Texte établi par (Charles Bally ; Léopold Gautier), Payot/Droz (p. 417-418).


ΒΟΥΚΟΛΟΣ.
(Mémoires de la Société de Linguistique, IV, p. 432. — 1881.)

Le gardien de chèvres s’appelle en grec αἰ-πόλος, et l’on a de même ἱππο-πόλος[1], οἰο-πόλος, ὑσ-πόλος Ἄρτεμις, mais lo gardien de bœufs se dit βου-κόλος. Cette anomalie repose nécessairement sur autre chose que sur une divergence dialectale telle que κότερος-πότερος, car βουκόλος est homérique, attique et généralement panhellène; partout il maintient son κ comme αἰπόλος maintient son π. Hésychius, il est vrai, donne la glose βουπόλον · βουκόλον, mais un exemple absolument isolé ne prouve rien, dans le cas présent, pour l’existence d’un doublet méritant ce nom: il montre simplement que d’après αἰπόλος, ἱππο-πόλος, quelque auteur inconnu avait fabriqué sur nouveaux frais un mot βουπόλος.

Pour s’expliquer le κ de βουκόλος, il faut considérer que -k2o-los étant inusité au simple, devait obéir sans trop de résistance à toutes les influences phonétiques qui pouvaient s’exercer sur lui en composition[2]. Or, si *ekwok2ólos devait régulièrement aboutir à ἱπποπόλος, en revanche *’g2ouk2ólos ne pouvait donner que βουκόλος, attendu qu’il n’y a pas d’exemple de labialisation après u.

Cette constante exception au labialisme a déjà été reconnue autrefois par M. Brugmann, quoique d’une façon dubitative (K. Z., XXV, 307, note). Elle s’étend à tous les idiomes de l’Occident, ce qui signifie qu’on ne trouve jamais de w après une gutturale vélaire précédée d’u: ex. λευκός, luceo, liuhaþ, en regard du skr. rōć-, rõk-; ζυγόν, jugum, juκ en regard du skr. yugam. En vain M. Osthoff (Beiträge de Paul et Braune, VIII, 275) cite contre cette règle le V. h.- a. zoum (cf. tiuhan), troum (cf. driugan) et le v. sax. liomo (cf. liuhaþ), où la disparition de la gutturale indique, d’après lui, qu’elle était suivie de w (*tau[]wmá-, etc.). Je ne sache pas, en effet, qu’un groupe germanique -auᵹma-, -euᵹma- (sans w) soit attesté nulle part, de sorte qu’il devient très probable que la chute de dépend simplement de la position entre u et m après une syllabe longue. Aux exemples de M. Brugmann il faut joindre: λυγρός, λευγαλέος, lūgeo, en regard du skr. rúgā, rōga-s «maladie»; θυγάτηρ en regard du lit. duktē; augeo, got. aukan, en regard du lit. áugu; lūcus en regard du lit. laûkas «campagne», skr. loka-s «monde»; εὔκᾱλος à comparer au skr. ōkas «repos, séjour» ; mūcus (μυκτήρ) en regard du skr. muńćati’, got. liugan «mentir» en regard du sl. lǒgati, etc.

Il y a une seconde série de formes où l’absence de labialisation, en grec, est en relation avec la présence d’un u devant la consonne: λύκος (cf. vṛka-s), κύκλος (cf. ćakra-m), κύκνος (ça-kuna-s), ὄνυχες, -νύχιος, etc. Mais le phénomène est ici de date hellénique, et consiste dans la suppression du w post-guttural que les mêmes mots possèdent dans des idiomes parents, tandis que dans λευκός il y a absence de w dès le principe. Il est possible que βουκόλος doive se placer à côté de λύκος plutôt qu’à côté de λευκός; au moins est-on obligé, dans cette dernière alternative, de reculer jusqu’à une bien haute antiquité les origines du doublet -κόλος -πόλος.


Notes
  1. Ἰπποπόλων, N 4, Ξ 227, — ῾Eρμῆς τ’ οἰοπόλος καὶ Λητοῦς ἀγαλαὸς υἱός, Hymn. Merc., 314: — Ὑσπόλοσ est contenu dans ᾽θσπολεῖν · συβωτεῖν (Hés.). — Nous laissons de côté les noms en -πόλος qui s’écartent du sens de gardien, pasteur, tels que πυρπόλος, ὀωειροπόλος, ainsi que les proparoxytons ἀμφίπολος, πρόσπολος, etc.
  2. 2. Cela est vrai surtout pour le composé βουκόλος, car les expressions βοῦς βουκολεῖν, et mieux encore ἵππους βουκολεῖν (cf. ἵπποβουκόλος), montrent un oubli de l’étymologie du premier membre qui autorise relativement au second une supposition analogue.