Abrégé de l’origine de tous les cultes/Notice sur la vie et les ouvrages de Dupuis

AVIS DES ÉDITEURS.




Les troisième et quatrième éditions de l’Abrégé de l’Origine de tous les Cultes, par Dupuis, n’ont pas eu moins de succès que les trois précédentes. Nous sommes fondés à croire que cette nouvelle édition ne s’écoulera pas moins rapidement ; elle est ornée d’un portrait de l’auteur et contient une Notice sur sa vie et ses écrits.

Nous avons joint à cette nouvelle édition une Description du Zodiaque circulaire qui est à Paris et qui a été extrait d’un temple à Denderah ; la Dissertation de Dupuis sur le Zodiaque rectangulaire trouvé dans le même temple précède notre Description.

La gravure de ces deux monuments a été faite avec soin.

On a relevé, dans cette réimpression, plusieurs fautes graves qui s’étaient glissées dans les autres éditions.

NOTICE

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE DUPUIS.


Séparateur

Dupuis est un des hommes les plus remarquables de notre siècle, tant par sa profonde érudition que par son mérite littéraire. Son Origine des Cultes est un de ces ouvrages marqués au coin du génie, qui n’apparaissent qu’une fois tous les siècles pour éclairer les peuples et les tirer de leurs erreurs.

Beaucoup de notices ont été faites sur la vie de cet homme célèbre ; elles rappellent toutes, avec plus ou moins de fidélité, les occupations scientifiques et les vertus privées qui l’ont caractérisé. Nous avons donc cru inutile de nous faire son historien, et nous nous sommes bornés à rapporter ce qu’en disent les estimables écrivains de la Biographie des Contemporains, qui nous paraissent avoir le mieux apprécié ce grand homme :

« Dupuis (Charles-François), né à Trie-le-Château, près Chaumont (Oise), le 16 octobre 1742, de parents honnêtes, mais pauvres. Sa famille s’était établie à la Roche-Guyon, département de Seine-et-Oise ; il s’occupait un jour, sur le bord de la Seine, à prendre avec un graphomètre la hauteur de la tour de cette petite ville, lorsque le duc de La Rochefoucault, qui semblait destiné à devenir le protecteur ou l’ami des hommes de mérite, et à l’amitié duquel on doit peut-être la vocation du célèbre Dolomieu pour les sciences, aperçut le jeune géomètre, âgé alors de moins de douze ans ; il vint à lui, le questionna, fut charmé de ses réponses, et le plaça, avec l’autorisation de ses parents, au collége d’Harcourt, où il lui fonda une bourse. L’illustre protecteur fut bientôt récompensé de sa bienveillance, par les progrès rapides de son protégé, qui, à l’âge de 24 ans, passa au collége de Lisieux en qualité de professeur de rhétorique. Dans les moments de loisir que lui laissaient les devoirs de sa place, Dupuis étudia le droit, et se fit recevoir avocat au parlement de Paris en 1770. À peu près vers cette époque, il quitta l’habit ecclésiastique que jusqu’alors il avait porté, et il se maria. Il fut chargé, en 1775, de composer le discours latin pour la distribution des prix de l’Université. L’occasion était solennelle, le parlement de Paris venait d’être rétabli après la mort de Louis XV, et cet illustre corps assistait à la cérémonie : le jeune orateur saisit