fort sévère, et à qui l’on a soumis un jugement, l’a ordonnée elle-même. Le jugement tomboit sur moi ; je devois embrasser mes deux voisines : Mélanie en étoit une. Pour diminuer son embarras, j’ai commencé par sa compagne ; elle hésitoit encore, mais son père, qui nous regardoit, s’étant mis à rire, elle s’est trouvée plus à son aise, et j’ai cueilli un baiser ! Ah ! Jean Jacques, tu l’appellerois un acre baiser ! il est pourtant bien doux dans mon souvenir !

» Quoique ces jeux ne me paroissent pas toujours convenables, j’y trouvois trop mon compte pour ne pas chercher à les prolonger. J’ai proposé quelques tours de propos interrompus ; C’est le plus plaisant de tous ; c’est le plus intéressant aussi, quand on ést bien placé, et je n’avois rien : à désiter, puisque j’étois à côté de Mélanie. Tu conçois le charme de se parler à l’oreille, bien bas, bien bas, pour n’être pas entendu des voisins ; on ne se fait jamais bien entendre soi-même, il faut répéter deux fois, trois fois, on prolonge un rapprochement délicieux. Quel jeu charmant ! Ce n’est pas cependant celui que je conseillerois aux mères de laisser choisir à leurs filles pour passer le temps de leurs récréations.

» L’heure du départ est venu trop tôt terminer nos plaisirs ; mais en se quittant toute la compagnie s’est bien promis de se retrouver à un grand bal que la ville du Mans donne à l’intendante de la province, qui doit passer demain. J’ai demandé à Mélanie si elle vouloit danser avec moi. Elle m’a répondu avec un empressement qu’elle n’ose pas mettre ordinairement dans ses réponses. J’ai reconnu l’effet du jour qui venoit de s’écouler. Il n’en faudroit pas beaucoup de semblables, pour égarer un peu la plus prudente circonspection.

» Je ne l’ai pas vue aujourd’hui ; j’ai passé ma journée avec des indifférens ; mais j’ai pour plus d’un jour de souvenirs à user ; et l’espérance ! c’est elle qui est vraiment le roman du cœur. J’ai paru triste à ceux avec qui j’étois ; ils se seront bien trompés s’ils m’ont cru malheureux, Cette tristesse, qui n’est que le recueillement d’une âme tendre, et qui cache les plus douces sensations sous son voile rembruni, est bien différente de la tristesse du malheur. Mais il faut étre sensible soi-même pour le distinguer ; il faut l’avoir éprouvé pour se bien persuader que l’on pleure aussi de plaisir.

» Demain je la reverrai. Demain nous serons au bal ensemble. Elle m’a promis si affectueusement de danser avec moi ! Les souvenirs d’hier, la perspective de demain, je ne sais à quoi m’arrêter. Je sens néanmoins que l’avenir obtient la préférence sur le passé : mon imagination en dispose mieux à son gré. Quel tableau enchanteur que celui d’un bal où l’on porte un si grand intérêt ! Quelquefois nous valsons : valser avec Mélanie ! L’Albane, Raphaël, où sont vos pinceaux ! mais non, ma pensée est bien au-dessus. »



Le même au même.

Le 21 Avril.

» Déjà plus de vingt-quatre heures se sont écoulées depuis que je suis sorti de ce tourbillon, contraste complet des plaisirs que je te peignois la dernière fois, et qui cependant produit presque le même effet, celui d’exalter la tête, et de nous laisser maîtriser par nos sensations. L’autre jour à la campagne, j’éprouvois un entraînement invincible ; au bal, dans la nuit d’avant-hier à hier, j’éprouvois un étourdissement qui me rendoit, pour ainsi dire, incapable de bien savoir ce que je faisois. Mélanie n’étoit peut-être guère moins agitée, et quoiqu’elle sût mieux se contenir, mille petites choses qui lui sont échappées, me l’ont fait apercevoir plus d’une fois.

