Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Le bon Chartrain

Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 234-236).

III[1]


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Le bon Chartrain[2], vieil imbécile honnête,
La larme à l’œil, les sens toujours bouffis.
D’un froid pathos, dit : Courage, mon fils,
Cela promet...............
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.... et le grand Jean Fiéron[3]
Digne héritier du grand Aliboron,
Fils glorieux d’un si glorieux père.
De cette gent l’étoile est bien prospère !
Ô renommée ! ô sort ! ô dieux jaloux !
Quoi ! la faveur gouverne aussi chez vous !
Voilà Gorsas[4] dont la faconde aimable
Sans Durosoy[5] serait incomparable.
Quel art, quel goût, quelle âme, juste ciel !
Sont dévoilés par Pierre Manuel[6] !
Burke est sublime, et d’Entragues l’admire,
Et Coquillart rit et ne fait point rire.
Ces grands esprits, vains jouets du trépas.
Sont inconnus comme s’ils n’étaient pas.
Et les Frérons accaparent l’histoire.
D’un œil d’amour les muses et la gloire
Veillent sur eux, illuminent leurs fronts

Et ce grand nom de Frérons en Frérons
Doit à jamais lasser le c… poète
De la déesse à la double trompette[7].

.....les sublimes destins
Du sieur Bagnols, le Boileau des câtins[8]
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Un marquis bègue et qui n’est des plus sots,
Gros chansonnier qui crève de bons mots,
Contre eux aiguise, en sa gaîté caustique,
Vingt calembours pétris de sel attique.
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Ainsi souvent, quand, d’une égale haleine,
Six forts coursiers font voler sur la plaine
D’un char léger les quatre orbes roulants,
Le poil dressé, vingt dogues turbulents,
Précipités dans leur rage imbécile,
Viennent en vain mordre la roue agile.
La roue agile et les coursiers nerveux,
Sans écouter ces cris tumultueux.
Sans se hâter, poursuivent leur carrière.
Le char bondit et couvre de poussière
Le sot troupeau dont l’importune voix
Le suit de loin par de rauques abois.
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De recueillir pour double récompense,
Avec l’estime et l’amitié des bons,
Un autre bien : la haine des fripons.

  1. Édition de G. de Chénier.
  2. Pétion.
  3. Rédacteur du journal l’Orateur du peuple.
  4. Rédacteur du journal le Courrier de Versailles.
  5. Rédacteur du journal la Gazette de Paris.
  6. Député de Paris à la Convention.
  7. Allusion aux vers bien connus de la Pucelle :
    La Renommée a toujours deux trompettes, etc,
  8. Rivarol, selon M. Becq de Fouquières.