Œuvres politiques (Constant)/Des assemblées représentatives

Texte établi par Charles Louandre, Charpentiers et Cie, Libraires-éditeurs (p. 133-143).



I


DES ASSEMBLÉES REPRÉSENTATIVES.

Aucune liberté ne peut exister, dans un grand pays, sans assemblées représentatives, investies de prérogatives légales et fortes. Mais ces assemblées ne sont pas sans danger ; et pour l’intérêt de la liberté même, il faut préparer des moyens infaillibles de prévenir leurs écarts.

Lorsqu’on n’impose point de bornes à l’autorité représentative, les représentants du peuple ne sont point des défenseurs de la liberté, mais des candidats de tyrannie : or, quand la tyrannie est constituée, elle est peut-être d’autant plus affreuse que les tyrans sont plus nombreux. Sous une constitution dont la représentation nationale fait partie, la nation n’est libre que lorsque ses députés ont un frein.

Une assemblée, qui ne peut être réprimée ni contenue, est de toutes les puissances la plus aveugle dans ses mouvements, la plus incalculable dans ses résultats, pour les membres mêmes qui la composent. Elle se précipite dans des excès qui, au premier coup d’œil, sembleraient s’exclure. Une activité indiscrète sur tous les objets, une multiplicité de lois sans mesure[1], le désir de plaire à la partie passionnée du peuple, en s’abandonnant à son impulsion, ou même en la devançant ; le dépit que lui inspire la résistance qu’elle rencontre, ou la censure qu’elle soupçonne ; alors l’opposition au sens national, et l’obstination dans l’erreur ; tantôt l’esprit de parti, qui ne laisse de choix qu’entre les extrêmes ; tantôt l’esprit de corps, qui ne donne de forces que pour usurper ; tour à tour la témérité ou l’indécision, la violence ou la fatigue, la complaisance pour un seul, ou la défiance contre tous ; l’entraînement par des sensations purement physiques, comme l’enthousiasme ou la terreur ; l’absence de toute responsabilité morale, la certitude d’échapper par le nombre à la honte de la lâcheté ou au péril de l’audace : tels sont les vices des assemblées, lorsqu’elles ne sont pas renfermées dans des limites qu’elles ne puissent franchir.

Une assemblée dont la puissance est illimitée est plus dangereuse que le peuple. Les hommes réunis en grand nombre ont des mouvements généreux. Ils sont presque toujours vaincus par la pitié ou ramenés par la justice ; mais c’est qu’ils stipulent en leur propre nom. La foule peut sacrifier ses intérêts à ses émotions ; mais les représentants d’un peuple ne sont pas autorisés à lui imposer un tel sacrifice. La nature de leur mission les arrête. La violence d’un rassemblement populaire se combine en eux avec l’impassibilité d’un tribunal, et cette combinaison ne permet d’excès que celui de la rigueur. Ceux qu’on appelle traîtres dans une assemblée sont d’ordinaire ceux qui réclament en faveur des mesures indulgentes. Les hommes implacables, si quelquefois ils sont blâmés, ne sont jamais suspects.

Aristide disait aux Athéniens, rassemblés sur la place publique, que leur salut même serait trop chèrement acheté par une résolution injuste ou perfide. En professant cette doctrine, une assemblée craindrait que ses commettants, qui n’auraient reçu ni du raisonnement l’explication nécessaire, ni de l’éloquence l’impulsion généreuse, ne l’accusassent d’immoler l’intérêt public à l’intérêt privé.

Vainement compterait-on sur la force d’une majorité raisonnable, si cette majorité n’avait pas de garantie dans un pouvoir constitutionnel hors de l’assemblée. Une minorité bien unie, qui a l’avantage de l’attaque, qui effraye ou séduit, argumente ou menace tour à tour, domine tôt ou tard la majorité. La violence réunit les hommes, parce qu’elle les aveugle sur tout ce qui n’est pas leur but général. La modération les divise, parce qu’elle laisse leur esprit ouvert à toutes les considérations partielles.