» J’ai dansé avec elle, comme j’en avois la promesse ; souvent même : j’aurois voulu que ce fût toujours ; j’étois presque jaloux d’en voir d’autres prendre hardiment cette main qui doit faire tressaillir celui qui la touche. Je ne pouvois la quitter ; je tâchois au moins de danser continuellement auprès d’elle. J’ai bien vu que cette assiduité lui causoit quelque inquiétude. Je me suis éloigné ; j’ai même dansé à une autre contredanse que la sienne. J’ai cru qu’on le faisoit exprès, on a dansé tout ce qu’il y avoit de plus long et de plus ennuyeux. Il m’a semblé que cette contredanse duroit la moitié de la nuit. Lorsque j’en ai été quitte, j’ai cru pouvoir me rapprocher d’elle ; mais son premier mouvement a été de me dire, que j’avois été bien peu de temps à ma contredanse. Trois heures, lui ai-je répondu. Pas vingt minutes, a-t-elle repris. Ah ! Mélanie, lui ai-je dit à mon tour, c’est que vous ne comptez pas les heures comme moi. Elle a souri. Puis reprenant un air sérieux et embarrassé, elle m’a balbutié à demi-voix : Monsieur Adalbert, vous voulez donc qu’on remarque…… Moi, belle Mélanie ! quelle idée ! — Prenez garde, je vous en prie. Elle a prononcé cette dernière phrase de ce ton de confiance, qui semble dire, mon sort est entre vos mains. J’ai voulu lui prouver sur-le-champ que j’étois incapable d’en abuser. C’étoit bien le moins que je pusse faire, après une prière semblable. Je l’ai quittée ; je n’ai plus dansé qu’une seule fois avec elle, et le reste de la nuit j’ai erré dans ce bal, comme un banni à qui tous les lieux sont indifférens jusqu’à ce qu’il puisse revenir dans sa patrie. Cependant, vers le matin, je me suis assis auprès de madame de la Suze, et un moment après, sa nièce est venue s’asseoir aussi, pour se reposer jusqu’au moment du départ qui approchoit. Elle a voulu arranger quelque chose à sa toilette ; et une épingle l’a si outrageusement piquée, que son gant en a été ensanglanté. Elle l’a arraché de sa main avec un peu de dépit, et tandis qu’elle cherchoit à arrêter le sang avec son mouchoir, le gant est tombé. Je l’ai ramassé. Préoccupée par sa blessure, elle n’y a pas fait attention. Je ne sais si elle y a pensé depuis, maïs elle ne me l’a pas redemandé, et je l’ai gardé. Je l’ai là, devant moi, encore teint de ce sang précieux. Tu me traiterois d’extravagant, si je te disois que j’y ai mêlé le mien, comme si cette union étoit un présage…… Tu ne sais pas à quel point l’amour pousse la superstition ! »


Le même au même.

Le premier Mai.


» Mélanie est partie, et cette ville n’est plus pour moi qu’un désert. Je m’aperçois maintenant que c’est peut-être la plus laide ville de France ; ses longues rues, mal bâties, sont d’une tristesse affreuse, qui me semble se réfléchir sur la figure des habitans.

» Le comte de Savigny m’avoit bien dit, il y a long-temps, qu’il passoit une partie de l’été dans ses terres ; mais il ne m’avoit pas parlé du printemps, et je ne croyois pas son absence si prochaine. C’est Mélanie elle-même qui m’a appris son départ. Nous allons à la campagne, me dit-elle, il y a environ huit jours ; des affaires imprévues avancent notre voyage, et nous y ferons passer cette année deux mois de plus que les autres. Consterné par cette nouvelle, je ne pouvois pas lui répondre. Elle en eut pitié, et ajouta bien vite : Ce n’est qu’à six lieues d’ici ; nous y voyons beaucoup de monde ; vous y viendrez sûrement ; je suis bien persuadée que cela fera plaisir à mon père. Et à vous ? disois-je tout bas. Elle continua, comme si elle avoit deviné ma question : J’aime beaucoup cette campagne, et je serai bien aise que vous jugiez vousméme si elle est assez agréable pour justifier mon goût. Je suis un mauvais juge des lieux que vous habitez, lui ai-je dit d’un ton chagrin ; je donnerai toujours la préférence à ceux où je pourrois vous voir le plus souvent. J’ai ajouté quelques plaintes sur l’empressement pour un voyage qui alloit nous séparer. J’ai prononcé les derniers mots avec une amertume qui l’a tellement affectée que j’ai vu des larmes rouler dans ses yeux, et entraînée sans doute par son émotion : Non, m’a-t-elle dit, non, je n’y mets point d’empressement ; vous êtes bien injuste ; ne faut-il pas se résigner à son sort ? Oui, monsieur Adalbert, n’oublions jamais qu’il faut se résigner à son sort, quoi qu’il puisse en coûter.

