Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Mysis
LXX[1]
MYSIS
Mysis (enfant)… « Lycas, donne-moi des fruits… — Je n’en ai point… laisse-moi aller, je suis pressé… — Oh ! oui, je sais bien où tu vas. Tu vas trouver Chloé… — Chloé ? — Oui, je te vois tous les jours avec elle… Je sais bien que tu l’aimes… moi, je l’aime aussi… — Toi aussi ?… — Oui, elle me donne des fruits… Hier, elle était à se promener à tel endroit (site), elle me vit passer et me demanda si je voulais des amandes. Je tendis mes deux mains et je lui dis : Chloé, je t’aime. Elle sourit, m’en donna davantage, et, promenant sa main autour de mon visage, me dit : … Enfant, sais-tu déjà ce que c’est que d’aimer ? puis elle me leva dans ses bras et me donna plusieurs baisers… — Dieux ! elle t’a baisé !… — Sans doute. — Oh ! je voudrais être à ton âge, je serais toujours avec elle comme toi… — Elle m’offrirait des amandes et des caresses… au lieu qu’elle ne m’offre rien et ne me baise pas !… — Puis m’en allant, je me cachai et la regardai… elle se croyait seule et je vis qu’elle soupirait et baisait une écharpe qui lui couvrait le sein. Pourquoi la baisait-elle ? à quoi bon caresser une écharpe insensible ? — Adieu, Mysis, adieu, je ne puis m’arrêter… demain, je te donnerai des fruits et tout ce que tu me demanderas… » Le jeune Lycas s’éloigne à ces mots… Il traverse à grands pas la prairie et va trouver Chloé palpitant de joie ; car l’écharpe qu’elle avait baisée était un don qu’elle tenait de lui.
- ↑ Édition G. de Chénier. Le titre n'est pas de la main de l'auteur.