L’assemblée constituante était composée des hommes les plus estimés, les plus éclairés de la France. Que de fois elle décréta des lois que sa propre raison réprouvait ! Il n’existait pas dans l’assemblée législative cent hommes qui voulussent renverser le trône. Elle fut néanmoins, d’un bout à l’autre de sa triste et courte carrière, entraînée dans une direction inverse de ses volontés ou de ses désirs. Les trois quarts de la convention avaient en horreur les crimes qui avaient souillé les premiers jours de la république ; et les auteurs de ces crimes, bien qu’en petit nombre dans son sein, ne tardèrent pas à la subjuguer.

Quiconque a parcouru les actes authentiques du parlement d’Angleterre, depuis 1640 jusqu’à sa dispersion par le colonel Pride, avant la mort de Charles Ier, doit être convaincu que les deux tiers de ses membres désiraient ardemment la paix que leurs votes repoussaient sans cesse, et regardaient comme funeste une guerre dont ils proclamaient chaque jour unanimement la nécessité.

Conclura-t-on de ces exemples qu’il ne faut pas d’assemblées représentatives ? Mais alors le peuple n’aura plus d’organes, le gouvernement plus d’appui, le crédit public plus de garantie. La nation s’isolera de son chef ; les individus s’isoleront de la nation, dont rien ne constatera l’existence. Ce sont les assemblées représentatives qui seules introduisent la vie dans le corps politique. Cette vie a sans doute ses dangers, et nous n’en avons pas affaibli l’image. Mais lorsque, pour s’en affranchir, les gouvernements veulent étouffer l’esprit national, et y suppléer par du mécanisme, ils apprennent à leurs dépens qu’il y a d’autres dangers contre lesquels l’esprit national est seul une défense, et que le mécanisme le mieux combiné ne peut conjurer.

Il faut donc que les assemblées représentatives subsistent libres, imposantes, animées ; mais il faut que leurs écarts puissent être réprimés. Or, la force répressive doit être placée au dehors. Les règles qu’une assemblée s’impose par sa volonté propre sont illusoires et impuissantes. La même majorité, qui consent à s’enchaîner par des formes, brise à son gré ces formes et reprend le pouvoir après l’avoir abdiqué.

Le veto royal, nécessaire pour les lois de détail, est insuffisant contre la tendance générale. Il irrite l’assemblée hostile sans la désarmer. La dissolution de cette assemblée est le remède unique[2].

Cette dissolution n’est point, comme on l’a dit, un outrage aux droits du peuple ; c’est au contraire, quand les élections sont libres, un appel fait à ses droits en faveur de ses intérêts. Je dis, quand les élections sont libres ; car, quand elles ne sont pas libres, il n’y a point de système représentatif.

Entre une assemblée qui s’obstinerait à ne faire aucune loi, à ne pourvoir à aucun besoin, et un gouvernement qui n’aurait pas le droit de la dissoudre, quel moyen d’administration resterait-il ? Or, quand un tel moyen ne se trouve pas dans l’organisation politique, les événements le placent dans la force. La force vient toujours à l’appui de la nécessité. Sans la faculté de dissoudre les assemblées représentatives, leur inviolabilité sera toujours une chimère. Elles seront frappées dans leur existence, faute d’une possibilité de renouveler leurs éléments.

La constitution de l’an VIII avait interdit la discussion publique dans les assemblées ; la charte royale ne l’avait permise qu’avec beaucoup de restrictions, pour une des chambres, et avait entouré toutes les délibérations de l’autre d’un mystère qu’aucun motif raisonnable ne pouvait expliquer. Nous sommes revenus à des idées simples. Nous avons senti que l’on ne s’assemblait que dans l’espoir de s’entendre, que pour s’entendre il fallait parler, et que des mandataires n’étaient pas autorisés, sauf quelques exceptions rares et courtes, à disputer à leurs commettants le droit de savoir comment ils traitaient leurs intérêts.

Un article qui paraît d’abord minutieux, et qu’on a blâmé dans la constitution qui va nous régir, contribuera puissamment à ce que les discussions soient utiles. C’est celui qui défend les discours écrits. Il est plus réglementaire que constitutionnel, j’en conviens ; mais l’abus de ces discours a eu tant d’influence, et a tellement dénaturé la marche de nos assemblées qu’il est heureux qu’on y porte enfin remède.