» Que répondre à de si doux sentimens, et à tant de sagesse ? que j’immolerai mon bonheur à son repos, quand il le faudra. Mais la tante, qui étoit sur nos talons, ne m’a pas permis de le dire. Elle m’a confirmé le départ qu’elle croyoit m’apprendre ; et le comte de Savigny qui est survenu quelques momens après, m’en a encore parlé, en m’invitant avec la plus franche cordialité, à aller passer chez lui tout le temps dont mon service me permettroit de disposer. Tous les dimanches, m’a-t-il dit, je rassemble mon voisinage, qui est nombreux et agréable ; on danse ; vous trouverez toute la gaieté qui convient à un jeune homme ; et à votre âge qu’est-ce que c’est que six lieues ? Je vous attends au moins une fois par semaine. J’ai engagé plusieurs de vos camarades, et cet été je veux que nous nous amusions beaucoup. Qu’en dis-tu, Mélanie ? en s’adressant à sa fille ; n’es-tu pas de mon avis, toi qui aimes tant les plaisirs de la campagne ? Tu ne seras plus triste, mon enfant, a-t-il ajouté en lui prenant les mains avec une effusion de tendresse. Ton bon cœur te mène trop loin ; il est tout naturel de regretter ses amis (on peut se souvenir que sa tristesse est attribuée à la mort d’une de ses amies) ; mais, tout doit avoir un terme, et l’attachement de ton père, qui souffre quand il te voit quelque chagrin, ne doit-il pas t’engager à te consoler. Mélanie s’est jetée dans ses bras en fondant en larmes, et il m’a été impossible de retenir les miennes. Je ne savois où j’en étois. La tendresse de ce bon père, et surtout son erreur sur la cause de cette tristesse qui l’afflige, me jetoient dans une confusion qui me mettoit hors de moi. Si j’avois osé, je serois tombé à ses pieds, je me serois accusé, j’aurois imploré son pardon, et je lui aurois juré, ce que dans ce moment je lui jurois au fond de mon cœur, que je n’abuserois pas d’un penchant que je n’étois déjà que trop coupable d’avoir excité. Jamais je ne me suis trouvé dans une situation aussi pénible. De toute la soirée je n’ai pas osé lever les yeux ni sur Mélanie ni sur son respectable père ; j’étois empressé de sortir ; à chaque mot que me disoit le comte, il me sembloit entendre un reproche sortir de sa bouche ; et dans chaque expression amicale, dans sa sécurité, dans sa bonne foi, je trouvois encore ma condamnation.

» Cette scène est gravée profondément dans mon esprit, et depuis ce moment j’éprouve les plus violens combats. J’ai revu Mélanie trois fois avant son départ. Nos n’avons point cherché à nous parler. La dernière fois, nous nous sommes trouvés très-près l’un de l’autre et séparés de tout le monde : elle m’a regardé avec des yeux pleins de larmes ; elle les a arrêtés sur moi, comme si elle avoit bien voulu me faire voir sa douleur. Elle ne m’a pas dit un mot ; mais tout en elle sembloit me demander grâce. Elle a entendu la voix de son père qui causoit à l’autre bout : du salon, elle a tressailli ; elle a tourné la tête de son côté, comme si elle avoit voulu me le montrer ; puis elle a baissé les yeux, et a passé sa main dessus pour les essuyer. Je n’ai pas osé lui rien dire. Elle a bien vu que ma douleur égaloit au moins la sienne ; et je ne doute pas qu’elle ne m’ait su gré de mon silence, et de ce que j’ai, en quelque sorte, évité les occasions de la rencontrer seule.

» En se quittant on s’est fait de ces adieux qui n’ont rien de bien. triste, puisqu’on se promettoit en même temps de se revoir bientôt. Le comte m’a réitéré avec un nouvel empressement son invitation, et a déchiré encore plus mon cœur. Tout m’assure de son amitié ; mais la contenance de Mélanie m’indique assez où s’arrêteroit cette amitié ; et les marques d’estime même dont il me comble, ne sont plus qu’un supplice pour moi. »


Le même au même.

Le 18 Mai.

» Après ce que je t’ai écrit, Je n’ai pas besoin de te dire dans quelle perplexité je passe ma vie. Tu connois trop le cœur humain pour ne pas savoir combien des contrariétés, des obstacles, nourrissent et irritent une passion. Sais-je si cette dangereuse Mélanie me seroit aussi chère, si je ne me disois pas chaque jour, que je dois y renoncer ? Y renoncer, quand tout m’assure qu’elle. m’aime ! Conçois-tu bien toute l’étendue d’un semblable sacrifice ? Mon cœur se révolte dès que j’y pense ; et pour rappeler ma raison il faut que je me rappelle la confiance qu’un père m’a accordée ; que je me peigne sous les couleurs les plus noires l’abus que j’en ai déjà fait ; et alors le seul projet d’aller plus loin me fait horreur. Mais crois-tu que je puisse toujours m’arrêter à cette idée ? Crois-tu que celle de tous les charmes d’un amour partagé, ne vienne pas sans cesse la couvrir de son voile séducteur ? Il est des momens où je ne vois plus que Mélanie m’aimant comme je l’aime, et ne pouvant plus être heureuse sans moi. Tu devines bien toutes les conséquences de cette pensée ; et tu devines bien aussi, qu’elle flatte trop mon penchant, pour que je puisse la chasser aisément de mon esprit.

