Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 245-248).

XXXV[1]


Allons, l’heure est venue, allons trouver Camille.
Elle me suit partout. Je dormais, seul tranquille ;
Un songe me l’amène, et mon sommeil s’enfuit
Je la voyais en songe au milieu de la nuit ;
Elle allait me cherchant sur sa couche fidèle,

Et me tendait les bras et m’appelait près d’elle.
Les songes ne sont point capricieux et vains ;
Ils ne vont point tromper les esprits des humains
De l’Olympe souvent un songe est la réponse.
Dans tous ceux des amants, la vérité s’annonce.
Quel air suave et frais ! le beau ciel ! le beau jour !
Les Dieux me le gardaient ; il est fait pour l’amour.

Quel charme de trouver la beauté paresseuse,
De venir visiter sa couche matineuse,
De venir la surprendre, au moment que ses yeux
S’efforcent de s’ouvrir à la clarté des cieux ;
Douce dans son éclat, et fraîche, et reposée,
Semblable aux autres fleurs, filles de la rosée.
Oh ! quand j’arriverai, si, livrée aux repos,
Ses yeux n’ont point encor secoué les pavots,
Oh ! je me glisserai vers la plume indolente,
Doucement, pas à pas, et ma main caressante
Et mes fougueux transports feront à son sommeil
Succéder un subit mais un charmant réveil ;
Elle reconnaitra le mortel qui l’adore,
Et mes baisers longtemps empêcheront encore
Sur ses yeux, sur sa bouche, empressés de courir,
Sa bouche de se plaindre et ses yeux de s’ouvrir.

Mais j’entrevois enfin sa porte souhaitée.
Que de bruit ! que de chars ! quelle foule agitée !
Tous vont revoir leurs biens, leurs chimères, leur or ;
Et moi, tout mon bonheur, Camille, mon trésor.
Hier, quand malgré moi je quittai son asile,

Elle m’a dit : « Pourquoi t’éloigner de Camille ?
Tu sais bien que je meurs si tu n’es près de moi. »
Ma Camille, je viens, j’accours, je suis chez toi.
Le gardien de tes murs, ce vieillard qui m’admire
M’a vu passer le seuil et s’est mis à sourire.
Bon ! j’ai su (les amants sont guidés par les dieux)
Monter sans nul obstacle et j’ai fui tous les yeux.

Ah ! que vois-je ?… Pourquoi ma porte accoutumée,
Cette porte secrète est-elle donc fermée ?
Camille, ouvrez, ouvrez, c’est moi. L’on ne vient pas.
Ciel ! elle n’est point seule ! On murmure tout bas,
Ah ! c’est la voix de Lise. Elles parlent ensemble.
Ou se hâte ; l’on court ; on vient enfin ; je tremble.
Qu’est-ce donc ? à m’ouvrir pourquoi tous ces délais ?
Pourquoi ces yeux mourants et ces cheveux défaits ?
Pourquoi cette terreur dont vous semblez frappée ?
D’où vient qu’en me voyant Lise s’est échappée ?
J’ai cru, prêtant l’oreille, ouïr entre vous deux
Des murmures secrets, des pas tumultueux.
Pourquoi cette rougeur, cette pâleur subite,
Perfide ? un autre amant… Ciel ! elle a pris la fuite.
Ah dieux ! je suis trahi. Mais je prétends savoir…
Lise, Lise, ouvrez-moi, parlez ; mais fol espoir !
La digne confidente auprès de sa maîtresse
Lui travaille à loisir quelque subtile adresse,
Quelque discours profond et de raisons pourvu,
Par qui ce que j’ai vu je ne l’aurai point vu.
Dieux ! comme elle approchait (sexe ingrat, faux, perfide !)
S’essayant, effrontée à la fois et timide,
Voulant hâter l’effort de ses pas languissants,

Voulant m’ouvrir des bras fatigués, impuissants
Abattue, et Sa voix altérée, incertaine,
Ses yeux anéantis ne s’ouvrant plus qu’à peine,
Ses cheveux en désordre et rajustés en vain,
Et son haleine encore agitée, et son sein…
Des caresses de feu sur son sein imprimées,
Et de baisers récents ses lèvres enflammées.
J’ai tout vu. Tout m’a dit une coupable nuit.
Sans même oser répondre, interdite, elle fuit,
Sans même oser tenter le hasard d’un mensonge ;
Et moi, comme abus des promesses d’un songe,
Je venais, j’accourais, sûr d’être souhaité,
Plein d’amour et de joie et de tranquillité !

  1. Édition 1819.