Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXII/Cinquième partie/Livre I/Chapitre X

CHAPITRE X.

Nodal. L’Hermite.

À peine la cour d’Espagne eut été informée du voyage de Le Maire et Schouten, que, prenant plus de confiance aux découvertes de ces navigateurs que n’en avaient en eux leurs compatriotes mêmes, elle attira à son service plusieurs bons marins bataves. Depuis l’expédition de Quiros, l’ardeur des Espagnols pour les voyages de découvertes s’était ralentie. L’expédition de Le Maire la ranima, et l’on équipa deux caravelles dont le commandement fut donné à Garcias de Nodal. Ses instructions portaient qu’il visiterait le nouveau passage, et examinerait s’il serait possible de le garder en construisant des forts sur les deux rives.

Les caravelles partirent de Lisbonne, alors sous la domination de l’Espagne, le 27 septembre 1618 ; et, après avoir doublé le cap des Vierges, elles vinrent en travers de la Terre du Feu, par 53° 20′ sud, où elles découvrirent un nouveau passage entre deux caps qui furent nommés Espiritu Santo et Arenas. Le canal reçut le nom de Saint-Sébastien ; il doit s’étendre vers le sud-ouest et communiquer avec le détroit de Magellan ; mais son peu de largeur le rendrait inutile. En s’avançant au sud-est, Nodal vit, près d’un cap qu’il appela de las Pennas, un autre canal rempli de rochers et de bas-fonds ; ces découvertes confirmèrent l’opinion que la Terre du Feu n’est qu’un amas d’îles. Toute cette côte est très-escarpée et très-haute, les montagnes étaient couvertes de neiges ; mais, au delà du 54e. degré, on la trouva moins haute ; elle était revêtue de verdure et d’arbres. Elle est toute découpée de baies et de promontoires.

Nodal, parvenu à l’entrée du détroit de Le Maire, le trouva tel qu’il avait été représenté dans les cartes de la relation de ce navigateur, mais, quoiqu’il eût un vent très-favorable, la violence des courans l’empêcha de l’embouquer. Il fut poussé à trente lieues au sud-est, et crut voir une côte qu’il supposa, conformément aux idées reçues à cette époque, devoir faire partie d’un grand continent qui pouvait s’étendre vers le sud de l’Afrique.

Peut-être fut-il porté en effet jusqu’à la vue d’une terre ; mais dans ce cas ce fut bien au delà de trente lieues, car la terre la plus proche à l’est de la côte orientale de la Terre des États en est éloignée de 15° en longitude.

Enfin, revenant sur ses pas, Nodal entra dans le détroit de Le Maire, et, ayant jeté l’ancre à un mille de l’embouchure dans une baie sablonneuse, il descendit sur la côte de la Terre du Feu, près d’une rivière d’eau douce ombragée de beaux arbres, où l’équipage fit très-commodément du bois et de l’eau.

Quelques naturels du pays s’approchèrent des Espagnols. Ils n’avaient pour tout vêtement que des peaux de guanaco, peintes en rouge, qu’ils portaient sur les épaules ; tout leur corps était de même barbouillé de rouge, à l’exception du visage, qui était frotté de craie blanche. Deux d’entre eux, plus grands que les autres, portaient des fourrures brunes d’un poil extrêmement doux, et sur la tête des peaux d’oiseaux de mer. Ils étaient armés d’arcs, de flèches garnies de cailloux aiguisés, de couteaux de pierre ; ils avaient pour ornemens des ceintures de cuir et des colliers de très-jolies coquilles. Les Espagnols ne purent rien comprendre à leur langage ; les sauvages répétaient sans cesse hoo, hoo, hoo. Ils témoignèrent une grande aversion pour ce qu’on leur offrit à boire et à manger. On les vit faire leur nourriture unique d’une herbe un peu amère, et d’une certaine fleur jaune assez semblable au souci, qui croît abondamment sur cette côte. D’ailleurs ils ne témoignèrent aucune inquiétude de voir les Espagnols ; ils déposèrent leurs armes à terre, et leur aidèrent à couper du bois et à puiser de l’eau. Ils avaient, de l’autre côté de la baie, une espèce de village composé d’une cinquantaine de cabanes construites en pieux et couvertes de roseaux. Ils parurent dociles et capables d’instruction, car en fort peu de temps on leur apprit à réciter l’oraison dominicale.

Du côté du détroit appelé Terre des États, la côte parut inaccessible, elle n’offrit partout à la vue que des roches aiguës et des précipices ; l’on ne trouva pas fond près du rivage.

