Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 189-190).

XII[1]


 
J’ai suivi les conseils d’une triste sagesse.
Je suis donc sage enfin ; je n’ai plus de maîtresse.
Sois satisfait, mon cœur. Sur un si noble appui
Tu vas dormir en paix dans ton sublime ennui.
Quel dégoût vient saisir mon âme consternée,
Seule dans elle-même, hélas ! emprisonnée ?
Viens, ô ma lyre ! ô toi mes dernières amours ;
(Innocentes du moins) viens, ô ma lyre ; accours.
Chante-moi de ces airs qu’à ta voix jeune et tendre
Les lyres de la Grèce ont su jadis apprendre.
Quoi ! je suis seul ? Ô Dieux ! où sont donc mes amis ?
Ah ! ce cœur qui toujours à l’amitié soumis,
D’étendre ses liens fit son besoin suprême,
Faut-il l’abandonner, le laisser à lui-même ?
Où sont donc mes amis ? Objets chéris et doux !
Je souffre, ô mes amis ! Ciel ! où donc êtes-vous ?
À tout ce qu’elle entend, de vous seuls occupée,
De chaque bruit lointain mon oreille frappée,
Écoute ; et croit souvent reconnaître vos pas ;
Je m’élance, je cours, et vous ne venez pas !

Ah ! vous accuserez votre absence infidèle,
Quand vous saurez qu’ainsi je souffre et vous appelle.
Que je plains un méchant ! Sans doute avec effroi
Il porte à tout moment les yeux autour de soi ;
Il n’y voit qu’un désert ; tout fuit, tout se retire.

Son œil ne vit jamais de bouche lui sourire ;
Jamais, dans les revers qu’il ose déclarer,
De doux regards sur lui s’attendrir et pleurer.
Ô de se confier noble et douce habitude !
Non, mon cœur n’est point né pour vivre en solitude :
Il me faut qui m’estime, il me faut des amis
À qui dans mes secrets tout accès soit permis ;
Dont les yeux, dont la main dans la mienne pressée,
Réponde à mon silence, et sente ma pensée.
Ah ! si pour moi jamais tout cœur était fermé,
Si nul ne songe à moi, si je ne suis aimé…
Vivre importun, proscrit, flatte peu mon envie.
Et quels sont ses plaisirs, que fait-il de la vie,
Le malheureux qui, seul, exclus de tout lien,
Ne connaît pas un cœur on reposer le sien ;
Une âme où dans ses maux comme en un saint asile,
Il puisse fuir la sienne et se rasseoir tranquille ;
Pour qui nul n’a de vœux, qui jamais dans ses pleurs
Ne peut se dire : « Allons, je sais que mes douleurs
Tourmentent mes amis, et quoiqu’en mon absence,
Ils accusent mon sort et prennent ma défense. »

  1. Édition 1819.