» Par ce que je t’ai mandé, tu as pu juger combien il étoit difficile de me dispenser d’aller voir le comte de Savigny à sa campagne ; et cependant, pour persister dans de sages résolutions, je n’aurois guère d’autre parti que de ne plus revoir celle qui, malgré elle-même, d’un seul regard les détruira toujours toutes. Elle ne doit revenir ici que vers l’automne, temps où j’aurai un sémestre. Si je pouvois éviter les visites jusque-là, nous ne nous reverrions pas de sitôt, peutêtre jamais. J’y ai réfléchi sérieusement ; mais mon imagination, froide sur une idée semblable, n’a pas su me fournir un seul expédient qui me parût honnête. Quinze jours se sont écoulés sans que j’aie rien résolu ; enfin j’ai cru que je ne pouvois plus retarder, et je me suis décidé à aller seulement dîner chez le comte. Avant-hier j’ai pris la poste, afin de revenir le soir, en m’excusant sur un travail que je suis obligé de faire pendant ce mois pour ma compagnie. Malgré cela, madame de la Suze et son frère m’ont fait les plus vifs reproches d’avoir tant tardé à venir, et de ne venir que pour un moment.

» En arrivant j’ai trouvé d’abord le comte seul ; les dames étoient encore dans leur appartement. Il m’a proposé un tour de promenade ; il eût bien voulu me faire voir ses eaux, ses parcs, et tout ce qu’il appelle sa création, parce que véritablement il a extrêmement embelli cette habitation, et tellement qu’on est surpris de trouver un lieu aussi agréable au milieu des tristes sables du Maine ; mais songeant que je venois de faire six lieues à franc-étrier, il s’est borné à me conduire dans son jardin, où nous nous sommes assis dans un petit pavillon d’où Jon a la plus belle vue qu’il soit possible d’avoir dans ce pays.

» Je lui avois déjà demandé des nouvelles de sa sœur et de sa fille ; il m’avoit fait une réponse générale ; mais en me parlant des travaux qu’il a faits et qu’il fait encore pour améliorer et embellir cette terre, il est revenu sur Mélanie, en me disant qu’il mettoit d’autant plus d’intérêt à ces travaux, que sa fille en prenoit beaucoup elle-même. Vous la trouverez plus gaie, a-t-il ajouté ; cependant je ne suis pas content de sa santé, l’air du printemps ne lui est pas très-favorable ; mais elle se plaît beaucoup ici. : Aussi elle y est adorée. Elle est si bonne ma Mélanie ! Elle n’est occupée qu’à faire du bien à ceux qui l’entourent ; elle n’est occupée qu’à découvrir les malheureux pour tâcher de les secourir. Elle y emploie tout ce qu’elle peut avoir à sa disposition. Et tout cela bien secrètement. Elle a beau faire, j’en suis toujours instruit ; mais je n’en fais pas semblant ; je tâche seulement de trouver des prétextes ; afin de lui donner plus de moyens pour satisfaire son goût pour la bienfaisance. Je n’ai que cet enfant, je m’aveugle peut-être ; mais je crois qu’il est difficile de réunir autant d’aimables et d’excellentes qualités.

» J’étois près de me lever d’impatience ; j’étois près de lui dire : Vous voulez donc achever de me perdre. Père imprudent, c’est à un jeune homme de vingt ans que vous faites un semblable tableau ! Vous versez dans son cœur un poison qui le tuera, qui tuera votre fille, et qui vous prépare peut-être à vous-même mille chagrins. Qu’ai-je besoin de cet éloge ? Vous la voyez avez des yeux de père, et moi avec les yeux d’un arhant passionné, dites-moi si je ne sais pas l’apprécier aussi bien que vous ? Que ne me dites-vous plutôt qu’elle est haïssable ? Vous ne savez pas quel intérêt vous auriez à me le persuader, si cela étoit possible ! Oui, dans le moment j’aurois voulu fuir cet homme inconsidéré, qui sembloit enfoncer à plaisir le trait dans une blessure qui ne peut se guérir qu’aux dépens de son bonheur.

» Le bruit d’une voiture qui s’est fait entendre, ne lui a pas permis de remarquer mon trouble et l’embarras que j’éprouvois pour répondre convenablement à son panégyrique. Nous sommes retournés vers la maison, il m’a laissé pour recevoir la compagnie qui arrivoit, et je suis allé au salon, où j’ai trouvé madame de la Suze et Mélanie qui n’a paru très-changée. La tante m’a fait, les reproches dont j’ai déjà. parlé ; et quand j’ai annoncé que je repartois le soir, elle s’est adressée à sa nièce pour lui demander si je n’étois pas bien repréhensible de faire douze lieues pour rester un moment. Mélanie a levé sur moi ses beaux yeux, et m’a dit d’une voix foible : Quoi, ce soir ! vous avez donc bien des affaires ! Des affaires, ai-je répondu, qui m’occupent beaucoup, et que ma délicatesse m’ordonne de ne pas perdre de vue ; si j’avois bien écouté mon devoir, peut-être ne serois-je pas même venu aujourd’hui, quoi qu’il eût pu m’en coûter. Cette dernière phrase rappeloit trop les derniers mots qu’elle m’a dits avant son départ, pour qu’elle ne me comprit pas bien. Elle n’a pas osé répliquer ; madame de la Suze a beaucoup loué mon zèle pour mes devoirs, a dit qu’à mon Age surtout, c’étoit exemplaire ; mais que c’étoit aussi une raison pour me distraire quelquefois, et que lorsqu’on le vouloit bien, on savoit tout arranger. Le comte de Savigny est rentré alors avec quatre personnes, qui étoient celles dont nous avions entendu arriver la voiture.