Ce n’est que lorsque les orateurs sont obligés de parler d’abondance, qu’une véritable discussion s’engage. Chacun frappé des raisonnements qu’il vient d’entendre est conduit naturellement à les examiner. Ces raisonnements font impression sur son esprit, même à son insu. Il ne peut les bannir de sa mémoire : les idées qu’il a rencontrées s’amalgament avec celles qu’il apporte, les modifient et lui suggèrent des réponses qui présentent les questions sous leurs divers points de vue.

Quand les orateurs se bornent à lire ce qu’ils ont écrit dans le silence de leur cabinet, ils ne discutent plus, ils amplifient ; ils n’écoutent point, car ce qu’ils entendraient ne doit rien changer à ce qu’ils vont dire ; ils attendent que celui qu’ils doivent remplacer ait fini ; ils n’examinent pas l’opinion qu’il défend, ils comptent le temps qu’il emploie, et qui leur paraît un retard. Alors il n’y a plus de discussion, chacun reproduit des objections déjà réfutées ; chacun laisse de côté ce qu’il n’a pas prévu, tout ce qui dérangerait son plaidoyer terminé d’avance. Les orateurs se succèdent sans se rencontrer ; s’ils se réfutent, c’est par hasard ; ils ressemblent à deux armées qui défileraient en sens opposé, l’une à côté de l’autre, s’apercevant à peine, même de se regarder, de peur de sortir de la route irrévocablement tracée.

Cet inconvénient d’une discussion qui se compose de discours écrits n’est ni le seul, ni le plus à craindre ; il en est un beaucoup plus grave.

Ce qui parmi nous menace le plus et le bon ordre et la liberté, ce n’est pas l’exagération, ce n’est pas l’erreur, ce n’est pas l’ignorance, bien que toutes ces choses ne nous manquent pas : c’est le besoin de faire effet. Ce besoin, qui dégénère en une sorte de fureur, est d’autant plus dangereux qu’il n’a pas sa source dans la nature de l’homme, mais est une création sociale, fruit tardif et factice d’une vieille civilisation et d’une capitale immense. En conséquence, il ne se modère pas lui-même, comme toutes les passions naturelles qu’use leur propre durée. Le sentiment ne l’arrête point, car il n’a rien de commun avec le sentiment : la raison ne peut rien contre lui, car il ne s’agit pas d’être convaincu, mais de convaincre. La fatigue même ne le calme pas ; car celui qui l’éprouve ne consulte pas ses propres sensations, mais observe celles qu’il produit sur d’autres. Opinions, éloquence, émotions, tout est moyen, et l’homme lui-même se métamorphose en un instrument de sa propre vanité.

Dans une nation tellement disposée, il faut, le plus qu’il est possible, enlever à la médiocrité l’espoir de produire un effet quelconque, par des moyens à sa portée : je dis un effet quelconque, car notre vanité est humble, en même temps qu’elle est effrénée : elle aspire à tout, et se contente de peu. À la voir exposer ses prétentions, on la dirait insatiable ; à la voir se repaître des plus petits succès, on admire sa frugalité.

Appliquons ces vérités à notre sujet. Voulez-vous que nos assemblées représentatives soient raisonnables ? Imposez aux hommes qui veulent y briller la nécessité d’avoir du talent. Le grand nombre se réfugiera dans la raison, comme pis aller ; mais si vous ouvrez à ce grand nombre une carrière où chacun puisse faire quelques pas, personne ne voudra se refuser cet avantage. Chacun se donnera son jour d’éloquence et son heure de célébrité. Chacun, pouvant faire un discours écrit ou le commander, prétendra marquer son existence législative, et les assemblées deviendront des académies, avec cette différence, que les harangues académiques y décideront et du sort, et des propriétés, et même de la vie des citoyens.

Je me refuse à citer d’incroyables preuves de ce désir de faire effet aux époques les plus déplorables de notre révolution. J’ai vu des représentants chercher des sujets de discours, pour que leur nom ne fût pas étranger aux grands mouvements qui avaient eu lieu : le sujet trouvé, le discours écrit, le résultat leur était indifférent. En bannissant les discours écrits, nous créerons dans nos assemblées ce qui leur a toujours manqué, cette majorité silencieuse, qui, disciplinée, pour ainsi dire, par la supériorité des hommes de talent, est réduite à les écouter faute de pouvoir parler à leur place ; qui s’éclaire, parce qu’elle est condamnée à être modeste, et qui devient raisonnable en se taisant[3].

