Odes et Ballades/À toi

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Odes et BalladesOllendorf24 (p. 242-244).


ODE QUATRIÈME.

À TOI.


Sub umbra alarum tuarum protege me.
Ps. xvi.


Couvre-moi de l’ombre de tes ailes.


Lyre longtemps oisive, éveillez-vous encore.
Il se lève, et nos chants le salueront toujours,
Ce jour que son doux nom décore,
Ce jour sacré parmi les jours !

Ô vierge ! à mon enfance un Dieu t’a révélée,
Belle et pure ; et, rêvant mon sort mystérieux,
Comme une blanche étoile aux nuages mêlée,
Dès mes plus jeunes ans je te vis dans mes cieux.

Je te disais alors : — Ô toi, mon espérance,
Viens, partage un bonheur qui ne doit pas finir. —
Car de ma vie encor, dans ces jours d’ignorance,
Le passé n’avait point obscurci l’avenir.

Ce doux penchant devint une indomptable flamme ;
Et je pleurai ce temps, écoulé sans retour,
Où la vie était pour mon âme
Le songe d’un enfant que berce un vague amour.

Aujourd’hui, réveillant sa victime endormie,
Sombre, au lieu du bonheur que j’avais tant rêvé,

Devant mes yeux, troublés par l’espérance amie,
Avec un rire affreux le malheur s’est levé !

Quand seul dans cette vie, hélas ! d’écueils semée,
Il faut boire le fiel dont le calice est plein,
Sans les pleurs de sa bien-aimée
Que reste-t-il à l’orphelin ?

Si les heureux d’un jour parent de fleurs leurs têtes,
Il fuit, souillé de cendre et vêtu de lambeaux ;
Et pour lui la coupe des fêtes
Ressemble à l’urne des tombeaux.

Il est chez les vivants comme une lampe éteinte.
Le monde en ses douleurs se plaît à l’exiler,
Seulement vers le ciel il élève sans crainte
Ses yeux, chargés de pleurs qui ne peuvent couler.

Mais toi, console-moi, viens, consens à me suivre ;
Arrache de mon sein le trait envenimé ;
Daigne vivre pour moi, pour toi laisse-moi vivre ;
J’ai bien assez souffert, vierge, pour être aimé !

Oh ! de ton doux sourire embellis-moi la vie !
Le plus grand des bonheurs est encor dans l’amour.
La lumière à jamais ne me fut point ravie ;
Viens, je suis dans la nuit, mais je puis voir le jour !

Mes chants ne cherchent pas une illustre mémoire ;
Et s’il me faut courber sous ce fatal honneur,
Ne crains rien, ton époux ne veut pas que sa gloire
Retentisse dans son bonheur.

Goûtons du chaste hymen le charme solitaire.
Que la félicité nous cache à tous les yeux.
Le serpent couché sur la terre
N’entend pas deux oiseaux qui volent dans les cieux.


Mais si ma jeune vie, à tant de flots livrée,
Si mon destin douteux t’inspire un juste effroi,
Alors fuis, toi qui fus mon épouse adorée ; —
Toi qui fus ma mère, attends-moi.

Bientôt j’irai dormir d’un sommeil sans alarmes,
Heureux si, dans la nuit dont je serai couvert,
Un œil indifférent donne en passant des larmes
À mon luth oublié, sur mon tombeau désert !

Toi, que d’aucun revers les coups n’osent t’atteindre !
Et puisses-tu jamais, gémissant à ton tour,
Ne regretter celui qui mourut sans se plaindre,
Et qui t’aimait de tant d’amour !


Décembre 1821.