Actes et Paroles volume1 L’état de siège




Assemblée Constituante 1848


Actes et parolesJ. Hetzel & Cie1 (p. 169-172).


L’ÉTAT DE SIÈGE[1]

2 septembre 1848.

M. Victor Hugo. — Au point où la discussion est arrivée, il semblerait utile de remettre la continuation de la discussion à lundi. (Non ! non ! Parlez ! parlez !) Je crois que l’assemblée ne voudra pas fermer la discussion avant qu’elle soit épuisée. (Non ! non !)

Je ne veux, dis-je, répondre qu’un mot au chef du pouvoir exécutif, mais il me paraît impossible de ne pas replacer la question sur son véritable terrain.

Pour que la constitution soit sainement discutée, il faut deux choses : que l’assemblée soit libre, et que la presse soit libre. (Interruption.)

Ceci est, à mon avis, le véritable point de la question ; l’état de siège implique-t-il la suppression de la liberté de la presse ? Le pouvoir exécutif dit oui ; je dis non. Qui a tort ? Si l’assemblée hésite à prononcer, l’histoire et l’avenir jugeront.

L’assemblée nationale a donné au pouvoir exécutif l’état de siège pour comprimer l’insurrection, et des lois pour réprimer la presse. Lorsque le pouvoir exécutif confond l’état de siège avec la suspension des lois, il est dans une erreur profonde, et il importe qu’il soit averti. (À gauche : Très bien !)

Ce que nous avons à dire au pouvoir exécutif, le voici :

L’assemblée nationale a prétendu empêcher la guerre civile, mais non interdire la discussion ; elle a voulu désarmer les bras, mais non bâillonner les consciences. (Approbation à gauche.)

Pour pacifier la rue, vous avez l’état de siège ; pour contenir la presse, vous avez les tribunaux. Mais ne vous servez pas de l’état de siége contre la presse ; vous vous trompez d’arme, et, en croyant défendre la société, vous blessez la liberté. (Mouvement.)

Vous combattez pour des principes sacrés, pour l’ordre, pour la famille, pour la propriété ; nous vous suivrons, nous vous aiderons dans le combat ; mais nous voulons que vous combattiez avec les lois.

Une voix. — Qui, nous ?

M. Victor Hugo. — Nous, l’assemblée tout entière. (À gauche : Très bien ! très bien !)

Il m’est impossible de ne pas rappeler que la distinction a été faite plusieurs fois et comprise et accueillie par vous tous, entre l’état de siége et la suspension des lois.

L’état de siége est un état défini et légal, on l’a dit déjà ; la suspension des lois est une situation monstrueuse dans laquelle la chambre ne peut pas vouloir placer la France (mouvement), dans laquelle une grande assemblée ne voudra jamais placer un grand peuple ! (Nouveau mouvement.)

Je ne puis admettre que le pouvoir exécutif comprenne ainsi son mandat. Quant à moi, je le déclare, j’ai prétendu lui donner l’état de siége, je l’ai armé de toute la force sociale pour la défense de l’ordre, je lui ai donné toute la somme de pouvoir que mon mandat me permettait de lui conférer ; mais je ne lui ai pas donné la dictature, mais je ne lui ai pas livré la liberté de la pensée, mais je n’ai pas prétendu lui attribuer la censure et la confiscation ! (Approbation sur plusieurs bancs. Réclamations sur d’autres.) C’est la censure et la confiscation qui, à l’heure qu’il est, pèsent sur les organes de la pensée publique. (Oui ! très bien !) C’est là une situation incompatible avec la discussion de la constitution. Il importe, je le répète, que la presse soit libre, et la liberté de la presse n’importe pas moins à la bonté et à la durée de la constitution que la liberté de l’assemblée elle-même.

Pour moi, ces deux points sont indivisibles, sont inséparables, et je n’admettrais pas que l’assemblée elle-même fût suffisamment libre, c’est-à-dire suffisamment éclairée (exclamations) si la presse n’était pas libre à côté d’elle, et si la liberté des opinions extérieures ne mêlait pas sa lumière à la liberté de vos délibérations.

Je demande que M. le président du conseil vienne nous dire de quelle façon il entend définitivement l’état de siége (Il l’a dit !) ; que l’on sache si M. le président du conseil entend par état de siége la suspension des lois. Quant à moi, qui crois l’état de siége nécessaire, si cependant il était défini de cette façon, je voterais à l’instant même contre son maintien, car je crois qu’à la place d’un péril passager, l’émeute, nous mettrions un immense malheur, l’abaissement de la nation. (Mouvement.) Que l’état de siége soit maintenu et que la loi soit respectée, voilà ce que je demande, voilà ce que veut la société qui entend conserver l’ordre, voilà ce que veut la conscience publique qui entend conserver la liberté. (Aux voix ! La clôture !)

  1. Le représentant Lichtenberger avait fait une proposition relative à la levée de l’état de siège avant la discussion sur le projet de constitution. Le comité de la justice, par l’organe de son rapporteur, disait qu’il n’y avait pas lieu de prendre en considération la proposition. Le représentant Ledru-Rollin la défendit, le représentant Saureau la défendit également, le représentant Demanet parla dans le même sens. Le général Cavaignac, président du conseil, présenta dans ce débat des considérations à la suite desquelles Victor Hugo demanda la parole. La discussion fut close après son discours. La proposition du représentant Lichtenberger ne fut pas adoptée.
    (Note de l’éditeur.)