habilement une circonstance politique qui lui permettait de traiter son objet sous un nouveau point de vue, et son discours fut couvert d’applaudissements ; il lui fit beaucoup d’amis parmi les magistrats. Une autre occasion de justifier la confiance du premier corps enseignant de l’état, et d’obtenir un nouveau succès littéraire, s’offrit quelques années après : en 1780 il fut chargé de prononcer, au nom de l’Université, l’oraison funèbre de l’impératrice Marie-Thérèse. Son talent parut avoir acquis plus de force et plus de maturité. Dupuis fut jugé un excellent humaniste ; et a république des lettres compta un nouveau citoyen fait pour l’honorer. Les mathématiques, qu’il avait apprises avec une grande facilité, réclamèrent bientôt toute son attention, et il suivit en même temps les cours d’astronomie de Lalande, dont il devint l’ami, comme il l’était déjà du duc de La Rochefoucault, de l’abbé Barthélemy, de l’abbé Leblond, et des hommes les plus distingués d’alors. Ses travaux journaliers et ses relations intimes lui donnèrent l’idée du grand ouvrage qui a établi sa réputation, l’Origine de tous les Cultes ; il commença par en publier plusieurs fragments dans le Journal des Savants (cahiers de juin, d’octobre et de décembre 1777, et de février 1781), et en fit hommage à l’Académie des inscriptions. Il réunit ces matériaux épars, les fit réimprimer dans l’Astronomie de Lalande, et les donna séparément, en un volume in-4o, 1781, sous le titre de Mémoires sur l’Origine des Constellations et sur l’explication de la Fable par l’Astronomie. Le système de Dupuis, fruit d’un esprit supérieur et d’une immense érudition, était nouveau et devait piquer la curiosité des savants et des gens du monde ; il ouvrait d’ailleurs une route nouvelle aux méditations des personnes instruites, et il obtint bientôt tous les genres de succès ; il fut loué avec enthousiasme, et critiqué avec amertume ; cependant l’auteur ne fut pas calomnié : de nos jours, cet honneur ne lui eût pas échappé sans doute. Bailly entreprit de réfuter ce système dans son Histoire de l’Astronomie (cinquième volume). Dupuis n’en continua pas moins à le perfectionner, et il fit paraître son ouvrage en 1794 (3 vol. in-4o  et atlas, et 12 vol. in-8o) sous le titre d’Origine de tous les Cultes, ou la Religion universelle. L’apparition de cet ouvrage avait produit une sensation extraordinaire. Les uns y virent un livre paradoxal, capable peut-être de saper les fondements de la religion chrétienne ; les autres, et ils étaient en plus grand nombre, y reconnurent une conception singulière, mais forte, du plus haut intérêt, et qui était le produit du savoir, d’une investigation judicieuse, de la méditation, et d’une lente expérience. Ils pensèrent que cet ouvrage ne devait être jugé ni avec légèreté, ni avec précipitation, ni par les esprits superficiels ; enfin ils le considérèrent comme un de ces monuments que le génie humain élève, en signe de son passage à travers les siècles, et qu’il livre à la méditation des sages de tous les temps et de toutes les nations, hommes dont les lumières et le jugement sont indépendants des révolutions religieuses et politiques.