La présence des ministres dans les assemblées achèvera de donner aux discussions le caractère qu’elles doivent prendre. Les ministres discuteront eux-mêmes les décrets nécessaires à l’administration ; ils apporteront des connaissances de fait que l’exercice seul du gouvernement peut donner. L’opposition ne paraîtra pas une hostilité, la persistance ne dégénérera pas en obstination. Le gouvernement, cédant aux objections raisonnables, amendera les propositions sanctionnées, expliquera les rédactions obscures. L’autorité pourra, sans être compromise, rendre un juste hommage à la raison, et se défendre elle-même par les armes du raisonnement.

Toutefois nos assemblées n’atteindront le degré de perfection, dont le système représentatif est susceptible, que lorsque les ministres, au lieu d’y assister comme ministres, en seront membres eux-mêmes par l’élection nationale. C’était une grande erreur de nos constitutions précédentes, que cette incompatibilité établie entre le ministère et la représentation.

Lorsque les représentants du peuple ne peuvent jamais participer au pouvoir, il est à craindre qu’ils ne le regardent comme leur ennemi naturel. Si au contraire les ministres peuvent être pris dans le sein des assemblées, les ambitieux ne dirigeront leurs efforts que contre les hommes, et respecteront l’institution. Les attaques ne portant que sur les individus seront moins dangereuses pour l’ensemble. Nul ne voudra briser un instrument dont il pourra conquérir l’usage, et tel qui chercherait à diminuer la force du pouvoir exécutif, si cette force devait toujours lui rester étrangère, la ménagera, si elle peut devenir un jour sa propriété.

Nous en voyons l’exemple en Angleterre. Les ennemis du ministère contemplent dans son pouvoir leur force et leur autorité future ; l’opposition épargne les

  1. Benjamin Constant revient à diverses reprises sur l’inconvénient de la multiplicité des lois. Voici ce qu’il dit à ce sujet dans un autre de ses ouvrages :

    « La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaire. Toutes les lois que vous donnez à un homme une vocation spéciale, il aime mieux faire plus que moins. Ceux qui sont chargés d’arrêter les vagabonds sur les grandes routes sont tentés de chercher querelle à tous les voyageurs. Quand les espions n’ont rien découvert, ils inventent. Il suffit de créer dans un pays un ministère qui surveille les conspirateurs, pour qu’on entende parler sans cesse de conspirations. Les législateurs se partagent l’existence humaine, par droit de conquête, comme les généraux d’Alexandre se partageaient le monde. On peut dire que la multiplicité des lois est la maladie des États représentatifs, parce que dans ces États tout se fait par les lois, tandis que l’absence des lois est la maladie des monarchies sans limites, parce que dans ces monarchies tout se fait par les hommes.

    « C’est l’imprudente multiplicité des lois qui, à de certaines époques, a jeté de la défaveur sur ce qu’il y a de plus noble, sur la liberté, et fait chercher un asile dans ce qu’il y a de plus misérable et de plus bas, dans la servitude. »

    Un jurisconsulte éminent, l’auteur du Droit administratif, a également protesté dans un pamphlet qui a fait grand bruit sous le règne de Louis-Philippe, et qui a pour titre la Légomanie :

