Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 115-116).

XLVII[1]

LA POÉSIE


Vierge au visage blanc, la jeune Poésie,
En silence attendue au banquet d’ambroisie,
Vint sur un siège d’or s’asseoir avec les dieux,
Des fureurs des Titans enfin victorieux.
La bandelette auguste, au front de cette reine,
Pressait les flots errants de ses cheveux d’ébène ;
La ceinture de pourpre ornait son jeune sein.
L’amiante et la soie, en un tissu divin,
Répandaient autour d’elle une robe flottante,
Pure comme l’albâtre et d’or étincelante.
Creux en profonde coupe, un vaste diamant
Lui porta du nectar le breuvage écumant.
Ses belles mains volaient sur la lyre d’ivoire.
Elle leva ses yeux où les transports, la gloire,
Et l’âme et l’harmonie éclataient à la fois.
Et, de sa belle bouche, exhalant une voix
Plus douce que le miel ou les baisers des Grâces,
Elle dit des vaincus les coupables audaces,
Et les cieux raffermis et sûrs de notre encens,
Et sous l’ardent Etna les traîtres gémissants.




Nymphe tendre et vermeille, ô jeune Poésie !
Quel bois est aujourd’hui ta retraite choisie ?

Quelles fleurs, près d’une onde où s’égarent tes pas,
Se courbent mollement sous tes pieds délicats ?
Où te faut-il chercher ? Vois la saison nouvelle !
Sur son visage blanc quelle pourpre étincelle !
L’hirondelle a chanté. Zéphire est de retour :
Il revient en dansant ; il ramène l’amour ;
L’ombre, les prés, les fleurs, c’est sa douce famille,
Et Jupiter se plaît à contempler sa fille,
Cette terre où partout, sous tes doigts gracieux,
S’empressent de germer des vers mélodieux.
Le fleuve qui s’étend dans les vallons humides
Roule pour toi des vers doux, sonores, liquides.
Des vers, s’ouvrant en foule aux regards du soleil,
Sont ce peuple de fleurs au calice vermeil.
Et les monts, en torrents qui blanchissent leurs cimes,
Lancent des vers brillants dans le fond des abîmes.

  1. Ed. G. de Chénier.