« L’ouvrage de Dupuis n’a détruit ni ébranlé aucune croyance : quand il parut, l’autel et le trône étaient renversés. Rétablis peu d’années après cette publication, ils n’en ont reçu aucun dommage, parce que la religion est un sentiment et non un calcul, et que le cœur cède à son inspiration quand l’esprit discute et juge. Dupuis donna un Abrégé de cet ouvrage en un vol. in-8o , (1798 an iv), qui a été plusieurs fois réimprimé, soit dans ce format, soit in-18, en un et deux volumes M. le comte Destutt de Tracy a fait une espèce d’abrégé de l’ouvrage de Dupuis, sous ce titre : Analyse raisonnée de l’Origine de tous les Cultes (Paris, in-8o, 1814). Ce même ouvrage de l’Origine de tous les Cultes a été commenté par le savant Pierre Brunet, de l’ancienne maison de Saint-Lazare, dans sa compilation du Parallèle des Religions (5 vol. in-4o). Dulaure a donné, dans son livre intitulé : Des cultes qui ont précédé et amené l’idolâtrie et l’adoration des figures humaines (Paris, in-8o, 1805), une véritable introduction à l’Origine de tous les Cultes ; et Dupuis lui-même a laissé parmi ses manuscrits des Recherches sur les Cosmogonies et les Théogonies, qui pourront servir de pièces justificatives au système qu’il a développé dans son ouvrage. Chénier, dans son Introduction au Tableau de la littérature, où souvent il caractérise d’un mot les plus belles productions de l’esprit, dit : « Avec Dupuis l’érudition raisonnable cherche l’origine commune des diverses traditions religieuses. » Ami du travail et de la retraite, Dupuis s’était fixé dans la belle saison à Belleville. En 1778, aidé par Letellier, il exécuta sur la maison qu’il habitait un télégraphe dont il avait puisé l’idée dans Guillaume Amontons, géomètre, mécanicien français, dont Fontenelle a fait l’éloge. Au moyen d’un télescope, Fortin, ami de Dupuis, correspondait avec lui de Bagneux, où il demeurait, recueillant ainsi les signaux qui lui étaient faits de Belleville, et y répondant par les mêmes moyens. Au commencement de la révolution, Dupuis détruisit sa machine dans la crainte de se rendre suspect au gouvernement. Cette découverte, aujourd’hui si répandue en Europe, et particulièrement en France, fut dédaignée à l’époque de son invention. Ce ne fut que lorsque, pour le service du gouvernement, les frères Chappe parvinrent à l’exécuter et à la perfectionner, qu’on en reconnut toute l’importance. Dupuis avait été nommé professeur d’éloquence latine au Collége de France ; il devint, en 1778, membre de l’Académie des inscriptions, en remplacement de Rochefort, auteur d’une traduction en vers de l’Iliade d’Homère. Le duc de La Rochefoucault et l’abbé Barthélemy firent pour lui les visites d’usage. Peu de temps après, l’administration du département de Paris le nomma l’un des quatre commissaires de l’instruction publique ; mais les premiers orages de la révolution l’éloignèrent de la capitale : il se retira à Évreux ; il était encore domicilié dans cette ville, lorsque le département de Seine-et-Oise le nomma député à la Convention nationale, où, au milieu des plus grands orages, il se fit remarquer par sa modération. Dans le procès du roi, il vota la détention comme mesure de sûreté générale ; et après la condamnation, il se déclara pour le sursis. Lors de l’émission de son vote, il s’était ainsi exprimé : « Je souhaite que l’opinion qui obtiendra la majorité des suffrages fasse le bonheur de mes concitoyens, et elle le fera si elle peut soutenir l’examen sévère de l’Europe et de la postérité, qui jugeront le roi et ses juges. » Dupuis ne dut qu’au peu de confiance que ses collègues avaient dans ses lumières, l’impunité d’un discours aussi hardi. Il eût été sans cela peut-être l’un de ceux à qui les tigres d’alors disaient d’un ton menaçant, par une affreuse allusion à la tête de Louis XVI : La sienne ou la tienne ! Il fut nommé secrétaire de la Convention, place qu’on ne lui permit pas de refuser. Quelque temps après il fait une motion d’ordre à l’occasion des qualifications de terroristes et de jacobins ; se plaint des désarmements arbitraires, et veut que l’on prenne des mesures pour régulariser la marche des citoyens dans leur dénonciations ; présente des vues sur l’économie politique ; enfin, soumet un projet de décret, tendant à faire rendre compte à tous les agents de la république. La Convention le chargea de l’exécution des lois relatives à l’instruction publique. Il fit hommage à l’assemblée de son ouvrage, l’Origine de tous les Cultes, et l’assemblée lui accorda une mention honorable. Lalande rendit compte dans le Moniteur de cet ouvrage, qui était attendu depuis long-temps, et dont l’impression avait été surveillée par l’abbé Leblond, sur l’invitation expresse du club des Cordeliers. Dupuis, qui craignait d’armer contre lui les ames religieuses, en avait voulu brûler le manuscrit, mais sa femme s’en était emparée et l’avait soustrait à ses regards aussi long-temps qu’elle craignit la perte d’un travail, fruit de tant de veilles laborieuses.