» Pendant qu’on se faisoit de grands complimens, j’observois Mélanie qui accueilloit avec sa grâce ordinaire, une jeune personne qui étoit du nombre des arrivans. Je lui trouvois un air d’abattement ; et pendant quatre ou cinq heures qu’a duré ma visite, si jé lui ai vu cette gaieté dont m’avoit parlé son père ; il m’a semblé que ce n’étoit qu’une gaieté affectée, qui cessoit à la moindre absence de celui devant qui elle croyoit devoir la témoigner. » Pauvre Mélanie ! il est donc vrai que je vous cause des chagrins ! il est donc vrai que ces chagrins portent dans le fond de mon âme un sentiment dont je voudrois bien faire des regrets, mais qui n’en est pas, quoi qu’il soit triste ; car il me fait éprouver un charme dont je voudrois en vain me défendre.

» Tu aurois d’ailleurs été satisfait de ma conduite ; je me suis placé à table auprès de madame de la Suze, dont j’ai tâché de m’occuper uniquement ; après dîner, j’ai causé avec les étrangers sans m’approcher un instant de Mélanie. J’allois partir, content de mon courage, lorsque le comte, qui a juré de me pousser dans le précipice où je ne tomberai pas seul, m’a arrêté, pour faire, disoit-il, ses conditions. Ces conditions sont, que vendredi il vient au Mans, et que samedi il me ramenera avec lui, pour passer le dimanche, jour où il a du monde, et plusieurs jours de la semaine, que nous emploierons à une grande partie de chasse, et à visiter les environs de son château. J’ai objecté des manœuvres. Il m’a répondu qu’il étoit l’ami du commandant du régiment, qu’il se chargeoit de tout arranger avec lui : et ce n’est plus vous que je consulte, a-t-il ajouté en riant.

Qu’opposer à cette opiniâtreté ? Je vais donc passer plusieurs jours sous le même toit que Mélanie. Je ne sais plus quelle résolution prendre ; je suis découragé. Est-ce ma faute si une fatale destinée me poursuit de manière à ne pas échapper ? Cependant, mon ami, ne crains pas que j’oublie entièrement ce que je me dois à moi-même, et surtout ce que je dois au repos de Mélanie.


Le même au même.

Le 18 Mai.

» Par où commencer tout ce que j’ai à l’écrire ? Je ferois un volume si je voulois te rendre compte de tout ce que j’ai éprouvé en quatre jours. Ces quatre jours ont changé toutes mes idées ; il n’est plus question de combattre ; j’ai cédé, Ne pouvant résister à l’orage : je m’y abandonne ; peut-être me conduira-t-il au port.

» Le comte de Savigny a tenu exactement sa parole ; il a demandé et obtenu toutes les permissions sans que je m’en sois mêlé, et je me suis laissé emmener, plutôt que je ne l’ai suivi.

» Dès le premier soir, j’ai bien vu, à travers la réserve dont Mélanie sembloit redoubler, qu’elle étoit inquiète et troublée d’un rapprochement si long. À la ville nous nous voyions souvent sans doute ; mais quelle différence ! Cependant les deux premiers jours se sont passés sans autre événement ; que ces petits riens auxquéls la passion attache de l’importance, comme je te l’ai prouvé seuvent dans mes récits.

