À Madame de Montespan

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinTroisième partie : livres vii, viii (p. 5-8).

A
MADAME
DE
MONTESPAN.




LApologue eſt un don qui vient des immortels ;
Ou ſi c’eſt un preſent des hommes,
Quiconque nous l’a fait merite des Autels.
Nous devons tous tant que nous ſommes
Ériger en divinité
Le Sage par qui fut ce bel art inventé.

C’eſt proprement un charme : il rend l’ame attentive,
 Ou pluſtoſt il la tient captive,
 Nous attachant à des recits
Qui meinent à ſon gré les cœurs & les eſprits.
O vous qui l’imitez, Olimpe, ſi ma Muſe
A quelquefois pris place à la table des Dieux,
Sur ſes dons aujourd’huy daignez porter les yeux,
Favoriſez les jeux où mon eſprit s’amuſe.
Le temps qui détruit tout, reſpectant voſtre appuy
Me laiſſera franchir les ans dans cet ouvrage :
Tout Auteur qui voudra vivre encore apres luy
Doit s’acquerir votre ſuffrage.

C’eſt de vous que mes vers attendent tout leur prix :
Il n’eſt beauté dans nos écrits
Dont vous ne connoiſſiez juſques aux moindres traces ;
Eh qui connoiſt que vous les beautez & les graces ?
Paroles & regards, tout eſt charme dans vous.
Ma Muſe en un ſujet ſi doux
Voudroit s’étendre davantage ;
Mais il faut reſerver à d’autres cet employ,
Et d’un plus grand maiſtre que moy
Voſtre loüange eſt le partage.
Olimpe, c’eſt aſſez qu’à mon dernier ouvrage
Voſtre nom ſerve un jour de rempart & d’abri :
Protegez deſormais le livre favori
Par qui j’oſe eſperer une ſeconde vie :

Sous vos ſeuls auſpices ces vers
Seront jugez malgré l’envie
Dignes des yeux de l’Univers.
Je ne merite pas une faveur ſi grande :
La Fable en ſon nom la demande :
Vous ſçavez quel credit ce menſonge a ſur nous ;
S’il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croiray luy devoir un temple pour ſalaire ;
Mais je ne veux baſtir des temples que pour vous.