Action héroïque d’une françoise

Action héroïque d’une françoise ou la France sauvée par les femmes
Guillaume junior (p. 3-7).


ACTION HÉROÏQUE
D’UNE FRANÇOISE,
OU
LA FRANCE
SAUVÉE PAR LES FEMMES.


EN mettant, l’année derniere, ſous les yeux de mes Concitoyens, le projet d’une caiſſe patriotique, je me ſuis vue en butte à tous les traits de la ſatyre. Loin que mes conſeils aient été approuvés, je n’ai reçu que des injures ou des éloges perfides. Cet accueil, de la part d’un Public toujours ſévere à mon égard, auroit bien dû me guérir de cette démangeaiſon d’écrire, qui a répandu tant d’amertume ſur ma vie. J’avois pris en effet la ferme réſolution de ne plus donner priſe à la malignité de mes ennemis, en me vouant à un ſilence éternel ; mais la ſituation actuelle de l’Etat, trop affligeante pour mon cœur ſenſible, m’a forcée de reprendre la plume. Aujourd’hui je m’adreſſe à mon ſexe. Peut-être en ſerai-je mieux accueillie ? Ce ne ſont pas toutefois des éloges que je demande. Non, mon unique deſir eſt d’être utile à ma Patrie. Hommes vains & ridicules, qui vous arrogez un empire, deſpotique dans la Littérature, vous blâmerez toujours mon ſtyle, peut-être même n’épargnerez-vous pas mes mœurs ? Peu m’importe. Encore une fois, ce n’eſt point pour vous que j’écris. Je mépriſe également vos applaudiſſements & vos critiques. C’eſt à vous que ce foible fruit de mes talents s’adreſſe, femmes vertueuſes, femmes citoyennes, que le patriotiſme embrâſe d’un ſaint zele. Sans doute en ce moment vous gémiſſez de ne pouvoir faire que des vœux pour le bonheur de la France. Tandis que vos peres, vos époux, vos freres s’occupent de la régénération de cet Empire, vous déſieriez de pouvoir les ſeconder dans ce grand œuvre. Il en eſt un moyen noble & efficace, que j’oſe rappeller à votre mémoire ; je n’en trouve point de plus propre à ramener l’abondance & le crédit national ; c’eſt celui qu’employerent les Dames Romaines dans une détreſſe à-peu-près ſemblable. Rome, le ſiege de la gloire & de la vertu, ſi jamais elles en eurent un ſur la terre ; Rome, dis-je, affoiblie par des guerres diſpendieuſes, touchoit à ſa fin. Les fonds publics étoient épuiſés, nulle reſſource, nul moyen de repouſſer l’ennemi prêt à fondre ſur elle. Les femmes ſauverent alors cette Ville, que les hommes déſeſpéroient de pouvoir défendre plus long-temps. Dépouillant généreuſement les vains ornements du luxe, toutes porterent leurs bijoux dans le tréſor public ; avec ce ſecours inattendu, bientôt on ne manqua plus d’armes ni de Soldats. Dès-lors la victoire fut décidée, & les Romains libres ne ſongerent plus qu’à remercier les Dieux de leur avoir donné des meres & des épouſes ſi vertueuſes.

Cet exemple n’a jamais été ſuivi depuis, chez aucune Nation de l’Univers, parce que jamais la Patrie n’a parlé plus fortement qu’à Rome. Aujourd’hui donc, mes Concitoyennes, que ſa voix commence à ſe faire entendre parmi nous, y ſerez-vous inſenſibles ? Imiterez-vous l’égoïſme de ces capitaliſtes calculateurs, qui refuſent d’ouvrir leurs tréſors ? Ah ! plutôt que votre conduite généreuſe les faſſe rougir de leur avarice ſordide ; montrez-vous encore plus dignes des éloges que la vérité a arrachés au Citoyen de Genève. Malgré les ſarcaſmes qu’il a lancés contre nous, il a été contraint d’avouer que ce ſont les femmes ſeules qui conſervent dans Paris le peu d’humanité qui y regne encore, & que ſans elles, on verrait les hommes avides & inſatiables, s’y dévorer comme des loups.

Laiſſez aux ames viles, qui font la honte de notre ſexe, le triſte avantage d’étaler ces ornements effrontés qu’elles ont achetés au prix de leur honneur, & qui ne contribuent en rien à relever l’éclat de la beauté. Sous une parure plus modeſte & plus ſimple, vous n’aurez que plus de droits à l’eſtime & à l’admiration publiques ; & vos noms tranſmis juſqu’à la poſtérité la plus reculée, ſeront placés dans l’Hiſtoire, à côté de ces hommes célebres, de ces génie tutélaires, dont les efforts pour tirer la France d’eſclavage, auroient été néanmoins inutiles, ſans vos ſecours. Hâtez-vous donc de vous acquitter d’un ſi beau ſacrifice. Une ſeule d’entre vous ſuffit pour donner, dans la Capitale, un exemple qui ſera ſuivi en un inſtant dans toutes les Provinces. N’écoutez pas les conſeils inſidieux de ces apatriotes, qui prétendront qu’un tel projet ne pourra jamais s’exécuter au milieu d’une Nation dont les Membres les plus diſtingués tiennent aux principes de l’Ariſtocratie la plus décidée. Je ſoutiens au contraire, que c’eſt le ſeul moyen de rendre les Ariſtocrates utiles à la cauſe publique ; parce que, n’étant pas les plus nombreux, la crainte & le danger de ſe voir notés d’infamie, & déſignés en quelque ſorte à l’indignation des vrais Citoyens, ſeront pour eux une exhortation plus perſuaſive encore, que la criſe funeſte de l’Etat ne l’eſt pour vous.

Par Madame de G * * *.


FIN.