» Le mardi nous nous sommes mis en chemin avant le lever du soleil pour la grande partie de chasse. Le cerf, lancé de grand matin, nous a d’abord mené fort loin ; mais vers les neuf ou dix heures, il s’est rabattu sur une petite forêt qui vient joindre le parc, et nous a ramené du côté du : château. Bien plus occupé d’autres idées que de : la chasse, je me suis laissé entraîner par mon cheval dans un wallon agréable, ombragé par quelques arbres, rafraîchi par un petit ruisseau, et où régnoit ce silence troublé seulement par l’agitation des arbres, ou le murmure des eaux, qui convient si bien, quand on aïme à se livrer à de profondes réveries. Absorbé par les miennes ; j’ai suivi quelque temps le cours du ruisseau ; mais le chemin devenant plus difficile, j’ai été forcé d’y faire quelque attention. Quoique je fusse bien persuadé que je ne devois pas être éloigné de la maison, ne sachant pas précisément où j’étois, pour m’en assurer et tâcher de retrouver la chasse, j’ai pris un sentier qui conduit à une éminence couronnée par un petit bois ; d’où j’ai cru pouvoir découvrir tous les environs. J’y suis bientôt arrivé ; et m’étant arrêté dans une clairière pour reconnoître le pays, j’ai aperçu, peut-être à vingt pas de moi, une femme assise de manière qu’elle ne pouvoit pas me voir, et que je ne pouvois pas voir sa figure ; mais mon cœur m’a dit bientôt que c’étoit Mélanie, et il ne pouvoit me tromper. Elle dessinoit une vue du château qui étoit presque à ses pieds. Je l’ai regardée d’abord sans oser faire le moindre mouvement ; mais m’enhardissant peu-à-peu, je me suis avancé bien doucement, jusqu’auprès d’elle, sans qu’elle m’ait entendu ; sans doute aussi parce qu’elle étoit fortement préoccupée. À peine j’osois respirer, de peur que ma présence ne l’effrayât, et que je ne perdisse trop vite le charme inconcevable que je trouvois à la contempler ; à me trouver avec elle dans cette solitude ! C’étoit une situation toute nouvelle pour moi.

» Elle avoit bien son papier devant elle, et son crayon dans ses doigts ; mais elle ne travailloit pas. Sa tête étoit appuyée sur une de ses mains, et sa pensée paroissoit être bien loin de son ouvrage.

» J’aurois voulu, je crois, rester la journée entière à la regarder ainsi ; mais mon cheval, piqué sans doute par une mouche, a voulu se porter en avant ; en vain je l’ai retenu, il m’a été impossible d’empêcher que le bruit de notre petit combat ne fût entendu de Mélanie. Elle a tourné la tête avec précipitation, puis s’est levée aussi rapidement, en portant sur moi des regards où la surprise, l’effroi, et peut-être d’autres sentimens se peignoient tout-à-la-fois il seroit impossible de rendre l’expression de sa figure. Son carton étoit tombé à ses pieds, j’étois déjà descendu de cheval, j’avois ramassé ses dessins, je les lui présentois, qu’elle restoit toujours dans la même situation, sans faire un mouvement pour les prendre, et sans pouvoir ou sans oser me dire un mot. Seroit-il possible, lui ai-je dit, que je fusse assez malheureux pour vous déranger ? Je crains de vous avoir effrayée. Je passois, et j’étois bien loin d’imaginer que je dusse vous rencontrer ici. Pendant que je parlois, elle revenoit un peu à elle ; je lui ai rendu son carton, en la priant de continuer ce que j’étois désespéré d’avoir interrompu ; j’ai ajouté que je désirois bien voir son ouvrage, si elle n’étoit pas trop fâchée contre moi de ce que je l’avois surprise si indiscrétement.

» Il est vrai que vous m’avez fait peur, m’a-t-elle dit ; je dessine ainsi très-souvent dans la campagne ; mais c’est la première fois que je me sois hasardée à rester seule. Le château est si près ! ma femme de chambre avoit affaire, j’ai cru pouvoir la renvoyer. Il y a à peine un quart d’heure qu’elle m’a quittée. Je vous croyois bien loin d’ici.

» Je lui ai expliqué succinctement comment la chasse m’avoit ramené de ce côté ; et en lui réitérant ma prière pour qu’elle reprit son travail, j’ai ajouté que j’allois la quitter à l’instant ; mais que si elle avoit la moindre générosité, elle me laisseroit voir ce qu’elle faisoit.

» Elle a hésité beaucoup ; enfin rassuré sans doute par la promesse que je lui faisois de la quitter promptement, elle a repris sa place en me disant : Cela n’en vaut pas la peine. D’ailleurs je n’ai là que des croquis.

» Elle m’a fait voir cinq ou six esquisses plus ou moins avancées, qui toutes annoncent de véritables dispositions et une grande intelligence. Elle y a joint des réflexions sur la manière dont elle a pris chacune des vues, et sur des effets de perspective, qui sont au-dessus. d’une écolière. J’ai multiplié mes questions ; elle y a répondu ; et cette conversation une fois entamée en a amené une autre dont tous les mots sont si bien gravés dans ma mémoire, que je puis te les redire sans craindre d’e en n altérer au moins le sens.

