Texte établi par (Charles Bally ; Léopold Gautier), Payot/Droz (p. 441-442).


ΛΙΓΥΣ.
(Mémoires de la Société de Linguistique, VII, p. 77. — 1892.)

Λιγύς «sonore» ne se dit jamais que d’un son très clair et très pur, et à cette signification s’ajoute incontestablement (ou se substitue même complètement) dans certains cas l’idée de «mélodieux, doux, exquis à entendre» (Μοῦσα λὶγεια ω 62, λιγὺς Πυλίον ἀγορητής A 248, outre les exemples moins probants φόπμιγγα λίγειαν, Σειρῆνες λιγυρῇ θέλγουσιν ἀοιδῇ, etc.). Cette nuance du sens autorise à comparer le vieil indien valgú- «agréable, joli» qui s’emploie particulièrement en parlant de ce qui charme l’oreille. Déjà dans le Véda c’est en compagnie du verbe vadati «parler» qu’apparaît le mot valgú et une expression très commune en sanscrit classique est valgu-vādin- «au suave discours». Les oiseaux sont dits valgu-vaćasas «au mélodieux ramage» Rāmāy. Schleg. II, 95, 11, comme on a dans Théocrite λιγύφωνος ἀηδών dans Homère[1] Sans méconnaître la valeur de l’objection qu’on peut tirer de l’apparente affinité de λιγύς avec λίγξε βιός «la corde de l’arc résonna» (Δ 125), έπιλίζοντας ὀιστούς «les flèches sifflantes»[2] (Nicandre), nous croyons donc pouvoir ramener λιγύς à *ϝļγύς, ne différant de l’indien valgú- (= *wolg2ú-) que par l’état vocalique de la racine. La forme λιγύς repose sur cette règle que ļ ṛ devant gutturale vélaire se développent régulièrement en ρυ λυ au lieu de ρα λα (voir plus haut φρυκτός): mais *λυγύς, à cause de l’υ de la seconde syllabe, subit secondairement dissimilation en λιγύς (par analogie: λίγεια, λίγα, etc., comme inversement γλυκύς sur γλυκεῖα, εὐρύς sur εὐρεῖα, εὐθύς sur εὐθεῖα, concurremment à ιθύς).

P. S. — Nous n’attachons pas d’importance à cette interprétation du développement de *ϝļγύς car il se produit en grec entre une gutturale vélaire et la voyelle précédente tant de phénomènes encore inexplorés qu’il serait téméraire de vouloir retracer exactement le chemin suivi par une forme comme λιγύς. Voici un très fugitif aperçu des problèmes qui se présentent : 1. -uk2- ne donne jamais -υπ-, mais peut donner en revanche: α -υπ-: λευκός, ζυγόν, etc. (cf. un article sur βουκόλος contre αἰπόλος, MSL, VI, 161 [dans le présent ouvrage p. 417]).

β. -ιπ-: ϝειπεῖν et ἰπνός selon l’explication de M. Brugmann K. Z., XXV, 307; αἰπύς pour *auk2us selon M. Thurnevsen, K. Z., XXX, 300.

γ. -ικ-: car il est difficile (malgré lit. ligà «maladie») de séparer λοιγός de λευγαλέος et du skr. rōgas.

2. ok2|-, avec k2- implosif, peut donner -οπ- (ὀπτός) ou -υκ- (νυκτός).

3. ek2|-, avec k2 implosif, peut donner -επ- (ἕψομαι, πεπτός), ou bien:

α. -υκ-: κύκλος = skr. ćakram, germ. χweχwla- (évolution normale: τεπλο-; le κ initial n’est qu’une conséquence de l’υ pour ε). De même κύκνος pour *k1ek2nos (skr. çakunas).

β. -ιπ-: c’est le cas de ἵππος dont le prototype *ek1|wos est assimilable pour le grec à *ek2|k2os. Entre ἵππος et κύκλος règne la même différence ou la même corrélation qu’entre ϝειπεῖν et λευκός. La forme dialectale ἵκκος rappelle λοιγός.

4. ak2|-, avec k2 implosif, donne -απ- ou -αυκ-. On a les deux produits dans δάφνη, dialectalement (thess.) δαύχνα (et δαυχμόν · εὔκαυστον ξύλον δάφνης Hés.[3]). Cf. αὐχήν à côté d’ἀμφήν?

5. -Ak2- donne -υκ-; comme dans ὀνυχ- (et non ὀναφ-).

6. -Ịκ2-, -ṛκ2-, à supposer qu’ils ne se développent pas en -αρπ-, αλπ-, donnent ou bien -λαπ-, -ραπ- (ἀστραπή véd. sṛka-), ou bien -XUK- -λυκ- -ρυκ-, φρυκτός.

Dans *ϝḷγύς la question se complique 1° de la présence d’un u après le g2 de la tendance de ṛ Ị à donner (directement) ρι λι à la moindre condition favorable, comme dans ϝρίζα pour *ϝδϳă = v. haut-all. wurzi- (sous la protection du jod qui suit).


Notes
  1. Ici pourrait aussi se placer vlûga, le nom slavon du loriot, cet oiseau qui, ordinairement invisible sous la feuillée, ne trahit sa présence que par un des plus vigoureux sifflets qu’on entende sous nos bois. L’étymologie vaudrait, en tout cas, celle qui rattache ce nom à la famille de vlaga «humidité» (parce que le chant du loriot est censé annoncer la pluie).
  2. Qui toutefois peuvent de leur côté se rapprocher de λίγδην «en frôlant», ce qui nous transporte bien loin de Μοῦσα λὶγεια
  3. Serait-il vrai, comme l’admet M. J. Schmidt (K. Z., XXV, 117), que le rhodicn λοφνίς «flambeau» fût pour λουχνίς par une transformation inverse?