1914-1916/Le Convalescent

1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 101-104).


LE CONVALESCENT


« Je me suis promené dans la forêt d’automne,
Pour y chercher la paix, le silence et l’oubli,
Et mon cœur, trop longtemps tumultueux, s’étonne
De toute la fureur qui longtemps l’a rempli.

« Un grand calme attentif m’entoure, et quand je passe,
La feuille sous mes pas met du bronze au chemin
Comme pour saluer d’un reflet de cuirasse
Le blessé qu’hier je fus, pour l’être encor demain ;


« Mais aujourd’hui le sang qui coule dans mes veines
Ne jaillit plus vermeil de mon sein refermé,
Et je sens peu à peu renaître mes chairs saines
Et la force revient à mon bras désarmé ;

« Mon cœur qui, dans les jours d’assaut et de bataille,
Battait farouchement et me dressait debout,
D’un bond furieux, sous la balle et la mitraille,
N’est plus ce cœur brutal et brusque, ce cœur fou…

« Maintenant me voici pareil aux anciens hommes,
Semblable à ceux d’hier, semblable à ceux d’avant,
Et pour moi le sommeil a remplacé les sommes.
Me voici, de nouveau, redevenu vivant :


« J’écoute de nouveau la source qui murmure,
L’oiseau léger qui chante en s’envolant là-bas,
Les mille bruits confus de la futaie obscure
Et le son de ma voix et l’écho de mon pas.

« De vieux rêves perdus au fond de ma mémoire
Reviennent doucement planer autour de moi,
Et je puis regarder la nuit profonde et noire
Sans y sentir rôder la Mort au rire froid ;

« Mais qu’ait été mon front frôlé de sa grande aile,
Il m’en reste un orgueil dans l’âme et dans l’esprit
Et la vie à jamais me semblera plus belle
De tout ce qu’a souffert mon corps endolori.


« C’est pourquoi je me sens permis, la tête haute,
De marcher fièrement où vous me conduirez,
Ô beaux chemins de la forêt dont je suis l’hôte
Et qui courbe sur moi ses feuillages sacrés !

« Car sous ses arbres roux poussés du sol de France,
De ce sol arrosé du plus pur de nos sangs,
J’ai le droit de goûter la paix et le silence,
Et la longue douceur des jours convalescents.

« Avant que, de retour à la tâche farouche
Qui se doit achever en un soir glorieux,
Je te donne le cri suprême de ma bouche,
Patrie, et le regard suprême de mes yeux ! »


6 novembre 1915.