À sa Muse - À Diane - À la jeune fille de Mégare.....

À sa Muse - À Diane - À la jeune fille de Mégare.....
Revue des Deux Mondes5e période, tome 22 (p. 437-444).
POÉSIES[1]


Á SA MUSE


Pourquoi pleurer, ma Muse, à ton premier printemps,
Et ceindre ton beau front d’une noire tunique
Dans des euphorbes d’or à tiges féeriques,
Pourquoi voiler tes yeux au regard éclatant ?

Chante sur ton luth fin, car aucun ne t’entend,
Chante l’Orient tiède au toit de mosaïque,
Et le palais d’argile et la colonne antique,
Déroule en ta chanson ton cœur trop palpitant.

Chante le temple noir aux roses cornalines,
Ombrageant au lointain les épaisses collines,
Les cloches en rumeurs et l’encens en frissons,

Et près des dieux d’airain coiffés de mandragores
La cire pâlissant dans les processions
Sur la corbeille d’or des blanches cistophores.


Á DIANE


Au fond de ce bocage aux myrtes consacré
Ton marbre fut taillé par une main habile.
J’attacherai le lis et la rose fragile
Sur ton trépied de bronze, à ton socle doré.

Je brûlerai pour toi le doux parfum sacré,
Et l’encens enivrant, dans la coupe d’argile,
Je te sacrifierai quelque gazelle agile
Dont le long poil soyeux de rayure est marbré.

Je remplirai des fruits de l’automne vermeille
Et des fleurs du printemps une large corbeille,
Que sur tes saints autels viendra mettre ma main.

Dans une amphore blanche aux anses bien formées,
Je mettrai le doux miel des ruches parfumées,
Et le bleuâtre lait dans une urne d’airain.


Á LA JEUNE FILLE DE MÉGARE


Sous tes doigts fins et longs tourne le fuseau blanc.
La laine aux reflets bleus que tisse ta quenouille
Fut prise au bouc d’argent que le frais matin mouille,
A la brebis rêveuse et qui marche à pas lents.

Pour tes doigts délicats, tout le troupeau bêlant
Donna, tout embaumée, une blanche dépouille,
Que ne flétrit jamais la poussière qui souille,
Mais pleine des parfums du soir tendre et tremblant.

Cette toison d’argent, dans des corbeilles rondes,
Fut apportée au bord des rivières profondes,
Dans les blancs nénuphars, parmi les verts roseaux…

La laine maintenant s’enroule fine et douce,
Dans de tièdes senteurs de soleil et de mousse,
Tourne sur tes longs doigts, et charge tes fuseaux.


TOMBE


N’écarte point tes pas du tombeau solitaire.
Vois ! je suis méprisée ici, et chaque humain,
Sans voir ma croix brisée, a suivi son chemin
Sans pencher son regard sur l’ombre de la terre…

Seuls les pleurs de la nuit sur mon marbre s’altèrent.
Seul le printemps fleurit d’une invisible main
Mes deux urnes. La chèvre, en foulant le jasmin,
Fait monter le parfum des roses du mystère.

Et le fil gracieux que le soleil suspend,
De sa chaîne de soie environne ma tombe…
Près de moi, vois chanter et voler la colombe…

Vois, dans le ciel uni, la nuit qui se répand…
Ne passe pas ici sans t’arrêter ! Demeure !
Car, de son lit glacé, ma voix supplie et pleure !


NYMPHE, DORMEZ !


Dormez ! voici le soir qui voile la prairie.
Dans ce coin de rochers parfumé de sureaux,
Etendez-vous avec vos timides chevreaux…
Dormez ! voyez, pour vous, la paille fut meurtrie.

Appuyez votre front sur cette herbe fleurie
Où croissent des rosiers tout chargés de coraux.
Dormez ! la nuit descend à travers les vitraux
Des arbres verdoyans. Dormez, nymphe chérie !

La lune vous regarde avec ses grands yeux doux.
L’ombre subtile fuit sur la montagne rousse ;
Dormez ! votre troupeau s’endort auprès de vous…

Sur le tapis soyeux et léger de la mousse
Erre, inconstant et frais, le vent serein de mai,
La nuit voile les prés, ô ma Nymphe ! Dormez !…


LA MORT DU PAPILLON


Son aile, au buisson d’or, transparente et pourprée,
Trop fragile s’est déchirée ! !…
C’était par un beau soir plein d’humides parfums,
Et dans le ciel mouillé, tout rempli d’étincelles,
La nuit au front doré battait ses grandes ailes,
Et dénouait ses cheveux bruns.

