Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 155-156).

LXXVI[1]

 
Ma Muse pastorale aux regards des Français
Osait ne point rougir d’habiter les forêts.
Elle eût voulu montrer aux belles de nos villes
La champêtre innocence et les plaisirs tranquilles ;
Et, ramenant Palès des climats étrangers,
Faire entendre à la Seine enfin de vrais bergers.
Elle a vu, me suivant dans mes courses rustiques,
Tous les lieux illustrés par des chants bucoliques.
Ses pas de l’Arcadie ont visité les bois,
Et ceux du Mincius, que Virgile autrefois
Vit à ses doux accents incliner leur feuillage ;
Et d’Hermus aux flots d’or l’harmonieux rivage,
Où Bion, de Vénus répétant les douleurs,
Du beau sang d’Adonis a fait naître des fleurs ;
Vous, Aréthuse aussi, que de toute fontaine
Théocrite et Moschus firent la souveraine ;
Et les bords montueux de ce lac enchanté,
Des vallons de Zurich pure divinité,
Qui du sage Gessner à ses nymphes avides
Murmure les chansons sous leurs antres humides.
Elle s’est abreuvée à ces savantes eaux,
Et partout sur leurs bords a coupé des roseaux.
Puisse-t-elle en avoir pris sur les mêmes tiges
Que ces chanteurs divins, dont les doctes prestiges
Ont aux fleuves charmés fait oublier leurs cours,
Aux troupeaux l’herbe tendre, au pasteur ses amours !

De ces roseaux liés par des nœuds de fougère
Elle osait composer sa flûte bocagère,
Et voulait, sous ses doigts exhalant de doux sons,
Chanter Pomone et Pan, les ruisseaux, les moissons,
Les vierges aux doux yeux, et les grottes muettes,
Et de l’âge d’amour les ardeurs inquiètes.

  1. Édition 1819.