En quittant ce mouillage, Nodal fit voile au sud-ouest, côtoya, autant que les vents et les courans le lui permirent, la Terre du Feu, pour chercher une autre ouverture que celle par laquelle il venait de passer. Il reconnut les îles Barnevelt, qui ne sont que des rochers arides ; doubla le cap de Hoorn, derrière lequel on trouva un port assez commode, mais où les équipages eurent beaucoup à souffrir du froid excessif accompagné de neige et de grêle ; fut poussé jusqu’à 59° 30′, et découvrit de petites îles qui furent nommées Diego Ramirès, d’après le principal pilote.

Nodal remonta ensuite au nord en rangeant la côte occidentale de la Terre du Feu, et n’ayant pas assez de vivres pour poursuivre son voyage le long de la côte de l’Amérique, il entra dans le détroit de Magellan, repassa dans l’Océan atlantique, et, ayant touché à Fernambouc pour se ravitailler, il revint à Séville le 9 juillet 1619, sans avoir perdu un seul homme.

Lorsque les Hollandais eurent bien vérifié que Le Maire et Schouten avaient en effet trouvé une nouvelle entrée plus facile et plus courte que le détroit de Magellan pour passer de l’Océan atlantique dans le grand Océan, l’on reprit les anciens projets de ruiner les établissemens des Espagnols en Amérique. En conséquence on équipa une armée navale forte de onze vaisseaux, montée de six cent trente-sept hommes, et de deux cent quatre-vingt-quatorze pièces de canon. On en donna le commandement à Jacques L’Hermite, qui s’était distingué dans plusieurs occasions. Il avait sous ses ordres Hugues Schapenham, et pour pilote Valentin Iansz, qui avait accompagné Nodal. Une escadre de cette importance prouvait clairement que l’intention des Hollandais était de faire la conquête du Pérou.

On partit de l’île de Goeré, en Zélande, le 29 avril 1623, et le 2 février 1624 on arriva devant la bouche du détroit de Le Maire. On ne se serait pas douté que l’on y était, si le pilote Valentin ne l’eût reconnu. On le passa d’un temps si brumeux, qu’étant au milieu l’on ne voyait la terre d’aucun des deux côtés.

On mouilla sur la côte méridionale de la Terre du Feu, dans une baie qui fut nommée baie de Nassau ; deux autres plus à l’est reçurent les noms de Schapenham et de Valentin. On reconnut que le cap Hoorn ne faisait pas partie de la Terre du Feu, mais appartenait à une île plus au sud, à laquelle on donna le nom d’île L’Hermite ; enfin on s’assura que la Terre du Feu était coupée d’un grand nombre de canaux.

Des matelots retenus par une bourrasque à terre, où ils étaient descendus pour faire aiguade, furent la plupart tués par les sauvages à coup de massue ; ce qui fit prendre la précaution de ne plus envoyer de canot sans un certain nombre d’hommes armés.

La continuité et la force des vents qui soufflaient de la région du nord-ouest faisaient craindre à L’Hermite qu’ils ne fussent alisés ; qu’il ne se trouvât dans l’impossibilité de s’avancer dans le grand Océan, et que sa flotte ne fût dispersée. Il proposa donc, dans un conseil, de passer l’hiver qui approchait, soit à la côte de la Terre du Feu, soit dans le détroit de Magellan. Après mûre délibération, il fut résolu de tenir la mer encore deux mois, pour tâcher de doubler le cap. On leva l’ancre, et l’on fut porté jusqu’à 61° sud. L’amiral et le vice-amiral étaient si malades, qu’il n’y avait guère d’apparence que ni l’un ni l’autre revinssent vivans de cette expédition. Le 18 mars on vit la côte du Chili, par 42° 10′. Le 4 avril on reconnut l’île de Juan-Fernandès ; on alla s’y ravitailler, et on la quitta le 13.

Le 7 mai la flotte arriva devant le Callao ; elle fit contre cette place une attaque qui échoua. L’Hermite mourut le 2 juin. Schapenham se souilla par des actes de cruauté. Les exploits de la flotte se bornèrent à brûler un assez grand nombre de bâtimens espagnols ; elle remonta le long de la côte jusqu’à Acapulco, d’où elle fit voile pour l’île de Guam, où elle mouilla le 26 janvier 1625. Elle alla ensuite à Mindanao, puis d’îles en îles jusqu’aux Moluques et à Batavia, où les bàtimens reçurent différentes destinations. Schapenham n’en conserva que deux sous ses ordres. Il partit le 25 octobre, mourut le 3 novembre, et fut enterré à Poulo-Bostoc, petite île à deux lieues de Bantam. Les deux vaisseaux, après avoir touché au cap de Bonne-Espérance le 21 janvier 1626, jetèrent l’ancre au Texel le 9 juillet suivant.