Hélas ! beau papillon avide de rosée,
Ton aile, en tremblant, s’est brisée !
Dans la poussière d’or elle saigne sans bruit,
Et la rose ta sœur, compagne des murmures,
Laisse des gouttes d’eau tomber sur tes blessures,
Et soupire au fond de la nuit !

Dans le pâle corset du lys à tige verte,
Tu glissais ton aile entr’ouverte,
Enivré de senteurs, tu buvais à longs traits.
Le miel doux et sucré de sa blanche corolle,
Et quand, la lune d’or levait son aile molle,
Tu venais te baigner dans les ruisseaux nacrés.

Adieu les frais matins et les larges prairies,
La Naïade aux tempes fleuries
Que tu frôlais léger, dans ton vol velouté ;
Les roseaux endormis des rivières profondes,
Et sur le bleu du ciel les grandes meules blondes,
L’air rose des aubes d’été !…

Et quand tu palpitais, inquiet comme une ombre,
Sur un mur à blanche pénombre,
Et heurtant le cristal des flambeaux alourdis,
Sur son lit transparent de dentelle et de voiles,
Tu voyais une nymphe aux paupières d’étoiles
Rêver à quelque paradis !

Mais ton aile aux buissons, transparente et pourprée,
Délicate, s’est déchirée…
Et sur le sillon vert tu tombas pâle et mort.
Et la rose ta sœur, penchée avec la branche,
Laissa tomber du bord de sa corolle blanche,
Des gouttes sur ton aile d’or.


CHANT D’AURORE


Ma Muse, levez-vous ! Voici le clair matin !
Entr’ouvrez aux chansons vos lèvres demi-closes,
Au fond des bois, dessous les chênes grandioses,
La biche fuit, parmi la rosée et le thym.

Levez-vous ! Déjà luit l’aurore au frêle teint.
Près des vieux murs dorés se réveille la rose,
L’alerte papillon sur son beau front se pose,
Caressant son velours d’une aile de satin.

Voyez, sur le cep vert de cette jeune treille,
Cette perfide guêpe, et la prudente abeille,
Et le gros corps velu des bourdonnans frelons.

De diamans nacrés l’herbe fine est couverte,
Levez-vous, il est temps, de votre couche verte,
Laissez flotter au vent vos épais cheveux blonds l


A LA LUNE


Les oiseaux vont au nid dans les guérets profonds,
Et les lourds orangers parfument les vallons.
Tremblante au bord du ciel qu’un rayon pâle azuré,
Vesper dans les ruisseaux mire ses cheveux blonds :
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Soudain un frais rayon large, tiède et doré,
Lança son feu léger de poudre d’or nacré
Et la lune, soudain, mystérieuse et pure,
Montra son pâle front, et de vapeurs poudré…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure

Que fais-tu dans le ciel, inconnue aux doux yeux,
Dont l’écharpe d’azur aux plis capricieux
Semble sur ton épaule une fraîche ramure ?
Que fais-tu, solitaire et blanche dans les cieux ?
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Es-tu donc quelque rêve égaré dans la nuit ?
Comme une fleur penchée et qui manque d’appui,
Sur l’onde glisse et luit ta pâle chevelure…
D’un céleste jardin es-tu le divin fruit ?
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure :

O lune large et belle au fond du ciel serein,
Aux siècles affaissés, au siècle souverain
Tu souris dans l’argent de ta fine guipure.
Inconstante au malheur, tu souriras demain…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Pâle reine des nuits, est-ce toi qui, le soir,
Dans ton voile léger viens sur mon front t’asseoir,
Toi dont le chaud baiser semble quelque morsure,
Est-ce toi qui frémis en un nuage noir ?…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Blanche fleur de la nuit, lune au pâle regard,
Un parfum d’oranger glisse de toutes parts…
Toi qui n’as point connu la sombre flétrissure,
Vers mon cœur frémissant ouvre tes yeux blafards…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure…

Et toi, rigide au fond du ciel tout ruisselant,
Secouant dans les eaux ton long voile brûlant,
Sur la mousse nacrée, en fine découpure,
Douce Lune du soir, douce Lune au front blanc !
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.