    « Il faut, est-il dit dans ce pamphlet, que la nation française ait naturellement l’esprit bien juste, car on fait tout ce qu’on peut pour le lui fausser. En théorie, rien n’est plus net que la séparation du législatif et de l’exécutif. Presque toujours, chez nous, le règlement fait invasion dans la loi. Nos assemblées révolutionnaires ont, les premières, donné ce mauvais exemple. Encore peut-on les excuser, parce qu’elles cumulaient le gouvernement avec la législature. Aujourd’hui, les Chambres, par méfiance du pouvoir, empiètent sur lui tant de terrain qu’il y a. C’est comme si c’était autant de pris sur l’ennemi ! Elles rongent, elles émiettent sa prérogative ; elles la dévoreraient tout entière, si on les laissait faire ; elles ouvrent du moins la bouche assez grande pour cela. Le ministère plie et cède, sauf à se rabattre d’un autre côté. Quelquefois, il se noie exprès dans les détails, pour qu’on perde de vue le principe. Quelquefois, une foule d’amendements, éclos à l’instant même dans la tête du premier député venu, se lancent dans la tranchée, prennent la loi à la sape et la renversent sur le dos ou sur le flanc. L’amendement est-il bon, eh ! qu’importe ? N’est-il pas toujours bon, si c’est l’un des nôtres qui le présente ? En comprenez-vous la portée ? pas le moins du monde ! S’agence-t-il avec ce qui précède et ce qui suit ? nullement ! Celui qui l’a fait, sait-il ce qu’il veut ôter avant de savoir ce qu’il veut mettre ? il ne le sait non plus que vous ni moi ! Nous donnerez-vous au moins une demi-minute de lecture, une seconde d’examen ? non, pas une minute, pas une seconde ! Eh ! qu’importe, vous dis-je, que vous sachiez ce que c’est que cet amendement, si c’est un des nôtres qui le présente ? Aussi, plongez la vue dans notre chaos législatif, y a-t-il une loi, par exemple, plus surchargée de détails et plus impraticable que la loi sur la garde nationale ? En moins de dix ans, on a retouché deux fois à la loi sur le recrutement. On a remanié deux fois aussi la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique. Que de lacunes, malgré leurs inutilités, dans les lois sur les élections municipales et sur les chemins vicinaux ? Est-il possible d’avoir mieux brouillé les compétences qu’on ne l’a fait dans la loi sur l’instruction primaire ? les lois relatives à la propriété littéraire, aux faillites, à la réforme judiciaire, au travail des enfants dans les manufactures, à la chasse, aux patentes, à la responsabilité des ministres et de leurs Agents, ne laissent absolument rien à désirer sous le rapport des vices du plan, de l’impropriété des termes, de l’inintelligence des amendements, de l’imprévu des conséquences et de l’impuissance de l’exécution. Faut-il ajouter qu’il y a dans toutes ces lois, presque sans exception, une quantité plus considérable qu’on ne le croit de dispositions purement réglementaires que la législature a usurpées par le laisser-aller du gouvernement, et par mauvaise habitude plutôt que par mauvaise intention. »

    (Note de l’éditeur.)
  2. « On peut affirmer à coup sûr que toute assemblée unique, qu’elle soit constituante ou législative, mènera le pays à l’anarchie et à la révolution. Inutile de citer des exemples de cette vérité ; il serait, je crois, impossible de citer l’exemple du contraire. Une Chambre unique, ce fut, selon moi, la grosse erreur de la révolution, la source de nos désordres et de nos misères. Ce qui a manqué à nos pères pour fonder la liberté, c’est une seconde Chambre qui maintînt la première, et qui fût maintenue par elle dans le respect de la Constitution et de la volonté nationale. Le pouvoir absolu a enivré et perdu nos législateurs. » M. Laboulaye, Le Parti libéral, p. 162.

    L’éminent publiciste que nous venons de citer dit encore ailleurs :

    « Qu’on le remette à un homme ou à une Assemblée, un pouvoir sans limites et sans responsabilité ne peut être qu’une forme de despotisme. Mais de tous ces régimes, le plus insupportable sera toujours le despotisme bâtard d’une Chambre unique, car du même coup il paralyse le gouvernement et asservit le peuple ; il favorise en même temps l’anarchie et la tyrannie. Si les constituants avaient eu la modestie de consulter l’histoire, ils y auraient trouvé l’exemple du Long-Parlement d’Angleterre et du Congrès de la Confédération américaine, deux assemblées périssant chacune par l’anarchie ; mais l’expérience ne disait rien aux disciples de Rousseau. Ils savaient tout sans avoir rien appris. »

  3. En Angleterre, l’usage parlementaire défend les discours écrits ; il est seulement permis de consulter des notes pour aider la mémoire. Ce n’est pas le seul emprunt qu’il serait désirable de faire au parlement anglais ; rien n’est plus sage que les mesures établies pour que les débats ne s’écartent point de la convenance et de la vérité. On peut consulter à ce sujet le savant traité de Thomas Erskine May : A practical treatise of the Law, Privileges, Proceedings, and Usage of Parliament, London, 1859, chap. xi.
    (Note de M. Laboulaye.)