« Après la session conventionnelle, Dupuis fut nommé au conseil des Cinq-Cents, où il fit un rapport sur le placement des écoles centrales ; présenta des vues sur l’instruction publique, appuya le projet de Louvet sur la liberté de la presse, et réclama la publicité dans la discussion sur les finances. En l’an vii, il fut placé sur la liste des candidats au Directoire exécutif, et balotté trois fois avec le général Moulin, qui fut enfin nommé ; il devint membre de l’Institut national, qu’il concourut à réorganiser, et membre du corps législatif qu’il présida après le 18 brumaire an viii (9 novembre 1799). Il fut proposé par ce dernier corps et par le tribunal pour être membre du Sénat conservateur. La décoration de la Légion-d’Honneur lui fut accordée peu de temps après. Libre de toutes fonctions politiques, il reprit ses occupations favorites, partageant son temps entre sa famille, ses amis et ses livres. Il habitait une petite maison de campagne qu’il avait en Bourgogne, lorsqu’il fut attaqué d’une fièvre putride, à laquelle il succomba, le 29 septembre 1809, dans la soixante-septième année de son âge. Dupuis a encore publié les ouvrages suivants : 1o Mémoires sur les Pélasges, insérés dans la collection de l’Institut, classe de littérature ancienne. Le but que l’auteur s’est proposé est de prouver, par toutes les autorités qu’il a pu recueillir des monuments et de l’histoire, que les Pélasges, originaires d’Éthiopie, formaient une nation puissante qui s’est répandue dans toutes les parties de l’ancien monde, et à laquelle plus particulièrement la Grèce, l’Italie et l’Espagne doivent leur civilisation ; 2o Mémoires sur le Zodiaque de Tentyra (Dendra ou Denderah). Ce monument de la science sacrée et astronomique des Égyptiens, objet d’une étude particulière des savants de la glorieuse expédition d’Égypte, a été transporté à Paris en 1802, par le zèle de deux Français, amateurs des arts (MM. Saulnier, fils du député de ce nom, et le Lorrain). Il a fourni à Dupuis le sujet d’une savante comparaison avec les zodiaques des Grecs, des Chinois, des Perses, des Arabes, etc. Entrepris dans l’esprit qui a présidé à la composition de l’Origine de tous les Cultes, ce mémoire en est en quelque sorte le corollaire, le complément, et ne doit point en être séparé ; 3o Mémoire sur le Phénix (lu à l’Institut, et qui fait partie, ainsi que la réfutation de Larcher, de la collection des Mémoires de ce corps). Cet oiseau fabuleux était, aux yeux de Dupuis, le symbole de la grande année, composée de 1461 années vagues, autrement période caniculaire, parce que la canicule en ouvrait et en fermait la marche ; 4o Dupuis a fait paraître dans le Nouvel Almanach des Muses, de 1805, un fragment en vers du poëme astronomique de Nonnus, qu’il se proposait de traduire en entier. Il a laissé en manuscrit, outre celui dont nous avons parlé plus haut, un travail fort étendu sur les Hiéroglyphes égyptiens ; des Lettres sur la mythologie, adressées à sa nièce, et une traduction des discours choisis de Cicéron. On aura précédemment remarqué que les œuvres de Dupuis ont donné lieu à la composition de plusieurs ouvrages importants, même parmi ceux où l’on a prétendu le réfuter. Ce qui n’est pas moins digne de remarque, c’est que ce fut à la suite d’une conversation avec Dupuis, que feu M. le comte de Volney composa son excellent ouvrage des Ruines ou Méditations sur les Révolutions des empires. Dupuis est mort généralement regretté. C’était un savant du plus grand mérite, un homme d’un caractère doux, de mœurs pures, d’une société agréable.

« M. Dacier, son collègue à l’Institut, a fait son éloge. Madame Dupuis a publié une notice sur la vie et les ouvrages de son mari ; et tous les auteurs de Biographies ont rendu hommage à ses qualités personnelles. Les continuateurs du Dictionnaire de l’abbé Feller, qui, par une assez singulière inadvertance, lui attribuent l’ouvrage de M. Dulaure : Des Cultes qui ont précédé l’idolâtrie, etc., s’expriment ainsi : « Dupuis passait pour être un homme instruit et probe ; mais on aurait souhaité aussi qu’il eût choisi des sujets moins abstraits, et qu’il n’eût pas fréquenté les philosophes, afin d’être plus estimable et moins irréligieux. » Cet éloge, même ainsi modifié, n’en est pas moins flatteur pour l’auteur de l’Origine de tous les Cultes, à qui nonobstant une censure assez amère de ses ouvrages et qui, rigoureusement, pourrait passer pour une violente diatribe, les auteurs de la Biographie universelle rendent cependant cette justice : « qu’il est mort sans fortune, laissant pour tout héritage à sa veuve la réputation d’un homme probe. » Si nos talents divisent nos juges, il est beau de les rapprocher par nos qualités morales. »