Œuvres posthumes (Verlaine)/Lettre au décadent
LETTRE AU « DÉCADENT »
Voudrez-vous rectifier dans votre prochain numéro le titre
en celui
qui est plus juste, plus joli ici et qui me permettra
de donner le premier, perfectionné, à
une ballade spéciale à laquelle je pense. Vous
annoncez pour le prochain numéro en question
une « déclaration de principes » : grosse tâche
dont comment me tirer ? sinon en profitant de
cette feuille de papier à lettres pour citer
quelques paroles, concluantes, j’espère, encore
inédites, de moi sur la Décadence, les Décadents
et le Décadisme. Celui-ci, une merveille de vous, mon cher ! un maître-vocable tout battant neuf,
sur lequel je m’exprimais ainsi dans une biographie
d’Anatole Baju à paraître incessamment,
les Hommes d’Aujourd’hui, de notre sage et temporisateur
ami Vanier « Décadisme est un
mot de génie, une trouvaille amusante et qui restera
dans l’histoire littéraire ; ce barbarisme est
une miraculeuse enseigne. Il est court, commode,
« à la main », handy, éloigne précisément l’idée abaissante de décadence, sonne littéraire
sans pédanterie, enfin fait balle et fera
trou, je vous le dis encore une fois..... »
Le membre de phrase souligné dans ce passage détermine bien, je crois, ce que nous entendons, vous et moi, en Décadisme, qui est proprement une littérature éclatant par un temps de décadence, non pour marcher dans les pas de son époque, mais bien tout « à rebours », pour s’insurger contre, réagir par le délicat, l’élevé, le raffiné si l’on veut, de ses tendances, contre les platitudes et les turpitudes, littéraires et autres, ambiantes, — cela sans nul exclusivisme et en toute confraternité avouable. Dans la même biographie d’Anatole Baju, je classais parmi les Décadents, « injure, entre parenthèses, disais-je encore ailleurs, pittoresque, très automne, bien soleil couchant, à ramasser en somme », outre Mallarmé et moi baptisés d’autre part Décadents par qui donc déjà ? « un certain nombre de jeunes poètes, las de lire toujours les même horreurs, appartenant d’ailleurs à une génération plus désabusée que toutes les précédentes, d’autant plus avide d’une littérature expressive de ses aspirations vers un idéal dès lors profondément sérieux, fait de souffrance très noble et très hautes ambitions..... »
Ces citations, dont mille excuses ! ont du moins ce mérite d’être courtes et peu nombreuses. De plus, elles abondent tellement dans votre sens que je vous les envoie, puisque vous voulez bien avoir besoin de mon avis, en forme d’absolue adhésion à votre vaillant entêtement dans une cause si bonne, aussi !
À vous et à vos collaborateurs.