LA MER


Le soleil se levait sur l’horizon sanglant,
Et le rayon vermeil de la rose lumière
Du flot qui se dressait empourprait la crinière,
Et remplissait de feux le sable étincelant ;

Le ciel était de flamme, et la vague de sang,
L’algue de satin vert assoupi sur la pierre,
Dans un frais tourbillon de bleuâtre poussière,
Ondulait, paresseux en un mouvement lent.

Et l’on voyait passer sous les vagues décloses
La main de l’aube en l’eu qui les chargeait de roses
Dont la brise en glissant faisait pâlir la chair.

Quand soudain un vol blanc de rapides mouettes,
Rasant les rayons d’or de l’onde qui les fouette,
Fuyant, mit un frisson de neige sur la mer !


CHANT


Je vais, tel que le papillon,
Et sur chaque fleur je me pose,
J’aime le zéphyr et la rose,
Les parfums égarés et le pâle rayon,

La terre chaude du sillon,
Et le ciel, joyeux ou morose ;
La rosée en larmes m’arrose,
J’aime entendre au soleil murmurer le grillon.

Quand l’orage embaumé de verdure et de sève
Fait trembler de sa voix les échos infinis,
Sur l’herbe aux doux reflets je laisse errer mon rêve…

Et mon cœur est bercé par la voix de tes nids,
Bocage transparent où luit un soleil pâle
Dans un vague parfum de feuille et de pétale.


LES HEURES ÉCOULÉES


Au léger tintement de la cloche, le soir,
A l’heure où les troupeaux blanchissent les vallées,
Quand, sous l’aile fragile et verte des feuillées,
Dans un dernier rayon rêve le vieux manoir,
Alors je me souviens des heures écoulées.

Fraîches, elles s’en vont, en écharpes d’azur,
Me frôlent en passant de leurs têtes voilées,
Sous les pales arceaux des profondes vallées…
Quand l’ombre du couchant rougit sur le vieux mur,
Alors j’aime sourire aux heures écoulées.

Quand l’aube met sa rose aux pentes du gazon,
Et quand le vent se brise aux vagues étoilées,
Et trouble les cheveux des branches ciselées
Alors j’aime, au frisson doré de l’horizon,
Suivre le pâle essaim des heures écoulées.

CHANT DE LA FILEUSE


A travers les vitraux le jour pâli s’éteint ;
Tissez, fuseaux, tissez ce long voile fragile,
Que sous mes doigts, sans fin, tourne la roue agile…

Et la lune sourit d’un sourire incertain.

Tissez, fuseaux, tissez l’or et le blanc satin !
Que sous mes doigts, sans fin, tourne le fil docile !…
L’étoile s’est dorée. — O ma main, file, file
Ce tissu transparent comme le doux matin !

Que ce voile soit grand à remplir mes corbeilles,
Léger comme les fleurs où puisent les abeilles,
Que des ailes d’oiseaux plus frémissant encor ;

Plus doux que les ruisseaux où le zéphyr se pose,
Qu’il soit tout parfumé de lilas et de rose,
Quand on l’agitera, qu’il ait des reflets d’or !


A LA VIERGE


Sur tes autels fleuris, dans le silence et l’ombre,
Tu rêves dans tes voiles blancs,
Et les pâles clartés et les rayons tremblans
Argentent la lumière sombre…

Le jour se brise et meurt au vitrail ruisselant,
Et rouge, empourpre la pénombre,
Dans le parfum des lys et des roses sans nombre,
Et de l’orgue au cantique lent….

Le pas lointain résonne et fait gémir les pierres,
Et fait vibrer l’écho qui dort,
Et fait trembler au bruit le doux flot des lumières…

Toi, les yeux demi-clos et sous les vitraux d’or,
Tu rêves dans l’ombre bleuâtre,
Et la fleur endormie orne ton pied d’albâtre.


ANTONINE COULLET.

  1. Nous donnons dans leur forme primitive, et sans rien y changer, ces vers qui sont d’une enfant de douze ans.