10 juillet. Mme Marceline Desbordes-Valmore

10 juillet. Mme Marceline Desbordes-Valmore
Le Centaure, II (p. 140-141).

10 juillet.

Mme Marceline Desbordes-Valmore.

Je m’imagine volontiers que les architectes du monument que la piété de M. de Montesquiou a valu à Marceline Desbordes-Valmore ont adopté un projet de fontaine.

Personne n’a rythmé plus de « pleurs » que « la pauvre Marceline » — elle a battu de bien loin le record déjà si honorable de la regrettée Mademoiselle de Lespinasse ; elle n’a pas laissé passer un printemps sans s’attendrir ; elle a sangloté autour des moindres petits détails de ménage, tandis qu’elle frôlait avec une incompréhension admirable de grands événements et de grandes figures ; elle a impitoyablement abusé de la permission d’être bonne mère. — La lecture de toutes ces strophes me laisse horriblement agacé ; j’approuverais presque de l’avoir plaquée — avec ça que c’est si rare ! — ce « monstre » de Henri de Latouche, si elle n’avait dû étaler sur tant de tartines la douce-amère marmelade de son cœur brisé…

Tout cela n’est pas l’avis de Madame Séverine et je reconnais que c’est très injuste, mais Marceline Desbordes-Valmore inspire l’injustice. « Il n’y a rien d’aussi sincère que mon cœur ! » la phrase est d’elle, et, si c’est vrai, tant pis. Ses vers « vagues et pénétrants » c’est Sainte-Beuve qui a dit cela — font grouiller dans mon cœur sincère à moi tous les arguments meilleurs et pires qui me font « ne pas aimer », par tempérament, (ceux de mes amis qui en font disent que c’est parce que je ne suis pas fichu d’en faire), les vers qui sont seulement… des vers.

Puisque l’on dit qu’il faut être impartial, (pourquoi ?), j’avouerai que parmi tant de pages idylliques ou élégiaques comme il en traîne, pas bien inférieures, par rames, dans tous les sous-mains de sous-chefs de bureaux, des strophes souvent, des romances surtout sont gracieuses. Je citerai celle-ci dont je parviens à me souvenir — (et vous aussi) :

J’ai voulu ce matin te rapporter des roses
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.
Les nœuds ont éclaté ; les roses envolées
Dans le vent, à la mer, s’en sont toutes allées,
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir.
La vague en a paru rouge et comme enflammée,
Ce soir ma robe encore en est toute embaumée,
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.

Peut-être trouverez-vous maintenant mon « éreintement » plus impardonnable encore, mais, s’il n’y avait rien de bien, ce ne serait même pas la peine d’éreinter… il n’y a pas de bruit qui me soit plus insupportable que d’entendre, fut-elle plus irisée dix fois, trop roucouler une tourterelle qui a trop perdu son tourtereau[1], je me sens plein de compassion pour le nommé Valmore, dont la situation me semble avoir été, tout de même, un peu fausse…

J’aurais voulu cependant qu’un éditeur avisé (ils le sont tous) — et M. de Montesquiou eût écrit dans une préface fervente des éloges, je le répète, mérités — sut choisir parmi ces chialements (pardon !) luctueux, les éléments de la touchante plaquette[2] mince, très mince, et de typographie soignée, ou quelques esprits secs eussent pu aimer, sans se noyer, les larmes les plus brillantes et les tendresses les mieux soupirées de l’incontestable Muse de ceux qui se complaisent à tremper dans l’eau salée d’une douleur postiche et prolixe.

  1. « C’est insupportable, à la fin, cette manie d’avoir toujours dans le cou quelque chose qui ne passe pas. » (Jules Renard.)
  2. Mais ce volume existe à peu près. Et c’est « en effet » à M. de Montesquiou que nous le devons. (Lemerre). Dans la préface, M. de Montesquiou applique à Marceline ce vers de Shelley : « Clef d’argent de la fontaine des larmes », c’est exquis, touchant et vrai.