7e Congrès d'hygiène sociale, Roubaix, 1911/Les Terrains de jeux.
M. le Président. — L’ordre du jour appelle maintenant la lecture du rapport de M. Bougier sur « Les terrains de jeux à l’étranger », M. Bougier s’étant fait excuser, cette lecture sera faite aux membres du Congrès par M. le Dr Mathieu, qui s’y est offert obligeamment.
Les Terrains de Jeux
Un écolier qui ne joue pas est un enfant malade.
On s’inquiète à juste titre, au foyer domestique, quand le petit garçon manifeste une sorte de répugnance pour les amusements de son âge. L’apathie, l’indifférence au jeu sont des symptômes presque constants d’une maladie en période d’incubation.
À l’école, quand un petit élève se tient à l’écart de ses compagnons, c’est mauvais signe pour sa santé physique ou morale. Aussi les parents comme les maîtres, s’ils ont une exacte notion de leurs devoirs envers les jeunes êtres dont ils ont la charge doivent-ils se préoccuper autant de la façon dont ils jouent que de la manière dont ils mangent, dorment ou travaillent.
Tout est pour le mieux pour l’école comme pour l’écolier quand, au travail intellectuel intense, succède la récréation animée. Après l’étude, le jeu, et par jeu il faut entendre les parties en plein air, ardentes et bruyantes de préférence aux autres.
Tenez pour certain que l’école ou le lycée dont la cour retentit, dans l’intervalle des classes, de cris perçants et joyeux lancés à pleine gorge d’un groupe à l’autre, de galops effrénés, de poursuites et de fuites éperdues, de stridents défis moqueurs du plus leste au moins agile, et même de vibrantes contestations sur le gain d’une partie et la légalité d’un coup douteux, oui, soyez assuré que cette maison-là remplit au moins une des conditions essentielles de son programme, c’est-à-dire que l’éducation physique y est florissante. C’est une raison pour croire que l’éducation intellectuelle et l’éducation morale n’y sont pas négligées. À coup sûr, le petit peuple qui y fréquente goûte franchement la joie de vivre et manifeste à sa manière, qui est la bonne, par le tumulte et le mouvement l’exubérance de sa vitalité.
L’école où l’on joue est, selon toute apparence, une école où tout va bien.
Mais le mouvement suppose l’espace ; aussi les jeux des écoliers, jeux de vitesse, d’adresse, de force ou d’agilité sont incompatibles avec le huis-clos, ou si vous le préférez, avec un champ clos trop étriqué. Or, la plupart de nos écoles urbaines ont des cours dont la surface est si réduite que toute espèce de jeu y est absolument impossible, si toutes les classes sont en récréation à la même heure. Il est facile de s’en rendre compte. Dans certains quartiers de Paris, les groupes scolaires sont formés par des bâtiments qui abritent de cinq à six cents élèves. Une seule cour étroite, encaissée, mal aérée, doit suffire aux ébats des petits, des moyens et des grands lâchés. en même temps pour quelques minutes dans un espace insuffisant. Comment jouer ? comment courir ? Cela est matériellement impraticable. On se bouscule, on ne joue pas. Les maîtres doivent sans cesse veiller au grain pour empêcher les collisions de dégénérer en batailles. Les enfants eux-mêmes se résignent. Ils tournent en rond au lieu de galoper. Ils ne se poursuivent pas, ils se suivent. Cette allure n’est pas normale, elle n’est pas naturelle, elle n’est pas hygiénique.
Les enfants ne peuvent pas de la sorte satisfaire l’impérieuse nécessité de travail musculaire, de respiration profonde, de détente nerveuse dont leur âge leur fait une loi et le milieu où ils vivent une impossibilité. Rien n’est plus malheureux. Si l’écolier qui ne joue pas est un enfant malade, l’école où l’on ne peut jouer est une école malsaine. Il faut chercher un remède et il faut le trouver.
Cela est d’autant plus nécessaire que, si l’écolier ne peut jouer à l’école, il peut encore moins le faire hors de l’école. Essayez de vous représenter ce que peut être le jeudi d’un petit Parisien vous qui, dans votre enfance, aviez pour occuper vos jours de congé, un choix illimité d’amusements au grand air, le voisinage d’un mail ombragé, les cachettes d’un parc, la solitude de grandes places où ne passaient jamais d’autos. Comparez ce qui est avec ce qui devrait être, si la cité moderne était aménagée avec une intelligence plus humaine des intérêts généraux et de l’avenir du pays.
On s’indigne souvent contre les propriétaires qui refusent de louer leurs appartements aux ménages chargés d’enfants et l’on a raison de s’indigner, bien qu’en fait cela n’avance à rien. Mais ce n’est pas seulement la question du logement qui se pose en problème redoutable devant le père de famille, c’est cette autre énigme : comment faire jouer les enfants les jours où ils ne vont pas à l’école ? On ne saurait exiger d’eux qu’ils restent bien tranquilles dans un coin, leurs devoirs terminés, à lire quelque volume si intéressant soit-il, ou à regarder des images. Il ne suffit pas non plus de leur donner la clé des champs, si l’on peut s’exprimer ainsi, ni de les laisser se débrouiller entre amis du même âge ou à peu près. Il faudrait leur offrir tout au moins la sécurité ambiante, sécurité matérielle et sécurité morale. Or, il est de toute évidence que ni l’ouvrier, ni le petit bourgeois, employé de bureau ou de banque, commerçant ou industriel ne sont à même de remédier à ce défaut des grandes agglomérations humaines. Et ainsi les populeuses cités d’aujourd’hui, en dépit des principes et des formules démocratiques qu’elles se flattent de représenter, sont aussi inhospitalières, aussi dures aux familles nombreuses que le rentier égoïste qui s’écrie : « Loin de chez moi les petits enfants ! »
Mais, dira-t-on, il existe une solution élégante de ce problème. Pourquoi s’obstiner à habiter Paris, quand il est si simple et si facile aujourd’hui d’imiter les gens de Londres ? Suivez le mouvement, bons pères de famille ! Votre maisonnée est à l’étroit dans les appartements de la grande ville et vous voulez la préserver des périls de la rue ? Profilez des commodités que vous offrent les moyens de communication, chemins de fer et tramways de pénétration. Allez aux champs, vous ferez bien, c’est-à-dire habitez la banlieue. Là vos petits seront au grand air ; ils auront d’immenses cours de récréation pendant les jours de classe et pour leurs congés de vastes pelouses, de vrais champs d’entraînement où il leur sera facile d’installer à leur aise leurs parties de barres ou de ballon, jeux de paume et de foot-ball, de tennis ou de croquet, championnats de course ou de lutte, bref tous les amusements et tous les exercices qui conviennent à la jeunesse scolaire.