» Belle Mélanie, que vous êtes heureuse de pouvoir vous distraire par une occupation agréable ! — Vous avez bien plus de moyens de distraction que moi. — Aucun, Mélanie, qui me réussisse. — (Après un peu de silence) Monsieur Adalbert, vous avez laissé la chasse ; mon père sera furieux contre vous, si vois ne parvenez pas à la rejoindre. — Est-ce moi qui suis venu. vous trouver ici de ma propre volonté, ou n’est-ce pas plutôt le sort qui me ramène toujours auprès de vous, lors même, oui Mélanie, lors même que je forme le projet de vous fuir ? — Monsieur Adalbert…… — Ne m’interrompez pas ; écoutez-moi, écoutez-moi, je vous en conjure ! Puisque tout conspire notre réunion, que tout s’oppose aux projets que j’avois formés pour en éviter les dangers, je veux au moins que vous sachiez ce qui se passe dans mon cœur, que vous jugiez vous-même si je ne mérite pas moins de blâme que d’indulgence et de pitié. Je vous aime, Mélanie ; vous le savez déjà, je puis bien vous le répéter ; je vous aime plus que la vie. Vous savez si, depuis deux mois bientôt, je n’ai pas un puissant motif d’écouter mes sentimens. (Ici Mélanie a caché sa figure dans ses mains pour m’empêcher de voir sa rougeur, en disant d’une voix étouffée) : Ah ! que je suis coupable ! Non, non, moi seul… Mais jugez si votre repos m’est cher ! Ramené à des idées sages par la réflexion, par quelques mots échappés à vous-même, par cette scène de tendresse entre votre père et vous, la veille de votre départ du Mans, je formois la résolution de renoncer même à vous voir ; si ce n’étoit pas le moyen de vous oublier, c’étoit sans doute celui de l’être : que pouvois-je faire de plus ? Monsieur Adalbert, vous croyez… (Elle a commencé cette phrase avec la plus grande vivacité ; elle partoit du cœur ; une lueur de raison — est venu l’arrêter, elle a cherché en vain à y ajouter ; elle a laissé à mon imagination le soin de la finir. Nous sommes restés un moment en silence ; j’ai repris) : Vous savez si j’ai résisté d’abord à ce charme insurmontable qui m’entraîne vers vous ; j’ai même tâché d’éluder les invitations de votre père ; mais vous avez vu son opiniâtreté ; vous avez dû sentir qu’à moins d’amener des soupçons, des explications peut-être, il falloit bien lui céder. Il faut donc vous voir tous les jours ; vous rencontrer à chaque moment. Mélanie ! vous n’êtes pas insensible. En vain je suis pénétré de ce que je devrois faire, dites-moi si je le puis ? — Monsieur Adalbert, comment Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/155 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/156 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/157 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/158 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/159 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/160 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/161 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/162 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/163 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/164 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/165 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/166 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/167 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/168 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/169 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/170 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/171 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/172 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/173 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/174 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/175 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/176 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/177 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/178 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/179 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/180 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/181 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/182 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/183 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/184 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/185 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/186 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/187 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/188 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/189 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/190 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/191 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/192 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/193 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/194 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/195 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/196 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/197 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/198 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/199 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/200 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/201 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/202 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/203 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/204 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/205 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/206 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/207 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/208 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/209 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/210 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/211 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/212 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/213 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/214 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/215 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/216 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/217 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/218 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/219 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/220 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/221 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/222 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/223 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/224 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/225 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/226 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/227 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/228 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/229 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/230 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/231 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/232 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/233 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/234 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/235 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/236 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/237 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/238 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/239 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 1.djvu/240

Elle étoit bien loin de savoir ce qu’elle vouloit faire. Elle étoit au désespoir d’affliger son père ; elle se sentoit incapable de lui résister en face ; elle auroit voulu éviter sa présence ; et, sans se rendre compte encore des motifs, elle en cherchoit les moyens. Sa nourrice demeuroit à quatre lieues du Mans, auprès d’une petite ville, et sur la route de Paris. Elle vivoit là avec une fille unique, sœur de lait de Mélanie, et jouissoit d’une certaine aisance, qu’elle devoit aux bienfaits du comte et de Mélanie qui ne perdoit pas une occasion de contribuer au bonheur de celle qui avoit soigné les premiers jours de sa vie. Elle alloit la voir au moins une fois par an ; ainsi sa demande n’avoit rien d’extraordinaire, que le moment où elle la faisoit, ne choisissant pas ordinairement le milieu de l’hiver pour faire cette visite. Aussi le comte en fut-il d’abord surpris, et fut sur le point de s’y opposer ; cependant, après un instant de réflexion, il dit à Mlle. Yvelin qu’il y consentoit, et que sa fille n’avoit qu’à donner ses ordres pour le voyage. Elle ne me propose pas de l’accompagner, ajouta-t-il ; je ne veux pas la gêner ; je suppose que vous allez avec elle, cela suffit. Le comte de Savigny avoit une grande confiance dans Mlle. Yvelin ; et celle-ci, à beaucoup d’égards, méritoit cette confiance. Elle retourna auprès de sa maîtresse pour lui porter la réponse, et l’heure du départ fut fixée au lendemain, dès qu’il feroit jour :

