Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 285-286).

LXXIII[1]


Tune meam potuisti. Prop.[2]


On ne vit que pour soi ; l’amitié n’est qu’un nom.
Je veux que mon ami soit hors de tout soupçon ;
Mais je vais, tout rempli de mon enchanteresse,
Lui conter mes plaisirs, sa beauté, mon ivresse.
De ces récits d’amour l’éloquente chaleur,
En me disant heureux, a fait tout mon malheur.
Peut-être sur ma foi dévorant ma conquête.
Il vole, en m’accusant, assurer ma défaite,
Me bannir de mon règne, et d’un récit d’amour
Devenir, s’il se peut, le héros à son tour ;
Et, fier de me devoir une si belle proie,
Ma colère fera la moitié de sa joie.

Paris fut ravisseur ; mais les nœuds d’amitié
Au jeune Atride, au moins, ne l’avaient point lié.
Patrocle à Briséis aurait été rebelle ;
Et Pylade ignorait qu’Hermione fût belle.
Tout change. Il est passé ce temps des vrais amis ;
Et le parjure utile est honnête et permis :
Il se rit de ma honte et de sa perfidie.
Moi seul, en mes moissons je soufflai l’incendie ;
Moi seul, en lui vantant mon trésor clandestin,
J’ai du voleur nocturne aiguillonné la main[3].



....................
Souvent de tous les dieux une Vénus chérie.
Par les décrets jaloux d’un bizarre destin,
À reçu dans son lit quelque absurde Vulcain.



..........dans les cieux,
D’ambroisie et de fleurs cette pure fontaine,
Où l’année, une fois, mère idolâtre et vaine,
Pour ses trois autres fils moins prodigue en bienfaits,
Trempe de son printemps et la robe et les traits.

  1. Éd. G. de Chénier.
  2. Liv. II, élég. 25, v. 9.
  3. L’auteur avait songé aussi a placer ce morceau dans l’Art d’aimer, en mettant à la seconde personne tout ce qui est à la première, et toi au lieu de moi. (G. de Chénier.)