Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 270-272).

LIV[1]

SUR LA MORT D’UN ENFANT[2]


L’innocente victime, au terrestre séjour,
N’a vu que le printemps qui lui donna le jour.
Rien n’est resté de lui qu’un nom, un vain nuage,
Un souvenir, un songe, une invisible image.
Adieu, fragile enfant échappé de nos bras ;
Adieu, dans la maison d’où l’on ne revient pas.
Nous ne te verrons plus, quand de moissons couverte
La campagne d’été rend la ville déserte ;
Dans l’enclos paternel nous ne te verrons plus,
De tes pieds, de tes mains, de tes flancs demi-nus.
Presser l’herbe et les fleurs dont les nymphes de Seine
Couronnent tous les ans les coteaux de Lucienne.
L’axe de l’humble char à tes jeux destiné,
Par de fidèles mains avec toi promené,
Ne sillonnera plus les prés et le rivage.
Tes regards, ton murmure, obscur et doux langage,
N’inquiéteront plus nos soins officieux ;
Nous ne recevrons plus avec des cris joyeux
Les efforts impuissants de ta bouche vermeille
À bégayer les sons offerts à ton oreille.

Adieu, dans la demeure où nous nous suivrons tous,
Où ta mère déjà tourne ses yeux jaloux[3],

Ô quel dieu malfaisant, sous ses ailes funèbres,
Couvrit cette maison de deuil et de ténèbres !
Ô de quelle inquiète et palpitante main
La sœur, mère trois fois, pressa contre son sein
De ce qui lui restait la précieuse enfance,
Quand elle vit, trompant sa douce confiance,
Celle qui sans appui ne marchait point encor,
De son lit douloureux cher et dernier trésor.
Son idole et déjà son image vivante,
De santé, d’avenir, de beauté florissante,

Pâlir et chanceler, frappée entre ses bras,
Et son front se pencher dans la nuit du trépas !…
Tel le bouton naissant........

  1. Les vint-deux premiers vers ont été publiés dans l’édition de 1819, le reste par M. G. de Chénier.
  2. Il s’agit d’un enfant de Mme  Laurent Lecoulteux (B. de F.)
  3. Variante :

    La chaîne des saisons dans les cieux promenée
    N’a point encor formé le cercle d’une année !
    Ô regrets ! un enfant !… inflexibles destins !
    De l’épi vert encor moissonneurs inhumains.
    Craignez-vous qu’un mortel ne dérobe sa tête ?
    Ne sommes-nous point tous votre sûre conquête ?
    L’innocente victime au terrestre séjour
    N’a vu que le printemps qui lui donna le jour.
    De son premier hiver le souffle impitoyable
    L’emporte ! Où, maintenant, est ton sourire aimable*,
    De ton front délicat la grâce et la candeur.
    Et de tes yeux d’azur la touchante langueur ?

    Autre :

    Hélas ! où, maintenant, est ton sourire aimable ?
    De ton front innocent la grâce et la douceur ?
    Et de tes yeux d’amour la touchante langueur ?
    Et tes pleurs qu’apaisait une simple caresse ?
    Et ta bouche entr’ouverte et ta vive allégresse,
    À l’approche du sein dont tes nuits et tes jours
    Ne pouvaient épuiser les utiles secours ?