Une passion très-exaltée tient plus qu’on ne pense de la folie ; c’est au moins un véritable accès de démence. C’est une situation peut-être plus cruelle, parce qu’on raisonne encore et qu’on ne sauroit faire usage de sa raison. Mélanie se jugeoit coupable ; non-seulement elle ne trouvoit pas, mais ne elle cherchoit pas une excuse ; elle ne pensoit point à accuser son père d’oppression, de tyrannie ; mais plus elle croyoit sa colère juste, moins elle pouvoit se décider à chercher à l’apaiser. Elle vouloit s’éloigner de lui, elle qui ne l’avoit presque jamais quitté, qui avoit rarement passé un jour sans le voir ; et qui ne l’avoit jamais revu sans un véritable plaisir ! L’idée de lui désobéir n’entroit pas dans son esprit ; mais il lui sembloit qu’en gagnant du temps, les événemens pouvoient la servir d’eux-mêmes ; elle pouvoit tomber malade, mourir peut-être, car l’espérance de la mort joue toujours un rôle dans les grandes passions ; un instinct vague semble nous indiquer, que jamais sur la terre elles ne peuvent être satisfaites. C’étoit un vrai cahos que la tête et le cœur de Mélanie ; ses pensées étoient comme des torrens qui se croiseroient dans leur cours.

Elle étoit cependant bien décidée à ne pas partir, sans voir ce père naguère si chéri, et maintenant redouté. Elle remettoit toujours d’heure en heure ; elle se levoit, alloit quelquefois jusqu’à la porte de sa chambre, et toujours, lorsqu’elle sembloit bien résolue, elle se forgeoit un prétexte pour retarder encore. Le jour étoit déjà fini, et, malgré quelques représentations qu’avoit osé hasarder la bonne Yvelin, Mélanie avoit trouvé des raisons pour remettre l’entrevue au moment où elle monteroit en voiture. Ce moment arriva. Elle se présente à l’appartement de son père, et demande s’il est levé ; un domestique lui ayant dit que non, elle reste un moment incertaine ; puis elle se dit à elle-même : Il sait que je pars, et il n’est pas levé ! il ne veut pas me voir. Les larmes aux yeux, elle rejoint Mlle. Yvelin qui l’attend dans la cour de l’hôtel ; et la voiture l’a déjà entraînée loin de la maison paternelle que, désespérée de quitter ainsi son père, elle se reproche amèrement de s’être laissée arrêter par un obstacle qu’elle pouvoit, qu’elle devoit surmonter ; elle voudroit retourner pour réparer une faute qu’elle ne peut se pardonner ; mais il n’est plus temps, et chaque pas qu’elle fait, la rend, au moins pour le moment, irréparable.

Fin du Tome premier.

ADALBERT ET MÉLANIE. PAR S***. C***

Mais si vous n'aimez point vous ne concevrez pas

Tous ces soulèvemens, ces craintes, ces combats,

Ce reflux orageux de sentimens contraires.
ZULIMB act. III, sc. I.

TOME SECOND.

PARIS.

Chez BILLOIs, quai des Augustins, nº. 37.

An XI - 1802

ADALBERT ET MÉLANIE.


LE plus profond silence régna longtemps dans la voiture ; Mélanie, toute entière à ses chagrins, savoit à peine où elle étoit et où elle alloit ; Mlle. Yvelin regardoit quelquefois sa maîtresse, devinoit une partie de ses pensées ; mais ne trouvant rien de consolant à lui dire, elle soupiroit et se taisoit.

On avoit déjà fait près d’une lieue, lorsqu’une voiture publique, venant à passer rapidement auprès du leste équipage de nos deux voyageuses, l’accrocha assez fortement pour qu’on fût obligé d’arrêter. L’accident n’ayant eu d’ailleurs aucune suite fâcheuse, chacun reprit assez promptement sa route ; mais cet événement tira Mélanie de sa profonde distraction, et fournit à Mlle. Yvelin un prétexte d’entamer la conversation. Elle raconta tout ce qu’elle savoit sur les diligences ; leur arrivée au Mans, leur départ pour Paris ; des aventures romanesques auxquelles ces voitures avoient été utiles, et mille autres choses qui y avoient rapport. Sa maîtresse l’avoit d’abord écoutée avec peu d’attention ; mais cette voiture venoit de Paris ; elle avoit peut-être passé dans la rue qu’habitoit Adalbert ; il avoit peut-être jeté quelques regards sur elle ; il avoit peut-être su qu’elle venoit au Mans, et elle avoit peut-être valu une pensée à Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/11 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/12 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/13 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/14 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/15 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/16 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/17 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/18 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/19 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/20 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/21 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/22 Page:Candeille - Adalbert et Melanie - tome 2.djvu/23 Page:Candeille - 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FIN DU TOME SECOND ET DERNIER.

  1. Scarron étoit de Paris, mais comme il a habité long-temps le Mans, où il a puisé l’idée de son Roman comique, on pardonnera bien cette petite erreur à un jeune homme qui avoit bien autre chose dans la tête que l’exactitude historique. (Note de l’éditeur.)