Voilà un alléchant programme. Le bon père de famille se forge, pour ses enfants, un idéal de félicité qui le ferait pleurer de tendresse s’il était enclin à s’attendrir. Mais hélas ! la réalité ne répond guère aux espérances dont se berce sa sollicitude.
Presque partout, aux environs de Paris s’est produit un phénomène analogue à ce que les anglais déplorent quand ils se plaignent de l’accaparement par les particuliers des champs communaux : inclosure of commons. Les municipalités, pour des raisons de police et de sécurité, prescrivent de fermer les terrains vagues. La fièvre du lotissement sévit de plus en plus. Pièce par pièce, lambeau par lambeau, les beaux jardins, les parcs pleins de mystère qui faisaient autrefois à la grande ville sa riante ceinture de verdure et dont beaucoup étaient libéralement ouverts aux visiteurs sont dépecés, morcelés, convertis en îlots de quelques ares, vrais clapiers humains, où l’espace n’est pas plus prodigué que dans les grandes cités elles-mêmes.
Examinez les plans de ces petites villes suburbaines, dont beaucoup, je le reconnais, sont assez coquettement dessinés Vous y trouverez l’emplacement de la mairie et de l’école, de l’église et du casino, de la salle des fêtes où s’exhibera le cinéma, du marché et de la gendarmerie. Vous y trouverez même le kiosque à musique. S’il reste de la place on en fera un square avec de petites allées, des bancs pour les chemineaux et des pelouses que les parisiens en goguette envahiront peut-être le dimanche pour leurs déjeuners sur l’herbe mais d’où les enfants des écoles seront impitoyablement chassés s’ils s’avisent d’y installer leurs jeux. Vous n’y trouverez pas de terrains de jeu parce que ce n’est pas encore la mode.
Et c’est pourquoi dans ces petites villes de la banlieue les écoliers trouvent autant de difficulté que les petits parisiens à organiser des parties faute d’emplacement. Peut-être même cela leur est-il plus difficile, car les Tuileries, le Luxembourg, le bois de Boulogne, le bois de Vincennes offrent des espaces, tout à fait insuffisants sans doute, mais dont on chercherait vainement l’équivalent dans l’immense majorité des villes de banlieue. Celles-ci, comme s’en plaignent les hygiénistes, n’ont pas prévu dans le plan général de leur développement les terrains de jeu, les espaces libres et si le cri d’alarme qui s’élève de toutes parts n’est pas entendu, il sera bientôt trop tard.
Cela n’est pas un mal particulier à Paris et à sa banlieue. Recueillons, en effet, le témoignage d’un homme qui a précisément dans ses attributions l’entretien et l’extension des plus beaux quartiers de Paris et entre autres du bois de Boulogne M. J.-C.-N. Forestier, inspecteur des eaux et forêts, conservateur des promenades de Paris. Il nous a communiqué, avec une bienveillance charmante l’intéressant mémoire qu’il a publié récemment sous ce titre : « Grandes villes et systèmes de parcs »[1]. Nous y lisons (p. 38) cette citation d’un rapport soumis, à la municipalité de Vienne : « Les agglomérations excentriques d’origine rurale tendent de plus en plus à perdre leur caractère pour se rattacher à la ville et il est à prévoir, d’après l’augmentation constatée à ce jour, qu’au milieu de ce siècle, Vienne atteindra le chiffre de 4.000.000 d’habitants et que le caractère rural des agglomérations de Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/136 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/137 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/138 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/139 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/140 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/141 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/142 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/143 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/144 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/145 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/146 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/147 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/148 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/149 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/150 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/151 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/152 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/153 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/154 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/155 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/156 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/157 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/158 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/159 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/160 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/161 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/162 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/163 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/164 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/165 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/166 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/167 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/168 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/169 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/170 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/171 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/172 Page:7e Congrès hygiène sociale Roubaix 1911.djvu/173 vaincu que dans renseignement primaire, il y a bien plus à faire encore parce qu’on y est encore moins organisé.
M. le Président. — Les vœux qui ont été proposés au sujet du rapport de M. Bougier par M. Édouard Petit et par Mme Moll-Weiss ne soulèvent, je crois, aucune opposition de la part de l’assemblée ; je les mets donc aux voix.
(Les vœux sont adoptés à l’unanimité et M. le Président adresse des remerciements à M. Bougier et au Dr Mathieu.)
M. le Président. — Nous passons à la communication de M. le docteur Pierre Gagey sur La juvéniculture et les terrains de jeux.
- ↑ J.-C. N. Forestier, Grandes villes et système de parcs. Paris, Hachette, 1906, in-8° carré, 54 p. et gravures.